Article de Marie-José Sirach, dans L’Humanité, le 8 mars 2021.
L’Odéon-Théâtre de l’Europe, à Paris, est occupé par une cinquantaine d’intermittents tandis que, partout en France, la colère monte dans le secteur de la culture mais aussi ceux du tourisme et de l’événementiel.
La ministre de la Culture s’est invitée à l’Odéon. Samedi soir, à 21 h 30, sans prévenir personne, pas même sa conseillère sociale qui est arrivée bien après. Pour Rémi Vander-Heym, responsable du Synptac-CGT (Syndicat des professionnels du théâtre et des activités culturelles) : « Elle est venue mais n’avait rien à nous annoncer. Elle se veut toujours rassurante mais n’avance aucune garantie sur rien, se contentant des mêmes formules creuses qu’elle nous répète en boucle depuis août. Or, elle a entre les mains toutes nos propositions chiffrées depuis des mois. « Ça va venir », nous répète-t-elle. Mais, pendant ce temps, la situation des intermittents ne cesse de se dégrader. » Et puis la ministre s’en est allée.
Elle est venue les mains vides, mais sa visite témoigne de la fébrilité du gouvernement qui craint l’effet de contagion de cette occupation. Depuis jeudi 4 mars 2020, soit un an après la mise à l’arrêt du monde de la culture, à l’exception d’une année blanche jusqu’en août 2021, aucune sortie de crise n’est à l’étude Rue de Valois. Pire, la réforme de l’assurance-chômage qui se met en place à la hussarde ces jours-ci va pénaliser encore plus les chômeurs. La petite éclaircie automnale qui a permis la réouverture des salles de spectacle, de cinéma et des musées, aura été de courte durée, provoquant un immense désarroi chez tous les professionnels puis l’incompréhension et désormais une colère devant des annonces de soutien jamais suivies d’effets.
« C’est comme si la culture était devenue clandestine » « L’enjeu de la reconduction de l’année blanche pour les intermittents est crucial. Aucun dispositif sérieux d’accompagnement n’est annoncé pour les 110 000 salariés qui relèvent de l’intermittence, alors que, désormais, tous ont vu leurs revenus diminuer de moitié », poursuit le responsable de la CGT spectacle. Le syndicat demande « un plan de relance fléché vers l’emploi artistique » et le chiffre à 115 millions d’euros, « qui permettraient de financer dix jours de travail pour 70 000 intermittents ». La situation est tout autant dramatique pour tous les autres salariés qui ne relèvent pas de l’intermittence mais qui travaillent dans le champ de la culture. Le fameux « ruissellement » est à sec. Du moins pour les intermittents et tous les précaires.
Depuis jeudi, l’occupation de l’Odéon est reconduite et des appels à venir soutenir cette action tous les jours à 14 heures sur le parvis du théâtre commencent à faire boule de neige. À Paris mais aussi ailleurs, dans de nombreuses villes de France, une chaîne de manifestations solidaires se forme, maillon après maillon : Tarbes, Pau, Bayonne, Ploërmel, Grenoble, Marseille, Vannes, Lyon, Bordeaux… À l’intérieur de l’Odéon, ils sont désormais une trentaine d’artistes et techniciens du spectacle. Personne, à l’exception de quelques journalistes, ne peut franchir la porte. Aucun relais possible pour ceux qui occupent les lieux depuis le 4 mars.
Malgré la fatigue, la détermination reste intacte. Thomas, musicien, harmoniciste, occupe l’Odéon : « Mon dernier concert déclaré remonte au 14 octobre. C’est comme si la culture était devenue clandestine ». Quand tu n’as plus accès à la scène, au public depuis autant de mois, tu deviens quoi ? Actuellement, je perçois 1 300 euros d’Assedic. Jusqu’au 31 août. Parce que j’étais dans les clous pour renouveler mes droits. Mais, pour tous ceux pour qui la date anniversaire est tombée plus tard, c’est fini, ils n’ont pas leurs heures. Comment pourrais-je me considérer tiré d’affaire quand tant de mes potes vont se retrouver le bec dans l’eau ? Et si les copains sont obligés de bosser chez Amazon ou McDo pour payer leur loyer, ils n’auront plus de temps pour jouer, répéter. Si je ne suis pas dans cette charrette-là, je serai dans la suivante. » Christelle n’est ni artiste ni technicienne. Elle est guide-conférencière et bénéficie, via les réseaux sociaux, du soutien de tous ses collègues. Sur sa petite pancarte qu’elle porte autour du cou, elle a écrit : « SOS urgence. Intermittents, tourisme, événementiel, les grands oubliés ». Elle cumule divers employeurs : musées, agences de voyages, tour-opérateurs. Entre les deux confinements, elle a un peu travaillé pour le musée de l’Espace. « Les participants étaient limités à 9. Pour les visites en extérieur, à 5. Mais, depuis fin octobre, plus rien. Pourquoi fermer les musées alors que les règles sanitaires strictes étaient appliquées ? En quoi est-il moins dangereux d’aller faire ses courses que de visiter un musée. » Pour les guides-conférenciers, pas d’année blanche. Certains ont pu prétendre aux 1 500 euros d’aide gouvernementale mais sous d’importantes conditions. Elle a vu certains de ses collègues « obligés de vendre leur maison ou d’autres, à 40 ans passés, retourner vivre chez leurs parents ». Ou tout bonnement changer de métier. Or, ce métier, « on l’a dans la peau. C’est pas pour l’argent qu’on le fait. Quand on bosse normalement, on gagne 1 500 euros ». Si elle est là depuis jeudi, c’est parce qu’elle est convaincue qu’il faut « l’union de tous les travailleurs précaires, au-delà des seuls intermittents. Faire bloc, ne pas se diviser… On a une chance de gagner, de faire entendre nos revendications si on se met tous ensemble ».
Robin Renucci, pour l’Association des Directeurs de CDN, a exprimé, hier sur les marches de l’Odéon, son soutien au Mouvement.
Marie-José Sirach, L’Humanité, 8 mars 2021
© Magali Cohen / Hans Lucas via AFP