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Sur l’autre rive

Variation théâtrale librement inspirée de Platonov d’Anton Tchekhov – traduction Olivier Cadiot, adaptation Joanne Delachair et Cyril Teste – mise en scène Cyril Teste/collectif MxM, à l’Amphithéâtre du Domaine d’O – et film Arte réalisé par Cyril Teste, présenté au Théâtre Jean-Claude Carrière – dans le cadre du Printemps des Comédiens (Montpellier).

@ Simon Gosselin

Cyril Teste est un peu chez lui au Printemps des Comédiens où il a présenté plusieurs spectacles au fil des ans, avec son collectif MxM et travaille sur la performance filmique. Il place l’acteur au cœur de ses spectacles et construit des dispositifs alliant image, son, lumière et nouvelles technologies. Sur l’autre rive, qu’il présente cette année est un diptyque dont le second volet est un film. La création du spectacle a eu lieu à Bonlieu/scène nationale d’Annecy en mai, où le collectif est artiste associé. Le travail s’est réalisé parallèlement et avec les mêmes équipes artistique et technique sur la création du spectacle et sur l’écriture et le montage du film. *

@ Simon Gosselin

Le metteur en scène et réalisateur a rencontré Tchekhov grâce à un travail avec Joël Jouanneau dans le cadre des chantiers nomades et depuis plusieurs années creuse son sillon pour rencontrer Tchekhov à travers ses différents écrits – pièces, romans, nouvelles, correspondances etc – approfondissant sa connaissance de l’homme, de son époque et de l’œuvre. Il a mis en scène La Mouette en 2021. « Monter un texte d’un auteur, c’est faire un point ; monter deux textes, c’est tracer une ligne ; monter trois textes, c’est créer des perspectives » dit-il. C’est dans cette dynamique qu’il propose Sur l’autre rive, avec la distance qu’il choisit de garder par rapport à Platonov dont il s’inspire, une pièce restée inachevée, écrite vers l’âge de dix-huit ans en 1878 quand l’auteur s’essaie à l’écriture, qui avait disparu des radars et ne sera publiée qu’en 1923.

Anna Petrovna, jeune veuve volubile et ruinée, invite chaque été un groupe d’amis chez elle en villégiature dans sa maison de campagne et il semble que ce soit la dernière année, la maison ayant été vendue. Parmi ses invités, Platonov/Micha, qui derrière son côté bon enfant se révèle être bonimenteur, arrogant et manipulateur, un personnage ambigu, singulièrement cynique et égotique. Malgré sa charmante épouse, Sacha, il se plaît à multiplier les aventures avant d’être désavoué par l’ensemble de ses amis et de sombrer dans le désespoir. C’est une pièce qui parle d’héritage et de transmission entre générations, de quête de sens, de trahison et d’humiliation. « Tu n’as vécu pour rien, pour personne, ça va mal finir » dit Anna à Micha qui cherche aussi à la séduire. « Qu’est-ce qu’on va laisser ? » dit un autre. La question reste bien d’actualité.

@ Simon Gosselin

Cyril Teste orchestre ce nocturne composé de treize acteurs et d’une trentaine de participants amateurs, donnant ainsi une certaine choralité à l’œuvre pour traduire la fête et l’illusion de la fête. De longues tables recouvertes de nappes blanches sont dressées pour la garden-party, les fleurs sont apportées. Au premier plan, sur la grande ouverture de scène de l’Amphithéâtre du Domaine d’O, un plancher où les convives dansent et déversent sensualité et timidité, lieu où se trament les énigmes amoureuses et les vagues à l’âme, où Micha, grand séducteur, fait des ravages. La musique est en live depuis une petite estrade placée à l’arrière de la scène où le chanteur-DJ donne le ton et l’ambiance.

Deux vidéastes sont mêlés aux convives pour les suivre et capter leurs moindres expressions dans les coins cachés du plateau, images retransmises sur des écrans disséminés sur scène donnant une forme fragmentaire qu’il s’agit de décoder. Le spectateur est à distance des protagonistes et tente de suivre itinéraires et imbroglios des personnages, ne sachant pas toujours qui parle, ni d’où fuse la conversation. « J’ai peur de vivre. Je suis comme une pierre sur la route… La vie, c’est comme un loup » se contentera de justifier Micha avant de disparaître. « On était heureux…Tu ne sortiras jamais de la boue… Je crois que je ne te respecte plus » murmure Sacha.

