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Sois sage, ô ma douleur

Spectacle théâtral autour des Fleurs du Mal, de Charles Baudelaire – conception et mise en scène Christian Rémer – jeu Sébastien Vuillot – création musicale Tristan Michelin, chant Camille Bougheraba – compagnie Tsurukam – à l’Espace culturel Bertin Poirée, Paris.

© Jean-Michel Jarillot

Le Romantisme est à son zénith quand Baudelaire entre en poésie. Lamartine, Hugo, Musset et Vigny sont sur le devant de la scène. Quelle singularité va s’inventer Baudelaire (1821-1867) pour exister ? Dans une conférence qu’il prononce à Monaco en 1924 sous le titre Situation de Baudelaire, Paul Valéry met en exergue sa double identité de poète et critique d’art comme clé de voûte du parcours poétique, et reconnaît : « Il était d’une sensibilité dont l’exigence le conduisait aux recherches les plus délicates de la forme. »

Sur les pas de Baudelaire, deux voyageurs ont scruté son œuvre poétique. Le premier, Christian Rémer, concepteur du projet, a labouré les écrits à la recherche du sens et de l’essence des mots, de la construction rythmique et du choix de la métrique, il a gardé la vulnérabilité. Le second, Sébastien Vuillot, sur le plateau, devient le magicien et le poète enfoui dans ses réminiscences et réflexions, et qui lance les mots tels des bouquets.

© Jean-Michel Jarillot

Baudelaire a construit Les Fleurs du Mal en cinq séquencesSpleen et Idéal, Le Vin, Les Fleurs du Mal, Révolte, et La Mort – les extraits et textes ici choisis ont été cousus main, pour composer un ensemble. Les thèmes traversés dans l’œuvre sont multiples, ils touchent à l’Ennui, tel que le nomme Baudelaire dans son avertissement Au Lecteur, à  la souffrance et à la chute dans le vide et le néant : « J’ai peur du sommeil comme on a peur d’un grand trou », à la quête d’absolu et de transcendance, à la Beauté, thème vital pour le poète : « Viens-tu du ciel profond ou sors-tu de l’abîme, ô Beauté ! ton regard, infernal et divin, verse confusément le bienfait et le crime » ; ou encore « J’aime, ô pâle beauté, tes sourcils surbaissés, d’où semblent couler des ténèbres, tes yeux… » Avec Les Phares on perçoit Rubens et Delacroix, Vinci et Rembrandt, au plus profond de la peinture, là où la poésie se conjugue au regard du critique d’art que fut Baudelaire, « Car c’est vraiment, Seigneur, le meilleur témoignage que nous puissions donner de notre dignité que cet ardent sanglot qui roule d’âge en âge et vint mourir au bord de votre éternité ! » Les thèmes traversés et qu’on retrouve sur scène touchent au voyage, à la fuite du temps, à l’infini, à la recherche d’inspiration et de la nouveauté, au rejet du mal, à la recherche d’un monde idéal. L’obsession de la mort habite l’espace baudelairien : « O mort, vieux capitaine, il est temps ! Levons l’ancre ! Ce pays nous ennuie… Nous voulons, tant ce feu nous brûle le cerveau, plonger au fond du gouffre. Enfer ou ciel, qu’importe ? Au fond de l’Inconnu pour trouver du nouveau ? »

© Jean-Michel Jarillot

Sur le plateau, un fauteuil et un narguilé côté cour, la table de l’écrivain côté jardin. C’est avec Recueillement, qu’on entre de plain-pied dans le spectacle : « Sois sage, ô ma douleur, et tiens-toi plus tranquille. Tu réclamais le Soir ; il descend ; le voici : une atmosphère obscure enveloppe la ville, aux uns portant la paix, aux autres le souci. » Au centre et le cœur du sujet, un paravent clos et qui, quand il s’ouvre, révèle la Femme et son reflet. Mannequin de taille humaine, Elle, regarde le poète, droit dans les yeux.

En même temps qu’il traduit les textes d’Edgar Allan Poe dont le premier, Révélation magnétique, est publié en 1848 dans le journal « La Liberté de penser », Baudelaire travaille Les Fleurs du Mal.  « Savez-vous pourquoi j’ai si patiemment traduit Poe ? » pose-t-il au journaliste et critique d’art Théophile Thoré : « Parce qu’il me ressemblait. » Écrites majoritairement entre 1840 et 1850, Les Fleurs du Mal sont publiées en 1857. L’ouvrage fait scandale donnant lieu à un procès, certaines pièces jugées immorales seront retirées de l’ouvrage, Baudelaire et ses éditeurs condamnés à de fortes amendes pour délit d’outrage à la morale publique. Entre 1861 et 1868 trois versions successives voient le jour, enrichies de nouveaux poèmes. Ainsi Les Tableaux Parisiens, absents de la version d’origine apparaissent dans l’édition de 1861. La réhabilitation du poète n’aura lieu qu’un siècle plus tard, en 1949.

© Jean-Michel Jarillot

Dans Mon cœur mis à nu, Baudelaire qui haïssait le beau-père qui avait pris la place de son père, mort quand il avait cinq ans, écrivait : « Tout enfant, j’ai senti dans mon cœur deux sentiments contradictoires : l’horreur de la vie et l’extase de la vie. » Son parcours sera l’illustration de cette tension. L’homme est tourmenté, obsédé par le mal et hanté par la mort. Sa mère est adorée mais il s’oppose très jeune aux valeurs bourgeoises qu’incarne sa famille. Dès sa majorité il mène une vie de dandy, dilapidant l’héritage laissé par son père et découvre les Paradis artificiels dont il relate ses expériences dans son essai éponyme, en 1860.

La Beauté selon Baudelaire et l’image de la Femme, mi-déesse mi-tentatrice, adulée et maudite, fait d’elle sur scène, par ce mannequin grandeur nature, une intouchable, un fantasme, un mirage. Il l’apostrophe : « Que tu viennes du ciel ou de l’enfer, qu’importe ? » Elle lui répond : « Je suis l’Ange gardien, la Muse et la Madone. » Chez Baudelaire, la beauté physique provoque un désir érotique trouble et jamais assouvi. On lui connaît plusieurs amantes qui deviendront ses muses, dont Jeanne Duval, jeune femme haïtienne proche des gens de théâtre avec qui il entretient une relation tumultueuse pendant une vingtaine d’années. Spleen et Idéal le raconte. Christian Rémer s’empare de la métaphore de la Beauté qu’il développe à travers le miroir à trois faces, déposé sur scène. Ce thème du miroir cher à Baudelaire dans la dualité de l’image qu’il renvoie est une nouveauté pour l’époque. Il permet ici le jeu des reflets et des réverbérations renforçant la part de mystère et de contemplation intérieure. Chez Baudelaire, plaisir et souffrance se mêlent et le poète jette des passerelles entre le réel et l’irréel. Regarde-t-il sa propre image et son reflet avec quelques remords et mélancolie ? « Mais pourquoi pleure-t-elle ? » demande-t-il.

© Jean-Michel Jarillot

Dans son œuvre, Baudelaire établit la théorie mystérieuse des Correspondances qui nous font passer d’un monde à l’autre, le monde d’ici-bas et ses limites matérielles face au monde spirituel, irréel et sorte d’au-delà. Dans cet entre-deux s’inscrit le spectacle où les souvenirs du poète, pleins de regrets nostalgiques, voyagent. Quelques notes de musique traversent la représentation, comme en écho à la poésie (création musicale Tristan Michelin) et rappellent que Baudelaire, mélomane et passionné entre autres des opéras de Wagner, était sensible aux sons ainsi qu’aux vibrations de la nature, reflet de ses états d’âme, ses poèmes en témoignent.

Acteur et danseur, marionnettiste et créateur lumières, metteur en scène et formateur dans la multiplicité de ces disciplines, le concepteur du spectacle et metteur en scène, Christian Rémer, s’est formé à Strasbourg puis à Nancy, a côtoyé entre autres Kantor et Béjart, Bluwal, Goretta et Verneuil, Carlson et Acogny, Molière et Copi, Wilde et Shakespeare, Michaux, Witkiewicz, Ghelderode, et bien d’autres. Il a accompagné Alain Recoing dans la structuration de son espace aux Mains Nues, a bourlingué dans les Afrique(s), à Ouaga, Brazza, Yaoundé, Bamako, Malabo, pour partager les inspirations et langages scéniques, les formes d’art et d’artisanat, a monté l’œuvre de Xavier Orville originaire de Case Pilote, rencontré Aimé Césaire, à Fort-de-France.

