L’adieu à la scène

© Nathalie Mazéras

© Nathalie Mazéras

Texte Jacques Forgeas, mise en scène Sophie Gubri, compagnie Restons masqués, production Dominique Attal, au Théâtre du Ranelagh.

C’est une rencontre imaginée sur un mode assez loufoque entre deux grands Jean du XVIIème, Racine et La Fontaine, on ne peut plus opposés dans leurs genres littéraires. Le premier, costume classique gris anthracite est aussi taciturne que son vêtement, le second, bien dans sa peau bien dans la vie, blouson de daim couleur sable pantalon marron glacé, plutôt gai luron. Tous deux se présentent, par le vêtement, copie conforme à leurs univers respectifs, celui de la tragédie pour le premier, celui des fables et des élégies pour le second.

A la demande de La Fontaine, deux jeunes femmes servent d’appât pour provoquer une rencontre fortuite entre les deux écrivains, La Fontaine – ami de Racine malgré les remontrances de Port-Royal – voulant vérifier une information sur laquelle il bute : Racine aurait accepté de devenir l’historiographe du Roi, signant par là même son arrêt en écriture, il veut comprendre.

Les deux jeunes femmes acceptent de se prêter au jeu, même si l’une d’entre elle est au départ plus réservée que l’autre à l’idée de séquestrer Racine, ou tout au moins de le détourner de sa trajectoire. La première, Clarisse, actrice, est un chromo de l’élégance : bandeau dans les cheveux et ballerines rouges, robe noire au liseré de cuir et veste blanche imitation fourrure, elle adore le théâtre, a de l’expérience, elle relève le défi. La seconde, jeune fille d’aujourd’hui, pantalon marine et tennis blanc, haut seyant, à poids, est sur la réserve et finit par se laisser convaincre.

Le tandem vaille que vaille réalise le plan La Fontaine, détournant Racine dans une loge de l’Hôtel de Bourgogne où il avait obtenu de grands succès. Les souvenirs alors ressurgissent, autant de prétextes pour parler de la complexité du théâtre. D’abord sur la défensive, Racine se laisse aller aux confidences, parle de sa jeunesse orpheline – sa mère décède quand il a deux ans, son père quand il en a quatre – et de ses études strictes à Port-Royal-des-Champs, de ses amours déçus avec la Champmeslé pour qui il avait écrit les plus grands rôles féminins qu’elle interprétât – Atalide dans Bajazet, Monime dans Mithridate, Iphigénie dans la pièce du même nom, Phèdre dans Phèdre et Hippolyte -.

Appelé auprès du Roi comme historiographe, Racine confirme à son ami La Fontaine suspendre le temps de l’écriture et comme le dit l’Histoire, après le succès de Phèdre, en 1677, il garda le silence pendant de nombreuses années.

La pièce de Jacques Forgeas, ni tragédie ni fable est une fantaisie à la manière de… qui superpose les époques. L’exaltation et les passions de Racine se sont éloignées, La Fontaine sert de maître de cérémonie et les actrices, dans ce monde d’homme prennent toute leur dimension. Une soirée qui transforme l’Histoire en un sympathique roman photo où chacun – acteurs, scénographe, création costumes, musique et lumière – est à sa place.

Brigitte Rémer, 20 octobre 2016

Avec Baptiste Caillaud (Racine), Clovis Fouin (La Fontaine), Katia Miran (Clarisse), Perrine Dauger (Sylvia). Création musicale Nicolas Jorelle – scénographie Camille Dugas – lumière Marie-Hélène Pinon – costumes Laurence Forgue Lockhart.

A partir du 15 septembre 2016, soixante représentations, du mercredi au samedi à 19h, dimanche à 15h – Théâtre du Ranelagh, 5 rue des Vignes, 75016. Métro : La Muette – E-mail : www.theatre-ranelagh.com et www.cierestonsmasques.fr Tél. : 06 07 78 97 60.

Seuls

© Thibaut Baron

© Thibaut Baron

Texte, mise en scène et jeu Wajdi Mouawad, à La Colline-Théâtre national.

L’univers de Wajdi Mouawad mène aux confins du monde, de soi et de l’écriture. L’auteur, acteur et metteur en scène se présente au public du Théâtre de la Colline dont il est le nouveau directeur dans ce solo qu’il interprète. Il se dévoile. Seuls est un spectacle très personnel créé en 2008, qui travaille sur la narration et les arts visuels – audiovisuel et peinture – et se situe entre la fiction et l’autobiographie.

Après Littoral, Incendies, et Forêts, cherchant « une manière d’écrire différente », Wajdi Mouawad s’est lancé dans un cycle qu’il intitule Domestique. Seuls en ouvre la voie, parlant du Fils. Il sera suivi d’un autre solo – Sœurs – d’un duo – Frères – et plus tard, de Père et Mère. Sous couvert de relations interpersonnelles du fils au père, Mouawad tisse sa toile jusqu’à perdre le spectateur. Il superpose les géographies et les univers, le sien propre, celui de Robert Lepage, figure théâtrale sur la scène canadienne et internationale dont on connait les créations depuis les années quatre-vingts, révélateur pour lui de son envie de théâtre ; son pays d’enfance, le Liban ; ses utopies artistiques l’écriture, le théâtre et la peinture.

Le spectacle met en scène un étudiant montréalais d’une trentaine d’année sur le point de finir sa thèse de sociologie, sur le thème de L’espace identitaire dans les solos de Robert Lepage. Nous sommes dans sa chambre, il cherche sa conclusion, le fil du téléphone comme un cordon ombilical le relie au monde – à son directeur de thèse, à sa famille – et ses conversations nous renseignent. « Mesdames et messieurs, je tiens tout d’abord à vous remercier de me donner la parole. Cette soutenance est pour moi un moment important. » A partir de ce fil conducteur, simple en apparence, s’ouvrent des béances.

Wajdi Mouawad a passé son enfance au Liban, son adolescence en France et il a vécu au Québec : « Je m’appelle Harwan, mais ça n’a aucune importance et je pourrais bien m’appeler n’importe comment, comme n’importe qui. C’est comme ça. Ce n’est rien. » Il dessine les relations entre maître et élève, prétexte pour évoquer la complexité du lien père-fils : « A chaque fois, tu me rappelles que je n’ai pas vécu la guerre. Si je pose un geste, ce n’est pas le geste que tu aurais posé. Si je lève un bras j’aurais dû le garder baissé, si je pars, je dois rester, si je reste, je dois partir ! Je dis juste qu’il est difficile de poser un geste qui soit précisément à moi, tu vois ? Qu’est-ce qui est à moi ? »

Hanté par la toile de Rembrandt, Le Retour du fils prodigue, Mouawad passe de la narration à la performance, de l’espace théâtral à celui de la matière – de la peinture – et renvoie aux signes du tableau. L’exil est présent dans son écriture, la langue est précise et puissante sous couvert des mots du quotidien. Il mêle l’intime, le familial, la recherche, l’esthétique et l’artistique et sait inverser le cours des choses, emmenant le spectateur de surprises en interrogations quand tout vacille et bascule. La puissance dramatique de la seconde partie mène jusqu’à l’exil de soi et au travail de la mémoire, la parabole de Rembrandt pour toile de fond. Seuls est un spectacle qui invite à la réflexion et plonge au cœur des racines familiales et de la quête de soi, c’est simple et complexe à la fois, comme la vie.

Brigitte Rémer, 15 octobre 2016

Dramaturgie, écriture de thèse Charlotte Farcet – conseiller artistique François Ismert – assistante à la mise en scène Irène Afker – scénographie Emmanuel Clolus – éclairage Éric Champoux – costumes Isabelle Larivière – réalisation sonore Michel Maurer – musique originale Michael Jon Fink – réalisation vidéo Dominique Daviet. Les voix : Layla Nayla Mouawad – Professeur Rusenski Michel Maurer – La libraire Isabelle Larivière – Robert Lepage Robert Lepage – Le Père Abdo Mouawad – Le Médecin Éric Champoux. Musiques additionnelles Al Gondol Mohamed Abd-Em-Wahab Habaytak Fayrouz Una furtiva lacrima de Donizetti par Caruso – Texte additionnel Le Retour du fils prodigue, Luc 15-21 est tiré de la traduction de la Bible de Jérusalem. Seuls chemin, texte et peintures a été édité aux éditions Leméac/Actes Sud-Papiers en novembre 2008.

Du 23 septembre au 9 octobre 2016, La Colline Théâtre National, 15 rue Malte-Brun, 75020. Site : www.colline.fr Tél. : 01 44 62 52 52 – Tournée 2016/2017 : Festival théâtral du Val d’Oise Le Figuier Blanc, Argenteuil le 5 novembre – Théâtre des Salins Scène nationale, Martigues, les 9 et 10 novembre – The Wilma Theater, Philadelphie du 29 novembre au 11 décembre – Sortie Ouest, Béziers du 17 au 19 janvier 2017 – Le Manège, Mons les 28 et 29 mars – Le Maillon Scène nationale de Strasbourg du 27 au 29 avril – Théâtre national Populaire Centre dramatique national, Villeurbanne du 10 au 13 mai, puis les 20 et 21 mai 2017.

Secret (temps 2) et Architextures

© Philippe Cibille

© Philippe Cibille

Conception, mise en piste et interprétation Johann Le Guillerm – Cirque ici, à la Friche industrielle Babcock de La Courneuve

Dans une imposante halle de la Friche Babcock sont posées trois structures de bois, monumentales et légères à la fois – l’Amu, l’Indrique et Le Crisalide (prototype 1) réalisées par Johann Le Guillerm. Ce sont des sculptures autoportées sans clous ni vis qu’il nomme Architextures, par syncrétisme entre le mot architecture pour leur forme et le mot texture pour leur maillage. D’une grande élégance, elles introduisent au Secret, ce spectacle né de la recherche menée par l’artiste depuis plusieurs années, qu’il intitule Attraction et qu’il présente sous un chapiteau installé dans la même halle. «Je ne fais plus de nouveaux spectacles, je continue…» dit-il, présentant le temps 2 de ses réflexions en mouvement, dont le temps 1 avait vu le jour en 2003. Autant dire que Johann Le Guillerm est un coureur de fond et qu’il remet sur le métier l’ouvrage, expression de sa technicité de haute voltige, de sa philosophie et de son esthétique et que ses recherches s’inscrivent dans un véritable processus.

Son spectacle s’éloigne de l’univers classique des techniques du cirque auxquelles il est formé – il est issu de la première promotion du Centre National des Arts du Cirque, a travaillé avec Archaos, participé à la création de la Volière Dromesko et co-fondé le Cirque O avant de créer sa compagnie, Cirque ici, il y a vingt ans -. Il tient de la performance dans toute l’acception du mot : performance en termes de virtuosité, par l’organisation des planches et matériaux de bois que l’artiste déplace et organise, secondé par quatre assistants, et performance au sens des arts visuels. Johann Le Guillerm réalise sous les yeux des spectateurs des figures d’architextures, véritables miracles s’érigeant sous ses mains de magicien. Particulièrement concentré malgré la proximité du public, l’artiste élabore et construit son univers, physique et mental, et interroge l’équilibre, les formes et le mouvement. Au sommet des mâts qui soutiennent le chapiteau, la régie lumière et la régie son, pointues et attentives.

Johann Le Guillerm se fond dans le matériau noble qu’il utilise, le bois, s’enroule et se déroule avec, l’enjambe et glisse comme on marche sur l’eau, l’effleure, épouse ses formes. Il est aux aguets, construit ses plissés au sens où Deleuze parle des plis, les déconstruit, imagine de nouvelles structures, un autre monde, simple et sophistiqué, d’autres utopies élaborées à l’extrême de la mathématique, quand elle rejoint la philosophie. C’est de la matière, un équilibre, des flux et de la poésie à l’état brut qui tissent son univers et qu’il fait partager.

Brigitte Rémer, 5 octobre 2016

Interprétation musicale Alexandre Piques – création lumière Hervé Gary – création musicale Thomas Belhom – régie lumière Cyril Nesci – régie piste Franck Bonnot, Zoé Jimenez, Anaëlle Husein Sharif Khalil

24 septembre au 1er octobre Friche industrielle Babcock, La Courneuve, Secret (temps 2) et Architextures – 8 octobre, Cirque Jules Vernes, Amiens, La Transumante – 26 novembre, Tandem Hippodrome de Douai/Théâtre d’Arras, La Transumante et 29 novembre au 9 décembre, Attraction – 19 janvier au 19 février Biennale Internationnale des Arts du Cirque, Marseille, Attraction – 9, 10 et 11 mars, création au Cirque Théâtre d’Elbeuf et le 17 mars au CDN de Caen dans le cadre de Spring, Festival des nouvelles formes de cirque en Normandie, Le Pas Grand Chose – 21 mars au 1er avril, Le Monfort, Paris, Le Pas Grand Chose – 4, 5, 7 et 8 avril, Le Volcan, Scène nationale du Havre, Le Pas Grand Chose – 13 mars au 13 avril, Les Treize Arches, Scène conventionnée de Brive, Les Imperceptibles – 11 et 12 avril – Les Treize Arches Scène conventionnée de Brive, Le Pas Grand Chose – 3 et 4 mai Tandem Hippodrome de Douai-Théâtre d’Arras, Le Pas Grand Chose.

Dom Juan, de Molière

Mise en scène Jean-François Sivadier, à l’Odéon Théâtre de l’Europe.

© Jean-Louis Fernandez

© Jean-Louis Fernandez

Il se glisse dans le public et dans la peau du personnage, papillonnant aux pieds des belles du premier rang. Dom Juan charme ce jour-là Nelly, Valentine et Sarah. Il offre à la première un bouquet, qu’il reprend aussi vite, lui abandonnant généreusement une rose ; à la seconde le même bouquet, avec le même empressement, et ainsi de suite. Fleurs et soupirs passent de mains en mains, au gré de ses conquêtes. Introduction au sujet, mélange des genres et des époques. Chez Molière, conquêtes, mensonges et abandons s’appellent Elvire, Charlotte et Mathurine, la pièce est provocante, pour l’époque.