Image du film

Après avoir vu le spectacle il est passionnant de voir Sur l’autre rive, le film, réalisé avant la pièce, sur la proposition d’Arte, et qui donne de nombreuses clés à l’œuvre foisonnante. On est face à une bâtisse magique entourée d’un jardin plein de charme, Anna en ouvre les volets et se prépare à recevoir ses invités. Il plane sur la maison l’ombre de Jacques Copeau à qui elle appartenait, en Côte d’Or, devenue aujourd’hui lieu de mémoire théâtrale. On y voit les enfants de Sacha et Micha, et on voyage dans les différentes pièces, les couloirs et les chambres, où la mort de Platonov fait sens et devient lisible. Suicide ou rédemption, le final du film est puissant et chargé, avec l’effacement de Micha/Platonov dans la nature. Serge, le gendre d’Anna et ami de Micha éloigne les enfants et ramasse son ami. Le rideau vole. Il y a une grande mélancolie.

On lit dans le film l’influence de Bergman, Tarkovski et Cassavettes dont Cyril Teste s’est inspiré pour créer Opening Night avec Isabelle Adjani sur les coulisses du monde du théâtre, à partir du film réalisé en 1977 avec Gena Rowlands, issu d’une pièce de John Cromwell, créée à Broadway dans les années 1960. Le diptyque film / théâtre fait aussi écho à Patrice Chéreau qui en 1987 avait d’abord adapté Platonov au cinéma sous le titre Hôtel de France, avant de transposer la pièce au théâtre. Le diptyque présenté par Cyril Teste éclaire et donne tout son sens à sa démarche, en prise directe avec le réel, car l’un éclaire l’autre et renforce le processus du metteur en scène dans son positionnement sommes toutes politique et dans les différentes formes qu’il défend.

Le Printemps des Comédiens, ce rendez-vous ardent de la création théâtrale vient de fermer ses portes après trois semaines d’une proposition artistique de haut vol, au Domaine d’O-Cité européenne du Théâtre, à Montpellier et en partenariat dans la ville. Jean Varela qui le dirige depuis une douzaine d’années, a su insuffler une belle vitalité à l’édition 2024 et diversifier les approches esthétiques en ouvrant sur la pluralité des formes, en France et à l’international. C’est un espace qui défend résolument les artistes. Par les temps qui courent, c’est plus que précieux.

Brigitte Rémer, le 24 juin 2024

@ Simon Gosselin

Avec : Vincent Berger, Olivia Corsini, Florent Dupuis, Katia Ferreira, Adrien Guiraud, Emilie Incerti Formentini, Mathias Labelle, Robin Lhuillier, Loui Martin-Ferret, Charles Morillon, Marc Prin, Pierre Timaitre, Haini Wang. Collaboration artistique Marion Pellissier – dramaturgie Leila Adham – assistanat à la mise en scène Sylvère Santin – scénographie Valérie Grall – costumes Isabelle Deffin, assistée de Noé Quilichini – création lumière Julien Boizard – création vidéo Mehdi Toutain-Lopez – images originales Nicolas Doremus, Christophe Gaultier – musique originale Nihil Bordures, Florent Dupuis – son Thibault Lamy – direction technique Julien Boizard – régie générale Simon André – construction du décor Artom Atelier – production Collectif MxM.

Spectacle présenté les 30 et 31 mai, 1er juin 2024, à 22 h, Amphithéâtre du Domaine d’O, 178 rue de la Carriérasse, Montpellier – Film présenté le dimanche 1er juin 2024 à 11h, au Théâtre Jean-Claude Carrière du Domaine d’O – Tram n° 1, arrêt Malbosc – tél. : 04 67 63 66 67. site : www.printempsdescomediens.com  – * Sur l’autre rive, le film, produit par Les Films du Poisson, sera diffusé sur Arte et arte.tv à l’automne 2024.

