Les cantiques du corbeau

Scénographie, conception et mise en scène, Bartabas – assistante à la mise en scène, Emmanuelle Santini – Musiciens du groupe Pantcha Indra et musicien invité, Sunarso – nouvelle création du Théâtre équestre Zingaro, au Fort d’Aubervilliers.

© Sacha Goldberger

C’est un voyage sensoriel auquel nous convie Bartabas, accompagné des mots qu’il a semés en 2022 pendant la période du confinement, et des musiques rituelles du gamelan qui enlacent son récit. Un à un entrent les musiciens du groupe Pantcha Indra, portant un signe distinctif animal, accompagnés de Sunarso, musicien invité. Ensemble, ils jouent des percussions, gongs, et flûtes enveloppant la représentation de leurs rythmes balinais.

Bartabas renouvelle les formes de ses expressions – visuelle, textuelle et musicale. Il met sur le devant de la scène le texte par l’apparition-disparition de récitants vêtus de noir, surgissant d’on ne sait quel outre-tombe et portant les vingt-deux chants qui composent Les Cantiques du corbeau qu’il a écrits sous forme d’invocation chamanique.

© Sacha Goldberger

Tout est sobre, dense et cérémonial, les images surgissent sans qu’on les attende. Récitants, chevaux, musiciens, ouvrent sur autant de visions mentales, et viennent à la rencontre du spectateur. « Enfant déjà, j’étais attiré par la beauté furtive des créatures sauvages. J’ai vite compris que jamais je ne pourrai rivaliser avec elles… » Tout se reflète dans l’eau qui recouvre le cœur de la piste, se dédouble, se trouble et s’efface. Par ce récit sur les origines de l’humanité où le cheval lance ses éclairs en cavalcadant autour de la piste, ou la traverse à la rencontre d’autres espaces, Bartabas crée, par l’infini des reflets, une écriture de lumière et des visions hypnotiques.

Dans son propos sur la place de l’homme et de l’animal, la conteuse du haut de son immense trône ouvre la porte de mondes secrets et intérieurs : « La nuit, l’animal me regarde et je lis dans ses yeux de nobles histoires, des chants qui m’invitent au voyage… » La Belle et la Bête se rencontrent, éléments et animaux parlent. Un chant solo de toute beauté fuse, le jeu des proportions se construit, on entend l’écho du monde.

Dans ces fragments scéniques qui relèvent d’une méditation poétique, les gestes sont esquissés, la Bête porte la Belle et la musique commente. Mystère, beauté furtive des créatures sauvages, bestiaire, flammes qui crépitent, tout est bleu nuit, tout est magie. « J’ai été banni de ma tribu… ! » dit le récitant. Passe une écuyère portant un squelette, passent les pénitents aux flambeaux sur fond de scie musicale, se place un récitant au centre de la piste, longue tunique noire, les pieds dans l’eau. Ce clair-obscur fait penser à Tarkovski, réalisateur entre autres de Stalker et du Sacrifice.

© Sacha Goldberger

Danse, transe et gestes d’offrande se succèdent, un chant solo féminin d’une grande expressivité, surgit. La femme aux flambeaux passe, le centaure et le bouc sont aux aguets, éclairés par une giclée d’étincelles et d’étoiles, les chevaux, bai clair, blanc ou grisé, apparaissent et disparaissent, en un tour de piste qui construit comme un songe. Une prêtresse aux appliqués d’or, des danseurs portant de lourds masques balinais et une danseuse balinaise la grâce incarnée, se succèdent, ses mains sont papillons, le chant du violon l’accompagne. « Je suis sorti de mon rêve à regret comme on quitte sa jeunesse » ponctue le récitant.

On capture une jeune femme qui tourne ses longs cheveux autour du cou jusqu’à l’étranglement. L’eau gicle, en accélération, et devient rouge sang. La mise à mort est archaïque et comme un rituel… « Le silence des bêtes nous rappelle à l’ordre du monde. » Les oies font une traversée, marquant leur appartenance au bestiaire Bartabas, artiste d’exception, en état permanent de recherche. Son vingt-deuxième chant, Dernier voyage, ferme le spectacle d’une nuit magnétique : « Au crépuscule, irradié de douceur, j’ai su bien mourir en prenant tout mon temps. » Et nous mourons avec lui, avant de renaître devant le feu, si chaleureux, crépitant à l’extérieur.

Brigitte Rémer, le 1er novembre 2025

© Sacha Goldberger

Scénographie, conception et mise en scène, Bartabas – Assistante à la mise en scène, Emmanuelle Santini – Artistes du théâtre Zingaro : Bartabas, Henri Carballido, Jean-Luc Debattice, Lola Eliakim, Alice James, Manolo Marty, Perrine Mechekour, Sarah Mordy, Julie Moulier, Florent Mousset, Paco Portero, Alice Seghier, Nessim Vidal – danse balinaise, Kadek Puspasari – Musiciens de Pantcha Indra : Thomas Garcia, Audran Le Guillou, Philippe Martins, François Marillier, Théo Mérigeau, Christophe Moure, Laetitia Schneider, Hsiao-Yun Tseng – Musicien invité, Sunarso – Feu, Lara Castiglioni – Chevaux : Famine, Guerre, Misère, Maestro, Tsar, Bruant Chouca, Hypolaïs et Ibis – Régie générale, Charlotte Matabon – lumière, Clothilde Hoffmann – son, Laurent Compignie en alternance avec Eliott Allwright – Techniciens plateau : Ouali Lahlouh, Pierre Léonard Guétal en alternance avec Julie-Sarah Ligonnière – Responsable des écuries, Ludovic Sarret – Soins aux chevaux, Ophélie Girardet et Caroline Viala – Création costumes, Chouchane Abello Tcherpachian – Atelier costumes, Montcalm Abicene – Cheffe d’atelier costumes, Anne Véziat – Couturier, Jean Doucet – Auxiliaire couture, Noémie Leblan – Auxiliaire accessoires, Méline Abello – Habilleuses, Isabelle Guillaume et Isia Seghier – Masques des musiciens, Pamela is dead – Masque de bouc, squelette et tigre, Cécile Kretschmar – Le texte, Les cantiques du corbeau a été édité aux éditions Gallimard dans la Collection Blanche en 2022, et en Folio en septembre 2025.

Du 15 octobre 2025 au 31 décembre 2025, Les mercredis, jeudis, vendredis, samedis à 19h30 et les dimanches à 17h30 – Théâtre équestre Zingaro, 176 Avenue Jean Jaurès – 93300 Aubervilliers, métro : Fort d’Aubervilliers – tél. : 01 48 39 54 17 – site : www.zingaro.fr