Deux chorégraphies de Marie Chouinard : Magnificat, musiques Le Magnificat de Jean-Sébastien Bach et Henri Michaux : Mouvements, sur une partition de Louis Dufort – au Théâtre de la Ville / Sarah Bernhardt.
Deux courtes pièces se succèdent pour une soirée revue et corrigée par la chorégraphe québécoise Marie Chouinard. La première, Magnificat, est une création, la seconde, Henri Michaux : Mouvements une reprise. Plutôt radicale, la chorégraphe a toujours pris ses sujets à bras-le-corps, au sens propre comme au figuré, pour mémoire bODY_rEMIX/vARIATIONS_gOLDBERG, créé en 2006 et qui a fait le tour du monde.
Avec Magnificat, Marie Chouinard nous en fait voir de toutes les couleurs, au sens propre, l’écran déroulant ses couleurs primaires de manière décomplexée, douze danseuses et danseurs devenant comme des ombres, des elfes, ou des anges, collants couleur chair, torses nus, auréolés d’une coiffe à la Nefertiti.
L’œuvre de Bach en ré majeur pour chœur, orchestre et cinq solistes vocaux, fut écrite en langue latine de 1728 à 1731 pour la fête de la Visitation de la Vierge Marie. Le récit est relaté dans un épisode des évangiles qui commémore la visite de Marie, enceinte du Chris, à sa cousine Élisabeth, enceinte de Jean-Baptiste. Douze séquences le composent, regroupées en trois épisodes débutant par une aria et s’achevant par un chœur, douze noir entre deux séquences de ces versets bibliques. Dans ce Magnificat, Marie Chouinard ne retient pas le sacré, elle crée comme un temps d’échauffement en prologue, puis mobilise l’énergie du groupe dans un élan de vie, de l’humour, une succession de solos, duos, trios et mouvements d’ensemble où s’expriment la liberté du corps et l’extravagance du geste mais où il manque une certaine profondeur.
On quitte ensuite les univers bleu, vert et orange pour entrer dans la seconde pièce et le jeu des noir et blanc. Henri Michaux : Mouvements dont le texte, tel que défini par l’auteur lui-même, écrivain, poète et peintre, est un « écrit sur des signes représentant des mouvements. » Créée en 2011 en Autriche, la chorégraphie s’appuie sur ses sublimes dessins réalisés à l’encre de Chine qui se succèdent à l’écran et dont les danseurs essaient d’épouser les formes, en faisant danser les traits. « Fête de taches, gamme des bras, mouvements, on saute dans le rien… »
Collant noir, pieds, mains, corps, taches sombres sur écran blanc, un environnement sonore puissant signé Louis Dufort sur lequel les danseurs tournent, s’étirent, ondulent et se tordent comme autant de hiéroglyphes complexes à décrypter. L’univers de Michaux reste un prétexte et comme un jeu, on ne pénètre pas vraiment l’épaisseur des signes, on reste du côté du mimétisme et de la reproduction, soulignés, à certains moments sous des lumières stroboscopiques.
Lecture est donnée, au final, d’une partie du texte par Marcel Sabourin en voix off, mais on reste un peu sur sa faim par cette représentation des idéogrammes. Dans la Postface de Mouvements, publiée en 1951, Michaux écrivait : « Je ne sais trop ce que c’est, ces signes que j’ai faits. D’autres que moi en auraient mieux parlé, à bonne distance. J’en avais couvert douze cents pages… J’essayai à nouveau, mais progressivement les formes en mouvement éliminèrent les formes pensées, les caractères de composition. Pourquoi ? Elles me plaisaient plus à faire. Leur mouvement devenait mon mouvement… Un rythme souvent commandait la page, parfois plusieurs pages à la file et plus il venait de signes (certain jour plus de cinq mille), plus vivants ils étaient… » C’est ce vers quoi tend la chorégraphie sans vraiment le trouver, à la recherche de l’Homme arc-bouté, des Taches pour obnubiler, des Signes pour retrouver le don des langues la sienne au moins, que, sinon soi, qui la parlera ? de l’Abstraction faite, Vitesse ! »
Brigitte Rémer, le 20 décembre 2025
Avec : Michael Baboolal, Adrian W.S. Batt, Justin Calvadores, Rose Gagnol, Valeria Galluccio, Béatrice Larouche, Luigi Luna, Scott McCabe, Carol Prieur, Sophie Qin, Clémentine Schindler, Ana Van Tendeloo, Jérôme Zerges – production Compagnie Marie Chouinard. Magnificat – chorégraphie, lumières, scénographie, costumes, accessoires et maquillage Marie Chouinard – Musique Le Magnificat, Jean-Sébastien Bach. Création le 25 mai 2025 à Madrid en Danza Festival (Espagne) – Henri Michaux : Mouvements – texte et dessins projetés, Henri Michaux, tiré de l’ouvrage Mouvements, d’Henri Michaux, publié en 1951, avec la permission de ses ayants-droits et des éditions Gallimard – direction artistique, lumières et scénographie, costumes, coiffure : Marie Chouinard – musique, Louis Dufort – environnement sonore, Edward Freedman – voix : Marcel Sabourin – production Compagnie Marie Chouinard, avec l’appui de ImPulsTanz.
Du 10 au 13 décembre 2025, à 20h, au Théâtre de la Ville – Sarah Bernhardt, place du Châtelet, 75004 Paris – réservation : 01 42 74 22 77 – site : www.theatredelaville-paris.com – En tournée : Henri Michaux : Mouvements, les 10 et 14 février, Le Carreau, Scène nationale de Forbach et de l’Est mosellan – Magnificat, le 10 février 2026, Le Carreau, Scène nationale de Forbach et de l’Est mosellan – le 14 février 2026, Teatro Comunale Citta di Vicenza, les 1er et 2 mai 2026, Moody Performance Hall, AT&T Performing Arts Center, Dallas (États-Unis).



