Le Théâtre dans l’histoire / Tome 1 

Les théâtres antiques, la scène entre les hommes et les dieux, texte de Roger Assaf – édition Deuxième époque, Domaine Théâtre.

C’est une immense entreprise dans laquelle s’est lancé l’acteur et metteur en scène libanais Roger Assaf, « Le Théâtre dans l’histoire » en plusieurs tomes, un tome étant dédié à chaque grande période du théâtre. Celui-ci est le premier de la série.

Roger Assaf a une longue pratique de l’art théâtral avec la troupe Al Hakawâti/Le Conteur, qu’il crée en 1977, en même temps qu’il partage son expérience théâtrale avec les étudiants de l’Institut des Beaux-Arts de l’Université libanaise, dans une démarche de transmission. Vingt ans plus tard, en 1999, il fonde l’association Shams regroupant de jeunes créateurs libanais dans un projet coopératif d’animation culturelle, très actif à Beyrouth. Shams ouvre sur la création du Théâtre Tournesol, en 2005, qui accomplit un réel travail dans le renouvellement des langages scéniques et des rencontres avec les publics.

L’auteur a construit l’ouvrage en cinq parties, de manière très érudite et offre en guise d’introduction un bien intéressant Prélude à une non-histoire du théâtre où il met en lumière plusieurs paradoxes : le premier repose sur le fait que le théâtre est un art minoritaire si on le compare au cinéma et à la télévision tout en lui reconnaissant « une place éminente et incontournable dans le patrimoine culturel universel » ; le second est relatif à la naissance du théâtre qu’on associe, dans notre culture, à la Grèce du VIème siècle avant J.C passant sous silence l’existence de formes proto-dramatiques dans l’Égypte pharaonique, ainsi que chez les Babyloniens et dans les cités sumériennes et phéniciennes.

Roger Assaf

L’auteur poursuit sa mise en pièces d’une histoire du théâtre, qu’il qualifie d’impossible compte tenu du côté éphémère de la représentation théâtrale d’une part, du caractère religieux dont on caractérise la genèse théâtrale d’autre part. Pour lui, l’acte théâtral, par la manipulation de l’espace, est « un jeu, ce qu’elle propose est un simulacre » et « le théâtre se situe à distance de la religion, de l’histoire et de la réalité vécue. » Il évoque l’enfermement du théâtre dans sa culture classique le langage, sa forme mimétique et sa boîte à l’italienne, et montre l’importance de la découverte des théâtres d’Asie qui ont apporté « les langages du corps dans la représentation de l’imaginaire. » Ce sera l’axe qu’il prendra dans le second tome du Théâtre dans l’histoire. Par ailleurs c’est la remise en question de l’espace scénique par son éclatement qui a permis aux acteurs une plus grande liberté spatiale. Il cite l’apport des grands théoriciens qu’ont été Appia, Craig, Reinhardt et Meyerhold, dans la première partie du XXème siècle, qui ont permis un changement radical de la nature même de la création théâtrale.

Fort de ces réflexions sur l’évolution du théâtre comme préambule, Roger Assaf nous conduit dans une première partie sur Le temps des premières écritures à partir d’un tableau mettant en vis-à-vis les événements historiques et culturels à compter de 3700 avant J.C. et décline « La question du théâtre égyptien » puis « Les textes babyloniens. » Le débat sur l’existence d’un théâtre égyptien conduit à de sérieuses polémique et les fragments de livrets dramatiques retrouvés ne mettent en action que des figures divines. L’Épopée de Gilgamesh côté babylonien est le chef-d’œuvre d’une littérature transmise par la voix des aèdes, la figure du juste souffrant en devient le symbole. Dans les deux cas c’est le déchiffrement des écritures qui a ouvert l’accès à la connaissance de ces cultures, pour l’Égypte par Champollion qui déchiffre les hiéroglyphes, pour la Mésopotamie par Grotefend, un jeune professeur d’allemand qui permet le déchiffrement de l’écriture cunéiforme.