Sur l’autre rive, spectacle théâtral, en tournée 2024-2025 : Théâtre Nanterre-Amandiers, Centre dramatique national, du 27 septembre au 13 octobre 2024 – Espace des Arts, Scène nationale de Chalon-sur-Saône, les 17 et 18 octobre – Théâtre du Rond-Point, Paris, du 8 au 16 novembre – Equinoxe, Scène nationale de Châteauroux, le 26 novembre – Maison de la Culture d’Amiens, Pôle européen de création et de production, les 5 et 6 décembre – Les Quinconces, Scène nationale du Mans, du 11 au 23 décembre – La Condition Publique, Roubaix, dans le cadre de la saison nomade de La rose des vents, Scène nationale Lille Métropole Villeneuve d’Ascq, les 18 et 19 décembre – Théâtre des Louvrais, Points Communs, Scène nationale de Cergy-Pontoise/Val d’Oise, du 15 au 17 janvier 2025 – Comédie de Valence, centre dramatique national Drôme-Ardèche, les 22 et 23 janvier – Les Célestins, Théâtre de Lyon, du 30 janvier au 8 février – Le Tandem, Scène nationale, Douai, les 18 et 19 mars – Théâtre Sénart, Scène nationale, Lieusaint, du 26 au 28 mars 2025.

Requiem de Mozart

© Pascal Victor/artcompress

Montage musical autour du Requiem de Wolfgang Amadeus Mozart – mise en scène, décors, costumes, lumière, Romeo Castellucci – direction musicale Raphaël Pichon – chœur et orchestre Pygmalion – réalisation et production François-René Martin, d’après le spectacle présenté dans la Cour de l’Archevêché au Festival d’Aix-en-Provence 2019 – ARTE diffusion.

Façonner le Requiem de Mozart en messe pour le temps présent est un acte fort. C’est le défi dans lequel se sont lancés Romeo Castellucci, metteur en scène connu pour une certaine radicalité et Raphaël Pichon, chef d’orchestre, directeur de l’Ensemble Pygmalion. Nous ne sommes pas à Avignon en 1967 avec Maurice Béjart et son Ballet du XXème siècle mais à Aix-en-Provence en 2019, pour l’ouverture du Festival international d’art lyrique. Une création audiovisuelle d’une remarquable qualité sous les caméras de François-René Martin permet de prolonger cette méditation d’été.

Dans une éblouissante lecture poétique, musicale et chorégraphique sur le thème des mondes disparus, cette messe des morts se cogne aujourd’hui à l’actualité. On la dirait annonciatrice de la pandémie qui aujourd’hui nous ravage et mène tant de monde de l’autre côté du miroir. En libre accès quelque temps sur Arte, elle rejoint une semaine sainte singulière où les jours ressemblent à la nuit et où le temps se fige.

Au Requiem inachevé de Mozart – qui le compose l’année de sa mort, en 1791 – Raphaël Pichon mêle chant grégorien et œuvres moins connues du compositeur. Romeo Castellucci en fonde la matière théâtrale qu’il pétrit de son talent de plasticien. L’œuvre est écrite pour quatre solistes, qui l’interprètent ici avec force et simplicité : soprano (Siobhan Stagg), alto (Sara Mingardo), ténor (Martin Mitterrutzner), basse (Luca Tittoto). Un cinquième soliste, jeune garçon âgé de sept ans, Chadi Lazreq, déploie avec une belle précision sa voix et sa présence. Son entrée en scène est remarquée, il pousse du pied ce qu’on croirait être un ballon et qui est en fait un crâne humain, et interprète le morceau Solfeggio n° 2 K 393. Les solistes, dont le corps est engagé autant que la voix, se fondent dans le chœur et participent de la chorégraphie, au son des cors de basset, trompettes et trombones, timbales, ensemble de cordes et orgue en basse continue de l’orchestre symphonique, empreint de gravité.

Le metteur en scène fait du cousu main et partage sa réflexion sur la fin des mondes et la succession des générations, version haute couture. Parallèlement à la solennité mozartienne il égrène de façon lancinante des listes de sites, périodes et bâtiments disparus, qui s’inscrivent en filigrane sur une immense toile, en fond de scène : inventaire des lacs disparus à travers le monde, hominidés éteints venant de la lointaine préhistoire, atlas des grandes extinctions : faune éteinte, peuples éteints, villes disparues, langues éteintes, religions éteintes, architectures disparues, œuvres d’art disparues. Au passé succède le présent et l’énonciation des extinctions d’aujourd’hui qui nous frôlent dangereusement : extinction du chant des grillons dans la nuit, extinction de l’herbe, extinction du vent, du corps, de la faim, de l’eau, de la danse, de la mère, de l’Histoire, de cette musique. Extinction de l’amour, extinction du moi, extinction du verbe être et jusqu’à notre propre mort. Au final, s’affiche la date du jour : 10 juillet 2019.

