Eastern loves

© Tom Dachs

Création André Amálio et Tereza Havlíčková, compagnie Hôtel Europa, Portugal – dans le cadre des Chantiers d’Europe du Théâtre de la Ville / Les Abbesses – Spectacle surtitré en français.

On entre dans le registre du théâtre documentaire à partir de témoignages sur la vie au temps du rideau de fer. L’angle de vue est posé à partir du dialogue portugo-tchèque mené par les fondateurs de la compagnie Hôtel Europa – André Amálio, Portugais et Tereza Havlíčková, d’origine Tchécoslovaque – qui conduisent la troupe et le public entre l’Europe de l’Est, le Portugal et ses anciennes colonies africaines – Angola, Cap-Vert, Guinée-Bissau, Mozambique, São Tomé-et- Príncipe.

Un narrateur raconte, à partir des témoignages d’anciens militants communistes et de personnes qui fuyaient la guerre et l’oppression, leur vie, de l’autre côté du rideau de fer. Les narrateurs tournent et racontent les anecdotes de la vie quotidienne, chacun à leur tour, dessinant la complexité géopolitique de l’Europe, avant l’effondrement de l’URSS et le contexte de colonisation du Portugal. Les ressortissants des anciennes colonies luttant contre la dictature et pour l’indépendance de leurs pays, furent accueillis dans les pays d’Europe de l’Est pour y recevoir des formations, et espérer construire un monde meilleur, libre et juste. Ils apportaient avec eux leurs traditions et leurs cultures, leurs musiques, danses, traditions culinaires etc. Pourtant le racisme y était virulent, violent et destructeur. Ils se sont parfois retrouvés à travailler dans des usines, à être surexploités, au bout du compte vidés, floués, comme ces Mozambicains dont on nous raconte le parcours.

Après la chute du mur, en 1989, certaines familles ont vécu des situations absurdes et tragiques de séparation géographiques obligées, menant à leur déstructuration. Le spectacle interroge l’évolution de leur regard sur le monde et ce qu’ils ont compris ou supporté du socialisme version soviétique.

Se mêlent ici des histoires de vie dans une variation de couleurs et de thèmes sur l’amour, les liens familiaux, le politique. On y trouve des pépites, toutes basées sur l’expérience et la réalité. Certaines séquences témoignent avec humour de l’absurdité et de l’injustice, de l’inconcevable et du burlesque de la situation, lue et interprétée par le filtre de jeunes artistes. Ils n’ont pas connus l’époque et la traduisent en images, à partir des récits entendus de leurs aînés : le foulard rouge jupe blanche des manifestations populaires, la séquence des gymnastes enrégimenté(e)s dès leur plus jeune âge et devenant symbole national du bonheur, celle des bananes, absentes, dans les pays de l’est, la ferveur obligatoire du 1er mai, les slogans d’amour à la patrie, les produits qui ne franchissent pas le rideau de fer notamment les marques et vêtements dont les jeans, l’évocation des chars russes en août 1968 etc…

Dans la forme, l’humour l’emporte souvent et situe le spectacle entre comédie et tragédie, lutte et incompréhension, paroles et musique, ici celle de Mbalango, du Mozambique. On nous parle d’un temps à la fois très proche et très lointain, celui du Rideau de fer et de ses dictatures, compromissions et agressions, et qui se rappelle cycliquement au monde, comme c’est le cas aujourd’hui avec l’invasion de l’armée russe en Ukraine.

Brigitte Rémer, le 20 mai 2022

Avec : André Amálio, Jorge Cabral, Beatrice Cordier, Andreia Galvão, Tereza Havlíčková, Mbalango – assistante à la mise en scène Cheila Lima – scénographie Ana Paula Rocha – assistante à la scénographie Aurora dos Campos – création et régie lumières Joaquim Madaíl – vidéo Marta Salazar – musique Mbalango

Du 16 au 18 mai 2022- Théâtre de la Ville / Les Abbesses – 31 rue des Abbesses. 75018. Paris – site : theatredelaville-paris.com – tél. : 01 42 74 22 77.