La fabrication du mythe permet d’imaginer un jeune premier vif argent dans le rôle-titre. Jean-François Sivadier fait le choix d’un personnage à contre emploi, hâbleur et buriné, décalé et cynique – interprété par Nicolas Bouchaud qui tenait le rôle d’Alceste dans Le Misanthrope, monté par le metteur en scène, en 2013 -. Ce Dom Juan fait la politique de la terre brûlée et par son machiavélisme, gagne les batailles : « Quoi ? Tu veux qu’on se lie à demeurer au premier objet qui nous prend, qu’on renonce au monde pour lui, et qu’on n’ait plus d’yeux pour personne ? » lance-t-il à Sganarelle avec qui il forme un étrange duo. Vincent Guédon dans son interprétation déborde d’énergie et trépigne de devoir assister un tel maître. Sa fougue et ses étonnements, vrais ou d’artifice, font parfois tanguer la chaloupe : « Vertu de ma vie, comme vous débitez ! Il semble que vous ayez appris cela par cœur, et vous parlez tout comme un livre. » C’est Molière qui interprétait Sganarelle lors des représentations données en 1665, – avant la publication de l’œuvre qui ne se fera que dix-sept ans plus tard, -. Comme Tartuffe et comme Le Misanthrope, la pièce traverse divers registres, du burlesque au grotesque, du comique au tragique.

La scène ressemble à un cosmos et nous plonge dans un monde interstellaire. Des globes semblables à des mappemondes ou à des instruments scientifiques de mesure tombent des cintres. On se croirait chez Galilée – le metteur en scène a d’ailleurs monté La Vie de Galilée de Brecht, en 2001 – et, par les lumières, proche de la voie lactée ou du septième ciel. Avec Sivadier, la gravité n’existe pas et tout est décentré dans une scénographie de guingois – signée Daniel Jeanneteau, Christian Tirole et Jean-François Sivadier – où les lignes droites ressemblent à des obliques. Elvire – Marie Vialle – fait une entrée remarquée, remontant de la salle, elle porte la coiffe à plumes des indiens navajos et, guerrière, semble déterrer la hache de guerre, attendant Dom Juan de pied ferme. « Me ferez-vous la grâce Dom Juan, de vouloir bien me reconnaître… » Charlotte est dans tous ses états à la vision de Dom Juan et Pierrot court derrière, le créancier Monsieur Dimanche a le look d’un rond de cuir tatillon et le Commandeur un air de robot dans un musée imaginaire habité de femmes de pierre, de statues.

Les rebondissements de la pièce entraînent de l’étrangeté dans la partition des acteurs et dans la mise en scène parfois proche de la bande dessinée. Un compteur tourne à rebours, des chiffres lumineux s’affichent à chaque fois que le mot ciel est prononcé, il s’allumera soixante-trois fois. Sur terre Dom Juan poursuit ses ravages, simulant son rachat et sa conversion auprès de son père et jouant de tous les subterfuges avant d’être précipité dans les flammes de l’enfer. A la question : « Vous n’avez pas peur de la vengeance divine ? » Il répond avec habileté : « C’est une affaire entre le Ciel et moi. »

Au-delà du texte de Molière Jean-François Sivadier ajoute quelques citations personnelles, notamment une séquence où Dom Juan se met à chanter Herbie Hancock, une autre extraite de La Philosophie dans le boudoir, du Marquis de Sade, ouvrage publié en 1795 avec cette même logique libertine et ce sens de la transgression, avec des thèmes similaires traitant de sexualité et de religion. Il avait approché le mythe de Dom Juan en 1996, reprenant la mise en scène de Dom Juan/Chimères laissée inachevée à la mort de Didier-Georges Gabily, auteur, metteur en scène et directeur du Groupe T’chang avec lequel il avait fait un bout de route. Il en a gardé l’esprit de troupe. Il est depuis une quinzaine d’années artiste associé au Théâtre National de Bretagne. Ses mises en scène sont attendues et remarquées.

Brigitte Rémer, 4 octobre 2016

Avec Marc Arnaud Gusman, Dom Carlos, Dom Louis – Nicolas Bouchaud Dom Juan Tenorio – Stephen Butel Pierrot, Dom Alonse, Monsieur Dimanche – Vincent Guédon Sganarelle – Lucie Valon Charlotte, Le Pauvre, La Violette – Marie Vialle Elvire, Mathurine. Collaboration artistique Nicolas Bouchaud Véronique Timsit – scénographie Daniel Jeanneteau, Christian Tirole Jean-François Sivadier – lumière Philippe Berthomé – costumes Virginie Gervaise – maquillages, perruques Cécile Kretschmar – son Eve-Anne Joalland – suspensions Alain Burkarth – assistant à la lumière Jean-Jacques Beaudouin – assistante aux costumes Morganne Legg – assistants à la mise en scène Véronique Timsit Maxime Contrepois (dans le cadre du dispositif de compagnonnage de la Drac Île-de France) – assistant de tournée Rachid Zanouda.

Du 14 septembre au 4 novembre 2016 à 20h, le dimanche à 15h, relâches les 18 septembre et 30 octobre – Théâtre de l’Odéon, Place de l’Odéon, 75006. Tél. : 01 44 85 40 40 – Site www.theatre-odeon.eu En tournée : Lausanne (Suisse), Théâtre Vidy du 23 novembre au 3 décembre – Nantes, le Grand T du 7 au 17 décembre – Strasbourg, TNS du 3 au 14 janvier 2017 – Grenoble, MC2 du 19 au 28 janvier 2017.

 

Faust I & II

© Lucie Jansch

© Lucie Jansch

Texte de Johann Wolfgang Von Goethe – Direction, mise en scène, lumières Robert Wilson – Adaptation Jutta Ferbers – Musique et chansons Herbert Grönemeyer – avec le Berliner Ensemble, en allemand surtitré en français.

Poète à l’esprit encyclopédique, passionné de sciences occultes, de dessin et d’opéra, Goethe fut habité par le mythe de Faust dont il livra deux versions monumentales, drames en partie versifiés où le magique le dispute au fantastique : Faust I est publié en 1808 et reprend une première recherche, Faust, fragment, qu’il avait faite une vingtaine d’années auparavant. Faust II, plus complexe, est publié un an après sa mort, en 1832. Goethe s’inspirait d’un conte populaire médiéval et de la pièce de Christopher Marlowe – première adaptation littéraire de la fin du XVIème – faisant du célèbre Docteur Faust un ténébreux compagnon, son double. De fait divers, l’histoire s’est élevée au rang de mythe universel, elle traverse le temps et fascine : Gérard de Nerval l’a traduite, Eugène Delacroix l’a illustrée, Berlioz, Gounod et d’autres l’ont mise en musique, Méliès en a tourné trois versions, Murnau une et René Clair s’en est inspiré avec La Beauté du diable.

Robert Wilson lui aussi se penche depuis longtemps sur la figure emblématique de Faust. Il avait monté en 1989 l’opéra de Giacomo Manzoni, Doctor Faustus ; plus tard, Black Rider en collaboration avec Tom Waits, et Doctor Faustus lights the lights de Gertrud Stein et Hans Peter Kuhn. Il s’empare aujourd’hui de cette grande œuvre nationale allemande inscrite dans la sensibilité du Sturm und Drang – mouvement politique et littéraire qui se définit par deux mots : Tempête et Passion – et la présente pour la première fois en France, à l’invitation du Théâtre de la Ville, complice artistique depuis plusieurs années. L’adaptation de Jutta Ferbers – qui donne toute la poésie – ouvre sur quatre heures de spectacle tissées de nombreuses prouesses techniques en termes de lumière et de machineries à vue. Féru d’optique, Goethe a lui-même travaillé sur la perception visuelle, il a écrit un Traité des couleurs. L’univers plastique de Robert Wilson lui va bien, de même que l’univers musical d’Herbert Grönemeyer.

C’est la troupe du Berliner Ensemble – fondée par Bertolt Brecht et Hélène Weigel en 1949 après le succès de Mère Courage – avec laquelle Robert Wilson travaille depuis une bonne dizaine d’années, qui porte le spectacle avec virtuosité. Elle plonge le spectateur dès la porte de la salle franchie, au cœur d’un Prologue où un metteur en scène donne ses directives, et fait référence à la nuit de Walpurgis, cette fête profane et clandestine qui brave les interdits : « Faites tomber du ciel le plein feu, la pénombre… A l’étroit entre les planches de cette baraque, parcourez le vaste cercle de la création. Allez, marchez d’un pas rapide et mesuré. Allez du Ciel au Monde et du Monde à l’Enfer. »

Dans sa quête du savoir et ses recherches ésotériques, Faust brûle les années et se met à douter. Méphistophélès lui propose, en échange de son âme, de lui rendre jeunesse et enthousiasme. Faust pactise et devient son alter ego : Méphistophélès s’engage à réaliser tous ses désirs en échange de son âme dès qu’il se dira satisfait et heureux, dans un délai maximum de vingt-quatre ans. Illusion. Dans Faust I tout n’est qu’illusion et mirage, les personnages se dédoublent comme dans des jeux de miroirs et de reflets – il y a cinq figures de Faust (cinq acteurs) – et trois Marguerite parées des bijoux de la séduction et de l’attente amoureuse ; il y a des archanges au sourire comme coulés dans le stuc, des sorcières, des esprits, un grand caniche obséquieux, des gorgones. E la nave va pourrait-on dire car Wilson fait parfois penser à Fellini, dans sa démesure aux pleins et déliés de lumières – verticalités, obliques, horizontalités, jeux de contre-jour et ombres chinoises – aux rangées de projecteurs qui descendent et qui montent dans des machineries réglées au cordeau devenant pure magie.

Dans la seconde partie du spectacle, Faust II, il n’y a plus qu’un Faust épousant Hélène de Troie loin du Palais de Ménélas, la Grèce antique apparait. Suite des fantasmes et de l’illusion pour Faust de vouloir ne faire qu’un et se fondre dans Méphistophélès ; et quand ce dernier essaie de prendre l’âme de Faust qui lui est due, c’est Marguerite – morte dans Faust I – et ses prières, qui le sauvent de l’enfer. Le dernier vers de Faust II rend hommage à l’éternel féminin, qui, dit Goethe, nous élève. Sur le cyclorama tendu en fond de scène, l’illusion passe par l’image et présente en arrière-plan la puissance et la grâce d’un léopard dans sa course, pris au ralenti, puis un troupeau de bovidés qui chargent au galop, avec force, rapidité et élégance « Le pouls de la vie bat, vif et frais. Avec douceur, il salue l’aube éthérée. Et toi, Terre, cette nuit aussi tu es restée toi-même. Rafraîchie, tu respires à mes pieds et déjà tu me presses de désir. Tu excites en moi la ferme résolution de tendre sans cesse vers l’existence suprême. »

L’univers faustien de Robert Wilson fait d’esprits, de reines et d’anges déchus prend toute sa mesure avec l’œuvre du compositeur et chanteur Herbert Grönemeyer qui l’accompagne. Ses compositions et citations musicales élaborent ici un style très personnel où se côtoient folk, pop, rock, flamenco… Musiques et chansons d’une bande-son très élaborée et/ou magnifiquement jouées de la fosse d’orchestre par d’exceptionnels solistes, sous la baguette de Christopher Nell portent cette même démesure.

Faust I & II est un spectacle éblouissant d’intelligence et de malice, ludique et imaginatif, fait de théâtre, de musique et de danse, un opéra. Tous les acteurs y sont exceptionnels. Depuis Le Regard du sourd Robert Wilson nous séduit par son talent insolent. Sa rigueur architecturale, ses costumes, maquillages, jeu, gestuelle, chants et danses, lumière et son, tout y est maitrisé, chacun assurant sa partition avec tempête et passion, avec virtuosité.

Brigitte Rémer, 29 septembre 2016

Avec : Krista Birkner, Christine Drechsler, Claudia Graue, Friederike Maria Nölting,  Marina Senckel, Gaia Vogel, Anna von Haebler, Raphael Dwinger, Winfried Goos, Anatol Käbisch, Hannes Lindenblatt,Matthias Mosbach, Christopher Nell, Luca Schaub, Sven Scheele, Felix Strobel, Fabian Stromberger, Felix Tittel – Voix : Stefan Kurt, Angela Winkler – Avec les musiciens : Stefan Rager, Hans-Jörn Brandenburg,  Joe Bauer, Michael Haves, Ilzoo Park, Sophiemarie Yeungchie Won, Jinyoung Maeng, Hoon Sun Chae – costumes Jacques Reynaud – codirection Ann-Christin Rommen – collaboration musicale & sound design Alex Silva – dramaturgie Jutta Ferbers, Anika Bárdos – collaboration décor Serge von Arx – collaboration costumes Wicke Naujoks – direction musicale Hans-Jörn Brandenburg, Stefan Rager – arrangements musicaux Herbert Grönemeyer, Alex Silva – arrangements additionels pour orchestre Hans-Jörn Brandenburg, Alfred Kritzer, Lennart Schmidthals – lumières Ulrich Eh – projections vidéo Tomek Jeziorski – rédaction des surtitres Michel Bataillon.

Du 23 au 29 septembre 2016, Théâtre de la Ville, au Théâtre du Châtelet, Place du Châtelet. 75001. Site : www.theatredelaville-paris.com Tél. : 01 48 87 87 39, 01 42 74 22 77 et 01 40 28 29 30 – Prochains spectacles de Robert Wilson présentés par le Théâtre de la Ville : L’Opéra de quat’sous, du 25 au 31 octobre au Théâtre des Champs-Elysées, avec le Berliner EnsembleLetter to a Man, du 15 décembre au 21 janvier 2017 à l’Espace Pierre Cardin, avec Mikhail Baryshnikov.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

On ne nait pas “Banyengo”, on le devient

cropped-chessboardou Comment l’absence de citoyenneté cancérise la société malienne. Auteur : Alioune Ifra Ndiaye – Publié par les éditions La Sahélienne, collection Mémoire.

A partir d’un personnage nommé Banyengo, catalyseur par excellence de toutes les tares et formes d’incivisme, l’auteur structure une réflexion critique majeure, implacable et sans concession, suivie de propositions pour l’action.

Alioune Ifra N’Diaye a étudié au Mali et en France : il est titulaire d’une Licence en Techniques de Réalisation et d’une Maîtrise en Histoire et Géographie de l’École Normale Supérieure du Mali, ainsi que d’un DESS en Relations Interculturelles option Politiques culturelles internationales et gestion des arts de Paris3 Sorbonne Nouvelle. Il est réalisateur, metteur en scène, spécialiste en communication et entrepreneur culturel au Mali et dans le milieu culturel international francophone, connu et reconnu comme tel.