Entrelacée à ces mondes engloutis et au sur-titrage en français des paroles latines du Requiem, Castellucci élabore une écriture scénique composée de séquences chorégraphiées qui accompagnent les chants nocturnes. Toutes sont d’une grande beauté et puissance visuelle. Un prologue, sorte de narration, nous mène devant l’image de la mort, sans drame ni excès. Nous sommes dans la petite chambre d’une femme d’âge mûr, monacale, qui regarde la télévision, fume sa dernière cigarette, pose un geste ritualisé déplaçant une orange, s’assied, déplie lentement les draps, se couche et s’enfonce, comme au plus profond de la terre. Le chœur s’avance, étole noire sur l’épaule, engage un rituel de mort et se place derrière le lit vide. Miserere ! Aie pitié de moi ! Sur ces mots issus d’un psaume, il se met en mouvement et esquisse quelques gestes, simples et symboliques. « Seigneur, donne-leur le repos éternel, et fais luire pour eux la lumière sans déclin… » Des bannières noires en signe de deuil et de grands rameaux en signe d’adieu rythment la disparition et l’effacement. Dies Iræ, jour de colère ! Quatre anges noirs entrent et emportent le lit sur lequel un crêpe de deuil a été posé, dévoilant la présence d’une jeune femme, vêtue de blanc, allongée sur le sol, comme en un phénomène de métempsychose.

Une petite fille lui ressemblant étrangement, mêmes cheveux longs, même robe blanche, une décennie de moins, se substitue à elle et se place au centre d’un cercle formé par le chœur, où hommes et femmes font tourbillonner des rubans rouges et blancs. « Nous qui sommes poussières et cendres, craintifs et tremblants, à genoux nous t’implorons. » Le plateau est devenu une boîte blanche par la rotation savante de panneaux. On assiste à un rituel d’initiation laissant sur le sol des tâches de poudres de couleurs et de terre, sorte de fête traditionnelle dont la baptisée est cette petite fille, accompagnée de la magnifique voix de basse. « La trompette céleste se répandant sur les tombeaux rassemblera tous les hommes devant le trône. » On la suspend au mur, comme un agneau pascal, « O Roi, dont la majesté est redoutable, vous qui sauvez par grâce, sauvez-moi… » On l’assied, tenant une grande palme dans la main, on l’habille d’une cape dans laquelle elle disparaît, on la pare des cornes du bélier, évocation du mythe de la toison d’or comme chez les Grecs ou oracle chez les Égyptiens, on lui remet le bâton du maître de cérémonie, on la charge de pouvoirs.

Dans la séquence suivante les femmes aux costumes dérivés des traditions ukrainiennes, broderies, liserés et galons, couronnes de fleurs dans les cheveux dans des déclinaisons de rouge, dansent autour d’un arbre. « Appelle-moi parmi les élus…» Les hommes coiffés de couronnes de buis saluent, une main sur la poitrine en signe de respect et malaxent la terre. « Jour plein de larmes…» Les quatre solistes entrent et sortent du chœur, dans des moments de grande densité : « Je gémis comme un coupable… Pardonnez, mon Dieu, à celui qui vous implore… Que j’évite le feu éternel…» Des arbres sont plantés, arbres de vie ou orangers symboles d’éternité, des couronnes de fleurs sont suspendues. Parfois, le temps musical retient son souffle, ainsi les secondes s’écoulant avant que le monde – chanteurs, solistes, arbres et fleurs – brutalement, ne s’effondre. Image d’anéantissement, d’une grande force. On entre dans la nuit au fil des religions éteintes et des architectures disparues qui s’inscrivent sur écran. Le plateau est dans la pénombre, le chœur habillé de blanc, rampe sur un sol recouvert de terre noire. Trois hommes en émergent, nus, formant cercle en se tenant par les épaules et allument la flamme d’une lampe à huile.

