Troisième volet du cycle Les Fabuleuses – texte Elisabeth Bouchaud – mise en scène Julie Timmerman, vu au Théâtre La Reine Blanche, Paris – actuellement à Avignon-Reine Blanche*
Les femmes scientifiques ont eu bien souvent du mal à se faire reconnaître et à être entendues dans leurs missions et leurs recherches, malgré leurs découvertes majeures. Oubliées, évincées, invisibilisées, elles n’ont guère eu droit de cité comme chercheuses à part entière. Autour du théâtre, Elisabeth Bouchaud artiste en même temps que scientifique, a monté au Théâtre La Reine Blanche, scène des arts et des sciences, une intéressante programmation théâtrale et scientifique avec des conférences dérapantes, pour repenser nos relations avec le vivant, des rencontres et ateliers dont l’université des terrestres, des mardis scientifiques et littéraires, un festival des savants et des spectacles.
Outre l’invitation de plusieurs compagnies elle a elle-même écrit une série théâtrale en trois épisodes intitulée Les Fabuleuses pour rendre justice à trois grandes scientifiques oubliées de l’Histoire : le premier, Exil intérieur, parlait de Lise Meitner et la fission nucléaire et le second, Prix No’Bell de Jocelyn Bell et la découverte des pulsars – deux spectacles mis en scène par Marie Steen -. Le troisième volet, L’affaire Rosalind Franklin, monté par Julie Timmerman, évoque cette physico-chimiste britannique née en 1920 et disparue en 1958 d’un cancer dû à une surexposition aux rayons X, dont elle était spécialiste. Mondialement connue dès 1950 elle avait travaillé sur l’ADN et en avait découvert la structure, en double hélice. La pièce montre sa passion et son jusqu’au boutisme pour développer sa recherche, loin des querelles d’hommes – ses confrères – qui, sans aucun scrupule ni probité ont pillé son travail avant de se l’approprier. Ils sont trois à avoir été récompensés – James Watson, Maurice Wilkins et Francis Crick – en obtenant en 1962, le Prix Nobel de médecine, pour… la découverte de la structure en double hélice de l’ADN. Le nom de Rosalind Franklin avait tout simplement été effacé.
C’est ce parcours que relate le spectacle. Les quatre acteurs sont assis de part et d’autre du plateau quand le public entre. Un narrateur prend la parole devant un micro pour donner le sens de la démarche, rétablir la vérité et remonter le temps. Rosalind Franklin passe trois ans à Paris avec bonheur, en 1950, elle a trente ans et travaille sur le carbone dans le laboratoire de Jacques Mering sur la cristallographie aux rayons X – la photographie 51. Quand il lui est proposé de partir travailler au King’s College de Londres en tant que responsable des structures ADN, ses amis dont le physicien Vittorio Luzzatti, tente de l’en dissuader. « Tu ne trouveras rien » lui dit-on. Elle part cependant tenter sa chance.
Rosalind Franklin n’est pas au bout de ses surprises quand elle arrive à Londres en 1951, dans un laboratoire sous-équipé. Elle retrousse ses manches, crée ses propres instruments et se met au travail dans un climat d’emblée misogyne et agressif, peinant à créer son propre groupe de recherche. Elle partage néanmoins ses connaissances, donne quelques conférences, construit une structure-modèle semblable à une sculpture. Des lumières clignotent sur le plateau au fil des recherches et comme si le spectateur regardait lui-même par le microscope (scénographie Luca Antonucci, lumières Philippe Sazerat). Rosalind est assistée d’un étudiant, Raymond Gosling homme avec qui elle échange mais qui manque aussi de clarté. D’autres chercheurs se lancent dans la course aux résultats et s’allient, essaient de la soudoyer et font régner autour d’elle une grande tension. On lui vole ses clichés, plus tard un rapport confidentiel qu’elle avait déposé auprès du Conseil de financement de la recherche en médecine, pour construire son modèle.
Le texte livre aussi des réflexions philosophiques autour de l’ADN, la signature de la vie « Qu’est-ce que la vie ? La vie aurait donc un sens » pose la chercheuse. « Est vivant tout organisme qui contient de l’ADN… L’ADN peut se répéter à l’infini. » Son enthousiasme, porté par la magnifique comédienne Isis Ravel, devient contagieux, dans une pièce qui mêle un certain suspense sur fond de phallocratie absurde. Le narrateur ferme le spectacle sur Rosalind Franklin dont le travail est à la base de tout, et qui n’a vraisemblablement jamais su qu’on avait volé ses résultats. Elle a poursuivi sa route scientifique dans l’étude de la structure des virus, avant de mourir à l’âge de trente-huit ans.
L’affaire Rosalind Franklin est un très joli spectacle, salutaire et argumenté, intelligent et sans didactisme. Autour de Rosalind, les acteurs tiennent leurs rôles de chercheurs-prédateurs avec justesse et sans caricature (Balthazar Gouzou, Matila Malliarakis, Julien Gallix). Le travail proposé par Elisabeth Bouchaud, de la rencontre entre art et science est un essai très réussi, où justice et justesse se côtoient. Le travail scénique mené sous la direction de Julie Timmerman permet avec simplicité de relater des problématiques scientifiques complexes et de remettre sur le devant de la scène la place de la femme dans le tourbillon de la science dans lequel on s’était efforcé de l’effacer.
Brigitte Rémer, le 30 juin 2024
Avec : Isis Ravel (Rosalind Franklin) – Balthazar Gouzou (Vittorio Luzzatti, James Watson) – Matila Malliarakis (Maurice Wilkins) – Julien Gallix (Raymond Gosling, Francis Crick). Scénographie Luca Antonucci – assistanat mise en scène et chrorégraphie Véronique Bret – lumières Philippe Sazerat – son Mme Miniature – musique Benjamin Laurent – vidéo Thomas Bouvet – Reine Blanche Productions.
Vu au Théâtre de la Reine Blanche, Paris. Les trois spectacles du cycle Les Fabuleuses sont présentées au Festival Avignon-Off *du 3 au 21 juillet 2024, Théâtre Avignon-Reine Blanche, 16 rue de la Grande Fusterie – Exil intérieur à 14h30 – Prix No’Bell à 16h15 – L’affaire Rosalind Franklin à 18h15 – site : www.reineblancheproductions.com – tél. : 04 90 85 38 17.