Il a écrit, co-écrit, mis en scène, produit ou coproduit plus d’une quinzaine de spectacles de théâtre, produit ou/et réalisé des centaines d’heures de programmes télévisuels diffusés sur différents canaux et dans différents pays – l’ORTM du Mali, TV5 International, RFO Sat, Canal Horizon, les chaînes nationales du Cameroun, du Gabon et du Bénin -. Il a dirigé le volet audiovisuel du Programme national d’éducation à la Citoyenneté de 2006 à 2010 et y a développé une expertise que sollicitent actuellement le Gouvernement du Mali ainsi que plusieurs institutions comme le PNUD, l’UNICEF, l’UNESCO et l’USAID – Agence pour le Développement international.

Retranscription de l’article de Diango COULIBALY (Source : Le Reporter, repris par Bamada.net ) : « On ne naît pas Banyengo, on le devient », c’est le titre du livre écrit par Alioune Ifra N’Diaye sous le conseil avisé de l’écrivain philosophe Jean Louis Sagot Duvauroux. La dédicace de l’ouvrage a eu lieu le samedi 27 août 2016 au Musée national, en présence des ex-Premiers ministres, Modibo Sidibé, Moussa Mara, et plusieurs personnalités du monde de la culture. Dans cet ouvrage de 87 pages, l’auteur tente d’expliquer l’émergence généralisée de la «Banyengo» au Mali. Comment elle s’est construite ? Comment elle empoisonne nos rapports ? Et quelles sont ses formes ? Mais aussi, comment elle participe au délitement de ce qui reste de dynamique au corps social malien. Il essaye surtout de faire des propositions de pistes de solutions axées sur la construction citoyenne, une manière incontournable de combattre la Banyengo, d’inscrire le Mali durablement dans la «Hônrônya» et d’insuffler une vraie dynamique au Mali post-crise.

Selon Alioune Ifra N’Diaye, Banyengo, c’est nous tous et de voir que nous sommes en train de développer quelque part le logiciel de la Banyengoya. C’est aussi à l’en croire, d’en prendre conscience, de nous remettre en cause et de retravailler pour pouvoir véritablement insuffler une nouvelle dynamique au Mali post-crise. Dans le livre, l’auteur reste persuadé que l’état d’esprit Banyengoya est la principale source d’énergie de nos crises. Il propose dans cet ouvrage une forme de diagnostic de cet état d’esprit. Selon lui, c’est le système et la société qui nous poussent à avoir cet état d’esprit de Banyengo. Dans ce livre, Alioune Ifra N’Diaye propose qu’on se remette en cause, qu’on réfléchisse à un nouvel état d’esprit et qu’on puisse travailler à être de «Hônrônya» du 21èmesiècle afin de construire le nouveau Mali.

Par ailleurs, l’auteur travaille déjà à l’adaptation du livre en une comédie musicale destinée au milieu scolaire et universitaire. L’intention est de faire de ce spectacle musical un outil de construction citoyenne avec des conférences-débats sur les enjeux de la crise au Mali. Le principe de cette action est d’utiliser la tradition du récit comme vecteur de la construction de la paix, de la confiance et de l’harmonie en trois axes : capter l’attention, stimuler le désir de changement, emporter la conviction par l’utilisation d’arguments raisonnés.

Ce programme couvrira 24 villes du Mali et l’île de France en partenariat avec l’association française Esprit d’Ebène. Il touchera 120 000 jeunes scolaires et étudiants en 3 mois (janvier, février et mars 2017). Il a déjà comme partenaire OXFAM et est parrainé par la Première dame du Mali, Madame Keita Aminata Maïga. Notons que le livre est publié par la sahélienne dirigée par Ismaël Samba Traoré. »

Editions La Sahélienne Mali, Bamako – Contact : sahelienneedition@yahoo.fr – Site : www.editionslasahelienne.net

Public/privé : quelle politique culturelle pour demain ?

img024Le Monde vient d’organiser pour la troisième année consécutive son Festival : deux jours de débats sur trois sites, avec plus de soixante-dix invités. Le thème retenu, Agir, est aujourd’hui parlant : « Agir sur la politique bien sûr, mais aussi la science, l’éducation, la culture, la diplomatie, la société, la technologie, les entreprises… »

Deux anciens ministres de la culture de bords politiques différents, Aurélie Filippetti et Jean-Jacques Aillagon, étaient invités dans ce cadre pour une table ronde sur le thème Public/privé : quelle politique culturelle pour demain ? Animée par Michel Guerrin, la rencontre avait lieu au Théâtre des Bouffes du Nord et a traité principalement des atouts et dangers du modèle public-privé dans l’art et la culture et de la confrontation des enjeux économiques de la culture avec les missions de service public de l’Etat et des collectivités territoriales.

Jean-Jacques Aillagon a marqué son passage rue de Valois sous Jacques Chirac, notamment par une loi du 1er août 2003 relative au mécénat, aux associations et aux fondations qui reste la référence et qui valait pour tous les domaines d’intérêt général (recherche médicale, sport etc…) non pas seulement celui des politiques culturelles. Il a fait évoluer certains musées comme Orsay et Guimet leur donnant le statut d’établissement public, c’est-à-dire plus d’autonomie de gestion. Il a également été Président du Centre Georges Pompidou ainsi que de l’établissement public de Versailles et s’occupe de la Fondation François Pineau dont la collection sera installée en 2018 dans l’ancienne Bourse du Commerce, au centre de Paris. Après deux ans de mandat au début du Gouvernement Hollande, Aurélie Filippetti, aujourd’hui députée de Moselle, s’est abstenue de voter le budget 2015 passant dans le clan dit des frondeurs. Les deux ex-ministres défendent une philosophie de la culture et des modes d’action finalement assez voisins l’un de l’autre.

Tous deux rappellent que le privé est toujours intervenu dans la culture par le biais des mécènes et que certains domaines en relèvent exclusivement, c’est le cas de la littérature, de l’édition ou du cinéma. Ils conviennent de la nécessité d’un fort engagement de l’Etat en termes de mission de service public – sans intervention et en faisant preuve de neutralité – de son rôle dans le cadre du mécénat, à savoir veiller au respect des règles, de l’éthique des mécènes, de la déontologie et de l’objet d’intérêt général. Aurélie Filippetti comme Jean-Jacques Aillagon ont tous deux insisté sur le fait que le mécénat n’était en aucun cas une mesure de substitution par rapport aux financements de l’Etat et des collectivités territoriales pour l’art et la culture.

Filippetti a rappelé l’inaliénabilité des œuvres en France et les missions de l’Etat : égalité de l’accès aux œuvres par l’éducation artistique, la prise en compte des publics défavorisés et la recherche de nouveaux publics ; égalité entre les territoires avec péréquation nécessaire entre établissements ; soutien à la création et mise en valeur du patrimoine ; prise en compte de la nouveauté et de l’innovation. Elle a ré-affirmé la nécessité de coordonner les actions des pouvoirs publics à l’échelle des territoires et de donner des outils d’évaluation et d’expertise.

Aillagon a rappelé la permanence et la continuité de l’Etat permettant de pérenniser les actions. Il est revenu sur 2008, point de départ de la crise économique qui a conduit à demander aux établissements plus de performance en générant davantage de ressources propres. Il a évoqué la problématique des musées et les nouvelles offensives en termes de location d’œuvres, qui inversent parfois les priorités, négligeant les prêts aux régions – exemples du Musée Picasso – les missions prioritaires étant d’aller au-devant des citoyens, dans les mairies, les entreprises etc… comme le dit Filippetti.

Les deux ex-ministres allument les clignotants constatant que les mécènes interfèrent beaucoup plus aujourd’hui dans le domaine de l’art et que la ligne rouge est parfois franchie ; que le mécénat doit se diversifier et qu’il est plus difficile en région où les mêmes entreprises sont sollicitées. Une Charte avait été ébauchée pendant son mandat mais de fortes pressions ont fait qu’elle n’a pu voir le jour dit Aurélie Filippetti. Au passage, elle insiste sur le rôle des petites et moyennes entreprises et des petits contributeurs comme une nécessité citoyenne, et propose une défiscalisation dégressive. L’ex-ministre insiste pour que des espaces sacralisés soient sauvegardés, hors du circuit mercantile.

Le dialogue s’est ensuite engagé avec la salle parlant de cohésion sociale, du rôle des bénévoles, des bienfaits de notre système de politique culturelle basé sur le volontarisme, de l’intérêt d’aller chercher les jeunes pour aider à une meilleure compréhension réciproque et à l’apprentissage de l’altérité, de la nécessité de stimuler les élus locaux, certains devenant frileux car pointant du doigt les lieux de résistance intellectuelle qui, dans leur essence même, sont subversifs.

Aurélie Filippetti parle du risque d’instrumentalisation et d’un rapport demandé à Bercy sur l’impact économique de la culture. A la question posée sur l’avenir des politiques culturelles elle dit la nécessité de les mettre au cœur de la vision de notre société en accompagnant les jeunes à en faire leurs objectifs de vie ce qui contribuerait à la lutte contre les crispations identitaires ; de redéfinir la volonté publique entre Etat et collectivités territoriales d’autant après la réforme territoriale et alors que les directions régionales des affaires culturelles en sortent fragilisées. En confirmant l’usure du système, Jean-Jacques Aillagon parle de la nécessité de redéfinir les missions et le périmètre d’un ministère de la Culture plus ouvert sur les régions en repensant le territoire et la culture de façon généreuse. Il évoque l’intérêt de réunir un grand ministère, doté de moyens, autour des problématiques culture, éducation et jeunesse.

Le débat s’est fermé sur le rappel de l’exception culturelle française, outil innovant s’il en fut et des dangers du traité transatlantique TAFTA – dont les négociations semblent suspendues – qui, s’il devait se mettre en place, menacerait sérieusement notre capacité d’innover.

Brigitte Rémer, 22 septembre 2016

Festival Agir-Le Monde, 16 au 19 septembre 2016 – Théâtre des Bouffes du Nord. 37 bis Bd de La Chapelle. 75010 – www.bouffesdunord.com

Avidya – L’Auberge de l’obscurité

© Shinsuke Sugino

© Shinsuke Sugino

Spectacle présenté par la Maison de la Culture du Japon et le Festival d’Automne. Texte et mise en scène Kurô Tanino – Compagnie Niwa Gekidan Penino.

Une auberge coupée du monde dans une ville thermale de la Vallée de l’Enfer, au coeur des montagnes. Deux personnages, étranges, arrivent de Tokyo, un début d’après-midi. Le thermomètre affiche zéro. Ils se chauffent autour d’un poêle en attendant le directeur des lieux qui les a invités à donner une représentation de leur spectacle de marionnettes, lettre à l’appui. Un grand silence s’installe entre ces deux hommes, qui se présentent comme père et fils. Le premier est de petite taille, nain aux longs cheveux, le second semble impassible et flotter dans son corps.

Pas de propriétaire du lieu, l’expéditeur de la lettre reste inconnu et il n’y a plus de car avant 6h30 le lendemain matin pour repartir. Ils font, dans cette auberge plus que singulière, une série de rencontres avec les quelques villageois qui l’habitent, venus en cure : Takiko, la vieille femme du premier étage, méfiante et croyante à outrance qui leur offre l’hospitalité ; deux geishas qui occupent la même chambre et avec lesquelles elle conspire ; Matsuo, qui a perdu la vue, féru de flore par l’herbier qu’il compose, homme du désespoir avec qui ils vont partager la chambre du rez-de-chaussée. Un sansuke dans son office, aperçu à travers la vitre à l’arrière-plan, saisonnier chargé de l’entretien des bains, de laver le corps des clients, de les coiffer, un réel métier aujourd’hui disparu.

Au-delà de l’histoire racontée par la narratrice, la scénographie fait vivre les lieux, elle en est le personnage principal et traduit la topographie de l’auberge. Sur plateau tournant – une belle idée – apparaissent successivement les différentes pièces de la maison : le vestibule, où l’on se déchausse ; les chambres, superposées, où l’on suit les activités de chacun, rencontre improbable de deux mondes qui se télescopent entre les marionnettistes – hommes de la ville – et les villageois ; les thermes, pièce maitresse d’où s’échappent les vapeurs des bains chauds qui ponctuent la vie des occupants et où se déroule une partie du spectacle.

Le mot Avidya a plusieurs sens, c’est le premier des douze maillons du bouddhisme, il signifie en sanskrit ignorance, illusion et aveuglement. Le metteur en scène retient le mot égarement, ses personnages sont décalés, perdus et hors du temps. L’auberge est d’ailleurs vouée à la démolition pour laisser place à une nouvelle ligne de chemin de fer et cette fin d’un monde inquiète les résidents.

Dans cette ambiance lourde et d’immobilité, d’obscurité, plane le mystère du spectacle caché au fond de la valise. Père et fils se décident à le montrer, la marionnette engage son corps à corps avec le père tandis que le fils égrène les cordes de son shamisen. Le spectacle qu’ils jugent incompréhensible déstabilise les fragiles locataires de l’auberge et se termine sur une petite apocalypse sexuelle.

Kurô Tanino a abandonné ses études de médecine pour la dramaturgie et la mise en scène et créé sa compagnie, Niwa Gekidan Penino, en 2000. Il présente son travail en public depuis 2007 et remporte un vif succès. Il obtient le 60ème Kunio Kishida Drama Award en mars 2016 pour cette mise en scène de AvidyaL’Auberge de l’obscurité dans laquelle il démystifie les corps et crée tout au long une ambiance d’étrangeté et de mystère.

Brigitte Rémer, 20 septembre 2016

Avec Mame Yamada, Takahiko Tsuji, Ichigo Iida, Bobumi Hidaka, Atsuko Kubo, Kayo Ishikawa, Hayato Mori – Dramaturgie Junichiro Tamaki, Yukiko Yamaguchi, Mario Yoshino – Décors Kurô Tanino, Machiko Inada – Directeur technique Isao Kubo – Lumière Masayuki Abe – Musique Yu Okuda – Narration Ritsuko Tamura – Traduction surtitrage Miyako Slocombe.