Une succession de tableaux suivent, et la multiplication de signes issus de danses traditionnelles, ou gestes rituels : des foulards rouges et bleus qu’on agite comme un au revoir ; des couleurs jetées sur l’écran à l’aide de lances ; un acteur aux mains attachées dans le dos, figure du Christ mis au tombeau, accompagné du chant des cors de basset ; un mât d’où tombent les rubans rouges et blancs que le chœur tresse avec méthode et précision. « Nous t’offrons Seigneur le sacrifice et les prières de notre louange. Reçois-les pour ces âmes… » Une voiture accidentée est placée au centre de la scène d’où les solistes tirent un ruban noir comme un cordon qui les relie, avant de rejoindre le chœur. « Sanctus… Saint le Seigneur, Dieu de l’univers. Le ciel et la terre sont remplis de ta gloire » tandis que s’énumèrent les œuvres disparues – Turner, Rubens ou Michel-Ange ; de la terre jetée sur l’écran comme une grosse tâche d’encre ; un énorme miroir-soleil comme un saint-sacrement descendant des cintres et placé devant, « Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur. » Les chanteurs traversent un à un le plateau, de cour à jardin, suspendent leurs pas et font un signe d’adoration, ou un geste d’offrande. Regagnant l’autre rive de la scène ils s’allongent côte à côte sur la terre, comme dans leurs linceuls. Ils sont une quarantaine, l’image est impressionnante. L’alto interprète une mélodie, une main posée sur un mur des lamentations, avant de s’allonger à son tour. La voiture sortie, la liste des extinctions d’aujourd’hui se déroule, parallèlement au texte du Requiem. « Ta vie tu l’as donnée en rançon sur la croix pour nous… Agnus Déi, Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde… Que la lumière éternelle luise pour eux… » Retour de la petite fille/bélier qu’on libère. Au sol les corps lentement entrent en mouvement et se dénudent pour le jugement dernier. Des pans de murs de papier blanc s’effondrent, les chanteurs se drapent dedans, serrés comme sur un radeau de survie avant de quitter la scène. Restent sur le sol leurs dépouilles, tels des lambeaux de glace qui ne fondent pas, le blanc mêlé à la terre noire. On est face à un monde défait, à des hommes et des femmes vaincus. Image de désolation. Le sol et les murs se soulèvent, chargés des débris de la terre, décalant les géométries. Les traces laissées composent une nouvelle écriture, minérale, de l’humanité. Les voix des chanteurs s’éloignent jusqu’à se perdre « Ta vie tu l’as donnée en rançon sur la croix, pour nous. »  La date du jour, point d’arrivée du spectacle, s’inscrit sur l’écran : 10 juillet 2019.

Entre Chadi Lazreq le jeune soliste qui entonne le chant In Paradisum, très pur, issu de l’absoute. « Que les anges te conduisent au paradis, que les martyrs t’accueillent à ton arrivée et t’introduisent dans la Jérusalem du ciel, que les anges en chœur te reçoivent… » Sur le plateau désolé apparaissent les femmes croisées au fil du spectacle, dans la décroissance des âges de la vie, symbole de cinq générations qui se succèdent et se renouvellent. L’une porte un bébé dans les bras qu’elle assied au centre du plateau avec son jouet d’anneaux à empiler, image de vie pour une dernière vision, avant le salut et les applaudissements, très chaleureux, du public.

Dans cette lecture de Romeo Castellucci autour du Requiem de Mozart se mêlent images, musique et philosophie. La proposition est riche et osée, elle nous parle de notre propre fin et célèbre la vie dans une théâtralité d’une grande beauté, simple et solennelle. Le metteur en scène signe aussi la scénographie, les costumes et la lumière, l’ensemble s’emboîte dans la fluidité des voix et de l’ensemble symphonique Pygmalion, que dirige avec virtuosité Raphaël Pichon, habitué du Festival d’Aix-en-Provence. Il y a pour le spectateur la puissance de la musique et le partage, la solitude et l’intimité. La création du duo metteur en scène et chef d’orchestre nous laisse face à nous-mêmes dans l’émotion d’un geste cérémoniel, chorégraphique et poétique de forte intensité où les vents contraires nourrissent la réflexion.

Brigitte Rémer, le 9 avril 2020

Soprano Siobhan Stagg – alto Sara Mingardo – ténor Martin Mitterrutzner – basse Luca Tittoto – enfant soliste Chadi Lazreq – chœur et orchestre Ensemble Pygmalion – collaboratrice à la mise en scène et aux costumes Silvia Costa – dramaturgie Piersandra di Matteo – responsable des chorégraphies traditionnelles Evelin Facchini.

Cette nouvelle production du Festival d’Aix-en-Provence a été présentée les 3, 5, 8, 10, 13, 16, 18, 19 juillet 2019, au Théâtre de l’Archevêché – une retransmission en direct sur Arte et en léger différé sur concert.arte.tv/fr a eu lieu le 10 juillet – sites : www.festival-provence.com www.arte.fr – www.pygmalion.com – (https://www.arte.tv/fr/videos/088454-001-F/requiem-w-a-mozart/)