© Jean-Michel Jarillot

Sébastien Vuillot distille le texte avec élégance. Acteur, danseur jazz et contemporain, marionnettiste, il co-fonde avec Kaori Suzuki la compagnie franco-japonaise Tsurukam, en 2004 et s’initie au théâtre traditionnel japonais – dont les Théâtres Nô et Kyôgen – avec les grands maîtres, et découvre les formes traditionnelles du Bunraku avec Hoichi Okamoto. Il admire le Figuren theater Tübingen, fondé par Frank Soehlne et développe ces différentes disciplines ainsi que la vidéo et l’univers sonore au sein de la Compagnie. Celle-ci a présenté de nombreux spectacles dans différents pays dont Tomoki – Qui-Koto ? – NingyoLAB – D-aï et Kagomé, dans lequel Christian Rémer a dirigé les acteurs et créé les lumières.

« Les Fleurs du mal ne contiennent ni poèmes historiques, ni légendes, rien qui repose sur un récit. On n’y voit point de tirages philosophiques. La politique n’y paraît point. Les descriptions y sont rares et toujours significatives. Mais tout y est charme, musique, sensualité puissante et abstraite… » précise Paul Valéry lors de sa conférence de 1924, et il démontre à quel point la poésie de Baudelaire fut un signe avant-coureur pour ceux qui allaient suivre : « Tandis que Verlaine et Rimbaud ont continué Baudelaire dans l’ordre du sentiment et de la sensation, Mallarmé l’a prolongé dans le domaine de la perfection et de la pureté poétique. »

© Jean-Michel Jarillot

Le spectacle est tout en retenue. La poésie pour arme, dans le pouvoir des images et la pensée de Baudelaire qui s’exprime avec densité. Il traduit la souffrance et le détournement du monde réel souhaité par le poète, sa mélancolie, le Spleen. Le pouvoir incantatoire de la poésie portée par Sébastien Vuillot qui extrait les mots et réinvente les rimes, s’achève sur la voix chantée de Camille Bougheraba. Ni romantisme ni classicisme, ici le verbe se fait chair et projette les paraboles que chaque spectateur peut dessiner dans son regard sur l’infini. Sur scène, pas d’artifice, la poétique comme pur joyau et la mélancolie sous le regard du poète, à travers la Femme, l’inaccessible, dans ses apparitions-disparitions. Comme une invitation au voyage…

Brigitte Rémer, le 9 décembre 2025

Spectacle théâtral autour des Fleurs du mal et autres textes de Charles Baudelaire – conception et mise en scène Christian Rémer – jeu Sébastien Vuillot – création musicale Tristan Michelin, chant Camille Bougheraba – compagnie Tsurukam.

Vu les 6 et 7 novembre 2025, à l’Espace culturel Bertin Poirée/ Association Tenri, 8-12 Rue Bertin Poirée, 75001, Paris – métro : Châtelet – site : www.cietsurukam.com – Tél : 06 12 24 93 25 – mail : cie.tsurukam@gmail.com

Silence, ça tourne

Création théâtrale de Chrystèle Khodr et Nadim Deaibes, à la MC93, Maison de la culture de Seine-Saint-Denis Bobigny – spectacle en langue arabe surtitré en français.

© Jean-Louis Fernandez

Chrystèle Khodr est seule en scène, assise avant l’arrivée des spectateurs, et suspendue au récit magnétique d’un sombre épisode de la guerre civile libanaise, un massacre commis dans un camp palestinien par les milices de droite, en 1976. Elle pianote sur son transistor enregistreur posé sur une table, au centre, pour écouter les témoignages de plusieurs personnes, dont une infirmière suédoise survivante, militante communiste qui y travaillait, Eva Ståhl. Les bandes magnétiques qui l’environnent et qu’elle tresse pour construire sa scénographie sont le cœur du sujet, ils portent la mémoire.

L’actrice a décidé de raconter. Elle met en garde sur la réalité des événements qui vont faire théâtre – elle est sur scène et nous sommes spectateurs – mais qui en fait ne sont pas théâtre. Elle ne jouera pas, ne fera pas semblant, nous sommes face à des événements réels, insiste-t-elle.

© Jean-Louis Fernandez

Le camp de Tal Al-Zaatar situé à Beyrouth et gardé par des fédayins, comptait plus de trente mille réfugiés palestiniens depuis la Nakhba de 1948, jusqu’à l’attaque par des milliers de miliciens chrétiens maronites soutenus par la Syrie de Hafez al-Hassad. Deux mois avant sa reddition annoncée, les coupures d’eau et d’électricité et la suspension de l’approvisionnement menèrent la population à la famine si bien que la Croix-Rouge s’engagea à l’évacuation de tous, c’était le 11 août 1976. Or, dès le lendemain, 12 août, les miliciens chrétiens entraient dans le camp pour commettre un véritable carnage, en toute impunité, ils n’ont jusqu’à ce jour jamais été jugés.

Chrystèle Khodr eut connaissance de ces événements par une vidéo trouvée par hasard en 2017 alors qu’elle faisait des recherches sur un autre spectacle. Eva Ståhl, cette infirmière suédoise, racontait sur un lit d’hôpital, le 2 août 1976, les atrocités qu’elle avait subies, ainsi que tous les Palestiniens du camp. Cinq ans plus tard elle décide de reprendre le sujet, de chercher dans les archives et de partir à la recherche de cette infirmière dont elle ne connaissait pas même le nom. Elle la retrouve en Suède, à Göteborg et s’y rend avec Nadim Deaibes pour la rencontrer. Eva a soixante-quatorze ans, son mari est mort dans le camp, tué par une bombe, elle, a perdu un bras et l’enfant de sept mois qu’elle portait. De ce récit d’Eva Ståhl, qui finalement sera exfiltrée, contre son gré, grâce au reporter de guerre suédois Anders Hasselbohm, est né le spectacle, grâce aussi au récit d’un médecin chef du Croissant Rouge au camp, Youssef el Iraqi qui a écrit son journal sur des petits bouts de papier, pendant les cinquante-deux jours de siège.

© Jean-Louis Fernandez

Au fil de la narration où se croisent les voix d’un même massacre, où l’on se suspend aux mots et à l’environnement sonore (signé Ziad Moukarzel), Chrystèle Khodr construit avec une grande habileté ce qui ressemble à une prison, le camp de Tal Al-Zaatar, par une installation progressive des bandes magnétiques sur des poteaux, qui marquent l’enfermement et sont la matière vive de la mémoire. Eva Ståhl raconte son engagement, personnel et politique, son adhésion au Parti Communiste dans les années 60, le bénévolat dans le camp, les rencontres, et plus tard la destruction, les exécutions. Certains silences en disent long, qui, comme des zones blanches, marquent les interruptions de la mémoire. « Ne laissez pas tomber la branche d’olivier de mes mains… » À un moment l’actrice suspend le processus du récit et lance avec ironie « attention, urgence théâtre » pour signifier qu’elle entre dans le jeu et prendre un peu de distance avec l’aspect documentaire du récit.

© Jean-Louis Fernandez

Pourtant le vif du sujet inscrit bien la répétition de l’Histoire. Le massacre du camp de Tal Al-Zaatar évoque celui de Sabra et Chatila qui aura lieu six ans plus tard, en 1982, commis par les milices chrétiennes phalangistes alliées d’Israël dans le même contexte où le conflit israélo-palestinien se superpose à celui de la guerre civile libanaise. Jean Genet qui se trouvait à Beyrouth avait alors écrit Quatre heures à Chatila. Avec Silence, ça tourne, habilement écrit, construit et mis en scène, Chrystèle Khodr et Nadim Deaibes – qui signe scénographie, lumières et mise en scène – invitent à la réflexion, d’autant que ce massacre parle aussi d’aujourd’hui et du génocide Gazaoui qui se poursuit sous nos yeux en toute impunité, à l’encontre du même peuple, les Palestiniens.

Brigitte Rémer, le 5 décembre 2025

Écriture et jeu Chrystèle Khodr – mise en scène Nadim Deaibes, Chrystèle Khodr – scénographie et lumière Nadim Deaibes – son Ziad Moukarzel

Du 26 au 30 novembre 2025, mercredi et jeudi à 20h, vendredi à 20h30, samedi à 19h, dimanche à 16h, à la MC93/Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis, à Bobigny, 9 Boulevard Lénine, 93000 Bobigny – métro : Bobigny Pablo Picasso – Tél. : 01 01 41 60 72 60 – site : mc93.com – En tournée : du 10 au 18 mars 2026, au Théâtre de la Bastille, 75011. Paris – le 20 mars 2026, au Théâtre Joliette, à Marseille, dans le cadre de la Biennale des écritures du réel.

Vertiges

Texte et mise en scène de Nasser Djemaï, collaboration artistique Clémence Azincourt – au Théâtre des Quartiers d’Ivry / CDN du Val-de-Marne – Manufacture des Œillets.

@ Christophe Raynaud De Lage

Le violoncelle ouvre le bal, côté cour (Chiara Galliano). Ambiance famille, généreuse, avec bataille de polochon sur une scénographie judicieuse (Alice Duchange). Nadir, le fils aîné, peu présent depuis pas mal d’années, annonce son passage, à la surprise générale. Son père, mal en point, semble en sursis, vient-il le voir ? Même la mère s’étonne.