Du 14 au 17 septembre 2016 – Maison de la Culture du Japon, 101 bis quai Branly. 75015. Métro : Bir Hakeim – Tél. : 01 44 37 95 00/01 – Site : www.mcjp.fr et Festival d’Automne – Tél. : 01 53 45 17 17 – Site : www.festival-automne.com

Les Frères Karamazov, mise en scène Frank Castorf

© Thomas Aurin v.l.: Patrick Güldenberg (Michail Ossipowitsch Rakitin), Daniel Zillmann (Alexej Fjodorowitsch Karamasow), Lilith Stangenberg (Katerina Iwanowna Werchowzewa), Copyright (C) Thomas Aurin Gleditschstr. 45, D-10781 Berlin Tel.:+49 (0)30 2175 6205 Mobil.:+49 (0)170 2933679 Veröffentlichung nur gegen Honorar zzgl. 7% MWSt. und Belegexemplar Steuer Nr.: 11/18/213/52812, UID Nr.: DE 170 902 977 Commerzbank, BLZ: 810 80 000, Konto-Nr.: 316 030 000 SWIFT-BIC: DRES DE FF 810, IBAN: DE07 81080000 0316030000

© Thomas Aurin

Texte Fédor Dostoïevski – Mise en scène et adaptation Frank Castorf – MC93 Bobigny/Festival d’Automne, à la Friche Babcock de La Courneuve – Spectacle en allemand, surtitré en français.

Peintre de l’âme russe de la fin du XIXème, Les Frères Karamazov est le dernier roman de Dostoïevski publié d’abord sous forme de feuilleton – entre janvier 1879 et novembre 1880 – et édité intégralement avec un immense succès en décembre 1880, deux mois avant sa mort. Il brosse le portrait de la famille Karamazov dans sa lutte sans merci entre le bien et le mal, autour d’un père ivrogne, dépravé et destructeur et de trois frères, sorte d’idéal-types de la société russe : Alexeï le benjamin, un homme de foi, novice au monastère au début du roman avant d’être envoyé de par le monde et de se trouver mêlé aux disputes familiales ; Ivan, le second, un grand sceptique, solitaire et marqué par la souffrance et la haine du père ; Dimitri, homme exalté, impétueux et dépensier, toujours prêt aux excès. Un demi-frère, Smerdiakov, non reconnu et qui n’a pas sa place dans la fratrie – interprété ici par une femme – complète la toile de fond de ce roman épique et complexe.

L’oeuvre est tissée de nombreuses histoires qui se déclinent à l’intérieur de l’histoire première à l’image des poupées russes, énigmes successives à travers lesquelles le lecteur/ici le spectateur se perd par moments. Dans l’avant-propos de l’édition de 1880, Dostoïevski s’adresse au lecteur par ce clin d’oeil : « En abordant la biographie de mon héros, Alexéi Fédorovitch Karamazov, je me sens passablement perplexe. Et voici pourquoi : bien que je l’appelle mon héros, je sais pertinemment qu’il n’est pas un grand homme. Fatalement, des questions vont m’être posées : qu’a-t-il donc de remarquable, votre Alexéi Fedorovitch, que vous l’ayez choisi comme héros ? Qu’a-t-il donc fait qui soit digne d’attention ? Qui le connaît ? Et pourquoi donc faut-il que moi, lecteur, je perde mon temps à étudier sa vie ?… »

Frank Castorf, directeur de la Volksbühne dans l’ex-Berlin-Est depuis vingt-cinq ans et qu’il s’apprête à quitter, s’empare de manière radicale de textes, littéraires et dramatiques, qu’il met en scène. Invité par la MC 93 Bobigny à partir de 2001, il a présenté en France son travail sur Andersen, Boulgakhov, Brecht et Tennessee Williams. A Berlin il a longuement fréquenté Fédor Dostoievski en montant Les Démons, L’Idiot, Le Joueur, Humiliés et Offensés, Crime et Châtiment. Il crée Les Frères Karamazov en mai 2015 au Wiener Festwochen. La démesure de Dostoïevski, ses réflexions philosophiques sur le bien et le mal, la question de l’existence de Dieu, la pureté et la perversité, le libre-arbitre et la moralité, la liberté et la soumission, le doute, la Russie moderne, sont des thèmes qui donnent matière à sa propre démesure. « Chaque homme est coupable pour tous les autres… Il vous manque la foi… » commente l’un des personnages.

La démesure est dans la friche Babcock de La Courneuve où le public est accueilli : d’immenses hangars qui abritaient jadis et pendant plus de cent cinquante ans la fabrication de chaudières industrielles, rachetés en 2012 par la Banque de France sous le regard bienveillant du Département de la Seine-Saint-Denis, de Plaine Commune et de la Ville. Le scénographe Bert Neumann qui est aussi le créateur des costumes a donné, avant sa récente disparition, un extraordinaire espace de jeu de près de cent cinquante mètres d’ouverture, avec une immense palissade en diagonale derrière laquelle se déroulent des scènes que le spectateur suit à travers les raies de lumière filtrant et par les contre-jours, ainsi que par caméra interposée ; un panneau publicitaire lumineux, type Coca-Cola, rouge comme un enfer, est au fond de la galerie vers laquelle se décale parfois l’action, côté jardin ; un bassin d’eau dans lequel s’enfoncent les acteurs et un kiosque, sorte de datcha posée en son extrémité, se trouvent côté cour ; des constructions – chambres en quinconce et en hauteur, escaliers extérieurs, église orthodoxe, cuisine avec fenêtres sur cour, sauna à la cheminée qui fume et longs couloirs, la scénographie traduit la complexité de l’action.

La démesure est dans l’image qui tient le rôle de narrateur et parvient aux spectateurs en temps réel, sur un écran de petite taille compte tenu du lieu. Une partie du spectacle se passe hors de la vue du public donc hors champ, mais folies et passions, intimités et débordements sont en gros plans. Castorf est rôdé à l’image, il est l’un des premiers à l’avoir insérée dans ses créations. Le principe du spectacle repose sur ce va et vient entre le plateau et l’image projetée à partir de la caméra qui accompagne les acteurs au corps à corps, où cameraman et opérateur s’enroulent et se déroulent au fil de l’action se déplaçant dans cette construction labyrinthique qui construit le roman.

La démesure est dans le texte, celui de Dostoïevski sur lequel se greffent les mots de DJ Stalingrad, auteur connu pour son radicalisme, engagé contre le néo-fascisme et le révisionnisme. – L’adaptation de Frank Castorf donne un texte sans concession qui mêle à la Russie du XIXème l’ultra contemporain, et fait voyager entre le passé et le présent, avec quelques séquences en langue russe, « Dieu sauvera la Russie » ; dans l’intrigue elle-même, avec l’assassinat du père – sorte d’odieux bonimenteur – par l’un des trois fils : « Je te maudits pour l’éternité » ; dans les intrigues qui s’enchevêtrent où « un reptile en bouffe un autre », où « il n’y a ni perdant ni gagnant », où l’hystérie est proche de la possession, où cynisme et nihilisme sont les maitres mots.

La démesure est dans le jeu des acteurs – magnifiquement dirigés et tous excellents – qui se donnent à fond pour rendre compte des conflits – idéologiques, familiaux et intérieurs – et qui règnent sur cette imposante friche, kilomètres à l’appui. Leur vocabulaire s’étend du tragique au cynique, de la comédie au grotesque, de la possession à la rédemption. Les imprécations du Grand Inquisiteur apostrophant Dieu, filmées à l’extérieur devant le ballet des grues de La Courneuve, est un moment fort, dans le registre de la tentation : « Est-ce bien Toi qui peut rendre l’homme heureux ? » Il évoque les trois mystères – l’histoire de l’humanité, le secret et l’autorité – provoque Dieu : « Ils reconnaitront que le pain et la liberté sont incompatibles », et évoque la résurrection d’un enfant, ce qui prend sens quand à la fin de l’histoire le jeune Ilioucha se meurt. « Les hommes croient en leur immortalité… » La démesure est dans la musique : des corbeaux aux chants traditionnels orthodoxes, jusqu’aux morceaux d’aujourd’hui qui font trembler les gradins, version Metro Goldwyn Mayer.

Les Frères Karamazov mis en scène par Frank Castorf brosse un tableau sombre de la jeunesse, le clan Karamazov jouant sur les rapports de force et l’impossibilité de se réconcilier. « Le temps ne guérit rien » dit Dostoïevski qui représente tous les excès – folie, hystérie, délire, insultes, volonté de faire du mal, reconnaissant pourtant que « la vie est belle quand on fait le bien. » La transposition sur scène des thèmes philosophiques, religieux et politiques contenus dans cette œuvre touffue est une prouesse et Castorf donne ici une belle leçon de théâtre.

Brigitte Rémer, 15 septembre 2016

Avec Hendrik Arnst, Fiodor Pavlovitch Karamazov – Marc Hosemann, Dimitri Fiodorovitch Karamazov – Alexander Scheer, Ivan Fiodorovitch Karamazov – Daniel Zillmann, Alexeï Fiodorovitch Karamazov – Sophie Rois, Pavel Fiodorovitch Smerdiakov – Kathrin Angerer, Agrafena Alexandrovna Svetlova et Grouchenka – Lilith Stangenberg Katerina Ivanovna Verchovzeva – Jeanne Balibar, Starez Ossipovna, Katerina Ossipovna Chochlakova et Le Diable – Patrick Güldenberg, Ossipovitch Rakitine – Margarita Breitkreiz, Lisaveta Smerdiatchaya – Frank Büttner, Le Père Ferapont

Scénographie, costumes Bert Neumann – Lumières Lothar Baumgarte – Vidéo Andreas Deinert et Jens Crull – Caméra Andreas Deinert, Mathias Klütz et Adrien Lamande – Montage Jens Crull – Musique Wolfgang Urzendowsky – Son Klaus Dobbrick, Tobias Gringel – Prise de son William Minke, Brinkmann – Dramaturgie Sebastian Kaiser – Traduction et régie surtitres Sebastian Kaiser.

Les 7, 8, 13 et 14 septembre à 17h30, samedi 10 et dimanche 11 septembre à 15h, (durée : 6h15) – MC93 /Friche industrielle Babcock, 80 rue Émile Zola. La Courneuve. www.festival-automne.com

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Condition et responsabilité sociale du chercheur

unesco_logo_550x355Un colloque organisé par la Commission nationale française pour l’UNESCO en partenariat avec le Conservatoire National des Arts et Métiers s’est tenu le 8 septembre 2016 au CNAM.

Les représentants de la communauté scientifique française et internationale, les délégations permanentes auprès de l’UNESCO et les représentants de la société civile étaient invités à débattre autour des propositions relatives à la révision de la Recommandation de 1974 de l’Unesco concernant la condition des chercheurs scientifiques, élaborées par la Commission française pour l’UNESCO. Son Président, Daniel Janicot, le Secrétaire général de l’Association internationale Droit, Ethique et Science, Christian Byk, la Directrice de la Recherche au CNAM, Clotilde Ferroud et la Directrice de la Division de l’Ethique, de la Jeunesse et des Sports à l’UNESCO, Angela Melo, ont ouvert la journée. S.E. Laurent Stefanini, Ambassadeur et Délégué permanent de la France auprès de l’UNESCO l’a clôturée, évoquant le projet de création d’un observatoire mondial qui permettrait d’assurer le suivi de la Recommandation.

 Quatre sessions furent proposées au cours de tables rondes qui ont introduit aux débats : La science globale, un défi pour les chercheurs – La responsabilité sociale du chercheur scientifique – La condition du chercheur – Egalité et accès à la reconnaissance.

La rencontre concernait les chercheurs du domaine privé (les plus nombreux) autant que ceux du public – près de huit millions de chercheurs dans le monde d’après le dernier rapport UNESCO, paru en 2015 –. Elle a mis en exergue l’intégrité et l’éthique du chercheur, la nécessité du travail en équipe, l’intérêt de donner la parole à la société civile et de mettre à sa disposition les avancées des chercheurs. Elle a parlé du rapport à la connaissance, de propriété intellectuelle et de bien public, de publication et de monopole.

Elle a évoqué les conditions de travail du chercheur et d’un juste salaire souhaité, de l’inégalité du traitement entre hommes et femmes, des disparités entre les régions, de la liberté de recherche en vis à vis à la problématique de subordination hiérarchique, du temps qu’il faut à la recherche, de la nécessité d’accompagner les jeunes chercheurs à partir de la fin de leur thèse, de la fuite des cerveaux.

Elle a posé la question de devoir prêter serment devant ses pairs, comme le médecin s’engage dans ses fonctions en prononçant le Serment d’Hippocrate. Ce point a prêté à de vigoureux échanges. Evoquant la crise de confiance à laquelle la recherche fait face de manière récurrente, la responsabilisation des Etats et des décideurs est reconnue comme essentielle afin de dégager les moyens nécessaires. La création d’un fonds mondial pour la recherche, dans cet objectif, a été grandement évoquée.

La Recommandation de 1974 est aujourd’hui dépassée et incomplète, le chercheur idéal et idéalisé tel qu’elle le décrivait, n’existant pas. D’où l’intérêt de ce colloque visant à réviser le texte, une excellente initiative pour préparer l’étape suivante.

Brigitte Rémer, 14 septembre 2016

Twitter : CNFUnesco// Facebook : CommissionNationaleFrancaiseUnesco www.unesco.fr – Soundcloud : CNFU // Youtube : Commission Nationale Francaise pour l’UNESCO – Ministère des Affaires Étrangères et du Développement International, 57 Boulevard des Invalides – 75007 Paris – Tél : 01 53 69 39 55.

 

Josef Sudek – Le monde à ma fenêtre

Rue de Prague 1924  © Josef Sudek

Rue de Prague 1924
© Josef Sudek

Présentation au Jeu de Paume de cent trente œuvres du plus important photographe tchèque, né à Kolin en 1896, mort à Prague en 1976.

Sa chambre photographique grand format sur l’épaule tenue d’un bras, car il perd l’autre bras au cours de la guerre de 1914/18, Josef Sudek avance, dos voûté, sur un chemin caillouteux. Première image de l’artiste accueillant le visiteur, comme une invitation au voyage, au vagabondage, au silence.

Le voyage est sensible, de solitude, presque exclusivement en noir et blanc, sorte de clair-obscur de la mémoire. Mémoire de la nature qui l’environne, délaissée ; de la pluie cristal glissant le long de vitres embuées ; d’arbres aux longues silhouettes, isolés. Mémoire de Prague sa ville au bord de l’Elbe ; des rues tortueuses et des sculptures de la cathédrale Saint-Guy ; de sa résignation à l’époque, sous occupation nazie pendant la seconde guerre mondiale ; du temps qui s’écoule avec la lenteur d’un sablier. Mémoires de l’amitié par des portraits qu’il réalise, pleins de tendresse. Mémoire des objets qu’il collecte précieusement et dont il garde trace, comme ces papiers froissés ou quelques coquillages, comme cette rose dans un vase sur un rebord de fenêtre. Il y a de la mélancolie et pour celui qui regarde, de la fascination.

