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Les six Concertos brandebourgeois

© Anne Van Aerschot

Chorégraphie Anne Teresa De Keersmaeker – Musique, Johann Sebastian Bach, Brandenburgische Konzerte, BWV 1046/1051- direction musicale Amandine Beyer – Direction musicale représentations La Villette Cecilia Bernardini – avec les musiciens du B’Rock Orchestra – à la Grande Halle de La Villette, dans le cadre du Festival d’Automne.

Les vingt-et-un musiciens de l’orchestre sont placés devant l’immensité du plateau de la Grande Halle, en contrebas des danseurs. Ils suivent leurs pieds et enchaînent pour eux les six Concertos. Pour la sixième fois Anne Teresa De Keersmaeker interroge Bach et construit sa mathématique de manière lancinante, elle en présente ici sa seconde version. Les relations entre danse et musique l’ont toujours passionnée.

Composés en 1721 et dédicacés au Comte Crêtien Louis, Marggraf de Brandenbourg, d’où leur appellation, les Brandebourgeois sont d’une grande diversité stylistique, n’appelant aucune référence particulière de l’époque. Ils développent surtout l’art du contrepoint, dont la source est la polyphonie du Moyen-Âge. Une pluralité d’instruments, ici baroques anciens, tels que cordes et instruments à archet – violons, altos, violoncelles, violes de gambe, contrebasse, notamment dans le troisième concerto – Instruments à vent – hautbois, cors et basson dans le premier concerto, trompette dans le second – Flûtes à bec dans le quatrième, clavecin dans le cinquième. La diversité musicale est là, et la musique de Bach n’est a priori pas composée pour être dansée.

Anne Teresa De Keersmaeker travaille longuement autour de la composition musicale et du contexte dans lequel elle a vu le jour. Une belle complicité artistique s’est créée dans l’élaboration du spectacle avec la violoniste Amandine Beyer qui assure la direction d’orchestre – à La Villette, elle est assurée par Cecilia Bernardini -. Ensemble, elles avaient créé Partita pour violon seul n°2 et élaboré Mystery Sonatas/for Rosa, une traduction musicale des quinze Mystères sacrés de la vie de la Vierge Marie, composée par Biber.

Avec Les six Concertos brandebourgeois seize danseurs de noir vêtus célèbrent la vie, même si chez Bach la vie et la mort se côtoient de près ; ils se glissent harmonieusement dans la musique baroque et la danse contemporaine. Chaque concerto est annoncé comme un nouveau chapitre par la présence d’un personnage qui réapparaît six fois, dont la dernière, dans une étincelante chemise dorée. Anne Teresa De Keersmaeker inscrit la marche comme principe et vocabulaire de base pour ce grand ensemble, marche qu’elle développe sous toutes ses formes : en motifs et tracés géométriques, spirales et cercles, en accélération, courses, sauts, pivots, enroulements-déroulements. Les danseurs se déploient comme une lame de fond, arrivant du fond du plateau avec une grande fluidité. Dans la musique de Bach tout est abstrait, il n’y a pas de narration, seulement une puissance émo­tive et l’infini. Dans un style proche du dépouillement, la chorégraphe travaille la sophistication à outrance et, dans ce temps partagé, crée une certaine complicité entre chacun des danseurs et chaque musicien. Toutes les émotions qui se déclinent dans la musique sont reprises dans la danse : joie, tristesse, espoir, colère, mélancolie, empathie, et dans de petits gestes feutrés. L’énergie vitale est là, de part et d’autre. Un chien traverse la scène de chasse du premier concerto, tenu en laisse par un danseur…

© Anne Van Aerschot

Les danseurs sont de générations diverses – Rosas, la compagnie, fut créée en 1983, à Bruxelles – initiant de l’émulation entre eux. Participant à l’élaboration du vocabulaire chorégraphique d’Anne Teresa De Keersmaeker, ils inventent ensemble ce qui devient un matériau commun ; même philosophie que dans PARTS (Performing Arts Research and Training Studios) l’école qu’elle a créée en 1995 en association avec La Monnaie, où chaque danseur en formation construit ses outils. Derrière contrepoints et variations musicales, les lignes mélodiques de Bach apportent, sous le regard d’Anne Teresa De Keersmaeker, une base répétitive et comme un leitmotiv où se superposent harmonieusement les tracés et figures des danseurs.

Brigitte Rémer, le 3 janvier 2023

© Anne Van Aerschot

Danseurs (création et interprétation) : Boštjan Antončič, Carlos Garbin, Frank Gizycki, Marie Goudot, Robin Haghi, Cynthia Loemij, Mark Lorimer, Michaël Pomero, Jason Respilieux, Igor Shyshko, Luka Švajda, Jakub Truszkowski, Thomas Vantuycom, Samantha van Wissen, Sandy Williams, Sue Yeon Youn

Musiciens du B’Rock Orchestra : Violon Cecilia Bernardini (solo), Jivka Kaltcheva, David Wish – Alto Manuela Bucher, Luc Gysbregts, Marta Páramo – Violoncelle Frédéric Baldassare, Julien Barre, Rebecca Rosen – Contrebasse Tom Devaere – Traverso Manuel Granatiero – Hautbois Jon Olaberria, Marcel Ponseele, Stefaan Verdegem – Basson Tomasz Wesolowski – Trompette Bruno Fernandes – Cor Bart Aerbeydt, Milo Maestri – Flûte à bec Manuela Bucher, Bart Coen – Clavecin Andreas Küppers.