Ce que ne dit pas Nadir, c’est qu’il va rester un certain temps, car il y a de l’eau dans le gaz dans son foyer, on le comprend par les coups de fil qu’il donne et qu’il reçoit, de manière dérobée, avant qu’il n’informe ses parents de son divorce. C’est donc d’un retour dans la famille dont il s’agit et de l’ébranlement de tout l’édifice familial, dans cette situation. Nadir s’était inventé une vie autre, sans doute meilleure pensait-il, ce retour le met en danger, ainsi que la famille, qui essaie de le décrypter. Ses habitudes, ses mœurs, ses vues sur la vie ont changé. Il déconcerte ses parents, son frère et sa sœur, par ses exigences, et doit revoir sa copie et ses petits arrangements avec lui-même.

@ Christophe Raynaud De Lage

Son père est en plein désarroi face à la maladie, il dit ne plus pouvoir même prier et s’accroche à l’idée de repartir au pays pour un temps, comme chaque année. Tous essaient de l’aider entre les visites médicales et les traitements à suivre et Nadir, en plein chaos, apporte ses bonnes intentions et son autorité d’aîné, qui déstabilisent tout le monde. Une voisine passe, va et vient dans la maison, évanescente, guidée par une petite lumière rouge, oiseau de mauvais augure ou mauvais œil, elle fait partie de la famille. C’est l’espace fantasmatique et déréalisé de la pièce, contrepoint qu’aime à faire apparaître Nasser Djemaï dans ses pièces, comme opposition au réalisme de la situation familiale. Cette part du fantastique se trouvait déjà dans Héritiers en 2019, Les Gardiennes en 2022 et Kolizion en 2024, il continue à creuser son sillon. 

Nadir est donc un transfuge de classe, déserteur ou insoumis. La famille s’interroge sur ce frère et ce fils devenu quelque peu étranger dans ses réactions et positions envahissantes et décomplexées, et qui retrouve une famille différente et une ville changée – des images montrent le quartier (création vidéo Claire Roygnan et Nadir Bouassria). Dans sa quête de l’altérité, Nasser Djemaï reconnaît une proximité d’inspiration avec Jean-Luc Lagarce dans Juste la fin du monde, Peter Handke dans Par-delà les nuages ou encore Didier Eribon dans Retour à Reims.

@ Christophe Raynaud De Lage

À certains moments chacun joue à être quelqu’un d’autre, tiraillé entre des identités incertaines, deux pays, plusieurs familles, quelques projets. Nasser Djemaï s’inspire de sa biographie et recrée le spectacle qui avait vu le jour en 2020. Il a retravaillé le texte et renouvelé sa distribution. Tous habitent avec élégance et profondeur leurs personnages (Lounès Tazaïrt le père, Farida Ouchani la mère, Yassim Aït Abdelmalek le frère, Zaïna Yalioua la sœur, Martine Harmel la voisine). Nasser Djemaï est ce fils aîné, un retour pour lui sur le plateau, en relais avec Anthony Audoux.

La montée de la tension dramatique mène la famille vers le départ du père, valise à la main où se superposent l’idée du départ au pays et l’idée de la mort. Espace mental, divagation, illusion, extravagance, hantise ou obsession, le père se dit prêt. Le spectacle se termine sur un rituel de mort où la voisine présente/absente tient lieu de grande prêtresse et sur l’image de la valise pleine du quotidien, montant dans les cintres, ou dans les cieux, ou dans les abysses.

Nasser Djemaï poursuit ses investigations sur le multiculturel, la famille, la différence et l’altérité. Il a fait du Théâtre des Quartiers d’Ivry qu’il dirige depuis cinq ans, une maison des auteurs, attentifs aux artistes émergents. Il poursuit sa quête identitaire, individuelle et collective, à travers textes et rencontres et dans une qualité artistique toujours renouvelée.

Brigitte Rémer, le 3 décembre 2025

@ Christophe Raynaud De Lage

Avec : Yassim Aït Abdelmalek, Nasser Djemaï en alternance avec Anthony Audoux, Chiara Galliano (violoncelle), Martine Harmel, Farida Ouchani, Lounès Tazaïrt, Zaïna Yalioua – assistants mise en scène, Célia Bolzoni et Rachid Zanouda – scénographie Alice Duchange – casting, Nathalie Cheron (ARDA) – création lumière Renaud Lagier et Vyara Stefanova – création musicale Frédéric Minière et Chiara Galliano – création costume Benjamin Moreau – création vidéo Claire Roygnan et Nadir Bouassria – régie générale et régie plateau, Lellia Chimento – construction Ateliers décors MC2 Maison de la Culture de Grenoble. Le texte est publié aux éditions Actes Sud (2017).

Du 20 au 30 novembre 2025, au Théâtre des Quartiers d’Ivry, CDN du Val-de-Marne Manufacture des Œillets, 1 Place Pierre Gosnat. – 94200. Ivry-sur-Seine – métro : Mairie d’Ivry – site : www.theatre-quartiers-ivry.com – tél. : 01 43 90 11 11.

@ Christophe Raynaud De Lage

En tournée :  11 et 12 décembre 2025, Comédie de Colmar/ CDN Grand-Est-Alsace – 9 et 10 janvier 2026, CDN de Normandie-Rouen –  4 au 6 février 2026, Théâtre de l’Union/CDN du Limousin (Limoges) – 12 au 13 février 2026, Le Préau/CDN de Normandie (Vire) – 20 et 21 mars 2026 Maison des Arts de Créteil – 24 mars 2026, Théâtre de Nîmes/ Scène conventionnée – 27 mars 2026, Théâtre Molière/Scène nationale archipel de Thau (Sète) – 8 et 9 avril 2026, Théâtre de Lorient/ CDN de Bretagne.

Et la terre se transmet comme la langue

Oratorio jazz d’après l’oeuvre de Mahmoud Darwich * – Récitant Elias Sanbar – Composition musicale et vibraphoniste Franck Tortiller – Soprano Dominique Devals –  Saxophone Maxime Berton – Guitare Misja Fitzgerald Michel – Percussions et chant Patrice Héral, au Théâtre de la Criée, à Marseille.

Elis Sanbar et Mahmoud Darwich © DR

Pour clôturer les Nouvelles Rencontres d’Averroès enracinées à Marseille, face à la Méditerranée, et qui avaient pour thème cette année Prendre langue, se parler, une superbe proposition :  les textes du grand poète palestinien, Mahmoud Darwich, mis en musique, avec pour récitant son ami et traducteur, Elias Sanbar, historien et écrivain, ancien ambassadeur pour la Palestine auprès de l’Unesco.

C’est un moment rare qui nous est proposé, d’intelligence et de beauté dans ce monde de barbarie. Mahmoud Darwich est cette figure-Phare qui redonne l’espoir, porté par le plus vibrant passeur de ses textes depuis son envol vers l’ailleurs, en 2008, Elias Sanbar.

Et la terre se transmet comme la langue, quoi de plus concret et de plus poétique que cette image qui habite en creux la Palestine, où la dépossession des terres et des maisons autant que de la langue et de l’identité sont à l’œuvre, depuis bientôt huit décennies. La violence intérieure est intacte.

© Baptiste de Ville d’Avray

Sur scène, Elias Sanbar, son émotion et la nôtre, entouré de quatre musiciens – Franck Tortiller le compositeur, Misja Fitzgerald Michel, Maxime Berton et Patrice Héral, ainsi que de la soprano Dominique Devals. « La nationalité des poètes, c’est la langue » dit Elias Sanbar, en introduction, avant d’évoquer l’actualité génocidaire subie par Gaza et au-delà, de plus en plus, par la Cisjordanie, fomentée par des hommes d’affaire et beaucoup de complicité. « Depuis 1948 mon peuple est soumis à une mise en demeure » poursuit-il. « Partez, vous serez saufs ! » leur dit-on. La mémoire individuelle de chaque famille se mêle à la mémoire collective. « Nos parents sont partis dit-il, mais ils pensaient revenir très vite. » Et il questionne les Républicains espagnols qui entendaient la même chose. « Est-ce que vous seriez partis, si vous saviez que vous ne reviendriez pas ? »

© Baptiste de Ville d’Avray

Avec la tragédie d’aujourd’hui, dans la souffrance de l’anéantissement de Gaza – 68 000 morts pour 700 000 habitants dans la ville avant le conflit, 85 à 95% du territoire détruit, il confirme : « Nous ne sortirons pas de ce paysage, même si le prix est très lourd ! Le peuple palestinien ne bougera pas, il est chez lui. Nous sommes chez nous. Nous répondrons par des poèmes… » Beaucoup de poèmes ont été écrits, beaucoup sont traduits et publiés en France. « En arabe, le verbe est poétique, nous habitons nos poèmes » poursuit Elias Sanbar, comme on habite la maison الْبَيْت (al bayt).