Josef Sudek aime penser en termes de projets, composer des séries – ainsi La fenêtre de mon atelier, Natures mortes, ou encore Labyrinthes -. Son monde est intérieur, il capte l’extérieur ; son geste artistique conduit du dedans vers le dehors, de l’extérieur vers l’intérieur. Il a l’art de la précision, du détail, du reflet, de la goutte qui perle, fait du quotidien son royaume, transforme l’ordinaire en œuvre d’art. Ses formats sont petits, il faut s’approcher et se laisser aller à la méditation.

Le photographe passe sa vie à expérimenter et apporte le plus grand soin aux tirages, qu’il maîtrise à merveille – tirages pigmentaires au papier charbon ou à la gélatine bichromatée, tirages tramés -. Il crée des procédés techniques qu’il utilise comme le tirage à l’huile à partir d’un positif à la gélatine bromure – l’oléobromie – rendant flous les contours et définissant des tâches de lumière et d’ombre comme autant d’ouvertures sur l’imaginaire et sur le rêve.

Josef Sudek. Le monde à ma fenêtre n’est pas une exposition chronologique, les commissaires – Vladimir Birgus, Institute of Creative Photography de l’Université de Silésie (Opava) ; Ian Jeffrey, historien de l’art et Ann Thomas, conservatrice de la photographie au Musée des beaux-arts du Canada (Ottawa) – ont effectué des regroupements thématiques et proposent sept chapitres dans lesquels se répartissent les séries : Les débuts, Le monde à ma fenêtre, Promenades nocturnes, Amis et artistes, L’âme du lieu, La vie des objets et De nouvelles façons de voir. Ce dernier chapitre dévoile notamment ses expérimentations face aux meubles et objets du moderniste Ladislav Sutnar, aux éléments du jardin de l’architecte Otto Rothmayer. Un film le montre, en action et le met en scène.

Intimiste, l’œuvre de Josef Sudek a sa place dans la poétique des plus grands, par sa sensibilité et par l’intelligence de l’obscurité et de la lumière qu’il sculpte avec la précision de l’enluminure ; par sa mélancolie proche de l’écriture de Novalis ou de Kleist, de Baudelaire ; par sa vie goutte à goutte. Dans leur singularité, ces photographies traduisent un double mouvement, d’émotion et de beauté en même temps que de nostalgie et de désolation. L’image devient musique, on entend la pluie tomber, l’artiste joue son nocturne et le visiteur se retire sur la pointe des pieds.

Brigitte Rémer, 8 septembre 2016

Exposition organisée par l’Institut Canadien de la photographie du Musée des beaux-arts du Canada – en collaboration avec le Jeu de Paume pour la présentation à Paris – en partenariat avec le Centre tchèque de Paris. Catalogue coédité par Le Jeu de Paume, Paris – l’Institut Canadien de la photographie du Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa – 5 Continents éditions, Milan.

Jusqu’au 25 septembre 2016 – Jeu de Paume, 1, Place de la Concorde. 75008. Paris. www.jeudepaume.org

Théâtre Saint-Denis TGP – 100 ans de création en banlieue

IMG_0254Ouvrage de Michel Migette publié aux Editions PSD et Au Diable Vauvert – avec la participation d’Etienne Labrunie -.

C’est une belle idée que de parler de la naissance d’un théâtre et de son parcours sur plus d’une centaine d’années. Au cœur du 9-3, le Théâtre Gérard Philipe est né de la volonté politique locale. L’ouvrage offre une traversée de la vie théâtrale et de l’histoire des politiques culturelles, exemplaire.

C’était au temps… dirait Brel, du théâtre populaire originel tel que vu et pratiqué par Jean Vilar et sa troupe dans laquelle Gérard Philipe fut adulé : « Le théâtre est une nourriture aussi indispensable à la vie que le pain et le vin » déclarait Vilar. C’était au temps… où la volonté politique des maires avait valeur d’engagement pour un théâtre de service public dans un contexte de décentralisation théâtrale. C’était au temps… où idéalistes et utopistes communistes mêlaient art, culture, politique et progrès social.

Comme dans d’autres villes rouges du département de Seine-Saint-Denis – Aubervilliers, Bobigny, Gennevilliers, Montreuil etc… – Saint-Denis la militante a œuvré pour sa population ouvrière. La ville détient la célèbre Basilique-nécropole des rois de France et comme ailleurs le théâtre liturgique s’y déroulait dans les églises et monastères. Le premier théâtre y fut installé à la Révolution dans l’église des Trois Patrons, construite au Moyen-Âge. Fin XIXème la ville s’inscrivait dans le réseau des Théâtres du Peuple. Début XXème elle recevait la grande Sarah Bernhardt puis les tournées Charles Dullin ainsi que Firmin Gémier et son TNP nouvellement fondé. Elle reconnaissait à la périphérie de Paris le droit au théâtre et décida, à compter de 1897, de construire une salle municipale qui fut inaugurée le 9 février 1902 – signée de l’architecte Albert Richter – et qui eut aussi pour fonction, à partir de 1905 avec les débuts du cinématographe, d’être salle de projection.

A certains moments et traversant les deux guerres, cette salle servit au politique et devint le lieu des revendications sociales plutôt que celui de l’affirmation artistique. Dans l’après-guerre et avec le mouvement de l’éducation populaire et l’émergence d’une volonté politique, elle fut relancée comme théâtre. Jean Vilar, inscrivit dans son cahier des charges du TNP la présentation de spectacles dans les banlieues ouvrières et y joua en 1951-52 L’Avare et La Mort de Danton. Tous ces signaux persuadèrent le Maire, Auguste Gillot, poussé par son adjoint René Benhamou amoureux de culture qui le travailla au corps, de prendre en compte dans son programme l’art et la culture. Il  passa à l’acte à partir de 1953 et nomma quelques années plus tard, en 1959, Jacques Roussillon à la tête du Théâtre de Saint-Denis.

La grande aventure théâtrale commence alors vraiment. Roussillon dirige le Théâtre de Saint-Denis, baptisé Gérard Philipe le 29 janvier 1960, – en hommage au grand acteur disparu deux mois auparavant – et transforme la salle municipale en un lieu de création reconnue et bientôt incontournable. Son modèle est le Berliner Ensemble, Aragon-Triolet ses inspirateurs. Il monte Brecht, Lorca et Gorki entre autre, crée un ciné-club, accueille les chanteurs les plus engagés – Ferrat, Nougaro, Brel, Ferré – y fait un énorme travail. La création de Printemps 71 d’Arthur Adamov, véritable acte fondateur, fait date, et donne au Théâtre une autre dimension à travers laquelle la nécessité de modernisation se fait sentir. Roussillon engage José Valverde comme chef de plateau. Ce dernier monte Gorki, Hasek et Toller et lui souffle la place, en 1965, alors que change le directeur des affaires culturelles de la ville.

La période Valverde – 1966/1975 – est marquée par une programmation théâtrale plus engagée : « Pour moi, la démarche politique et la démarche artistique ont toujours été absolument parallèles. » Valverde propose des pièces contemporaines : V comme Vietnam, d’Armand Gatti ou La Guerre des paysans inspirée de Kleist, invite Antoine Vitez avec Les Bains de Maïakovski, pièce montée à la Maison de la Culture de Caen, crée une troupe permanente en 1967. Il invite en 1968 le Piccolo Teatro de Milan qui a déjà présenté les pièces de Brecht, Goldoni, Tchekhov et Shakespeare, un Piccolo qui devient sa nouvelle référence, traverse mai 68 et obtient le financement pour un vaste chantier de transformation du théâtre qui ré-ouvre le 1er mars 1969 et acquiert vite un grand succès populaire. Il invite le Berliner Ensemble, présente ses mises en scène d’un théâtre militant comme Libérez Angela Davis tout de suite en 1971 et Chile Vencera en 1974. Face aux difficultés financières et au silence des pouvoirs publics, la troupe se met en grève et Valverde se voit contraint de démissionner, en 1975.

C’est René Gonzalez qui est nommé à la tête du TGP pour la décennie suivante et en fera un phare de la création théâtrale – 1975/1985 – laissant la place aux artistes, avant de devenir directeur de la MC93, puis du Théâtre Vidy de Lausanne jusqu’en 2012, date de sa disparition. La ville de Saint-Denis vit sa révolution culturelle avec de nouveaux équipements et une nouvelle approche esthétique. Jack Lang comme ministre de la Culture y contribue largement. Théâtre, spectacles lyriques, danse, spectacles jeune public s’y succèdent. Peines de cœur d’une chatte anglaise monté par Alfredo Arias à partir d’une adaptation de Balzac y fait date, en 1977. Le TGP joue la carte de l’ouverture vers l’extérieur et du pluralisme créatif, une décennie très riche au cours de laquelle se sont succédés les plus grands metteurs en scène, de Jacques Lassalle à Joël Jouanneau, d’André Engel à Gildas Bourdet, de Jean Jourdheuil à Jérôme Deschamps-Macha Makeëff. L’ouverture en 1978 de la seconde salle, appelée salle Jean-Marie Serreau – du nom du metteur en scène disparu en 1973 – donne un nouvel outil, une nouvelle dynamique à l’ensemble.

Après le départ de René Gonzalez, les directeurs sont ensuite désignés à la tête du désormais Centre Dramatique National – CDN -. S’y succèdent Daniel Mesguich de 1986 à 1988, Jean-Claude Fall de 1989 à 1997, Stanislas Nordey et Valérie Lang de 1997 à 2001, Alain Ollivier de 2002 à 2007, Christophe Rauck de 2008 à 2013. Jean Bellorini le dirige depuis 2014. Chacun à sa manière laisse son empreinte. Le livre de Michel Migette raconte et met en relief la contribution de chacun, ses mises en scène, les troupes accueillies, sa philosophie pour la construction de l’ensemble, ses coopérations : création du ciné-club dès 1959 suivi du Temps de l’Ecran qui évoluera jusqu‘en 1991, date à laquelle une salle, l’Ecran, s’installe en centre ville, la musique avec un premier Festival en 1969 qui s’ancre ensuite aussi dans la ville, l’ouverture du Terrier, en 1970, plateforme pour musiciens et chanteurs, jeunes ou confirmés, le Centre dramatique national pour l’enfance et la jeunesse de Daniel Bazilier, installé salle Jean-Marie Serreau de 1979 à 1985, les Etats Généraux de la Culture de Jack Ralite, lieu du débat, en 1987, Africolor en 1989, Enfantillages en 1990, et l’ouverture de la salle Mehmet Ulusoy en 2009.

Théâtre Saint-Denis – TGP, 100 ans de création en banlieue est un ouvrage bien documenté qui travaille sur la chronologie et utilise en marge, en exergue, le principe de portraits des artistes et des politiques qui en ont fait la vie, ce qui donne une bonne lisibilité générale, ainsi que des pages pleins feux sur… comme page 36 : Un souffleur de conscience. Jack Ralite son complice, évoque l’apport et l’actualité de Jean Vilar : « Être vilarien, c’est avoir une parole et la respecter quand on la donne, c’est refuser le chemin du milieu. C’est avoir l’insolence de l’esprit mêlée à une tendresse cachée… Jean Vilar était pour le principe de l’audace et ne s’enfermait pas dans le principe de précaution… C’est une luciole qui brille toujours » dit Ralite ; page 52 sur Gérard Philipe, qui a marqué l’histoire de la création en France et qui comédien d’exception fut un homme de son temps ; page 70, un témoignage de Lucien Marest, secrétaire du Comité d’Entreprise de Rhône-Poulenc, sur le thème Politique et Culture ; ou encore page 262 Jack Ralite, le metteur en actes.

L’ouvrage s’achève sur la table ronde animée par Bernard Vasseur, philosophe, qui s’est tenue au TGP Saint-Denis le 3 septembre 2015 sur le thème Théâtre et volonté politique. L’actuel directeur, Jean Bellorini – qui depuis son arrivée a notamment présenté ses mises en scène de Paroles gelées d’après Rabelais, Liliom de Ferenc Molnar, La Bonne Âme de Se-Tchouan de Brecht et Tempête sous un crâne d’après Les Misérables de Victor Hugo – y prenant la parole, disait : « Je crois que le théâtre est là pour combattre les dérives et les facilités de notre société. C’est un art qui appartient à tous. L’homme a besoin de mythes, de récits pour se réapproprier sa propre langue et par conséquent sa propre vie. Il a besoin de retirer son masque social pour se donner à voir tel qu’il est… Le théâtre n’est pas fait pour les forts, pour les riches, pour les puissants. Il réhabilite la fragilité. »

La volonté des maires dans cette ville complexe de Saint-Denis, le choix d’artistes engagés permettant des textes ambitieux et des esthétiques nouvelles, sont la signature du TGP Saint-Denis dont le parcours est un défi et une utopie permanente. Dans le cercle des Centres dramatiques nationaux depuis plus de trente ans, la vigilance de son actuel Maire, Didier Paillard reste de mise. Pour lui le théâtre est le lieu de l’invention démocratique et la production artistique est au travail, le champ éducatif y reste déterminant, le public y tient le premier rôle.

Brigitte Rémer, 28 août 2016

Préface de Jean-Pierre Léonardini : C’est vent debout qu’on avance, Postface de Didier Paillard, maire de Saint-Denis : Notre théâtre pour demain – Album quadri cousu-relié – Format 240 x 300 mm – 364 pages – 30 euros.

Prochaines rencontres autour de l’ouvrage : – 9 au 11 septembre 2016, Fête de l’Humanité, Parc de La Courneuve, Stand de Saint-Denis, Espace Livre, avec Jean-Pierre Léonardini. –  17 et 18 septembre, Journées du Patrimoine, Office du Tourisme Plaine Commune, 1 rue de la République, Saint-Denis – 24 septembre, Médiathèque Centre ville, 4 Place de la Légion d’Honneur, Saint-Denis – 15 octobre à 18h, Théâtre Gérard Philipe salle Mehmet Ulusoy, Présentation aux habitants de Saint-Denis avec Jean Bellorini, Patrick Braouezec, Didier Paillard et Jack Ralite.

