Exposition de trois cents objets représentatifs du savoir-faire ancestral d’Ouzbékistan, à l’Institut du Monde Arabe, commissaire générale Yaffa Assouline – Jusqu’au 4 juin 2023. Derniers jours.
Au cœur de la route de la Soie qui reliait la ville de Chang’an, en Chine à l’espace méditerranéen, se trouve la route de Samarcande, en Asie Centrale. C’est une porte ouverte sur la civilisation ouzbèque, située au carrefour des Steppes, de l’Inde, de la Perse, de la Chine et du monde arabo-musulman. République indépendante depuis 1991, après la chute de l’URSS, l’Ouzbékistan hérite de cultures et de traditions ancestrales. L’exposition a été rendue possible grâce à la Fondation pour le développement de l’art et de la culture de la République d’Ouzbékistan – Saïda Mirziyoyeva, vice-présidente auprès du Cabinet des ministres de la République d’Ouzbékistan, Gayane Umerova directrice exécutive de la Fondation.
C’est une exposition inédite car, pour la première fois, les musées nationaux ouzbèques ont laissé sortir leur précieux patrimoine et trésors du pays. Impressionnante de beauté, les collections présentent vêtements, tentures et tapis précieux aux motifs savants et riches couleurs, tissés et brodés de soie et de fils d’or, bijoux, sellerie et costumes de la culture nomade ouzbèque vivant dans les steppes. Au-delà de leur beauté, les vêtements de Samarcande ont une signification culturelle importante, ils représentent une partie de l’histoire de la région et témoignent de la richesse et de la sophistication de la civilisation de la route de la Soie. Composée de Turkmènes, Ouzbeks, Arabes, Tadjiks, Afghans, Persans, Indiens. Principalement de religion musulmane, la population ne reconnaît son appartenance et son sentiment d’identité que par les usages traditionnels.
Les pratiques artisanales liées au tissage et à la broderie ont connu un formidable essor au XIXe siècle, la plupart des pièces présentées dans l’exposition datent de cette époque, dans le faste et l’éclat de la cour des grands émirs des XIXe et XXe siècles. Les khanats se disputent trois territoires : Khiva dont le dernier émir fut Asfandiar Khan (1871-1918) qui régna de 1910 à 1918, Boukhara, avec l’émir Mohammad Alim Khan (1880-1944), dernier de la dynastie Manghit, qui règna de 1911 à 1920 et Kokand avec Nasr-Ed’din qui n’eut le pouvoir qu’un an, en 1876, avant de s’exiler en Russie. Ces émirs agissent comme des mécènes, ils possèdent leurs propres ateliers de confection où ne travaillent que les hommes. L’artisanat est de luxe, c’est un art véritable. L’or est l’apparat du pouvoir.
Ainsi, à la cour de l’émir Mohammad Alim Khan (1880-1944), dernier de la dynastie Manghit de l’émirat de Boukhara, devenu capitale de la broderie d’or, le zardozi, dérivé du persan zar qui signifie or et dozi qui signifie broderie – les vêtements ne sont que parures entièrement de velours et de soies, recouvertes de ces savantes broderies aux motifs végétaux et floraux qui s’entrelacent. Douze personnes ont travaillé pendant trois mois sans répit sur le chapan de l’émir (ou caftan, ce manteau porté par les hommes par-dessus leurs vêtements, notamment pendant les mois d’hiver) de style Darkham, exclusivement réservé à l’émir et qui pèse quatre kilos, ainsi que sur celui de l’émir Nasrullah Khan (1974-1920), de style Buttador aux larges fleurs. La calotte ou tubeteika – aux formes, ornementation et couleurs indiquant la région d’origine – complète le symbole du vêtement, à la cour comme ailleurs, il est porté indifféremment par tous, hommes, femmes, enfants, excepté les femmes âgées. À la cour de Boukhara, après l’émir c’est le cheval, partie intégrante de l’identité ouzbèque, la figure la plus importante. Pour les dix-sept races de pur-sang recensées, rien n’est trop beau.