Mahmoud Darwich était un magnifique diseur de ses textes, dans un rythme si particulier et une sorte de psalmodie dans laquelle il projetait les mots avec énergie. Un poème ouvrait ses récitals, Sur cette terre, qu’Elias Sanbar lit avec beaucoup d’émotion : « Sur cette terre, il y a ce qui mérite vie : l’hésitation d’avril, l’odeur du pain à l’aube, les opinions d’une femme sur les hommes, les écrits d’Eschyle, le commencement de l’amour, l’herbe sur une pierre, des mères debout sur un filet de flûte et la peur qu’inspire le souvenir aux conquérants… Sur cette terre se tient la maîtresse de la terre, mère de préludes et des épilogues. On l’appelait Palestine. On l’appelle désormais Palestine. Ma Dame, je mérite la vie, car tu es ma Dame. »

© Baptiste de Ville d’Avray

Et la terre se transmet comme la langue, a été écrit par Mahmoud Darwich depuis Paris où il résidait, en 1989. Dans ce long poème en prose, il parle de la douleur de l’exil et de la force qu’il faut pour puiser en soi, malgré l’errance, pour garder l’espérance dans l’attente du retour. Le poète évoque alors la première Intifada, qu’on appelle la guerre des pierres, conflit entre les Palestiniens des territoires occupés et Israël, et qui s’étend de décembre 1987 à la signature des accords d’Oslo, en 1993.

Monte la musique, les instrumentistes aux aguets, puis se révèle la voix de la soprano Dominique Devals qui a chanté la poésie palestinienne et particulièrement Mahmoud Darwich à plusieurs occasions. Elle est ici chanteuse et récitante dans la mise en musique réalisée par Franck Tortiller et créée au Volcan-scène nationale du Havre en 2019, puis reprise à la Philharmonie de Paris en 2020 et au Festival d’Avignon en 2022. Franck Tortiller, vibraphoniste, a composé un sublime oratorio où les voix se mêlent, celles des instruments, celles du récit et celles du chant en un personnage collectif frappé par le destin, comme le chœur de la tragédie grecque.

Le vibraphone étouffe les lames en même temps que les larmes, les sonorités sont douces dans l’équilibre des harmoniques et vibratos, dans la note qui se prolonge et se perd, dans les sons graves, ronds et chaleureux, ou plus clairs, ou encore brillants. Il entraine le saxophone de Maxime Berton, la guitare de Misja Fitzgerald Michel et les percussions de Patrice Héral, qui parfois déchire l’espace d’interventions vocales. La voix des instruments dans leurs interjections et leur musicalité, dans leur fougue, traduit les désespoirs et les espoirs, dialoguant du récit au chant, du murmure au cri. « Ils sont rentrés… aux confins de leur obsession, à la géographie de la magie divine. » Parfois le texte est pur récitatif, parfois le chant répond, qui s’élève sur l’absence. Lancinants, reviennent les mots rythmés par Elias Sanbar, Et la terre se transmet comme la langue, sorte de leitmotiv qui structure le poème.

© Baptiste de Ville d’Avray

Sobrement et finement pensée et réalisée, cette œuvre musicale lance des ponts jusqu’à la Palestine à partir des mots de Mahmoud Darwich. Et la terre se transmet comme la langue est une traversée lyrique, dans une nouvelle traduction revue par Elias Sanbar en 2022. Sur ce navire, Palestine, Mahmoud Darwich pour capitaine, commandants en second Elias Sanbar et Franck Tortiller, figure de proue Dominique Devals, amiraux Misja Fitzgerald Michel, Maxime Berton et Patrice Héral, on voyage, dans l’attente du retour.

« Comment entrer dans le jardin des portes quand l’exil est l’exil ?… Ils savaient l’avenir de l’hirondelle quand le printemps l’embrase, rêvaient du printemps de leur obsession qui viendrait ou ne viendrait, savaient ce qu’il advient lorsque le rêve naît du rêve et qu’il sait qu’il ne faisait que rêver et savaient, rêvaient, rentraient, rêvaient, savaient, rentraient et rentraient, et rêvaient, rêvaient et rentraient. » La densité d’un final, scandé par l’espoir.

Brigitte Rémer, le 2 décembre 2025

© Baptiste de Ville d’Avray

*Mahmoud Darwich, né en 1941 à Birwa, près de Saint-Jean-d’Acre, et mort à Houston en 2008, est unanimement considéré comme l’un des plus grands poètes arabes contemporains. Auteur d’ouvrages maintes fois réédités et traduits partout dans le monde, il est publié en France par Actes Sud (source de cette présentation).

Et la terre se transmet comme la langue, et autres poèmes, de Mahmoud Darwich, traduits de l’arabe (Palestine) par Elias Sanbar, coll. Babel, Actes Sud, 2025 – Oratorio jazz présenté le dimanche 23 novembre 2025, à 17h, comme clôture des Nouvelles Rencontres d’Averroès – Théâtre de la Criée, 30 quai de la Rive Neuve. 13007, Marseille – Sites : www.theatre-lacriee.com et www. nouvellesrencontresaverroes.com

L’École de danse

Texte de Carlo Goldoni, traduction Françoise Decroisette – mise en scène de Clément Hervieu-Léger, avec la troupe de la Comédie-Française – spectacle présenté dans la Salle Richelieu de la Comédie Française.

@ Agathe Poupeney

Né à Venise, Carlo Goldoni marque le XVIIIème siècle de son empreinte et le théâtre italien par l’écriture de plus de deux cents pièces, au Théâtre Saint-Ange de Venise auquel il est d’abord rattaché après avoir exercé comme juriste, puis au Théâtre Saint-Luc. Il écrit en langues toscane, vénitienne et française et transforme la commedia dell’arte plutôt décadente en comédies de mœurs et croquis de société. Progressiste et inspiré par la philosophie des Lumières, il signe ce moment de bascule au théâtre en témoignant des façons de vivre et fonde ainsi la comédie italienne moderne. Autour de lui, beaucoup de jalousies et un farouche défenseur des masques et de la tradition, Carlo Gozzi, qui s’oppose à lui et à la nouveauté.

Goldoni écrit L’École de danse dans le cadre d’un projet ambitieux – écrire neuf comédies touchant aux neuf muses de la mythologie grecque. La pièce parle du milieu de la danse, elle est représentée en 1759, mais essuie un cuisant échec. Trois ans plus tard c’est avec amertume que l’auteur s’exile à Paris où il y est invité par les Comédiens-Italiens, mais il sera déçu et n’y réalisera pas la carrière escomptée. Il s’éteindra dans l’oubli en 1793. Seule la postérité le reconnaitra comme un dramaturge inventif et grand maître du théâtre.

@ Agathe Poupeney

Clément Hervieu-Léger qui signe la mise en scène représente avec finesse le studio de danse dans le décor qui est celui du Misanthrope, spectacle actuellement joué à la Comédie Française, et fonctionne à merveille : un escalier côté cour, des fenêtres translucides à l’arrière où les silhouettes passent, un escalier dérobé côté jardin, plusieurs portes au rez-de-chaussée donnent le tempo. La troupe de la Comédie-Française s’étire à la barre et devant un miroir comme un véritable corps de ballet en échauffements et répétitions, sous le regard noir et rude, baguette à la main, du maître de danse, monsieur Rigadon – sorte de Méphisto, (excellent Denis Podalydès, dans le rôle). Derrière le piano, à cour, toujours, on aperçoit le crâne du pianiste (Philippe Cavagnat) protagoniste de l’ombre qui accompagne les classes des jeunes danseuses et danseurs – Giuseppina (Pauline Clément), Rosalba (Marie Oppert), Felicita (Claire de la Rüe Du Can), Rosina (Léa Lopez), Filippino (Jean Chevalier), Carlino (Charlie Fabert) – chacun bien typés et déjouant les pièges tendus par le maître qu’ils/qu’elles pourraient chercher à exploiter pour avancer dans la carrière, tout en se moquant de lui.

@ Agathe Poupeney

Une mère, Lucrezia, (Clotilde de Bayser) vient supplier le maître de regarder sa fille, Rosina, brillante, dit-elle et de l’accepter gracieusement dans le studio. Rigodon trame avec des mécènes-admirateurs comme le comte Anselmo (Loïc Corbery), ou l’impresario Don Fabrizio (Eric Genovèse), assisté de son courtier Ridolfo (Stéphane Varupenne). Pingre comme pas quatre il cherche à s’enrichir sur le dos des danseuses qu’il essaie de prêter aux mécènes, y compris sa favorite, Giuseppina, y compris Felicita qu’il prétend promouvoir comme première danseuse, alors qu’elle déteste la danse et rêve de jouer la comédie.