 

 

 

 

Naïssam Jalal et son groupe Rhythms of Resistance

© Paul Evrard

© Paul Evrard

Avec Mahdi Chaïb saxo ténor et soprano, percussions – Karsten Hochapfel guitare et violoncelle – Matyas Szandai contrebasse – Arnaud Dolmen batterie percussions. Concert donné dans le cadre de Paris Quartier d’été.

Née à Paris de parents syriens, Naïssam Jalal est une magnifique flûtiste formée au classique et qui connaît tout autant le nay – cette flûte de roseau moyen orientale – pour l’avoir travaillé à Damas. Ses compositions font voyager entre l’orient et l’occident. Les mots qu’elle énonce ce soir-là sont à l’adresse du peuple de Syrie, le tragique habite le plateau. Elle fait figure d’une Antigone dans sa simplicité et sa fierté, dans son engagement.

Entourée du quintette qu’elle a fondé en 2011 avec des musiciens venant de différents pays, son inspiration est métisse et son style éclectique. Elle traverse la world music autant que le jazz et le rap, passant par le tango ou l’afrobeat. « Ma musique est unique et singulière d’abord parce qu’elle est l’expression de ma singularité propre : femme, musicienne, syrienne et française, arabe et européenne, à la fois nomade et sédentaire, à la recherche des traditions et de l’inconnu… » Elle a exploré les ressources musicales du Liban et de l’Egypte et travaillé avec les grands maîtres dont Abdo Dagher au Caire, virtuose du violon. Elle a accompagné le rappeur libanais Rayess Bek en France, au Liban et au Maroc et se produit souvent en tournée avec le joueur égyptien de oud, Hazem Chahine. Son premier album Aux Résistances est sorti en 2009, elle vient de composer les huit thèmes de son nouvel album, intitulé Osloob HayatiMa façon de vivre – où se retrouve la même diversité des registres. Elle tourne aussi dans le monde avec son duo Noun Ya.

Au cours des six soirées données dans le cadre de Paris Quartier d’été, Naïssam Jalal présente un invité et dialogue musicalement avec lui. Ce soir-là, ils sont deux : Médéric Collignon qui joue de tous les cornets et bugles en jazz et musiques improvisées, et le rappeur et producteur palestinien Osloob, fondateur du groupe Katibeh 5 que Rhythms of résistance accompagne en une alchimie musicale singulière.

Autour du Kiosque à musique dans le jardin du Luxembourg le public est nombreux, assis au sol ou sur des chaises, debout aussi, silencieux et attentif. Il porte, par sa qualité d’écoute, Naïssam Jalal et sa belle équipe. La magie opère, des solos aux ensembles, les arpèges s’envolent ou se déstructurent, et parfois la flûte pleure.

Brigitte Rémer, 5 août 2016 – Jardin du Luxembourg

27 juillet Square des Amandiers (75020) – 29 juillet Musée du Quai Branly (75007) – 31 juillet Parc de la Butte du Chapeau Rouge (75019) – 2 août Jardin des Tuileries 75001) – 5 août Jardin du Luxembourg (75006) – 6 août Jardin de la Folie Titon (75011)

 

Face Nord

© Milan Szypura

© Milan Szypura

Spectacle présenté dans le cadre de Paris Quartier d’été. Mise en scène Compagnie Un loup pour l’homme et Pierre Deaux – Acrobates : Alexandre Fray, Mika Lafforgue, Arno Ferrera et Alexandre Denis.

Aussi virtuoses que des alpinistes escaladant la Face Nord des Grandes Jorasses, ils occupent le petit espace carré recouvert de tatamis au centre de la belle cour intérieure du Centre culturel irlandais. Les spectateurs les entourent sur quatre côtés, intégrés dans la scénographie. Ce soir-là la pluie s’est invitée et les tatamis sont protégés. Il est remis aux spectateurs un imper de type cycliste dans lequel ils s’enroulent en attendant la fin de l’averse.

Pas de texte, le travail est physique, énergétique et les figures créées s’apparentent – impressions de départ – aux gladiateurs et jeux du cirque, à l’arène, il n’en est rien. Tout est plus subtil. La concentration est maximale, le jeu des regards donnent les tops du départ et lève les énergies. Quatre hommes, virils et plein de grâce, d’une attention et précision inouïes, construisent des histoires et figures à couper le souffle à partir d’un travail de main-à-main. Nous sommes plus près de la chorégraphie ou du jeu d’enfants avec sa poétique et son sens de l’illusion, que du sport. Ils sont partout : devant, derrière, en haut, en dessous, avec la fluidité et la rapidité des lynx.

L’écriture scénique donne un cadre d’une grande précision qui sert de garde-fous, et les acrobates-acteurs restent en état de veille sur ce qui peut advenir, sur l’inattendu. Ils trouvent les points névralgiques pour ne pas se faire mal en s’escaladant, marchant, courant, sautant, tombant, se déséquilibrant, s’attrapant, se portant, selon le poids et la force de chacun, son rôle au sein du collectif, sa personnalité. Ils étaient au départ deux acrobates : le porteur français Alexandre Fray et le voltigeur québécois Frédéric Arsenault, rejoints par le puissant Mika Lafforgue et la voltige d’Alexandre Denis. Appris par corps, fut la première pièce présentée par la compagnie en 2005 et jouée plus de deux cents fois dans le monde, suivie en 2006 de Grand-mère, qui questionnait la pratique de porteur au contact de personnes âgées.

Créé en 2011, Face Nord tourne depuis cinq ans et treize ou quatorze personnes l’ont porté, à la recherche des limites. Quatre acrobates jouent avec les figures masculines imposées que sont la compétition, la puissance, la violence et la combativité, mais de ce quatuor se dégage une grande délicatesse et de la douceur ; c’est virtuose et toujours aux frontières, soutenu par la musique qui à certains moments les porte – entre Schubert et Mahler – avec la même force.

« Notre cirque : un art d’action vers la recherche d’humanité » tel est leur manifeste. Ils oscillent entre force et fragilité, grandeur et faiblesse, repoussant leurs limites, partent de l’intuitif et de l’instinctif pour construire sur un mode très élaboré le sens du spectacle. L’engagement physique et la virtuosité acrobatique, l’émotion et le sensible, le sens de l’humour et celui de la tragédie, la construction dramaturgique, font de cette Face Nord un magnifique moment d’humanité.

Reinhold Messner homme de la haute montagne leur sert de guide : « On part ensemble vers des lieux sauvages. Tant pis si l’autre fait demi tour ensuite. Ce qui est important c’est l’expérience partagée, et non le fait de continuer ensemble. Pour atteindre le sommet à partir du dernier camp, il ne faut que quelques heures, et quelques heures pour en revenir, cela peut très bien s’effectuer seul. Mais partir seul de tout en bas, c’est une autre affaire. Soudain, l’autre vous manque. Quelqu’un sur qui l’on puisse compter, avec qui l’on puisse partager la peur et le bonheur, quelqu’un qui, comme soi même, ait besoin de l’autre. »

Avec Un loup pour l’homme, c’est une histoire d’hommes qui s’écrit, une histoire d’art et de fraternité.

Brigitte Rémer, 4 août 2016

Dramaturgie Bauke Lievens – Création sonore : Jean-Damien Ratel – Costumes : Emmanuelle Grobet – Équipe technique : Pierre-Jean Faggiani, Laurent Mulowski.

Du 2 au 6 août 2016, à 20h – Centre culturel irlandais 5 rue des Irlandais. 75005. Métro : Place Monge ou Cardinal Lemoine. Site : www.quartierdete.com

 

 

« Inhancutilitatem » et « Petit Psaume du matin »

© Josef Nadj

© Josef Nadj

Dans le cadre de Paris Quartier d’été, Josef Nadj expose ses photographies au Collège des Bernardins sous le titre Inhancutilitatem et présente sa chorégraphie Petit Psaume du matin en duo avec Dominique Mercy, au Centre Culturel Irlandais.

En pénétrant dans l’ancienne sacristie du Collège des Bernardins où sont exposées vingt-cinq photographies de Josef Nadj, un bleu, infini, nous saisit – indigo, bleu de Prusse, lapis-lazuli ou cyan – le bleu chaud du rêve. De fines fleurs blanches de différentes variétés se tissent à la couleur et étalent leurs pétales comme de belles endormies en un langage proche des signes d’Henri Michaux. C’est l’herbier de Josef Nadj, son espace du dedans.

Le danseur chorégraphe, directeur du Centre chorégraphique national d’Orléans pendant une vingtaine d’années, est aussi plasticien. Il photographie et se déplace entre la mobilité et l’immobilité à la recherche des contraires, après avoir découvert il y a un an, la démarche de la britannique Anna Atkins. Au XIXème siècle, la botaniste travaillait l’image photographique par cyanotype pour l’illustration de ses herbiers, qu’elle publia à partir de 1843. Cet art de la photographie exposant des objets à la lumière sur une surface photosensible – les photogrammes – donne au tirage un bleu des plus profonds. Josef Nadj pose les pieds dans les traces des scientifiques anglais John Herschel et William Henry Fox Talbot, précurseurs de la photographie et emboite le pas à Anna Atkins. Il s’empare de la technique pour construire son entre-deux monde visuel et comme il le fait sur scène avec Petit Psaume du matin, invite à la méditation.

Pour réaliser ses photographies, Josef Nadj s’en est allé dans les jardins, au petit matin, mêlant le plaisir de la nature à la recherche d’empreintes végétales. A l’écoute de la musique des plantes comme de la musique du cosmos, il s’est posté aux aguets, a observé les plantes auxquelles d’ordinaire on ne prête pas attention et dialogué avec elles, laissé passer les saisons, organisé la cueillette. C’est un travail minutieux et obsessionnel dont il a parlé le jour du vernissage, en dialogue avec l’écrivain et poète Jean-Christophe Bailly.

Parallèlement à l’exposition, Paris Quartier d’été a eu la belle idée de programmer pour cinq représentations dans la cour du Centre culturel Irlandais, la chorégraphie de Josef Nadj intitulée Petit Psaume du matin. C’est un duo qu’il interprète avec Dominique Mercy, danseur emblématique de Pina Bausch, exploration lente et infinie de l’espace – aussi infinie que son bleu, enluminures en mouvement, parcours de l’absurde en référence à Beckett et à l’invitation au voyage faite par Mercier et Camier, ses personnages. Les corps glissent dans l’espace au frémissement de la musique, comme au ralenti ou en fondu enchaîné. « Mon enfant, ma sœur, songe à la douceur… » dirait Baudelaire et le fondu au noir emmène, au fil de la nuit qui tombe – le spectacle est en plein air et sans éclairages – jusqu’à la coupe douce finale. L’image est reine et les musiques viennent de loin – du Cambodge, de Macédoine, de Roumanie, d’Egypte et de Hongrie – complétées de celles de Michel Montanaro, elles apportent la sérénité.

Dans ces territoires de silence, sur scène comme sur les murs des Bernardins, Josef Nadj poursuit son chemin, solitaire et singulier. Il retient le spectateur-visiteur par son regard poétique et l’écriture de lumière des nuits bleues de son imaginaire.

Brigitte Rémer, 26 juillet 2016

Inhancutilitatem, au Collège des Bernardins, du 21 au 29 juillet : lundi au samedi de 10h à 18h, dimanche et jours fériés de 14h à 18h, 20 rue de Poissy. 75005. Tél. : 01 53 10 74 44 – Petit Psaume du matin, au Centre culturel irlandais les 18, 19, 21, 22 et 23 juillet à 20h, 5 rue des Irlandais. 75005. Métro : Place Monge ou Cardinal Lemoine. Site : www.quartierdete.com

 

 

 

 

 

 

 

 

Un soir, j’ai assis la Beauté sur mes genoux

© Eric Facon

© Eric Facon

1985-2015 – Trente ans d’aventures photographiques du bar Floréal, 43 rue des Couronnes, Paris 20e. Avec les photographes : Jean-Christophe Bardot, Bernard Baudin, Sophie Carlier, Éric Facon, Alex Jordan, André Lejarre, Mara Mazzanti, Olivier Pasquiers, Caroline Pottier, Nicolas Quinette, Laetitia Tura – Commissaire d’exposition Françoise Huguier.

C’est l’histoire d’un collectif artistique qui fonde et fait vivre un vieux bistrot du Belleville populaire et le transforme en un lieu culturel engagé. Le projet s’organise autour de la création – exigeante et de qualité, qui se développe dans la transversalité – de la production d’information et de l’interaction sociale. Onze artistes – cités ci-dessus – l’ont porté. Avec d’autres, ils exposent ici leurs derniers travaux réalisés pour le bar Floréal. Ecrivains, graphistes et sociologues se sont régulièrement associés aux projets conçus et réalisés en partenariat.

Le collectif réalise des reportages, des expositions et des affiches, publie, organise des ateliers et des animations, des discussions. La photographie y est une prise de parole qui témoigne et débat, dans une démarche de participation et de restitution. Créée en 1986, la Galerie, est au cœur même du propos, elle est un lieu de confrontation. De nombreuses expositions y sont réalisées, sur des thèmes sensibles et d’ouverture : les villes, le monde ouvrier, la crise de la métallurgie, l’Afrique, les vacances avec le secours populaire français, une unité de soins en milieu psychiatrique etc. Ce sont des histoires de vie, des regards sur le monde, sur l’actualité, sur le quartier, sur le social. Ce sont des rues et des usines, des banlieues, des prises de position. Et l’expérience éditoriale, à partir de 1987, y est « un prolongement, voire une finalité du projet, un imaginaire partagé d’est en ouest et du nord au sud… » L’espace-Atelier y propose aussi, à partir de 2007, les cafés-débats – sept à huit sessions par an – invitant de nombreux artistes.

