Faire-part de naissance à l’Institut du Monde Arabe, avec le lancement le 18 avril d’une première Biennale de la Danse voulue par son Président Jack Lang, en partenariat avec plusieurs institutions culturelles prestigieuses : Chaillot-Théâtre national de la Danse, l’Atelier de Paris-Centre de développement chorégraphique/Festival June Events, le CentQuatre, le Centre national de la Danse.
En ouverture sont projetés des extraits de comédies musicales égyptiennes des années 50, comme une invitation à entrer dans la danse. Des stars comme Samia Gamal, Fifi Abdou ou Taheya Carioca y sont à l’honneur, séduisantes et sensuelles sous les broderies et voiles, brocarts, lamés, damas brochés et batistes de lin moirés, dans des palais des mille et une nuits. L’orchestre domine, figure principale, masculine, placé sur un podium. C’est kitch à souhait.
La performance-déambulation du danseur chorégraphe libanais Alexandre Paulikevitch, Tajwal, donne ensuite la liberté de ton. Dans ses voiles rouges incandescents, tantôt vestale et derviche, tantôt éclair et incendie, tantôt momie s’enroulant dans le vocabulaire de l’interdit, il théâtralise avec impertinence le paradoxe de sa vie « entre exaltation et frustration ». Né à Beyrouth, il étudie la danse à Paris – danse folklorique et traditionnelle, ballet classique, danse orientale – et travaille dans la capitale libanaise depuis une douzaine d’années autour de la danse Baladi appelée communément danse du ventre, un fait rare pour un homme du Proche-Orient.
Le programme de ce Printemps de la danse arabe mélange les genres. Wild Cat présenté le 20 avril dans une chorégraphie de Saïdo Lehlouh, travaille un des styles fondateurs de la danse hip hop, le bboying. Quatre hommes, et une femme bondissent avec la détente des félins, s’observent, échangent des signaux et cherchent leurs points d’appui avec une précision d’horlogerie, tout en légèreté et dans la virtuosité de figures acrobatiques. Ils construisent une chorégraphie en contact avec le sol qu’ils frôlent de leurs agilités, se passent le relais et tracent leurs territoires dansés de façon chorale.
Danseur et chorégraphe tunisien, Imed Jemaa fête ses trente ans de danse avec Omda Show, retrace sa carrière et se remémore, sous forme de mimodrame. De l’écoute d’Oum Kalthoum, bien calé dans un fauteuil, à la lecture de son manifeste sur les relations entre l’art et le prince, il joue de zapping et nous emmène dans ses univers-labyrinthes. Les images qu’il propose défilent à toute allure et digressent sur les sentiers de ses interrogations et de son esthétique. Il est une synthèse entre les arts martiaux et la danse contemporaine et profère, par le corps, ses postures appliquées et théâtralisées. Il est entouré d’accessoires et manie l’humour autant que la dérision, la marche sur place comme les entrechats, la bande son cinéma et les écrans de publicité dans lesquels il déborde du cadre.
Dans ce Printemps de la danse arabe, l’IMA annonce aussi pour le 22 avril deux chorégraphies : La première, Heroes, prélude, de Radhouane El Meddeb, artiste associé au CentQuatre jusqu’en 2017, qui s’inspire de l’observation des danseurs s’entraînant librement dans ces espaces ouverts. Il propose une danse sous haute tension, rythmée par les vagues répétitives de la musique de Ravi Shankar et Philip Glass. La seconde, Mother Tongue, premier spectacle solo de Pierre Geagea, danseur et chorégraphe libanais, sur le monde des malentendants. Le 19 juin, sera présenté dans le cadre du Festival June Events, Al-Hakoumou Attakathourou/Fausse couche, qui tend un miroir de la société tunisienne en transition.
Ce premier Printemps de la Danse permet la réflexion sur la place du corps dans les sociétés du Proche et du Moyen-Orient et témoigne de l’actualité artistique dans le monde arabe, de manière ouverte et citoyenne. La manifestation allie différents lieux et institutions emblématiques de la danse à Paris qui s’engagent auprès de l’Institut du Monde Arabe et se fait la chambre d’écho de l’actualité du monde dans lequel nous vivons. Une belle idée qui se construit collectivement, révèle un état d’esprit convivial et exigeant, et des esthétiques très prometteuses à découvrir.
Brigitte Rémer, le 25 avril 2018
Du 18 avril au 23 juin 2018 : Institut du Monde Arabe, 1, rue des Fossés-Saint-Bernard. 75005. Métro : Jussieu – Toutes informations sur le site : www.imarabe.org
Vu les 18 et 21 avril : Tajwal – chorégraphie et mise en scène Alexandre Paulikevitch – musique Jawad Nawfal – voix Yasmine Hamdan – costumes Krikor Jabotian – lumière Riccardo Clementi – Wild Cat – chorégraphie Saïdo Lehlouh / Cie Black Sheep, avec Ilyess Benali, Evan Greenaway, Samir el Fatoumi, Timothée Lejolivet, Hugo de Vathaire – création musicale Awir Léon – Omda show – chorégraphie, mise en scène, danse Imed Jemaa – texte Monique akkari – scénographie Souad Ostarcevic – régie plateau et assistant Fethi Ferah – régie et création vidéo Houssem Bitri – régie lumière Sabri Atrous – régie son Walid Walid – A voir : le 22 avril, à l’IMA Heroes, prélude, conception et chorégraphie Radhouane El Meddeb - Mother Tong, chorégraphie Pierre Geagea – le 19 juin, dans le cadre du Festival June Events/ Atelier de Paris-CDCN, Al-Hakoumou Attakathourou/ Fausse couche.
Et aussi, soirée cinéma le 20 avril, à l’IMA : Le feu au cœur de Danielle Arbid – Manta de Valérie Urréa, dans une chorégraphie de Héla Fattoumi et Éric Lamoureux – Electro Chaâbi de Hind Meddeb – Tables rondes : le 19 avril à 20h30, La danse comme geste citoyen, suivi du film Unstoppable, de Yara Al Hasbani, à l’IMA – le 22 avril à 17h, Le corps libre et entravé, à l’IMA, suivi du film d’Alexandre Roccoli, Hadra – le 12 juin, 19h, La création chorégraphique dans le monde arabe, au Centre National de la Danse, suivi du film de Blandine Delcroix, Je danserai malgré tout !