@ Agathe Poupeney

On suit les aléas du studio de danse, les va-et-vient des mensonges, les alliances de circonstance et les espoirs de chacun chacune, y compris ceux de la sœur de Rigodon, madame Sciormand, (Florence Viala) une vieille fille qui ferait croire qu’elle attend le prince charmant et qui s’imposera auprès d’un prince de ses intérêts, le courtier. Les imbroglios vont bon train jusqu’au notaire (Noam Morgensztern) qui vient demander remboursement pour escroquerie à Rigadon, alors que tous sont joyeusement dans la signature de leurs contrats de mariage et autres, avec leurs amoureux ou leurs admirateurs, laissant leur maître préféré, coi.

L’École de danse est une pièce à la fois pathétique – elle fait penser aux jeunes danseuses de Degas, gracieuses et fragiles autour desquelles les protecteurs sont en embuscade – et comique. Les rapports de domination y sont traités avec légèreté et le maître tyrannique y est moqué. Rien de spectaculaire dans la construction de la pièce, à l’origine écrite en vers, ici traduite en prose (par Françoise Decroisette), si ce n’est ce regard sur le parcours de formation en danse avec toutes les embûches qu’il fallait traverser, d’autant selon les classes sociales. La mise en scène de Clément Hervieu-Léger sait trouver l’équilibre entre ces deux pôles et propose un spectacle rythmé, entre manigances et espérances, doutes et talents.

Brigitte Rémer, le 28 novembre 2025

Avec la troupe de la Comédie-Française : Éric Génovèse, Florence Viala, Denis Podalydès, Clotilde de Bayser Loïc Corbery, Stéphane Varupenne, Noam Morgensztern, 
Claire de La Rüe du Can, Pauline Clément, Jean Chevalier, Marie Oppert, 
Adrien Simion, Léa Lopez, Charlie Fabert, et Diego Andres, Lila Pelissier, Alessandro Sanna, Philippe Cavagnat – Scénographie Éric Ruf – costumes Julie Scobeltzine – lumière Bertrand Couderc – son Jean-Luc Ristord – collaboration artistique et chorégraphique Muriel Zusperreguy – collaboration artistique Frédérique Plain.

Du 14 novembre 2025 au 3 janvier 2026, en matinée à 14h, en soirée à 20h30 à Salle Richelieu de La Comédie-Française, place Colette 75001 – métro : Palais-Royal – tél. : 01 44 58 15 15 – site : www.comedie-francaise.fr

Kaboul, une chambre à soi

© Kubra Khademi

Création sonore et visuelle de Caroline Gillet et Kubra Khademi – travail sonore réalisé par Caroline Gillet et Frédéric Changenet – programmation du Théâtre de la Ville au Théâtre de la Concorde, dans le cadre du Festival d’Automne-Paris.

C’est une installation immersive réalisée en complicité avec l’artiste Kubra Khademi, réfugiée en France depuis 2015, en coopération avec une équipe anonyme située à Kaboul. On est invité dans un salon afghan où l’on pénètre après avoir laissé manteaux et chaussures au vestiaire. Les murs sont recouverts d’un papier blanc parcouru de fines frises. Deux banquettes se font face, où prennent place une quarantaine de spectateurs, le lieu est cocon, recouvert de tapis.

© Christophe Raynaud de Lage

Entre les deux banquettes de cet étroit couloir, une longue table et sa nappe bordée d’une dentelle sur laquelle sont posés divers objets de terre aux formes brutes, émaillées, certaines de ce bleu turquoise symbolique, un peu de l’âme afghane. On dirait que la table est mise et qu’on est attendu : assiettes et plats, pichets et bonbonnes à couvercle, fontaine à eau et fleurs séchées,

Quand on est bien calé sur l’une des deux banquettes, face à soi se trouve une fenêtre d’où sortiront les images et la narration qui constituent le coeur de l’installation. On voit quelques paysages, somptueux, une maison à fleur de montagne, la terre, hésitant entre brun et bordeaux, l’eau qu’on pompe pour remplir des jerricans, des enfants qui lancent des pierres. On entend des bruits lointains de foule et des oiseaux, seules traces de vie, une table qu’on débarrasse, c’est le paysage sonore qui environne la narratrice, Raha, une jeune femme Afghane de vingt et un ans, depuis sa chambre où elle est contrainte de garder fenêtre close, le confinement comme planche de salut.

En août 2021 Raha et Caroline Gillet, journaliste à France Inter, ont commencé à correspondre, Kaboul venait de retomber aux mains des talibans. Raha s’est mise à documenter son quotidien et Caroline Gillet a décidé de le faire vivre. Elle en a réalisé un podcast, Inside Kaboul, autour de deux jeunes Afghanes, puis ces témoignages sont devenus un film d’animation réalisé par l’artiste plasticienne et performeuse Kubra Khademi – qui a étudié les beaux-arts à l’Université de Kaboul, puis à l’université de Beaconhouse, à Lahore, au Pakistan. Elle a dû fuir en 2015 et est exilée à Paris. Aujourd’hui, cette installation immersive permet de poursuivre le dialogue et de faire entendre la voix de Raha et celle de nombreuses autres femmes autour d’elle. Elle présente sa famille – une mère enseignante, un père fonctionnaire, elle, qui travaillait dans le secteur privé et ne peut plus travailler. « Ici, tout est difficile. Que va-t-il nous arriver à nous, les femmes ? » se demande-t-elle à voix haute. Dans la ville, une circulation chaotique, des vendeurs ambulants, des drapeaux noir, rouge, vert, remplacés par les drapeaux talibans, noirs à l’écriture blanche – leur profession de foi musulmane, qui envahissent les rues, l’organisation de check point. « Le 15 août, il y a un an, on a tout perdu en une seule journée » dit-elle avec amertume. L’inquiétude des gens est palpable, certains ont tenté de fuir, sans succès, dans des aéroports saturés et la vie est désormais liée aux positions de la communauté internationale.

© Kubra Khademi

Tout-à-coup notre charmant salon afghan est plongé dans le noir, juste pour nous faire percevoir ce que sont les incessantes coupures de courant, à Kaboul. Alors la vie se suspend. Certaines institutrices tentent de poursuivre leur mission éducative en faisant classe par internet, mais la connexion souvent se coupe. Raha suit aussi des cours par visio, son prof a l’accent russe. Se concentrer à la maison dans tous les cas est difficile. Elle se raconte : elle avait obtenu une bourse et devait partir étudier à l’étranger au moment où les talibans ont pris le pouvoir. Elle s’est posé la question de partir ou de rester. Elle n’a pas eu le cœur de laisser ses sept sœurs, elle est restée. Elle se passionne pour l’histoire et la biologie mais désormais tout lui est interdit, comme pour toutes les femmes afghanes. Alors elle résume son emploi du temps : « je dors, je cuisine, je nettoie. »

Dans la ville les talibans arrêtent les taxis et les fouillent, comme ils fouillent chaque maison. Ils détruisent les instruments de musique, alors elle a pris les devants et a démonté et caché les cordes de sa guitare. « Une guitare bien morte dans un pays bien mort » dit-elle. « Je n’aurais jamais imaginé que les années les plus belles de ma vie seraient comme ça, on est retournés vingt et un ans en arrière. »

Et pourtant Raha s’accroche car elle pense que demain ne pourra être que meilleur. On entend une chanson qu’elle aime, on aperçoit une ligne d’horizon. Comment trouver le sommeil ? Il a neigé toute la nuit, les voitures roulent doucement et les oiseaux sont gelés. Payer le chauffage devient difficile. On voit des cages d’oiseaux sur les images, métaphore de sa maison-cage et de sa vie captive.

Et pourtant la vie continue, comme elle peut. Les huit ans de sa petite sœur donnent lieu à une fête, à la surprise générale. Le Ramadan arrive qui ponctue l’année, avec muezzin et hauts parleurs. Tout-à-coup des fumées jaillissent d’un quartier, c’est l’explosion d’une école, dévastée. Les talibans qui tirent en l’air font monter la tension, dernier jour de Ramadan, avant l’Aïd el-Fikr. La lumière vire au bleu turquoise. Il pleut des cordes en ce 11 août, le ciel pleure nous dit-elle. Beaucoup de gens regardent dehors, de leurs fenêtres fermées.

© Kubra Khademi

La suite rétrécit encore le monde des femmes afghanes, quand, en juillet 2023, la fermeture des salons de beauté est décrétée, et en octobre 2024, l’obligation de porter la burqa. Aujourd’hui il leur est interdit de chanter et même de parler en public, de lire à voix haute. Il est même conseillé de murer les fenêtres qui les laisseraient apparaitre.

Et pourtant monte un chant, et se constituent des récits. La lumière baisse, quelques images de femmes afghanes apparaissent encore aux fenêtres avant de s’effacer. Tout au bout de la table s’est assise une femme en tailleur, qui a posé une figurine, image emblématique de la femme afghane, et qui nous ouvre la porte.

Avec Kaboul, une chambre à soi Caroline Gillet et Kubra Khademi donnent l’alerte, rappellent, et rendent hommage à la Femme Afghane qui, envers et contre tout, résiste.