La seconde partie de l’ouvrage ouvre sur Le temps de la tragédie grecque, Roger Assaf y consacre cent trente pages, des prémisses au sein de la cité d’Athènes aux différents genres – lyrique, théâtral et poétique. « Dès la naissance du théâtre en Grèce, c’est la cité qui lui donne sa raison d’être, et la démocratie sa signification et sa finalité » écrit-il. Il parle ensuite de la notion de représentation, du rejet de la mimesis cette imitation de la réalité, et de la structure de la tragédie avec le chœur composé de simples citoyens au départ amateurs, de la profession d’acteur masqué et monté sur cothurne, de l’amphithéâtre grec dont Épidaure reste la plus belle trace. Il nous fait ensuite pénétrer de manière très approfondie dans les univers et pièces des trois grands tragiques grecs, Eschyle, Sophocle et Euripide qui déclinent les notions de justice et de guerre, de destin et de malédiction pour le premier ; de recherche d’harmonie et de rayonnement chez le second, qui mène pourtant dans ses textes au paradoxe du « suicide d’Ajax, de l’emmurement d’Antigone et de l’obstination d’Œdipe » ; d’innovation théâtrale et de textes qu’il classe en tragédies de l’amour, de la guerre, du déclin et de l’exil pour le troisième.

Après la tragédie, Roger Assaf se penche sur La comédie grecque, à travers la comédie attique ancienne qui a pour source les jeux et fêtes populaires. Suit la période de la comédie moyenne au cours de la première moitié du IVème siècle avant J.C. qui simplifie les choses – moins de personnages, scénographie allégée – et de la comédie nouvelle. Il pose la question du théâtre politique à travers Aristophane sur lequel il s’arrête longuement, développant sa faculté d’invention comique qu’il qualifie de rabelaisienne et sa grande liberté d’expression. Il en décline les pièces les unes après les autres – pour exemple L’Assemblée des femmes dans laquelle les femmes prennent le pouvoir et changent radicalement les lois.

Une quatrième partie d’à peine une dizaine de pages nous fait entrer dans La philosophie grecque du théâtre, rappelant Platon et Aristote et analysant les notions de mimesis et de catharsis. La cinquième partie se consacre au Théâtre à Rome, avec les premiers jeux scéniques, la comédie latine, les différentes formes et genres, et les différents auteurs : Plaute, le maître du plagiat et génie créateur ; Térence, né à Carthage et probablement d’origine berbère, affranchi à seize ans et qui s’est imprégné de philosophie et de littérature grecques pour écrire ses comédies ; le philosophe stoïcien et homme d’État Sénèque, né à Cordoue, dont le père, Sénèque l’Ancien était un écrivain renommé. Sénèque emprunte aux tragiques grecs qu’il ré-écrit, Euripide – entre autres Les Troyennes et Médée, Sophocle avec Œdipe, Eschyle avec Agamemnon.

Un index des noms des personnes et une sélection d’œuvres proposées par l’auteur ferment le livre de Roger Assaf qui établit une véritable recension des pièces traversées, au fil des époques. Il crée ainsi un ouvrage de références, utile à tous. Par ailleurs l’auteur a récemment traduit deux de ses pièces écrites à Beyrouth : La Porte de Fatima, en 2006 et Le Jardin de Sanayeh, en 1997 – publiées aux éditions « L’espace d’un instant » la première en 2023, la seconde en 2025. Il se penchera dans le tome 2 de ce « Théâtre dans l’histoire » sur Les théâtres d’Asie, courageusement publiés par les éditions Deuxième époque dirigées par Christophe Bara, avec le soutien de la région Occitanie. À suivre de près !

Brigitte Rémer, le 25 août 2025

Le Théâtre dans l’histoire – Tome 1- Les théâtres antiques, la scène entre les hommes et les dieux – texte de Roger Assaf, publié aux éditions Deuxième époque / Domaine Théâtre. (342 pages, 28 euros) – Photos : 1/ couverture Sarah Neuville, selon charte graphique Maud-Cécile Carette – 2/ Portrait de l’auteur publié dans l’ouvrage.