On trouve ainsi dans l’exposition une section sur l’art du cheval, avec des selles en bois peintes à la main aux teintures naturelles, des tapis de chevaux richement brodés de velours et d’or, des étriers ciselés en or et en argent, des ornements de crinière et de brides décorés de bijoux sertis de pierres précieuses et tout l’équipement des cavaliers, dont les bottes équestres aussi richement brodées que les chapans. Des sabres d’apparat en argent, acier damassé, ivoire et cuir, des dagues, des sacs pour Coran, des ceintures d’apparat, complètent la collection. Plus loin, le vestiaire des femmes, très codifié. Les jeunes filles sont en rouge, les femmes de plus de trente ans en vert ou en bleu, les femmes plus âgées sont de couleur claire. On y voit les robes et sous-robes, la cape de coton aux broderies et tissages multiples pour les fêtes, les voiles de tête. Pour elles, l’or ne doit pas être ostentatoire mais elles sont cependant autorisées à en orner leurs chapans, appelés kaltachas et à porter des bijoux d’argent incrustés de pierres précieuses comme la turquoise et le corail en gage de protection et de bonheur. Le vêtement et la couleur indiquent aussi leur âge et leur statut matrimonial et social. La collection rassemblée ici montre des bijoux de tête ou de poitrine, véritables pièces d’orfèvrerie qui s’inscrivent dans les traditions locales. Les coiffes de mariage sont composées de nombreuses pièces de métal, d’amulettes et pendentifs. Les femmes font évoluer leurs bijoux au cours de cérémonies familiales marquant tout au long de la vie, leur changement de statut. Boucles d’oreille, anneaux de nez, diadèmes et ornements de tête, colliers talismans, parures de têtes et d’épaules, coiffes pour jeunes filles en âge de se marier. On recycle les fils d’or pour concevoir de nouveaux accessoires.
De superbes chapans tissés selon la technique des Ikat, sont aussi présentés. De couleurs vives et aux contours flous, ils sont l’apanage des femmes. Ikat signifie en Indonésie attaché et noué. Le dessin se crée en teignant d’abord l’un des deux fils – trame ou chaîne – de toutes les couleurs qui vont y figurer, à des intervalles précis, de sorte qu’au moment du tissage les éléments du dessin se créent par la juxtaposition des parties du fil de la couleur appropriée. Depuis l’Indépendance du pays, en 1991, l’ikat est un symbole de l’identité ouzbèke. Dans l’exposition, un film montre l’art des maîtres tisserands qui ont repris leur production selon les méthodes ancestrales, dans la vallée de Ferghana.
Plus loin, les tissus brodés de soie qu’on retrouve dans les intérieurs, les suzanis – terme persan qui se traduit par fait à l’aiguille – sont de toute beauté. Ce sont de grandes pièces de tissu brodé confectionnées par les femmes pour la dot de la mariée et que les jeunes filles apportent aux époux à la veille du mariage : tapis de prière, couvertures de lit, rideaux. Leurs motifs sont issus de deux courants différents, celui de Samarcande qui s’inspire du ciel et des motifs astraux et celui de Boukhara qui utilise des motifs de fleurs et de végétaux luxuriants et colorés. Au-delà de l’aspect décoratif et symbolique, cela promet prospérité, sécurité et fertilité.
Au fil de l’exposition, plus loin encore, les tapis, très présents dans le patrimoine culturel du pays, témoignent d’un art ancestral comme la technique du abrbandi et allient aspects pratique et esthétique. La population des steppes et des régions montagneuses apportent la laine, les oasis sont les espaces de culture du coton et de la soie. Tapis brodés ou tapis feutrés chez les nomades – les plus ancien – tapis noués et tissés à plat, pour être transportables. L’exposition se termine avec la présentation d’une vingtaine de peintures d’avant-garde orientalistes, aux couleurs vives. Beaucoup d’artistes russes ou venant d’Asie Centrale se sont en effet réfugiés en Ouzbékistan en 1941, quand l’Allemagne nazie a attaqué la Russie. Igor Vitalyevich Savitsky, personnalité née en Ukraine en 1915, peintre, archéologue et collectionneur, a beaucoup oeuvré pour sauver des oeuvres de l’oubli en fondant un Musée, à Nukus.