Brigitte Rémer, le 25 novembre 2025

Texte et son Raha – Récit sonore Caroline Gillet et Frédéric Changenet accompagnés de Anna Buy – Scénographie et installation plastique Kubra Khademi – Vidéo vidéastes et monteurs anonymes à Kaboul – Lumière Juliette Delfosse – Mixage Frédéric Changenet et Pierre Langlet – Sons additionnels depuis Kaboul Benazer – Régie générale François Lewyllie – Voix off en français Sofia Lesaffre – Production Maria-Carmela Mini.

Les vendredi 14 novembre, lundi 17 novembre, mardi 18 novembre, mercredi 19 novembre 2025 à 19h, 20h et 21h – samedi 15 novembre 2025 à 15h, 17h, 19h et 20h30. Programmation du Théâtre de la Ville dans le cadre du Festival d’Automne-Paris, au Théâtre de la Concorde, 1 avenue Gabriel. 75008. Paris – métro : Concorde – site : theatredelaville-pars.com – tél. : 01 42 74 22 77.

Superstructure

Texte de Sonia Chiambretto, d’après son livre Gratte-Ciel – mise en scène et scénographie  Hubert Colas, Compagnie Diphtong, au Théâtre Amandiers-Nanterre, Centre Dramatique National, dans le cadre du Festival d’Automne.

© Hervé Bellamy

Le mouvement de la mer Méditerranée sur grand écran, au port d’Alger, se reflète sur le sol de la plateforme-scénographie en effet miroir, comme le drapeau de Palestine s’y démultiplie.

Ici c’est de l’Algérie dont il s’agit, sujet sensible s’il en est. Anne Corté, Ahmed Fattat, Saïd Ghanem, Adil Mekki, Perle Palombe, Nastassja Tanner, Manuel Vallade, forment un chœur où la narration voyage de l’un à l’autre. Leurs personnages, franco-algériens ou français d’origine algérienne, veulent connaître l’Histoire et interrogent : « qui tue qui ? » Certains s’expriment en arabe et/ou en amazigh.

Le spectacle parle de la décennie noire qui a opposé de 1990 à 2000 les militaires et le Gouvernement algérien aux Islamistes, guerre civile qui a fait de nombreux morts. Elle évoque aussi la guerre d’indépendance et de décolonisation qui, entre 1954 et 1962, a opposé la France et l’Algérie dans une grande cruauté et beaucoup de tués, avant la signature des Accords d’Evian et l’Indépendance de l’Algérie, le 3 juillet 1962. Certains épisodes particulièrement dramatiques comme la Bataille d’Alger, loin d’être cicatrisés, sont évoqués. « Qui se préoccupe de vous ? » demande l’un d’entre eux.

Sonia Chiambretto, l’auteure, publie en 2020 Gratte-Ciel, qui file la métaphore autour de la construction-destruction, notamment à travers les projets Le Corbusier ; la superstructure d’un bâtiment en termes architectural étant « l’endroit où l’on passe le plus clair de son temps, cet espace comprend le rez-de-chaussée et l’étage d’une maison, ainsi que les différents étages d’un immeuble. La superstructure inclut les poutres, les colonnes, les finitions, les fenêtres, les portes, la toiture, les planchers et tous les autres éléments qui la composent. » Bien avant la Cité Radieuse de Le Corbusier inaugurée à Marseille en octobre 1952, l’architecte avait fait en 1930 un grand projet avec la Municipalité d’Alger, dénommé Projet obus, comprenant une Cité d’Affaires, une Cité de résidence et la liaison entre deux banlieues excentrées de la capitale algérienne. Le projet ne sera pas réalisé mais aura valeur de manifeste, cherchant à tordre le cou aux routines administratives et à instaurer en urbanisme les nouvelles échelles de dimensions, adaptées aux réalités contemporaines.

© Hervé Bellamy

Sonia Chiambretto ne fait pas oeuvre d’architecte, ni d’historienne, mais à partir des témoignages et documents d’archives collectés, propose une traversée de l’histoire de l’Algérie contemporaine à plusieurs voix. « Dans ce livre, je me saisis d’une mémoire qu’on ne m’a pas transmise. J’ai cherché à traduire la violence et à la fois la beauté avec lesquelles toutes ces histoires me sont ensuite parvenues. » C’est par bribes qu’apparaissent ces moments historiques complexes et douloureux, construits sur scène par Hubert Colas, comme un oratorio. L’utopie de la jeunesse algéroise y côtoie la quête de vérité et d’identité, et le désir d’émancipation.”

Micro, belles images sur écran (Pierre Nouvel), variations, réverbérations dessinent la vie d’Alger dans son quotidien, ses aspirations, ses couleurs, sa poésie, portés par des acteurs et actrices vibrant dans la restitution qu’ils font des événements, de la dénonciation des assassinats – entre autres celui d’Ahmed Salah et d’Abdelkader Alloula – aux questions qu’ils énoncent. Ils donnent des références comme celle à Frantz Fanon, auteur de Les Damnés de la terre et autres personnalités artistiques, intellectuelles ou politiques, et celles de mouvements qui ont participé à la lutte contre la colonisation et les injustices raciales et sociales, comme les Black Panthers aux États-Unis.

© Hervé Bellamy

Superstructure fait suite à la création de Gratte-Ciel en juillet 2013 dans le cadre du Festival de Marseille et de MP2013/Capitale Européenne de la Culture. Hubert Colas a opté pour une certaine beauté dans la restitution, celle de la jeunesse et celle de la polyphonie. La beauté de la langue est reprise par l’harmonie du plateau et derrière les événements dramatiques du passé se profile l’espérance d’un avenir positif porté par les acteurs.

Brigitte Rémer, le 21 novembre 2025

Avec : Anne Corté, Ahmed Fattat, Saïd Ghanem, Adil Mekki, Perle Palombe, Nastassja Tanner, Manuel Vallade – son Frédéric Viénot – vidéo Pierre Nouvel – lumières Fabien Sanchez et Hubert Colas – costumes Fred Cambier – assistantes à la mise en scène Lisa Kramarz et Salomé Michel – assistante à la scénographie Andrea Baglione – régie générale Nils Doucet – régie vidéo Hugo Saugier – Gratte-Ciel de Sonia Chiambretto, est publié et représenté aux éditions de L’Arche (2021).

Du 6 au 22 novembre 2025, les mercredis, jeudis et vendredis à 20h, le samedi à 18h, le dimanche à 20h, au Théâtre Amandiers-Nanterre, Centre Dramatique National, 7 avenue Pablo-Picasso, Nanterre (92022) – RER Nanterre-Préfecture – tél. : 01 46 14 70 00 – site : www.nanterre-amandiers.com

Coupables d’amour

Texte de Nathalie Kanoui, librement inspiré de Crimes de Femmes d’Anne Sophie Martin et Brigitte Vital Durand – mise en scène Anne Le Guernec – au Théâtre de la Reine Blanche.

© Isabelle Husson-Ribeiro

La première, Simone, arrive par la salle. Elle est accusée d’avoir tué son mari. « L’accusée avait-elle l’intention de le tuer ? Oui… »  Elle est condamnée à douze ans de réclusion criminelle et a dix jours pour faire appel.

On entre de plain-pied dans le sujet, la justice. Elles sont trois dans une cellule, auparavant jeunes femmes sans histoire : Laura (Nathalie Kanoui) a tué le compagnon dont elle était amoureuse, Simone (Josette Stein) a mis en pièces le sien et nous décrit par le menu son protocole, Leni (Félicité Chaton) la plus jeune, a tué son père. Crimes passionnels, pour se protéger, se venger ou se rebeller. Dans leur incarcération elles sont devenues, disent-elles, « des marchandises, des inutiles. » On entend au loin quelques pépiements d’oiseaux et des aboiements, ce semblant de vie extérieure qui vient comme une vague, ou comme en rêve (musique originale et réalisation sonore de Frédéric Prados).

