Chorégraphie Pedro Pauwels et Jean Gaudin – interprétation Pedro Pauwels – dans le cadre du Festival Faits d’hiver, à Micadanses.
On ne sait d’où il arrive, ni où il court, s’il est poursuivi ou s’il poursuit, s’il a peur ou s’il fait peur. Il saute deux vagues de lumières intermittentes, traverse la diagonale du plateau comme celle du fou, à toute allure, se suspend, disparaît en coulisses avant de ré-apparaitre glissant à petits pas, mains dans les poches, là où on ne l’attend pas.
Pedro Pauwels est M. Slapstick, d’un mot qui se traduit par genre comique, traditionnellement basé sur la chute et le burlesque, et qui pourrait évoquer la Commedia dell’arte. Il en a la ruse et l’ingéniosité, il en a la distance et pose les pieds dans les pas de Buster Keaton, star du cinéma muet des années 20, avec le sérieux d’un pape.
Pedro Pauwels et Jean Gaudin ont chorégraphié la pièce à quatre mains, Pauwels l’interprète. Il ne cherche à aucun moment la copie du grand archétype du burlesque mais crée avec grâce et maîtrise son propre personnage en une écriture singulière au plateau. Comme Keaton, il est l’homme qui ne rit jamais et se plait à nous surprendre. Il se présente souvent de dos, comme s’il regardait avec nous, spectateurs, un film sur un écran qui n’existe pas. On est dans l’illusion la plus pure. Il regarde. Il rêve.
À l’avant-centre de la scène, une chaise d’or nous tourne aussi le dos. Objet tabou ou bien objet sacré, le danseur la tient à distance ne lui lançant pas même un regard. Toute la dramaturgie consiste en l’approche de cet infranchissable objet/obstacle qu’il finira par effleurer, chevaucher puis haranguer avec vigueur, à la fin de la pièce.
Le plateau est magnifiquement épuré, les lumières traduisent une ambiance en noir et blanc avec laquelle Pedro Pauwels joue, parfois dedans parfois dehors, comme il joue avec la musique au cœur de laquelle il est aussi le chef d’orchestre. Il dialogue avec l’espace, debout, ou dansant au sol entre jeux de jambe et glissements, avec accélérations et décélérations. Il cultive le déséquilibre, rampe, comme sur ressorts, devient quelques instants automate, s’évade par quelques pas feutrés latéraux, reprend de face les gestes qu’il a esquissés de dos. Il a des déhanchés à nul autre pareil et se disloque.
Pedro Pauwels a créé sa compagnie en 1991 après avoir été formé au Centre de danse international Rosella Hightower à Cannes et avoir intégré le Jeune Ballet international de Cannes. Il a rencontré de grands noms de la danse comme Dominique Bagouet, Mathilde Monnier, Peter Goss et bien d’autres et il a créé de nombreuses pièces de styles très divers. Sa pièce emblématique, « Cygn etc… » inspiré de La Mort du cygne, chorégraphiée par neuf artistes en 2000, tourne toujours.
Il crée aujourd’hui et interprète un M. Slapstick des plus expressifs, personnage introverti mais téméraire, un peu fou, un peu clown, flottant dans l’absurde, en lutte contre l’ombre d’une chaise, son combat avec l’ange. Il a l’art de la discordance, de la désarticulation et de la désynchronisation, passe de rythme à contre-rythme et de pause à arrêt. Sa belle énergie le mène d’un humour pince-sans rire aux frontières de la tragédie, comme Keaton dans les films où il se dédouble et qui sont aussi du théâtre et de la danse.
Chorégraphie Pedro Pauwels et Jean Gaudin, interprétation Pedro Pauwels – regard artistique Marcos Malavia – création lumière Emmanuelle Staüble – scénographie Jean Gaudin et Pedro Pauwels – création costumes Pedro Pauwels – production Association Pepau.
Vu le 7 février 2024, à Micadanses-Paris, 20 rue Geoffroy Lasnier. 74004 – métro : Pont-Marie. – site : www.faitsdhiver.com
Brigitte Rémer, le 19 février 2024