Annonces Ekaterina Varfolomeeva – chien Ayla 3000 – costumes An D’Huys – scénographie et lumières Jan Versweyveld – dramaturgie Jan Vandenhouwe – assistants artistiques Femke Gyselinck, Michaël Pomero – assistante à la direction artistique Martine Lange – coordination artistique et planning Anne Van Aerschot – Tour manager, Bert De Bock – son, Erwan Boulay, Aude Besnard – conseil musical, Kees van Houten – aide à l’analyse musicale Ekachai Maskulrat, Juan María Braceras – assistants scénographie et lumières, François Thouret, Pascal Leboucq – chef costumière, Alexandra Verschueren, assistée par Els Van Buggenhout – couturières, Charles Gisèle, Ester Manas, Maria Eva Rodrigues-Reyes, Viviane Coubergs – habillage, Ella De Vos, Emma Zune – direction technique, Freek Boey – techniciens, Jan Balfoort, Quentin Maes, Thibault Rottiers, Michael Smets – remerciements , Gli Incogniti, Inge Grognard – production Rosas – coproduction B’Rock Orchestra, Volksbühne am Rosa-Luxemburg-Platz (Berlin),  De Munt / La Monnaie (Bruxelles), Opéra de Lille, Opéra national de Paris, Sadler’s Wells (Londres), Les Théâtres de la Ville de Luxembourg, Concertgebouw Bruges, Holland Festival (Amsterdam) – Remerciements à Gli Incogniti, Inge Grognard

21 au 23 décembre 2022, Grande Halle de La Villette. Sites : lavillette.com (01 40 03 75 75) et festival-automne.com (01 53 45 17 17).

Fase – Four movements to the music of Steve Reich

© Rosas – Théâtre de la Ville

Chorégraphie de Anne Teresa de Keersmaeker, Compagnie Rosas – Théâtre de la Ville / Espace Cardin.

Anne Teresa de Keersmaeker a développé son parcours chorégraphique, après s’être formée à Mudra, l’école de Maurice Béjart, à la fin des années soixante-dix. Elle a chorégraphié plus de trente-cinq pièces et développé une large palette de mouvements et matériel gestuel.

Créées en 1982, les quatre pièces qui composent Fase sont emblématiques du travail de la chorégraphe et comptent parmi les œuvres fondatrices de la danse contemporaine. Ces trois duos et ce solo traversent le temps, portés par la musique minimaliste et répétitive de Steve Reich composée à la fin des années 60. Une dramaturgie lumières et son traverse l’ensemble, la danse est épurée, le geste d’une grande précision et perfection. C’est Anne Teresa De Keersmaeker elle-même qui a créé, avec Michèle Anne de Mey, ces quatre figures. Elles ont aujourd’hui passé la main à d’autres danseuses, tout aussi éblouissantes et qui marchent dans leurs traces, Yuika Hashimoto et Laura Maria Poletti le jour où j’ai assisté au spectacle, danseuses qui furent ovationnées.

La première pièce, Piano Phase, est un duo fluide et gracieux où les jeux de lumières renvoient les silhouettes sur un écran qui danse. La musique porte le geste, les robes fluides mettent le corps en valeur, les chaussures blanches dialoguent avec le sol, le corps oscille de l’horizontal à l’oblique dans un jeu de miroir troublé et troublant.

D’une autre facture, la seconde pièce, Come Out, nous transporte au cœur d’une usine où la mécanisation fait grand bruit, où la répétition des gestes devient lancinante. Les deux danseuses-ouvrières, vissées sur des tabourets, machines elles-mêmes, scandent leurs mouvements synchronisés au rythme des machines. Deux lampes d’usine tombent du plafond et les éclairent faiblement.

La troisième pièce est un solo Violin Phase, où la mathématique le dispute à l’élégance et à la pureté du geste. La danseuse – Yuika Hashimoto, ce jour-là – trace, par ses déplacements, une rosace qui s’esquisse et s’efface, et qui est à l’origine du nom de la Compagnie, Rosas. De pure beauté !

La dernière pièce, Clapping Music est un duo rythmé et ludique où les danseuses entrent et sortent de la lumière parallélépipédique réfléchie sur l’écran. Fantaisie et poésie mènent la danse.

La grande force de Anne Teresa de Keersmaeker est de décliner à l’infini les quelques gestes qui servent ici sa base chorégraphique, de les épurer, de les transcender. La chorégraphie atteint la même force que la musique, déploie une même intensité, maitrisée et sauvage, simple et sophistiquée à donner le vertige.

C’est d’une beauté à couper le souffle où la rythmique savante le dispute aux figures récurrentes et décalées. C’est porté par deux éblouissantes danseuses à qui la chorégraphe a passé le relais et qui écrivent, par leur grâce et la précision de leurs mouvements, un réel beau poème qui traverse le temps avec une grande intensité.

Brigitte Rémer, le 17 février 2020

Chorégraphie, Anne Teresa De Keersmaeker – Musique, Steve Reich : Piano Phase (1967), Come Out (1966), Violin Phase (1967), Clapping Music (1972) – Avec (en alternance) Yuika Hashimoto, Laura Maria Poletti, Laura Bachman, Soa Ratsifandrihana. Lumières, Remon Fromont – costumes (1981), Martine André, Anne Teresa De Keersmaeker. Création le 18 mars 1982, à Bruxelles, avec Michèle Anne de Mey et Anne Teresa De Keersmaeker.

Du 12 au 22 février 2020 – Théâtre de la Viile / Espace Cardin, 1 avenue Gabriel, 75008. Paris – métro : Concorde – tél. : 01 42 74 22 77 – www.theatredelaville-paris.com