Coupables d’amour

Texte de Nathalie Kanoui, librement inspiré de Crimes de Femmes d’Anne Sophie Martin et Brigitte Vital Durand – mise en scène Anne Le Guernec – au Théâtre de la Reine Blanche.

© Isabelle Husson-Ribeiro

La première, Simone, arrive par la salle. Elle est accusée d’avoir tué son mari. « L’accusée avait-elle l’intention de le tuer ? Oui… »  Elle est condamnée à douze ans de réclusion criminelle et a dix jours pour faire appel.

On entre de plain-pied dans le sujet, la justice. Elles sont trois dans une cellule, auparavant jeunes femmes sans histoire : Laura (Nathalie Kanoui) a tué le compagnon dont elle était amoureuse, Simone (Josette Stein) a mis en pièces le sien et nous décrit par le menu son protocole, Leni (Félicité Chaton) la plus jeune, a tué son père. Crimes passionnels, pour se protéger, se venger ou se rebeller. Dans leur incarcération elles sont devenues, disent-elles, « des marchandises, des inutiles. » On entend au loin quelques pépiements d’oiseaux et des aboiements, ce semblant de vie extérieure qui vient comme une vague, ou comme en rêve (musique originale et réalisation sonore de Frédéric Prados).

© Isabelle Husson-Ribeiro

On voyage sur les traces et les blessures de ces trois femmes, au cœur de leurs pensées et réflexions, de leurs sentiments et émotions, du tribunal à la prison. Une solidarité se tisse entre elles, de différentes générations, identités et classes sociales. « Qu’est-ce qui vous ferait plaisir pour la semaine prochaine ? On a reçu les bons de cantine » demande Simone. « Kalachnikov, bazooka, fusil à pompes » répond Lara… « Montgolfière, spa, voyage en concorde » surenchérit Leni. « Rognons de veaux, jardinière de légumes, poêlée de pleurotes » enchaîne Simone. On suit les procès avec les interrogatoires de la présidente du tribunal, les magistrats, les rencontres avec les avocates, les animatrices, les accusées. La détresse est visible autant que les espoirs et la nuit apporte ses fantasmes. On redéfinit les rôles de chacun dans ce théâtre du monde, les avocates, les juges, les jurés…

La scène est sobre. Elle est à la fois prison et prétoire, trois bancs pour mobilier servent de table ou de lit, les lumières donnent cette ambiance d’ombres portées sur les murs (création lumières de Clara Pacotte). Les robes d’avocates que mettent les actrices à tour de rôle quand elles passent de l’autre côté de la rampe, traduisent l’audience. Les mots percent. Simone raconte sa vie d’enfer avec Émile, qui buvait, et sa façon de le tronçonner racontée avec distance… « C’était une bête, le père… J’ai défendu mes enfants… »  Laura s’est vu refuser une liberté conditionnelle mais s’en relèvera. On fait des jeux pour passer le temps, on mange quand on a pu cantiner. La scène finale donne de l’espoir, Leni est sortie et retrouve Laura. Enceinte, elle vient lui demander  d’être la marraine de son enfant à naître.

© Isabelle Husson-Ribeiro

Nathalie Kanoui, qui interprète ici Laura a adapté Crimes de Femmes, texte de deux journalistes, Anne Sophie Martin et Brigitte Vital Durand, la première également réalisatrice pour la télévision, la seconde secrétaire générale de la Presse judiciaire, qui témoignent d’histoires vraies et interviewent certaines de leurs protagonistes. La comédienne explique avoir découvert pour sa part le milieu de la justice au lycée, lors d’une visite de sa classe au Palais de Justice de Paris. La mise en scène signée Anne Le Guernec sert avec subtilité le texte, rendant leur humanité à chacune des femmes, et sans en faire des oies blanches. Chaque actrice sert le propos avec précision et limpidité, tantôt accusée, tantôt personnel de l’appareil judiciaire. La justesse est là, dans un réalisme mesuré, comme une évidence, et dans le constat de l’acte tragique accompli et sans regret, la liberté et l’identité retrouvées. Ce parcours initiatique leur permet de reconquérir leur dignité et de retrouver une place dans la société.

Brigitte Rémer, le 20 novembre 2025

© Isabelle Husson-Ribeiro

Avec : Félicité Chaton, Nathalie Kanoui, Josette Stein – musique originale et réalisation sonore Frédéric Prados – lumières Clara Pacotte – Assistante à la mise en scène Mona Martin-Terrones – avec les voix de Frédéric Jessua et Thierry Bosc – production La Compagnie Céleste.

Théâtre de la Reine Blanche, les jeudis 6, 13, 20 et 27 novembre et mardis 11et 18 novembre, à 19h00 – les samedis 8, 15, 22 et 29 novembre, à 18h00 – 2 bis Passage Ruelle – 75018 Paris – métro : La Chapelle, Max Dormoy – réservations par tél. : 01 40 05 06 96, ou par mail : reservation@scenesblanches.com