Texte de Carlo Goldoni, traduction Françoise Decroisette – mise en scène de Clément Hervieu-Léger, avec la troupe de la Comédie-Française – spectacle présenté dans la Salle Richelieu de la Comédie Française.
Né à Venise, Carlo Goldoni marque le XVIIIème siècle de son empreinte et le théâtre italien par l’écriture de plus de deux cents pièces, au Théâtre Saint-Ange de Venise auquel il est d’abord rattaché après avoir exercé comme juriste, puis au Théâtre Saint-Luc. Il écrit en langues toscane, vénitienne et française et transforme la commedia dell’arte plutôt décadente en comédies de mœurs et croquis de société. Progressiste et inspiré par la philosophie des Lumières, il signe ce moment de bascule au théâtre en témoignant des façons de vivre et fonde ainsi la comédie italienne moderne. Autour de lui, beaucoup de jalousies et un farouche défenseur des masques et de la tradition, Carlo Gozzi, qui s’oppose à lui et à la nouveauté.
Goldoni écrit L’École de danse dans le cadre d’un projet ambitieux – écrire neuf comédies touchant aux neuf muses de la mythologie grecque. La pièce parle du milieu de la danse, elle est représentée en 1759, mais essuie un cuisant échec. Trois ans plus tard c’est avec amertume que l’auteur s’exile à Paris où il y est invité par les Comédiens-Italiens, mais il sera déçu et n’y réalisera pas la carrière escomptée. Il s’éteindra dans l’oubli en 1793. Seule la postérité le reconnaitra comme un dramaturge inventif et grand maître du théâtre.
Clément Hervieu-Léger qui signe la mise en scène représente avec finesse le studio de danse dans le décor qui est celui du Misanthrope, spectacle actuellement joué à la Comédie Française, et fonctionne à merveille : un escalier côté cour, des fenêtres translucides à l’arrière où les silhouettes passent, un escalier dérobé côté jardin, plusieurs portes au rez-de-chaussée donnent le tempo. La troupe de la Comédie-Française s’étire à la barre et devant un miroir comme un véritable corps de ballet en échauffements et répétitions, sous le regard noir et rude, baguette à la main, du maître de danse, monsieur Rigadon – sorte de Méphisto, (excellent Denis Podalydès, dans le rôle). Derrière le piano, à cour, toujours, on aperçoit le crâne du pianiste (Philippe Cavagnat) protagoniste de l’ombre qui accompagne les classes des jeunes danseuses et danseurs – Giuseppina (Pauline Clément), Rosalba (Marie Oppert), Felicita (Claire de la Rüe Du Can), Rosina (Léa Lopez), Filippino (Jean Chevalier), Carlino (Charlie Fabert) – chacun bien typés et déjouant les pièges tendus par le maître qu’ils/qu’elles pourraient chercher à exploiter pour avancer dans la carrière, tout en se moquant de lui.
Une mère, Lucrezia, (Clotilde de Bayser) vient supplier le maître de regarder sa fille, Rosina, brillante, dit-elle et de l’accepter gracieusement dans le studio. Rigodon trame avec des mécènes-admirateurs comme le comte Anselmo (Loïc Corbery), ou l’impresario Don Fabrizio (Eric Genovèse), assisté de son courtier Ridolfo (Stéphane Varupenne). Pingre comme pas quatre il cherche à s’enrichir sur le dos des danseuses qu’il essaie de prêter aux mécènes, y compris sa favorite, Giuseppina, y compris Felicita qu’il prétend promouvoir comme première danseuse, alors qu’elle déteste la danse et rêve de jouer la comédie.
On suit les aléas du studio de danse, les va-et-vient des mensonges, les alliances de circonstance et les espoirs de chacun chacune, y compris ceux de la sœur de Rigodon, madame Sciormand, (Florence Viala) une vieille fille qui ferait croire qu’elle attend le prince charmant et qui s’imposera auprès d’un prince de ses intérêts, le courtier. Les imbroglios vont bon train jusqu’au notaire (Noam Morgensztern) qui vient demander remboursement pour escroquerie à Rigadon, alors que tous sont joyeusement dans la signature de leurs contrats de mariage et autres, avec leurs amoureux ou leurs admirateurs, laissant leur maître préféré, coi.
L’École de danse est une pièce à la fois pathétique – elle fait penser aux jeunes danseuses de Degas, gracieuses et fragiles autour desquelles les protecteurs sont en embuscade – et comique. Les rapports de domination y sont traités avec légèreté et le maître tyrannique y est moqué. Rien de spectaculaire dans la construction de la pièce, à l’origine écrite en vers, ici traduite en prose (par Françoise Decroisette), si ce n’est ce regard sur le parcours de formation en danse avec toutes les embûches qu’il fallait traverser, d’autant selon les classes sociales. La mise en scène de Clément Hervieu-Léger sait trouver l’équilibre entre ces deux pôles et propose un spectacle rythmé, entre manigances et espérances, doutes et talents.
Brigitte Rémer, le 28 novembre 2025
Avec la troupe de la Comédie-Française : Éric Génovèse, Florence Viala, Denis Podalydès, Clotilde de Bayser Loïc Corbery, Stéphane Varupenne, Noam Morgensztern, Claire de La Rüe du Can, Pauline Clément, Jean Chevalier, Marie Oppert, Adrien Simion, Léa Lopez, Charlie Fabert, et Diego Andres, Lila Pelissier, Alessandro Sanna, Philippe Cavagnat – Scénographie Éric Ruf – costumes Julie Scobeltzine – lumière Bertrand Couderc – son Jean-Luc Ristord – collaboration artistique et chorégraphique Muriel Zusperreguy – collaboration artistique Frédérique Plain.
Du 14 novembre 2025 au 3 janvier 2026, en matinée à 14h, en soirée à 20h30 à Salle Richelieu de La Comédie-Française, place Colette 75001 – métro : Palais-Royal – tél. : 01 44 58 15 15 – site : www.comedie-francaise.fr