L’exposition Sur les routes de Samarcande. Merveilles de soie et d’or présente, dans une scénographie majestueuse, une conversation poétique, politique et sociale des plus passionnantes. Des ateliers de la cour des émirs sont sortis de nombreux objets d’artisanat d’art de toute beauté qui sont autant de témoignages. La broderie d’or, y était reine. Par ses savantes compositions et ses motifs raffinés, l’art du tissage et de la broderie avait atteint en Ouzbékistan, à la fin du XIXe siècle, de hauts sommets, tant techniques qu’artistiques.
Brigitte Rémer, le 25 mai 2023
Fondation pour le développement de l’art et de la culture de la République d’Ouzbékistan, Saïda Mirziyoyeva, vice-présidente auprès du Cabinet des ministres de la République d’Ouzbékistan, Gayane Umerova directrice exécutive de la Fondation – Liste des neuf musées prêteurs : Bukhara State Museum-Reserve, Boukhara – Ichan-Qala the State Museum Reserve, Khiva – State Museum of Arts of the Republic of Karakalpakstan named after I.V. Savitsky, Nukus – State Museum of History and Culture of the Republic of Karakalpakstan, Nukus – Samarkand State Museum-Reserve, Samarcande – State Museum of the Timurid History of the Academy of the Sciences of the Republic of Uzbekistan, Tachkent – State Museum of Applied Arts and Handicrafts History of Uzbekistan, Tashkent – State Museum of Arts of Uzbekistan, Tashkent – State Museum of History of Uzbekistan, Tashkent – Commissariat IMA : commissaire général Yaffa Assouline, commissaires : Élodie Bouffard, Philippe Castro, Iman Moinzadeh – Scénographie BGC studio, Giovanna Comana et Iva Berthon Gajšak, architectes. Un numéro hors-série de « Beaux-Arts Magazine » a été édité.
Visuels : 1/ Chapan de style Daukhor Photo de Laziz Hamani – 2/ Calottes, Boukhara 1940-1960, coll. Musée d’État des Arts appliqués d’Ouzbékistan, Tachkent, photo de Laziz Hamani – 3/ Chapan pour homme, Boukhara, 1900-1904, velours brodé d’or, motif kosh-bodom (double amande), Musée d’État d’Art d’Ouzbékistan, Tachkent, photo de Laziz Hamani – 4/ Ornements de crinière, Boukhara, XIXe siècle, cuir, métal, turquoise, cuivre, verre, argent, coll. Musée d’État de Boukhara, photo de Laziz Hamani – 5/ La broderie d’or – Chapan de style darkham, photo de Laziz Hamani – 6/ Souzani Togora-palyak, Tachkent, début du XXe, coton et soie, coll. Musée d’État d’Art d’Ouzbékistan, Tachkent, photo de Andrey Arakelyan – 7/ Victor Ivanovitch Ufimtsev (1899-1964), Motif Oriental, Huile sur contreplaqué, coll. Musée Igor-Savitsky, Noukous, photo de Harald Gottschalk
Institut du Monde Arabe, du mardi au vendredi de 10h à 18h, samedi, dimanche et jours fériés de 10h à 19h, fermé le lundi – 1, rue des Fossés-Saint-Bernard Place Mohammed V – 75005 Paris – métro : Jussieu – tél. : 01 40 51 38 38 – site : www.imarabe.org – Jusqu’au dimanche 4 juin 2023, derniers jours.