© Isabelle Husson-Ribeiro

On voyage sur les traces et les blessures de ces trois femmes, au cœur de leurs pensées et réflexions, de leurs sentiments et émotions, du tribunal à la prison. Une solidarité se tisse entre elles, de différentes générations, identités et classes sociales. « Qu’est-ce qui vous ferait plaisir pour la semaine prochaine ? On a reçu les bons de cantine » demande Simone. « Kalachnikov, bazooka, fusil à pompes » répond Lara… « Montgolfière, spa, voyage en concorde » surenchérit Leni. « Rognons de veaux, jardinière de légumes, poêlée de pleurotes » enchaîne Simone. On suit les procès avec les interrogatoires de la présidente du tribunal, les magistrats, les rencontres avec les avocates, les animatrices, les accusées. La détresse est visible autant que les espoirs et la nuit apporte ses fantasmes. On redéfinit les rôles de chacun dans ce théâtre du monde, les avocates, les juges, les jurés…

La scène est sobre. Elle est à la fois prison et prétoire, trois bancs pour mobilier servent de table ou de lit, les lumières donnent cette ambiance d’ombres portées sur les murs (création lumières de Clara Pacotte). Les robes d’avocates que mettent les actrices à tour de rôle quand elles passent de l’autre côté de la rampe, traduisent l’audience. Les mots percent. Simone raconte sa vie d’enfer avec Émile, qui buvait, et sa façon de le tronçonner racontée avec distance… « C’était une bête, le père… J’ai défendu mes enfants… »  Laura s’est vu refuser une liberté conditionnelle mais s’en relèvera. On fait des jeux pour passer le temps, on mange quand on a pu cantiner. La scène finale donne de l’espoir, Leni est sortie et retrouve Laura. Enceinte, elle vient lui demander  d’être la marraine de son enfant à naître.

© Isabelle Husson-Ribeiro

Nathalie Kanoui, qui interprète ici Laura a adapté Crimes de Femmes, texte de deux journalistes, Anne Sophie Martin et Brigitte Vital Durand, la première également réalisatrice pour la télévision, la seconde secrétaire générale de la Presse judiciaire, qui témoignent d’histoires vraies et interviewent certaines de leurs protagonistes. La comédienne explique avoir découvert pour sa part le milieu de la justice au lycée, lors d’une visite de sa classe au Palais de Justice de Paris. La mise en scène signée Anne Le Guernec sert avec subtilité le texte, rendant leur humanité à chacune des femmes, et sans en faire des oies blanches. Chaque actrice sert le propos avec précision et limpidité, tantôt accusée, tantôt personnel de l’appareil judiciaire. La justesse est là, dans un réalisme mesuré, comme une évidence, et dans le constat de l’acte tragique accompli et sans regret, la liberté et l’identité retrouvées. Ce parcours initiatique leur permet de reconquérir leur dignité et de retrouver une place dans la société.

Brigitte Rémer, le 20 novembre 2025

© Isabelle Husson-Ribeiro

Avec : Félicité Chaton, Nathalie Kanoui, Josette Stein – musique originale et réalisation sonore Frédéric Prados – lumières Clara Pacotte – Assistante à la mise en scène Mona Martin-Terrones – avec les voix de Frédéric Jessua et Thierry Bosc – production La Compagnie Céleste.

Théâtre de la Reine Blanche, les jeudis 6, 13, 20 et 27 novembre et mardis 11et 18 novembre, à 19h00 – les samedis 8, 15, 22 et 29 novembre, à 18h00 – 2 bis Passage Ruelle – 75018 Paris – métro : La Chapelle, Max Dormoy – réservations par tél. : 01 40 05 06 96, ou par mail : reservation@scenesblanches.com 

Les Conséquences

Texte et mise en scène Pascal Rambert – scénographie Aliénor Durand – lumière Yves Godin – costumes Anaïs Romand – musique Alexandre Meyer – au Théâtre de la Ville-Sarah Bernhardt, dans le cadre du Festival d’Automne.

© Louise Quignon

C’est le premier volet d’une trilogie annoncée par Pascal Rambert. Suivront Les Émotions en 2027 puis La Bonté, en 2019, avec la même équipe. L’auteur metteur en scène mêle plusieurs générations d’acteurs. Aux plus anciens – Audrey Bonnet, Anne Brochet, Marilú Marini, Arthur Nauzyciel, Stanislas Nordey, Laurent Sauvage, Jacques Weber – se sont joinst de jeunes acteurs sortant des écoles du Théâtre National de Bretagne et du Théâtre National de Strasbourg – Paul Fougère, Lena Garrel, Jisca Kalvanda, Mathilde Viseux – et ce n’est pas qu’un effet de style, à travers eux Pascal Rambert nourrit son inspiration de la perception et de l’observation du temps.

Et quoi de plus volatile que le temps ? Pascal Rambert le mesure à travers trois générations d’une même famille, « à la fois dans la fiction, et dans le vieillissement des acteurs » ce qui explique son envie de mettre en place sur plusieurs années un processus créatif et de suivre chacun d’entre eux, en même temps que l’évolution de leurs personnages.

© Louise Quignon

Dans Les Conséquences, il met en scène les rituels familiaux qu’on choisit, ici deux mariages et ceux qu’on ne choisit pas, deux enterrements, décortique les émotions et réactions de chacun et les interactions des arrière-cuisines. Trois générations se font face et se parlent frontalement, imaginent, interprètent, s’agacent, ont des envolées. Pour Pascal Rambert, qui a donné aux personnages les prénoms que portent les acteurs et actrices dans la vraie vie, « la parole est une arme, mais c’est aussi un aveu d’impuissance. » Il nous fait traverser des zones d’étrangeté et d’incommunicabilité. La scénographie construit le huis-clos duquel chacun entre et sort, blanc clinique éclairé par des rangées de néons bien ordonnées. L’intérieur de cette bulle à usage polyvalent, lieu de fête autant que de mort, est vaste et contient deux rangées de grandes tables et des bancs. Le jeu des portes qui claquent donne le tempo (scénographie Aliénor Durand, lumière  Yves Godin).

Acte 1 – Le spectacle débute sur une ode funèbre devant l’urne de la grand-mère âgée de cent-six ans. Les différentes générations s’affairent, parents, enfants, gendres, belles-filles et petits enfants. Les robes joliment colorées virevoltent (costumes Anaïs Romand), les hauts talons scintillent, les scènes de ménage fusent, les portes claquent. « Je choisirai mon urne » dit celui qui enterre sa mère, académicienne (Jacques Weber). On est dans la bonne bourgeoisie, BCBG, où l’on est diplomate, préfet, psychiatre, journaliste, écrivain, tout le package de ceux qui, forcément, ont fait les grandes écoles. La mort de la doyenne marque le délitement de la famille. Laurent, l’ex d’Audrey, épouse de Stan, ré-apparaît.

© Louise Quignon

Acte 2 – On enchaîne, passant du noir théorique au blanc. Paul et Jisqua se marient, les boules à facettes sont suspendues, pourtant ça commence mal et ça s’énerve, la corbeille de la mariée a été oubliée sur le hayon de la voiture, drame à l’horizon. La grand-mère vêtue de parme (Marilú Marini) y va de ses « de mon temps… » Les uns et les autres se racontent. Le jeune marié est acteur « entrepreneur de lui-même » dit-il. Dans ce milieu cultivé on lui parle de la Falconetti qui avait présenté L’Échange, de Claudel à Buenos-Aires. Les conflits de génération s’attisent. On poursuit dans les clichés, quand bien même ils seraient au second degré, rien de bien nouveau sous le soleil.

© Louise Quignon

Acte 3 – Retour sur la mort. Ode funèbre adressée à une jeune fille qui s’est défenestrée. Nouveaux scandales et couples qui se font et se défont. Les jeunes mariés déjà se séparent, pour divergences concernant l’envie ou non d’avoir un enfant, lui le voudrait, elle non. Stan vient récupérer ses affaires, laissant la place à son rival, l’ex d’Audrey, et s’explique avec son beau-père. Pascal Rambert truffe son texte de références l:  petites allusions à la psychanalyse, Lacan-ci Lacan-là ; pas de côté, sur l’antisémitisme ; zeste des films de Chris Marker, « le fond de l’air est rouge… » ; satire de la politique. Anne se raconte. Jamais de kaïros jamais le moment de parler se plaint-elle.

Acte 4 – Même les apparences ne sont plus sauves. Retour vingt ou trente ans en arrière. Pimpante et perruquée Marilú Marini fait du gringue à Laurent, et marie ses deux filles, enceintes. Jacques, son époux, ne se sent pas bien, ses filles annoncent qu’il perd la tête. Hélène et son époux se recollent, le diplomate démissionne. Stan court après son épouse qui attend que Laurent se décide : « Reste ! Tu as compté dans ma vie » lui dit-elle. Jacques fait allusion à Tchékhov, La Cerisaie, pièce faite de ces petits-riens… « Je déteste le théâtre » lance-t-il. Il reste seul et regarde autour de lui. « Ils sont tous partis, ils m’ont tous oublié » dit-il, pathétique, « comme si je n’avais pas vécu… Comme il fait nuit !»

La satire de ce milieu de gauche bien formaté n’a rien de très passionnant et Les Conséquences nous mènent dans un entre-soi plutôt banal où Pascal Rambert, côté texte, s’ingénie à la platitude blanchie sur pré. Il est heureusement bien servi par des acteurs qui eux semblent s’amuser dans leurs humeurs et cavalcades débridées. La dramaturgie repose sur la chorégraphie des entrées et sorties, les claquements de porte donnent le rythme, ça brasse de l’air mais ça brasse, alors on suit la géométrie des couples qui se font et se défont et le mi-cuit des conflits de générations.