Les étapes significatives de la vie du bar Floréal sont multiples. A en retenir quelques-unes : la première serait l’inventaire photographique d’une cité ouvrière de la ville de Montluçon avant sa transformation, la Cité Dunlop, création fondatrice et collective du lieu, en 1986 ; la même année, l’inauguration de la Galerie avec la toute première exposition en France du plasticien Thomas Hirschhorn, – qui a depuis, obtenu le prix Marcel Duchamp et exposé dans les plus grands musées – ; en 1990, la présentation originale des œuvres de Willy Ronis, exposition intitulée La Traversée de Belleville, première participation officielle du bar Floréal au Mois de la Photo à Paris ; en 1997, une création de Bernard Baudin, La Voix des gens, fruit d’une longue complicité avec le compositeur Nicolas Frize et ses Musiques de la Boulangère ; un an plus tard, le reportage d’André Lejarre et Olivier Pasquiers accompagne l’opération de démolition de la barre Renoir à La Courneuve, les habitants sont photographiés chez eux, dans leur vie quotidienne ; en 2005, le bar Floréal fête ses 20 ans à la Maison Européenne de la Photographie avec une exposition du travail personnel de chaque artiste sous le titre Interrogations sur le monde ; en 2011, c’est l’exposition Africaine, d’André Lejarre, sur un texte de Boubacar Boris Diop, travail au long cours sur le village sénégalais de N’Dioum ; en 2013, Berlin, exposition d’Alex Jordan à l’École des Beaux-Arts de Berlin Weissensee et à la Galerie du bar Floréal ; en 2013, un travail avec les jeunes du quartier exposé sous le titre Les joyaux de la Couronne, faisant allusion à la rue des Couronnes, l’adresse du bar Floréal ; en 2014, Save Our Souls, le travail de Caroline Pottier sur les marins pêcheurs est la dernière exposition du lieu, ainsi que Je suis pas mort, je suis là, sur l’invisibilité et la mémoire des parcours migratoires, une création de Laetitia Tura et Hélène Crouzillat.

Le parcours présenté au Pavillon Carré de Baudouin est la trace de l’immense travail accompli par les artistes qui ont porté le bar Floréal. L’exposition s’ouvre sur un long mur d’images en noir et blanc de petit format, accolées les unes aux autres comme pour se tenir chaud, des centaines de photos qui donnent vie au lieu et laissent traces. On croise ensuite, dans la diversité des univers artistiques, les préoccupations de chaque photographe au cours des dernières années, témoignages des derniers travaux réalisés dans le cadre du bar Floréal. Ni chronologie ni thématiques, on se balade dans ces trente années au gré de l’inspiration des photographes, par petites touches. Affiches et coupures de presse, publications, journaux ; la Lettre du bar Floréal, mensuelle, est publiée en septembre 1987, deux ans après la création du concept. La Lettre n°2, en octobre, évoque entre autre Haïti et la fin de Duvalier : «  Au moment où son Histoire balance, la nation afro-américaine à Haïti se donne à voir à l’espace Galerie du Bar Floréal… » Olivier Pasquiers fait le portrait de Ali fils de Jilali, fils de Mohamed, le vieil homme cache son chagrin le visage dans les mains. Mehdi, fils de Lafdali s’est engagé en 1938 dans le 7e régiment des tirailleurs marocains, à l’âge de dix-neuf ans. On retrouve ce même photographe dans une série intitulée Tout autour de soi(es) portraits de femmes portant le voile et brodant des textiles. On les voit « coudre, tricoter et papoter, créant de la beauté, pour les autres. » Ils ne guérissent pas de la beauté… Nicolas Frémiot parle de résistance à travers le plateau de Millevaches « Dans les herbes, les arbres et la boue de Millevaches, est-ce l’ADN de l’insurrection qui vient, qui sourd ? » écrit Claude Rambaud.

L’exposition se poursuit dans une seconde pièce de cette belle maison de maître tapissée d’affiches, où se trouvent les publications. Textes et magazines sont installés dans la montée d’escalier, puis au premier étage. A gauche, une salle de projection montre le bar Floréal en mouvement et action, à droite la suite de l’exposition avec l’œuvre des photographes : Laetitia Tura présente une série sur Les mémoires de l’exil espagnol « Ils me laissent l’exil… » Caroline Pottier parle de la jeunesse « l’âge merveilleux de tous les possibles… » sous le titre Les équilibristes et rapporte des photos de jeunes gens prises dans leurs espaces, intime ou collectif ; Eric Facon rend hommage à Denis Roche avec Vagabondes et avec Chroniques d’hiver en juillet et autres saisons inversées propose une plongée intime dans ses carnets photographiques, montrant des visages et des paysages au féminin, des ombres et des traces derrière la fenêtre.

Jean-Christophe Bardot témoigne de la démolition de la Cité 8/10/12 Montmousseau à Saint-Denis. On y voit les strates de vie superposées à travers les papiers peints déchirés, les peintures écaillées, les portes sur le vide, l’effacement du passé. Nicolas Quinette montre la solitude et la détresse, matérielle et morale, la dégradation jusqu’à la folie. « Et surtout, n’essaye pas de me guérir » dit un marginal. Un accouchement dans la misère. Ezra, le bébé entouré de bandelettes, morte, « ses rêves et ses voyages… » Alex Jordan « Quant à la beauté elle me prend parfois à la gorge. » Les yeux sont comme des capteurs, comme le nez ou les oreilles, les mains, la peau. Roches, sables, anfractuosités, ondulations… Bernard Baudin entre à la SNCF en 1976 et témoigne du travail des ateliers. Garages, trains, fils, concentration, réparation. La chambre jaune de Sophie Cartier rapporte l’intimité de Pénélope, et des photos du quotidien montrent une famille africaine dans sa cuisine, des français dans le canapé du salon-salle à manger devant la télé, l’atelier du non-faire avec les photographies d’André Lejarre, et le travail de trois artistes – grandes toiles bleues à l’état brut réalisées avec un infirmier psychiatrique de l’Hôpital Maison Blanche.

Puisé chez Rimbaud, le titre de l’exposition reprend une des premières phrases d’Une Saison en enfer : « Jadis, si je me souviens bien, ma vie était un festin où s’ouvraient tous les cœurs, où tous les vins coulaient. Un soir, j’ai assis la Beauté sur mes genoux. – Et je l’ai trouvée amère. – Et je l’ai injuriée. Je me suis armé contre la justice…. » Les 30 ans du bar Floréal – exposition réalisée sous le regard de la commissaire Françoise Huguier – sonnent comme un Manifeste pour la Beauté et comme un chant pluriel. Les photos explorent ici le quotidien et l’intime autant que la vie collective, et témoignent des synergies et des fragilités. Le bar Floréal fut un moment de l’histoire artistique, une belle utopie. Il reste les archives, déposées à la Bibliothèque nationale de France et à la Médiathèque de l’architecture et du patrimoine.

Brigitte Rémer, 25 juillet 2016

Jusqu’au 27 août 2016, ouverture du mardi au samedi de 11 h à 18h – Métro Pavillon Carré de Baudouin, 121 rue de Ménilmontant. 75020 – Métro : Gambetta – Entrée libre. Tél. : 01 58 53 55 40 – Site : www.carredebaudouin.fr

Lettre de France

© D.R.

© D.R.

Hommage à Willems Edouard, expert dans le domaine de la propriété intellectuelle, en Haïti.

« Ils ont assassiné Willems c’est tout ce que je peux dire avec certitude » écrit un de ses collègue et ami, depuis Port-au-Prince. Vendredi matin, 8 juillet 2016, « alors qu’il s’apprêtait à entrer dans son bureau, Willems a reçu deux balles, dont l’une dans la tête. Les assassins ne l’ont pas raté. »

Né le 23 avril 1965 à Pétion-Ville (Haïti) Willems vient à Paris pendant une année, en 1997/98 dans le cadre de la Formation Internationale Culture, programme du ministère français de la Culture et obtient un DESS en management culturel de l’Université Paris3 Sorbonne Nouvelle. Il fait un stage à la Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques et écrit un mémoire sur le sujet : La gestion collective au regard de développement technologique. Le cas de la SACD.

Avec ses collègues venant d’Angola et du Brésil, du Cameroun, de Chine et de Chypre, de Corée du Sud, de Hongrie et de Jordanie, du Mali, de Roumanie, de Russie et du Sénégal, d’Ukraine et du Venezuela, il échange sur La formation des conseillers culturels des communes, tremplin pour impulser l’action culturelle en Haïti. Avec sa promotion, il fait un voyage d’étude dans la Région Centre de la France pour y observer la vie culturelle à différents niveaux : local, départemental, régional et national. Il y rencontre les décideurs, les responsables d’institutions, les artistes et porteurs de projets et réfléchit à la problématique des friches industrielles réinterprétées en lieux culturels, guidé par un conservateur en chef des monuments historiques, passionné et passionnant -. Il part avec la promotion à Montréal, Québec et Ottawa visiter les lieux culturels, rencontrer les créateurs et les projets, comprendre les modalités de financement de l’art et de la culture dans différents domaines – le livre et l’édition, le cinéma et les nouveaux médias, les musées, etc. – Il est, avec tous, à Avignon, pour le Festival, moments de plaisir partagés. Gentillesse et discrétion, un projet bien ancré dans sa réalité, en Haïti, Willems trace sa route.

De retour à Port-au-Prince, il poursuit des études juridiques à la Faculté de Droit et des Sciences Economiques, et obtient son doctorat en Droit, en 2006. Devenu spécialiste de la propriété intellectuelle par son travail, Willems dirige le Bureau Haïtien du Droit d’Auteur de 2000 à 2004, puis les Presses Nationales d’Haïti qu’il restructure et modernise, de 2004 à 2011. Pendant ces sept années il contribue fortement au développement de la poésie et de la littérature en créole et en français, s’intéresse à la traduction et à la diffusion dans le pays et à l’étranger dont en France. Il lance plusieurs collections et crée un site internet, numérise certaines archives nationales dont les Journaux Officiels à partir de 1804. Il sait éveiller la créativité en écritures, organise des concours et crée des clubs de lecture notamment dans les écoles qui n’ont pas de bibliothèque. Le journal Le Nouvelliste lui décerne le Prix du Gardien du Livre, en 2012.

Devenu conseiller auprès du Conseil National des Télécommunications – Conatel – Willems Edouard ouvre en 2015 son cabinet, en tant qu’avocat et consultant. Comme professeur au Département Juridique de la Faculté de Droit et des Sciences économiques, il publie régulièrement des articles dans les magazines spécialisés et les journaux, notamment dans le quotidien Le National. Il est aussi auteur, deux de ses recueils de poésies ont été publiés : Rêve obèse, à Port-au-Prince en 1996 et Plaies intérimaires, à Montréal en 2004.

De Paris à Port-au-Prince le monde culturel pleure le départ de Willems, la violence de ce départ, l’absurdité et l’injustice, son absence. Organisations et professionnels de l’art et de la culture – entre autre la Fondation Culture Création d’Haïti qu’il côtoie – se mobilisent. « C’est avec la rage au cœur que je t’annonce la mort brutale de Willems Edouard, un ancien de la Formation Internationale Culture*  tué par balle le 8 juillet 2016 à Pétion-Ville… » écrit la Fondation. Il y avait déjà eu pour nous, en 2001, l’assassinat sauvage de Giovanni Barandica López, colombien de Cali, personnalité calme et discrète, comme Willems, tous deux investis dans leur engagement culturel.

Si l’on pose que la culture est un risque, et plus, un danger « il faut montrer au monde que l’esprit n’a jamais été soumis », dit l’auteur haïtien Dany Laferrière. Dans un climat politique tendu en Haïti sur fond de campagne électorale où la montée de l’insécurité et de l’arbitraire semble se confirmer, on a rayé d’un trait de plume ce généreux et brillant avocat qui a consacré sa vie professionnelle à la défense des artistes et à la justice de son pays. Et reprenant le titre d’un ouvrage de René Depestre, Non-assistance à poètes en danger, rendons hommage au travail de Willems.

Brigitte Rémer, 18 juillet 2016

* L’auteur de l’article a été directrice de la Formation Internationale Culture, de 1991 à 2003.

L’Histoire intime d’Elephant Man

© Nicolas Joubard

© Nicolas Joubard

Théâtre en solo écrit, conçu et interprété par Fantazio, à la maison des métallos.

En entrant dans la salle de spectacle transformée en café et encadrée de néons rouges, vous êtes invités à vous présenter au bar où vous est offert un cocktail avec ou sans alcool, avant de prendre place à l’une des tables. L’atmosphère est détendue et conviviale. Vous sirotez tranquillement quand Fantazio s’installe à sa table de travail à la manière d’un conférencier, ses notes sous le bras, bouteille d’eau à la main, micro sur table dans lequel il jette parfois un mot comme on le stabilote, ou comme on l’écrit en gras pour capter le regard.

Fantazio fait ses gammes entre les hauts sommets et les abysses comme une couturière s’attaque aux surpiqûres avec ses marche-avant marche-arrière. Il lance raisonnements et démonstrations le plus sérieusement du monde, non pas ex-catedra mais comme s’il se parlait à lui-même dans une sorte de rumination. Il digresse et se suspend dans les airs, parfois il redescend. C’est une soirée de montagnes russes, de pince sans rire, de polyglotte – entre italien et anglais – de lisse et de granuleux qu’il dessine en arabesques partant de la caverne, celle de l’enfance à mots couverts ou celle d’Ali Baba, voleur d’instants. De sa baignoire d’enfant-roi il éclabousse et se donne tous les pouvoirs, coincé dans sa bouée canard ; ou comme un sous-préfet aux champs qui inaugure la salle des fêtes, content de lui il recense ses bonnes actions et liste sa programmation ; ou encore du plus profond de ses illuminations, plonge au cœur de ses labyrinthes.

Dans les plis du réel Fantazio trace son histoire avec fantaisie, pointillés et déliés. Sans boussole, il saucissonne le temps au double décimètre, quadrille les conjugaisons et défait les chronologies de l’histoire. Il montre du doigt le formatage des villes, en invente de nouvelles qu’il transforme en appartements, à coups de baguette magique. Ainsi Montparnasse devient un long corridor qui relie le nord avec le sud. Fantazio musarde, s’éparpille avec détermination et s’émiette avec conviction, ébréchant les certitudes comme les tasses et vérines qu’il décrit et qui font fonction de cadran solaire.

L’absurde est au rendez-vous comme le monde à l’heure de l’amour numérique et du regard des autres, déjanté. Il donne un cours sur l’art de la conversation ou plutôt l’art de s’immiscer dans la conversation, surtout si l’on n’a rien à dire. Il compose une symphonie pour grincements de table et vocal, car de sa table il se lève pour mieux expliciter et démontrer, tourne autour, approche le public, se plante au sol puis se relève faisant le constat einsteinien on the beach que la tête est l’organe le plus éloigné du sol. Tout corps plongé dans un liquide…. souvenirs et réminiscences.

