Mahmoud et Nini

© Fred Kihn

Texte et mise en scène Henri jules Julien – jeu Virginie Gabriel et Mahmoud Haddad – spectacle surtitré en arabe et en français, au Tarmac- La Scène Internationale Francophone.

Elle, c’est Virginie, dite Nini, actrice en Lorraine, lui c’est Mahmoud, danseur-acteur né au Caire, qu’elle appellera Mohamed, par inadvertance. Virginie et Mahmoud sont leurs vrais prénoms. Henri jules Julien les fait se rencontrer, et se raconter, sa démarche est singulière. Eux jouent le jeu, progressivement, et s’exposent. Lui enregistre puis organise la dramaturgie avec l’aide de l’historienne tunisienne Sophie Bessis et du dramaturge marocain Youness Anzane. Mahmoud et Nini ne se connaissent pas mais le cercle des questions-réponses qu’ils s’envoient en aller et retour, en recto et verso, en punching et ball, les met au pied du mur.

Sur scène, assis côte à côte à un mètre de distance, ils jouent au jeu de la vérité, les yeux dans les yeux d’un public témoin et complice. L’adresse est directe. Ils se renvoient la balle et comptent les points, Mahmoud en égyptien, Nini en français, chaque langue prêtant à sur-titrage sur un écran posé derrière eux. Avec l’humour en partage ils traitent de la différence. Deux cultures deux horizons, dialoguent. Le spectacle est construit en courtes séquences, brisées par le silence épisodique d’une dizaine de secondes suspendues. Ces sauts temporels conduisent en sautillant, du coq à l’âne. Qui est le coq et qui l’âne ?

Mahmoud et Nini parlent de leurs origines, de leurs perceptions, de leurs sentiments, de leurs modes de vie, de la vie. Lui, Nubien, autodidacte, issu de Boulaq un quartier populaire du Caire, évoque sa mère, peu instruite, dit son homosexualité, énonce tous les défauts dont on pourrait l’accuser : acteur, gay, noir et exilé. Elle, de Bures, en Meurthe-et-Moselle, dans le Grand Est, un lieu d’enfouissement des déchets radioactifs, dit avoir été barmaid… un péché vu d’ailleurs, les cheveux courts, « comme les lesbiennes » lance-t-il.

Ils déclinent une multiplicité de thèmes et Mahmoud renseigne sur la vie en Égypte : les rendez-vous des hommes au café le soir après le travail pour fumer la chicha, les signes de domination, le rôle des femmes dans la société, leur choix d’être voilée ou non « c’est leur liberté » dit-il. Et il cite sa sœur portant le niqab, sa mère, sa meilleure amie. Sur le sujet, Nini s’enflamme et se révolte contre l’oppression des femmes et contre l’excision. Avec humour et ruse Mahmoud parle des Bédouins, voilés, eux aussi. Ils se questionnent sur la mixité, à l’école, à l’université, se tendent des pièges et mettent à jour leurs différences tout en énonçant un long catalogue de stéréotypes entre danse du ventre et couleur de peau. Et debout sur la chaise, lui se met à danser, comme un Pharaon, long et digne.

La causerie est une dentelle pleine de rires, boutades et quiproquos, de pièges et de pirouettes. La curiosité de l’autre pour l’une, ou pour l’un, l’esquive et l’humour, sont autant de fenêtres qui déjouent la cruauté du tableau, léger comme une plume au vent. « Tu es une vraie caricature » lui dit-il amusé, quand elle révèle son intérêt pour les autres, toujours prête à aider. « Une conne » se dit-elle, devant lui tout sourire. Et Mahmoud de se dévoiler : « Je joue l’Arabe en Europe… mais la France me sauve… »

Dans ce jeu de la vérité où distance et convention théâtrale protègent, ce spectacle bel esprit un peu tragédie, souvent comédie, parfois bande dessinée, a la puissance du persiflage ou de la gaîté philosophique, à la Voltaire. Tissé de la vérité de chacun, il donne un crayonné sur les manières de vivre et de penser, dans deux espaces et pays différents où les modes de vie se déclinent selon les zones de liberté délimitées par la société. Henri jules Julien connaît l’Égypte, où il a vécu. Depuis une quinzaine d’années, d’une manière subtile et osée, il promène sa pointe de plomb sur les chemins de la création, de manière improbable et iconoclaste. Ce talentueux concepteur, metteur en mots et en scène, démine les maux, clichés et tabous, mine de rien, et c’est très réussi !

Brigitte Rémer, le 8 avril 2019

Avec Virginie Gabriel et Mahmoud Haddad. Dramaturgie Youness Anzane, Sophie Bessis – traductions Mahmoud Haddad, Mireille Mikhail, Criss Niangouna.

Du 1er au 6 avril 2019, hors les murs, dans divers établissements scolaires et associatifs, à Paris et en banlieue – Du 2 au 5 avril 2019, à 20h – au Tarmac, La Scène Internationale Francophone, 159 avenue Gambetta. 75020 – Tél. : 01 43 64 80 80 – Site : letarmac.fr – Spectacle programmé dans le cadre du Festival d’Avignon, du 14 au 22 juillet 2019, à la Maison Jean Vilar et Parc Chico Mendes.