La Imaginación del futuro

mise en scène de Marco Layera,
texte écrit par el Teatro La Re-sentida

Crédit photos © La Resentida

Crédit photos © La Resentida

La représentation fut introduite par un échange sur le thème Ecrire le monde autrement, et suivie d’un débat sur La place du théâtre dans la société. Animée par Marie-Josée Sirach, rédactrice en chef Culture de l’Humanité, en présence de Nathalie Huerta directrice du Théâtre Jean Vilar, et de Frédéric Hocquard directeur d’Arcadi Ile-de-France, – la Région Ile-de-France ayant développé un partenariat avec le Festival Santiago a Mil, dans la capitale chilienne -, la soirée a permis à l’équipe artistique de parler de l’Histoire du Chili aujourd’hui, et de son positionnement au regard des quarante dernières années.

La imaginación del futuro traite en effet de la mémoire et de l’Histoire récente d’un pays resté blessé, le Chili des années soixante-dix. Conté sur le ton subversif de la provocation politique, le spectacle est une sorte de fable qui s’attaque à l’image charismatique et populaire de Salvador Allende et écorne quelque peu son icône. Par subversion, le metteur en scène Marco Layera entend : « Une capacité à modifier l’ordre établi ».

Ainsi voit-on le Président socialiste, sorti de son contexte, dormir et s’enfoncer dans des rêves plutôt que de gouverner, entouré de ses ministres et de communicants parasites qui le manipulent, sorte de marionnette entre leurs mains. Une série d’images et galerie de portraits nous sont livrés, allant d’une balle perdue à une plage sur toile de fond, de la traque et de la solitude à des mannequins pendus et cagoulés, de l’appel à collecte pour un adolescent dit malchanceux mettant le public à contribution, à l’image de la mort.

L’appel à démission : « Demain vous serez éternité, nous serons oubli », ainsi que le dernier discours d’Allende, – prononcé le 11 septembre 1973 quand il s’enferme dans le Palais de La Moneda et refuse de se rendre aux milices de Pinochet choisissant de se donner la mort -, sont des moments forts, traités ici sur un mode satirique. Cette séquence emblématique se déroule en haut d’une colonne à l’emblème Coca Cola, le symbole est lourd. Passent aussi sur scène des bannières aux effigies de Fidel Castro et du Che, et une rapide référence au Pape François originaire d’Argentine, et à deux extrémistes montrés du doigt, Marine Le Pen et Benyamin Netanhyaou.

La imaginación del futuro est une fiction et non pas un récit historiciste, précise le metteur en scène. C’est en 2007/2008 que la troupe La Re-Sentida – Le Ressentiment – présentait son premier spectacle, au moment où le Chili fêtait son bicentenaire, et alors qu’il était devenu le pays des inégalités “notamment dans la répression contre les Indiens Mapuche, plus forte encore que sous la dictature” dit l’équipe artistique. La Resentida cherche un théâtre qui interroge et dérange, et travaille sur la provocation. C’est à partir d’un matériau apporté par Layera, que s’est ici construit le spectacle, par improvisations et écriture collective, jusqu’à sa version finale, corrosive et féroce, cynique et drôle. La troupe aime à créer des spectacles basés sur la contradiction, et y déploie une énergie à toute épreuve.

Elle pose aussi la question du politique au théâtre. Au cours de la dernière édition du Festival d’Avignon où fut présenté le spectacle, son côté irrévérencieux fut sujet à caution, “certains spectateurs le rejetant, d’autres s’y ralliant en une véritable catharsis”, rapporte le metteur en scène. « J’aime et je déteste mon pays, c’est pour ça que je fais du théâtre » ajoute-t-il. Entouré de Luis Briceño réalisateur et producteur radio, coordinateur en France du mouvement Revolución Democrática, et de Pablo de la Fuente, scénographe et costumier du spectacle, ils s’expliquent : « Dans ce pays d’inégalités, il y a chaque jour une quinzaine de morts dans les manifestations et les accusations d’anarchisme ».

Quels comptes ont à régler ces jeunes générations qui ont suivi la véritable ascension et destruction d’Allende, quelles désillusions ont-ils subi, et pourquoi tant de radicalité ? « C’est un ressentiment envers ceux qui ont fait de notre pays un conclave bananier et envers ceux qui nous ont appris à rêver d’un pays plus juste et solidaire et qui nous ont trahis… Nous sommes loin d’être ce pays démocratique, divers et justement développé que quelques voix officielles annoncent à l’extérieur. Notre pays et le monde sont établis de telle façon que certains seulement en profitent » dit le metteur en scène, en déboulonnant la statue du commandeur.

Quel héritage idéologique reste-t-il aujourd’hui et comment se construit la réalité ? C’est la question que se pose le spectateur en sortant de la salle. Quel est le rôle de l’art au Chili et le rôle de l’artiste ? Comment parler des atrocités, en remettant en question le spectacle et le rôle du théâtre ? Comment interroger l’ambigüité d’une période historique, et où commence la fiction ? « Sur certains sujets, le rire est difficile, dit un ancien exilé » dans le débat qui suivait la représentation. Le théâtre, comme outil de réflexion et de critique, tend un miroir à l’Histoire.

Brigitte Rémer

Vu au Théâtre Jean Vilar de Vitry-sur-Seine
Tournée en France, notamment à Montpellier, Douai, Paris/Théâtre des Abbesses)
et à l’étranger (Belgique, Chili, et divers pays d’Amérique Latine)

Lecture :
. No pasaran suivi de Le peuple doit se défendre : message radiodiffusé de Salvador Allende, 11 septembre 1973. (Paris, Points-Seuil).
. Chili, 11 septembre 1973, la démocratie assassinée, récits témoignages de Eduardo Castillo (Arte Editions/Serpent à plumes).