Auteur-compositeur-interprète-performeur et comédien, Fantazio a posé la contrebasse qui d’ordinaire l’accompagne et après l’extra-ordinaire des notes tombe dans l’onirisme du langage. Du à au sur il glisse sur les mots et parfois s’étale, surtout s’il met dans ses rouages de l’huile d’olive ou de l’eau de mer et se déploie à la manière d’une anémone sous-marine. Comme Pérec, un p’tit vélo à guidon chromé lui trotte dans la tête ou comme les oulipistes, il se joue des mots et tournicote le langage, lance son zéro dans l’infini et menace de confisquer les consonnes. Il est l’inventeur d’un banquet de quinze jours qui faute de moyens s’espace au fil du temps et, tel un vaisseau-fantôme, finit par se tenir tous les cent cinquante ou trois mille cinq-cents ans. Dos au public, face au micro sur pied posé dans un coin du plateau, par deux fois, il apparaît dans la peau d’Elephant Man, dans ses ténèbres et dans sa différence.

Fantasio amuse, trouble, s’ancre et se balance, découpe et froisse, entre le lourd wagon du passé, l’angle aigu du présent et un futur qui n’a pas de figure. Il sort par la salle au son des flonflons et rejoint le genre humain, pour le meilleur et pour le pire. Souhaitons-lui le meilleur, avec ces représentations.

Brigitte Rémer, 14 juillet 2016

Collaboration artistique Pierre Meunier – mise en lumière Hervé Frichet – rapport sonore Emile Martin – production : théâtre L’Aire Libre, festival Mythos/CPPC, Rennes, la Triperie, Montreuil.

Du 12 au 16 juillet 2016, à 19h – la maison des métallos – 94 rue Jean-Pierre Timbaud. 75011– Métro : Goncourt. Tél. : 01 47 00 25 20 – Site : maisondesmetallos.org

1936, nouvelles images, nouveaux regards sur le Front Populaire

© coll. musée de l'histoire vivante

© coll. musée de l’histoire vivante

Le Musée de l’Histoire vivante de Montreuil s’est donné pour mission, depuis 1939 date de sa création, de travailler sur l’identité de la ville et de la banlieue et de témoigner de la vie ouvrière. Situé au cœur du Parc Montreau, il contribue à la préservation de la mémoire sociale et collective.

1936 est à l’honneur cette année dans de nombreux lieux culturels pour commémorer quatre-vingts ans du Front Populaire, moment politique fort par la coalition des partis de gauche – le parti socialiste avec Léon Blum, le parti radical socialiste d’Edouard Daladier et le parti communiste de Maurice Thorez. Pendant trois ans aux commandes de la France, le Front Populaire essaie de répondre à l’inquiétude des Français dont les principaux slogans sont : Pain, Paix, Liberté et Le fascisme ne passera pas. Les lois travail obtiennent en 1936 l’abaissement du temps de travail à 40 heures, les congés payés, l’augmentation des salaires, l’élaboration des conventions collectives et la reconnaissance des libertés syndicales.

C’est cette matière vive d’un pays en marche, quelques années après la crise financière de 1929, que montre l’exposition à partir de photographies, affiches, magazines, ouvrages, programmes, insignes, drapeaux, tracts et textes, des petits formats aux grandes fresques. Des ouvriers en grève poings levés, casquettes sur la tête ; des usines occupées, des manifestations ; des bals populaires ; les premières vacances entre culture, sport et loisirs ; les résistants de la guerre d’Espagne et la chute de Madrid ; le colonialisme.

Ces récits en images ont été couverts par les plus grand(e)s photographes – Robert Capa, David Seymour dit Chim, Henri Cartier-Bresson, Nora Dumas, Gisèle Freund, André Kertész, Willy Ronis, Gerda Taro -. Les témoignages de photographes moins connus comme Marcel Cerf, France Demay et Pierre Jamet se mêlent aux premiers. Les revues Vu et Regards des années 1934 à 1939 portent la trace de ces moments forts où l’Etat joue un rôle régulateur, où le peuple de France s’exprime, les intellectuels se positionnent et où les politiques français et internationaux cherchent la paix.

En ouverture, s’exposent les photographies des moments phares et les images-icônes des grèves et du Front Populaire. Dans la première salle, les images et commentaires sont choisis par les héritiers des signataires de l’appel au rassemblement populaire du 14 juillet 1935, entre grèves et réformes. Une colonne Morris est couverte d’affiches. Différentes sections sont ensuite déclinées dans un parcours d’exposition intense et varié. La guerre d’Espagne est très documentée : du soulèvement de juillet 36 jusqu’à la défaite du gouvernement républicain et la chute de Madrid en mars 39, passant par le bombardement de Guernica, en 37 : couvertures de magazines, journaux de brigades, photographies des collectes de lait, des campagnes de soutien à l’Espagne faites à Montreuil et ailleurs, l’illustrent.

Plus loin, le chapitre des congés payés dont les mots clés sont  sports, loisirs et culture. La laïcité, l’éducation et la culture pour tous sont les marqueurs de la gauche, avec les figures phares que sont Jean Zay ministre de l’Education Nationale et Léo Lagrange ministre des Sports et des Loisirs. Auberges de la jeunesse, campings et plages, tandems et pique-niques en campagne, bibliothèques, piscines etc… forment une riche section dans l’exposition, avec d’immenses photographies collées aux murs, des affiches et programmes de théâtre, des ouvrages dans les vitrines. Le bonheur est collectif.

Les commissaires de l’exposition – Eric Lafon, Frédéric Cépède et Jean Vigreux – n’ont pas opté pour un déroulé chronologique, ils mettent le projecteur sur certains thèmes, sans hiérarchie et présentent ce qu’ils appellent des angles morts de l’Histoire : la question coloniale – Algérie, Afrique subsaharienne, Madagascar, Asie du Sud-Est – ; le stalinisme et les procès de Moscou des représentants de la vieille garde bolchévique du temps de Lénine, qui annoncent les purges staliniennes et la répression ; la question des droits des femmes, et si Cécile Brunschvicg, Irène Joliot-Curie et Suzanne Lacore furent nommées secrétaires d’État, il est bon de se rappeler qu’en tant que femmes elles n’avaient pas le droit de vote et n’étaient pas éligibles. De réflexion en digressions, le visiteur construit son chemin à travers l’exposition et reconstitue la mémoire visuelle du Front Populaire, en butinant dans les différentes sections.

1936, nouvelles images, nouveaux regards sur le Front Populaire. Que reste-t-il  de ce moment ? Des acquisitions sociales vitales pour une société plus juste et solidaire, une respiration entre deux chaos, des utopies, un foisonnement culturel, de la fraternité. L’exposition est féconde et interroge la part du mythe.

Brigitte Rémer, 2 juillet 2016

Du 9 avril au 31 décembre 2016 – Musée de l’Histoire vivante, Parc Montreau, 31 bd Théophile Sueur. 93100 Montreuil – Tél. : 01 48 54 32 44 – mercredi, jeudi et vendredi de 14h à 17h, samedi et dimanche de 14h à 17h30, entrée : 2 euros – www.montreuil.fr

A voir aussi : 1936, le front populaire en photographie, du 19 mai au 23 juillet 2016, Hôtel de Ville de la Mairie de Paris. Salle Saint-Jean. 5 rue Lobau. 75004. Métro : Châtelet ou Hôtel de Ville – Ouvert de 10h à 18h30 sauf dimanche et jours fériés, entrée gratuite.

36/36 – Les artistes fêtent les 80 ans des congés payés

© Peter Klasen - Liberté 36

© Peter Klasen – Liberté 36

2016 commémore les 80 ans de la loi du 20 juin 1936 sur les congés payés, édictée par le Front Populaire. Pour fêter cet anniversaire, 36 peintres, dessinateurs et photographes créent une œuvre originale célébrant l’imaginaire des loisirs et des vacances, à L’Assemblée Nationale-Paris.

Dans un contexte de conflit social et de grèves sur la question du droit du travail et la revendication pour l’obtention de congés payés, Léon Blum annonçait dès le lendemain de son élection un projet de loi dont l’objectif était d’abord de mettre un terme à l’occupation des usines. Les congés payés y figuraient. La Chambre des députés adopta ce projet de loi le 11 juin 1936 – par 563 voix pour, une contre -. La loi fut promulguée le 20 juin, ses décrets d’application pris dès le 1er août. Un sous-secrétariat d’Etat à l’organisation des sports et des loisirs fut immédiatement créé et confié à Léo Lagrange, tandis que Jean Zay fut nommé à la tête de l’Education Nationale : des personnalités marquantes. Cette loi permit de développer la créativité populaire et l’émergence de nouveaux espaces de loisirs en termes de sport, de tourisme et de culture, et fut la première esquisse d’une politique sociale et culturelle. Camping, auberges de jeunesse, guinguettes, bicyclettes, colonies de vacances, billets populaires de congés payés changèrent le cours de la vie et la philosophie du travail. Les mots liberté et laïcité furent inscrits sur les frontons.

80 ans plus tard, les œuvres de 36 artistes d’aujourd’hui renvoient en écho leurs commentaires sur ce moment emblématique. Elles sont regroupées en une exposition itinérante, conçue et imaginée par la Compagnie Internationale André Trigano et la revue Art Absolument. Les artistes : Jacques Bosser, François Bouillon, Nabil Boutros, Marie Bovo, Mark Brusse, Pierre Buraglio, Damien Cabanes, François Cante-Pacos, Coskun, Jean Gaudaire-Thor, Anne Geritzen, Gérard Guyomard, Serge Hélénon, Pierre-Yves Hervy-Vaillant, Jerk 45, François Jeune, Claire-Jeanne Jézéquel, Peter Klasen, Rachid Koraïchi, Jean Le Gac, Frédérique Lucien, Najia Mehadji, Jean-Michel Meurice, Franck Moëglen, Philippe-François Nault, Yazid Oulab, Biagio Pancino, Stéphane Pencréac’h, Ernest Pignon-Ernest, Emmanuelle Renard, Assaf Shoshan, Vladimir Skoda, Barthélémy Toguo, Claude Viallat, Jan Voss, Kimiko Yoshida – y participent. Effeuillons quelques oeuvres, au passage :

Ernest Pignon-Ernest présente la photographie d’un pastel bleu sur toile, intitulée Petit hommage au plus grand, le plus grand étant Picasso, et il s’explique : « Dès qu’il s’agit d’images de bonheur, le soleil, la mer, les femmes, je pense Picasso. » A la question posée par Art Absolument, il répond : « L’année 36 et les congés payés évoquent l’extraordinaire force émancipatrice et créatrice du peuple uni. » Rachid Koraïchi réalise une peinture acrylique sur bâche faite de milliers de pleins et de déliés, Du bleu au coin de tes yeux. « Pour la majorité des salariés, les congés payés sont le carré de lumière qu’ils attendent au bout de tant et tant d’efforts » dit-il. Claire-Jeanne Jézéquel mêle les techniques avec encre, peinture glycérophtalique et scotch aluminium, pour un ciel embrasé et de nuages rouges intitulé Vers quel horizon. Sa définition de 36 : « Liberté. Egalité. Fraternité. Pas un souvenir. Pas une utopie, mais un impératif : faire front – populaire. » Jean Gaudaire-Thor offre un Cerf-volant aux couleurs lumineuses, assemblage de toiles peintes. Pour lui 36 « C’est peut-être l’Eternité dont parle Rimbaud dans la dernière strophe de son poème de mai 1872 : Elle est retrouvée. Quoi ? – L’Eternité. C’est la mer allée avec le Soleil. » Nabil Boutros élabore une composition photographique intitulée Corps à corps où se côtoient clichés d’hier et images d’aujourd’hui, et définit 36 comme « une explosion joyeuse et populaire, un étrange moment de bonheur collectif, une parenthèse effervescente, une bouffée d’air. » Stéphane Pencréac’h propose 2050, une bâche réalisée avec huile et bombe aérosol où deux mondes se télescopent et traduit 36 par ces mots : « Les congés payés, c’est le front populaire, dernier éclair d’humanisme et de génie politique avant l’horreur. » Chaque artiste a sa démarche, son regard sur cette période du Front Populaire et les premiers congés payés qu’il met en vis à vis avec ses inquiétudes d’aujourd’hui.

L’exposition prend la route du 17 juin au 10 septembre 2016 et s’arrête dans sept lieux de villégiature, en France. Son point de départ et première escale fut le Palais Bourbon sous l’égide du Président de l’Assemblée Nationale, Claude Bartolone, venu, le jour de l’ouverture, dialoguer avec les artistes, sur leur perception et interprétation de l’événement. L’escale suivante est La Rochelle. La dernière sera la Fête de l’Humanité le 10 septembre, séance au cours de laquelle les œuvres seront vendues aux enchères, au bénéfice de deux associations caritatives dédiées aux vacances des enfants de milieu déshérité.

Un fructueux partenariat a permis la réalisation de l’exposition, et son itinérance. Trigano a offert aux artistes les supports – des toiles de tentes recyclées, hautement symboliques, toutes de même format (160 x 200) -. Pascal Amel, directeur de la rédaction de la revue Art Absolument, a assuré le commissariat, et propose un parcours emblématique à partir de la question posée 36 fois : Qu’évoquent pour vous l’année 36 et les congés payés ? Les 36 artistes ont répondu par leurs œuvres, donné leur représentation et traduction de ce nouvel imaginaire collectif des loisirs et des vacances. Les réponses sont très diversifiées, les images, les matériaux et les techniques aussi, c’est la richesse de l’exposition.

L’idée même de cette exposition qui mêle le contemporain à l’Histoire est judicieuse et salutaire, l’actualité frondeuse d’aujourd’hui n’évoque-t-elle pas le climat social qui présidait au Front Populaire ? Au-delà de l’illustration, ou de la nostalgie de ces petits bonheurs d’un moment, elle est une réinterprétation, par 36 artistes, de l’énergie vitale qui, un temps, a irrigué le pays.

Brigitte Rémer, 24 juin 2016

Du 17 juin au 10 septembre 2016 – Paris, Assemblée nationale : 17 au 20 juin – La Rochelle, L’Oratoire : 26 juin au 3 juillet – Sens, Marché couvert : 8 au 18 juillet – Gruissan, Palais des Congrès : 23 au 31 juillet – Thonon-les-Bains, Espace Les Ursules : 13 au 22 août – La Ciotat, Chapelle des Pénitents Bleus : 26 août au 4 septembre – La Courneuve, Fête de l’Humanité, vente Pierre Bergé & Associés : 10 septembre 2016.

Les Editions Art Absolument publient le catalogue de l’exposition, ainsi qu’un dossier, dans la Revue n° 71 de mai/juin 2016 – Site : 36-36.artabsolument.com