La terre se révolte

© Raphaël Arnaud

Texte de Sara Llorca, Omar Youssef Souleimane, Guillaume Clayssen – mise en scène Sara Llorca – MC93 maison de la Culture de Seine-Saint-Denis.

Un acteur syrien livre un court récit face au public en guise de prologue, parcours de vie entre sa fuite de Syrie, son travail en Arabie Saoudite et sa tentative d’assimilation, la dérive de son pays, sa tentation du salafisme, l’exil, l’arrivée en Europe. IL raconte, seul moment vrai du spectacle.

Car il n’est pas évident de comprendre la démarche ni l’objectif visé par l’équipe de conception et de réalisation du spectacle. Le spectacle naît de la rencontre provoquée par Sara Llorca, actrice et metteuse en scène avec Omar Youssef Souleimane, écrivain syrien, chacun faisant une plongée dans son histoire familiale et dans sa propre histoire : elle, d’une famille d’espagnols réfugiés en France pour fuir le franquisme, lui, exilé ayant fui la guerre en Syrie, s’interrogeant sur l’influence familiale et la religion.

Mais entre l’intention et la réalisation, les chemins sont brouillés. Il y a l’acteur qui conte, celui qui interroge, journaliste ou préfet de police et qui plus tard se prendra pour Descartes, la philosophe, jeune femme démonstrative, très européenne dans son approche de l’Autre, il y a Wassim n°2 le poète, réfugié syrien, dans son ironie désabusée, et l’image du père, une caricature esquissée, il y a la danseuse. La tentative de théâtralisation ne suit pas, chacun joue sa partition de manière désynchronisée, laissant le public en quête de sens.

Si ça parle philo puisque Descartes est à l’affiche, j’aurais préféré Deleuze pour qui « La violence est ce qui ne parle pas » ou si Taha Hussein, intellectuel égyptien influent ayant étudié à La Sorbonne, a contribué à introduire Descartes dans le monde arabe, comme le dit Omar Youssef Souleimane dans le programme, je choisirais Hussein et laisserais Descartes. « La philosophie n’est ni contemplation, ni réflexion ni communication. Elle est l’activité qui crée les concepts… » poursuit Deleuze.

Les séquences donc se suivent, tirées par les cheveux, sans dépaysement de la pensée ni dramaturgie, juste des poncifs et quelques artifices.  Est-ce un témoignage, une histoire de vie, un collage, un conte philosophique, un spectacle ? Et qu’est-ce qu’un spectacle ? Oui, la scénographie est intéressante, podium mobile, astucieux en soi – notamment quand il tourne à grande vitesse sur lui-même, apportant l’image d’une guerre qui détruit tout – mais en fait, cela prive du bel espace scénique de cette salle, et enferme. Oui, la danseuse noire et rouge, âme des revenants, écho ou commentaire, superbe dans sa gestuelle, apporte distance et théâtralité mais on ne sait bientôt plus qu’en faire.

Sur ce sujet actuel et douloureux de la destruction d’un pays et de l’exil, où tout est blessure – La terre se révolte annonce le titre – on n’a guère envie de composition même sous couvert de la philo, qui ici est bien indigeste. On voudrait une direction, un point de vue, et on ne les trouve pas. Et s’il s’agit d’exil je choisis le texte d’Edward W. Saïd, grand intellectuel d’origine palestinienne : « J’ai défendu l’idée que l’exil peut engendrer de la rancœur et du regret, mais aussi affûter le regard sur le monde. Ce qui a été laissé derrière soi peut inspirer de la mélancolie, mais aussi une nouvelle approche. Puisque, presque par définition, exil et mémoire sont des notions conjointes, c’est ce dont on se souvient et la manière dont on s’en souvient qui déterminent le regard porté sur le futur. »

Brigitte Rémer, le 7 février 2020

Avec : Lou de Laâge, Elie Youssef, Logann Antuofermo, Ingrid Estarque, Raymond Hosny, Tom Pézier. Dramaturgie et collaboration à l’écriture Guillaume Clayssen – assistanat à la mise en scène Céline Lugué – musique Benoît Lugué – chorégraphie Sara Llorca, Ingrid Estarque – scénographie Anne-Sophie Grac – lumières Camille Mauplot – régie générale François Gautier-Lafaye – son Clément Roussillat – construction décors Ateliers de la MC93. Le spectacle a été créé en janvier au Théâtre des Bernardines de Marseille.

Du 30 janvier au 9 février 2020, mardi au jeudi à 19h30, vendredi 20h30, samedi 18h30, dimanche 15h30 – MC93 maison de la Culture de Seine-Saint-Denis, 9 boulevard Lénine. Métro : Bobigny Pablo Picasso – Tél. : 01 41 60 72 72 – site : MC93.com