Danse « Delhi »

© Simon Gosselin

Pièce en sept pièces de Ivan Viripaev – traduction Tania Moguilevskaia et Gilles Morel – mise en scène Gaëlle Hermant, compagnie Det Kaizen, au Théâtre Gérard Philipe de Saint-Denis.

Dans une scénographie structurée en plusieurs niveaux et différents espaces aux murs de verre légèrement dépolis, sous des lumières flashy déclinées du mauve au rose tyrien et striées d’éclairs, la musicienne joue de son violon (scénographie Margot Clavières, lumières Benoît Laurent). L’atmosphère est funèbre. Au rez-de-chaussée, dans la salle d’attente d’un hôpital, lieu clos s’il en est, Catherine (Manon Clavel) annonce la mort de sa mère et son manque d’émotion par rapport à cette disparition : « Je ne ressens rien » dit-elle à la femme âgée qui est près d’elle. « Est-ce l’état de choc … ?» La figure d’Andreï se dessine entre les deux femmes, un homme qui « ne ment jamais », subtil et sensible, visiblement attiré par Catherine et sa danse. « Comme il te regardait danser à Kiev ! » dit la femme âgée, tombée de nulle part, tante, ou grand-mère ou simple amie de la mère (superbe et ambiguë Laurence Roy). Elles évoquent toutes deux la question de l’amour et de la sincérité, du bonheur. Le bonheur est dans la danse. Andreï est marié et se défile en déclarant : « J’aime ma femme » avant de faire marche arrière et de reconnaître son erreur. Une infirmière passe et arrache une signature.

Pour chaque variation de la pièce – il y en a sept – le titre s’affiche sur écran, accompagné d’une intervention musicale : À l’intérieur de la danse ; à l’intérieur et à l’extérieur ; Au fond et à la surface du sommeil. Viviane Hélary, présente sur scène avec son violon, assure la création musicale qui participe du mouvement de la pièce et de son rythme. La femme âgée insiste : « Et comment il regardait ta danse ! » tout en apprenant à Catherine que sa mère aurait voulu être danseuse. Des stores se baissent et virent à l’orangé et au rose. Un tête-à-tête entre Catherine et sa mère (Christine Brücher) fait remonter le temps et les événements s’élaborent en quinconce, entre conflit, jalousie et colère. Le cancer annoncé il restait à la mère deux mois de vie. La vie, un drame sans fin, une souffrance ? Olga (Marie Kauffmann) la femme d’Andreï se suicide. Chaque lever de rideau annonce une nouvelle mort qui se signe comme un pacte avec l’infirmière (Kyra Krasniansky ou Lina Alsayed). Au milieu du malheur des autres et de la culpabilité, la danse et la vie prennent le dessus au milieu de nombreux quiproquos. Andreï (Jules Garreau) raconte sa danse et l’enfer de Delhi, la crasse, la laideur. « Il est temps de devenir adulte » lui dit-on. La danse et la mort rôdent, les conflits ne sont jamais loin.  

L’auteur, Ivan Viripaev, aime à brouiller les pistes et emboîte différentes histoires dans son écriture en spirale. Il joue d’humour et d’étrangeté autour du thème de la mort, laissant au spectateur le libre-arbitre de reconstituer les fragments du puzzle et de construire son propre récit. Né en Sibérie et au seuil de la cinquantaine, l’auteur fréquente le théâtre en tant que dramaturge, metteur en scène et acteur autant que le cinéma. Figure majeure du nouveau drame russe, il fut directeur artistique d’une des trois scènes innovantes de Moscou, Le Praktica avant de partir vivre à Varsovie où il met en scène ses propres textes en version polonaise. Sa pièce, Insoutenables longues étreintes avait été présentée au Théâtre de la Colline en 2019, Illusions puis Oxygène, deux autres de ses pièces l’ont été sur les scènes européennes.

La lecture proposée par la metteure en scène, Gaëlle Hermant, rend la mort rose bonbon et épouse les circonvolutions de l’ironie de l’auteur. La scénographie et la composition musicale servent bien le propos et chaque acteur/actrice remplit son cahier des charges en sur-jouant ou s’effaçant. Mais l’ensemble reste un peu glacé comme un esquimau à la fraise, nouvelle forme de l’absurde.

Brigitte Rémer, le 2 novembre 2021

Avec :  Christine Brücher, Manon Clavel, Jules Garreau, Marie Kauffmann, Kyra Krasniansky en alternance avec Lina Alsayed, Laurence Roy et Viviane Hélary, musicienne – dramaturgie Olivia Barron – scénographie Margot Clavières – lumière et régie générale Benoît Laurent – création musicale Viviane Hélary – son et régie son Léo Rossi-Roth, régie en alternance avec Jérémie Tison – costumes Noé Quilichini. Le texte est publié aux Éditions Les Solitaires intempestifs.

Théâtre Gérard Philipe – CDN de Saint-Denis, du 16 au 22 octobre 2021, du lundi au vendredi à 20h, samedi à 18h, dimanche à 16h, relâche le mardi – 59 Bd Jules Guesde. Saint-Denis – métro : Saint-Denis Basilique – www.theatregerardphilipe.com – tél. : 01 48 13 70 00 – En tournée, du 18 au 20 janvier 2022, La Criée – Théâtre National de Marseille – 28 et 29 janvier, Théâtre Eurydice, ESAT, Plaisir – 14 et 15 juin, Théâtre de Saint-Quentin en Yvelines, scène nationale.