Chorégraphie de Raphaël Cottin, compagnie La Poétique des signes, à micadanses-Paris, dans le cadre du Festival Faits d’hiver
Le programme se compose de fragments courts et musiques de différents styles, de Vivaldi et Bach à Murray Head et Sylvie Vartan, qui, au bout du compte, dessinent une écriture chorégraphique finement ciselée et forment l’œuvre. L’ensemble s’enchaîne dans une superbe fluidité.
La première pièce, Quel est ce visage ? est signée de Christine Gérard, et fut créée en 2001 pour Raphaël Cottin qui fut son élève. À l’origine, elle se composait de sept soli pour sept masques. Le chorégraphe reprend ce Solo du masque rouge, dont il confie l’interprétation à Arthur Gautier, remarquable, sur la cantate sacrée Nisi Dominus du Stabat Mater d’Antonio Vivaldi. Le masque est en soi un objet troublant et un artifice de théâtre. Il prive du regard du danseur. Est-on devant un homme blessé ? La précision et la maîtrise du geste sont impressionnantes. Le tracé est au cordeau, on est dans l’art du détail et de la miniature. Quand la musique se suspend, l’homme enfin effleure son visage et entre dans la nuit. C’est un bel hommage que rend Raphaël Cottin à Christine Gérard qui a notamment dansé pour Jacqueline Robinson, Françoise et Dominique Dupuy, Susan Buirge, Daniel Dobbels et d’autres, et qui a créé avec sa compagnie, Arcor, plus d’une quarantaine de chorégraphies, de 1975 à 1999. Entre les masques lui avait valu une mention du ministère de la Culture et le prix du public au concours de Bagnolet, en 1979. Avec le goût et le talent de la transmission, Christine Gérard a enseigné plus d’une vingtaine d’années au Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris.
Dans ce second temps de la partition, une danseuse (Amandine Brun) et un danseur (Paul Grassin) rejoignent Arthur Gautier dont on découvre le visage. Dans des mouvements très lents qu’ils développent à l’extrême, ils mettent leurs pas dans la musique folk de Murray Head et interprètent Air, Eau – éléments de nos signes du zodiaque, dans une grande concentration et écoute. Puis les Souvenirs du Conservatoire et souvenirs du masque sur un quatuor à cordes et piano de Yann Ollivo, reçu par Raphaël Cottin comme cadeau d’anniversaire pour ses dix-huit ans, travaille sur le regard, les tours de plateau, les rotations et les pirouettes, et introduit au mouvement suivant, Motion, l’action pour l’action / motion, not emotion, sur Sweet dreams du groupe Eurythmics, et Déprime, de Sylvie Vartan, pièce qui mêle d’une manière dynamique des gestes en décalé d’une grande rigueur, liberté et expressivité, du jeu et un espace ludique, de l’agilité et de la légèreté. C’est aussi une ode à la femme dans un solo habité.
En milieu de programme, comme chaque soir, Raphaël Cottin aime à créer la surprise pour ses danseurs qu’il entraîne dans une improvisation. C’est le moment Événement de la soirée, le public est dans la confidence. À chaque représentation, un événement nouveau alimente cinq minutes d’improvisation. Ce soir-là, pour nous, le chorégraphe distribue une dizaine de lampes torches dans le public qui sera chargé d’éclairer la séquence, le danseur devant s’inscrire dans la proposition du public. Le compteur tourne, les jeux d’ombre s’affichent sur le mur du fond, une rivière violette coule sur le plateau, l’un l’enjambe, l’autre marche dans l’eau, et chacun construit ce moment selon son inventivité. Un soir précédent, les spectateurs étaient chargés d’inventer la musique qui allait permettre aux danseurs d’habiter le plateau à leur manière.
Un Espace complémentaire offre ensuite d’entendre la voix expressive d’Ivo Dimchev selon Gershwin, dans Summertime, sur lequel un duo de danseurs se déploie, avant de retrouver le Nisi Dominus de Vivaldi. La dernière pièce pour quatre danseurs, sur le concerto pour quatre claviers BWV 1065 de Jean-Sébastien Bach, plus étirée, ne ferme pas le spectacle. Très majestueuse, elle est savamment composée en un mouvement d’ensemble précis et élaboré où le geste est offert et poétique pour nous mener, dans sa dernière partie, jusqu’à la salle de répétition où la professeure chorégraphe commente le travail qui évolue, comme le temps. Une mathématique du mouvement se met en marche, portée par le rythme donné 1- 2 -3- 4, 1-2, 1-2-3… entre équilibres, symétrie et asymétrie et avec beaucoup de gaieté. La voix s’amplifie, un grand brouhaha s’installe. Le danseur devient marionnette, ou pantin, reprenant l’allusion au masque du début du spectacle.
La compagnie La Poétique des Signes, basée à Tours, porte bien son nom. Elle est art poétique et travaille avec subtilité le signe, dans la concentration de l’acteur. Danseur, chorégraphe de la compagnie, pédagogue et notateur du mouvement en cinétographie Laban, Raphaël Cottin s’intéresse autant à la création chorégraphique qu’à l’étude du mouvement, ce qui imprime un côté théâtral à son art du geste. Les études labaniennes qu’il mène sont en effet intégrées dans ses créations.
Formé au Conservatoire de Paris dans les années 1990, il y reçoit l’enseignement de grands noms de la danse classique et contemporaine, comme Wilfride Piollet et Jean Guizerix, Peter Goss, Odile Rouquet et André Lafonta, qu’il prolonge par des études labaniennes, avec Noëlle Simonet et Angela Loureiro. Il a dansé pour Stéphanie Aubin, Christine Gérard, Odile Duboc et Daniel Dobbels, avant de rejoindre en 2008 la compagnie de Thomas Lebrun, aujourd’hui directeur du Centre chorégraphique national de Tours, au sein de laquelle il danse.
En 2001, la chorégraphe Christine Gérard – dont Raphaël Cottin fut élève au Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris de 1992 à 1998 – crée Quel est ce visage? une suite de 7 soli pour 7 masques. Parmi eux, Raphaël Cottin interprète le masque rouge à sa création et le masque gris. Il reprend le solo au sein de sa compagnie en 2006 puis en 2012 et le retranscrit en cinétographie Laban, permettant d’en sauvegarder l’écriture et d’en assurer la transmission et le passage d’un danseur à l’autre, tout en le transformant en une nouvelle écriture, une nouvelle œuvre.
Avec L’Éloge des possibles, on voyage d’un solo à un quatuor à travers différents tempos et rythmes portés par trois danseurs et le chorégraphe, qui habitent l’espace et les variations avec une grande finesse et précision dans les vibrations partagées. Une belle soirée !
Brigitte Rémer le 29 janvier 2025
Interprétation : Amandine Brun – Raphaël Cottin – Arthur Gautier – Paul Grassin. Collaboratrice artistique Christine Gérard – lumières Catherine Noden – costumes Catherine Garnier – son Emmanuel Sauldubois – musiques : Vivaldi, Bach, Gershwin, Murray Head, Eurythmics, Sylvie Vartan, Yann Ollivo. Production La Poétique des Signes – coproduction micadanse, Paris.
Les 27 et 28 janvier 2025, à micadanses, 15, rue Geoffroy-l’Asnier – 75004. Paris – métro : Saint-Paul / Pont-Marie – site : www.micadanses.com et www.lapoetiquedessignes.com – tél : 01 71 60 67 93.