Brigitte Rémer, le 20 novembre 2025

Avec : Audrey Bonnet, Anne Brochet, Paul Fougère, Lena Garrel, Jisca Kalvanda, Marilú Marini, Arthur Nauzyciel, Stanislas Nordey, Laurent Sauvage, Mathilde Viseux, Jacques Weber -Texte, mise en scène et installation Pascal Rambert – lumière Yves Godin – costumes Anaïs Romand – musique Alexandre Meyer – scénographie Aliénor Durand – collaboration artistique Pauline Roussille – régie générale Félix Lohmann – régie lumière Thierry Morin – régie son Baptiste Tarlet – régie plateau Antoine Giraud – habilleuse Marion Régnier – répétiteur José Pereira – direction de production Pauline Roussille – administration de production Sabine Aznar – Le texte est publié aux éditions Les Solitaires Intempestifs.

Du 3 au 15 novembre 2025 à 20h, le dimanche à 15h, au Théâtre de la Ville-Sarah Bernhardt, 2 place du Châtelet. 75004. Paris – métro Châtelet. Tél. : 01 42 74 22 77 – site : theatredelaville-paris.com – En tournée : 2 au 5 décembre 2025, à Bonlieu/scène nationale d’Annecy – du 17 au 19 décembre 2025, au Centre Dramatique National Nice-Côte d’Azur.

D-CAF / Arab Arts Focus, un Festival de haute volée, au Caire – (3) – “The Long Shadow of Alois Brunner”

Le Festival D-CAF, Downtown Contemporary Arts Festival, a été fondé en 2012 par un passionné de théâtre, Ahmed El Attar, qui depuis des années encourage le développement du spectacle vivant indépendant dans son pays, l’Égypte, sous toutes ses formes. Il signe, en 2025, sa 13ème édition. Nous présentons ci-dessous le spectacle The Long Shadow of Alois Brunner, texte, Mudar Alhaggi – mise en scène Omar Elerian – avec Wael Kadour et Mohammad Al-Rashi, Collectif Ma’louba (France/Allemagne/Syrie) – au Centre culturel Jésuite, Le Caire (Égypte), dans le cadre du Festival D-Caf. Texte en langue arabe surtitrée en anglais.

La pièce est portée par le Collectif Ma’louba fondé en 2016, qui rassemble des artistes syriens formés à l’Institut Supérieur des Arts Dramatiques de Damas, vivant à Berlin et Paris. Ma’louba signifie À l’envers – La pièce remonte l’Histoire, à la recherche du criminel nazi Alois Brunner et met le projecteur sur la Syrie où le tortionnaire a fini ses jours. Créé il y a deux ans, le spectacle tourne dans le monde.

© Mostafa Abdelaty

Né dans l’Empire Austro-Hongrois en 1912 dans une famille de petits paysans catholiques et antisémites, cet officier SS et membre du parti nazi, responsable du Bureau principal de la sécurité du Reich, fut l’assistant des basses besognes d’Hitler, protagoniste de la déportation et de l’extermination de nombreux juifs. Condamné par contumace après la guerre à la prison à perpétuité pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité, il serait mort à l’âge de quatre-vingt-dix-huit-ans à Damas, en 2010, dans l’indifférence générale et en rupture avec tous. Il aura réussi à passer à travers les mailles du filet de la justice et n’aura jamais été rattrapé, malgré la traque menée par Beate et Serge Klarsfeld. Rewind !

À plusieurs reprises Alois Brunner, sous divers pseudonymes, s’échappe, de Tchéquie, d’Autriche, d’Allemagne où il était retourné malgré son inscription sur la liste no 1 des criminels de guerre établie par le Tribunal militaire international de Nuremberg, s’enfuit en Égypte en 1953 et rejoint la Syrie en 1954 pour s’y installer. Après le coup d’État qui porte le parti Baas au pouvoir en 1966, il y joue un rôle-clé et devient un proche collaborateur du dictateur Hafez El-Assad, appliquant les méthodes nazies dans les geôles de Syrie. Il signe l’élaboration des services de renseignements secrets et la mise en place d’un appareil répressif d’une rare efficacité dans le raffinement des techniques de torture. Il est formellement identifié en 1985 par le journal allemand Bunte qui réussit à le photographier, permettant cette confirmation, même si les services secrets israéliens l’avaient localisé dès 1980, lui envoyant un colis piégé. Deux agents de la poste de Damas avaient alors été tués, lui s’en était sorti avec la perte d’un œil et de deux doigts.

© Mostafa Abdelaty

L’auteur de la pièce, Mudar Alhaggi, a mené des investigations avec obsession et collaboré avec les acteurs et le metteur en scène. La pièce relate ses expériences et reconstruit le puzzle de ses recherches et découvertes, de ses interrogations et convictions. Deux acteurs – Wael Kadour et Mohammad Al-Rashi, tous deux d’origine syrienne – font vivre ce trouble où se superposent la vérité et le mensonge, le présent et le passé, l’exil, la justice, l’espoir, la liberté, mêlés à l’incertitude de l’acte de création. Ils arrivent aux répétitions et ne trouvent que des fragments de textes – documents historiques autant qu’anecdotes personnelles. Derrière les questions sensibles et complexes liées au collectif et ici particulièrement à la justice, le script promis, tarde.

Wael Kadour ouvre la pièce en parlant de son exil et de l’asile politique obtenu en France avec sa famille il y a dix ans, de sa rencontre avec Mohammad Al-Rashi – dont le père, Mohamad Abdul Rahman Al Rashi était un acteur-star – de leur rencontre avec Mudar Alhaggi. Dramaturge, auteur et animateur culturel syrien installé à Berlin, Alhaggi s’était isolé pour écrire mais se trouvait en panne d’inspiration, reconnaissant que son propre récit en constituait la source. Il avait eu un fils, puis avait disparu. L’acteur-narrateur saisit son ordinateur et son mobile, s’installe au bureau. Une lettre lui est dictée, des raccords sont trouvés. La nature du projet se décale, acteurs et metteur en scène décident de poursuivre. Musique. Lumière.

© Mostafa Abdelaty

D’un tyran l’autre, la pièce nous conduit entre l’Allemagne et la Syrie. Mohammad Al-Rashi portant l’uniforme de l’officier, se métamorphose en nazi avec ses coups de gueule et humeurs escarpées, se plaignant de douleurs, exigeant une infirmière ou qu’on lui lise le journal. Il neige sur Damas, le narrateur porte un grand manteau. Le Festival de cinéma se termine, le Shams Hôtel Ciné est fermé. Brunner/ Mohammad Al-Rashi marche avec une béquille, lui aussi est recouvert d’un grand manteau. Personnage purement beckettien, il égrène une liste de films. « Je suis Allemand » clame-t-il, « on a beaucoup de films allemands » et il donne ordre : « Cherche les films ! » Se mêle au contexte politique la notion de représentation et de spectacle d’un récit historique à la trame incertaine. Le récit est donné salle éteinte. Quand la lumière revient les deux personnages sont assis dos à dos. Le vieux Brunner enregistre, le jeune écrit, entre ordinateur et mobile. Ensemble ils élaborent un nouveau scénario. Une imprimante crache les quelques quatre cents pages écrites par Brunner sur sa vie à Damas – L’homme parlait arabe – ils commencent à en faire lecture puis trient, froissent et déchirent l’ensemble des feuilles. Les deux acteurs penchés sur ce travail de mémoire ont parfois des points de vue divergents et hésitent entre séquences historiques et rédaction de leur scénario. Ils testent et mettent en place un interrogatoire, Wael Kadour, lunettes fumées, fait une déposition pour dénoncer Brunner sous ses divers pseudonymes. L’ambiance qui s’en dégage fait penser au contexte des pièces de  Sadallah Wannous, grand auteur syrien, où la suspicion et l’ambiguïté sont toujours présentes.

© Mostafa Abdelaty

L’effet kaléidoscope du spectacle relate l’opacité de l’Histoire, la perte de réalité d’avec son propre pays, la panne d’inspiration, le processus de création qui vole en miettes et s’interrompt. Du côté de l’Histoire, se projettent des images de manifestations sur la mort et les funérailles de seize jeunes hommes tués pendant la guerre de Syrie, ceux qu’on a arrêtés puis torturés entre 2006 et 2011. L’un raconte : « J’ai été arrêté. Deux hommes en civil ont frappé à la porte… » Un tortionnaire est nommé, le Syrien Anwar Raslan, qui a travaillé pendant dix-huit ans pour les services secrets syriens et fut arrêté en Allemagne en 2019, tandis qu’un autre tortionnaire l’était en France.  Jugé au début de l’année 2022, pour cinquante-huit chefs d’accusation – crimes contre l’humanité, actes de torture sur plus de quatre mille détenus dont un certain nombre sont morts, et sévices sexuels. Il fut reconnu coupable de crime contre l’humanité et condamné à la prison à perpétuité, en Allemagne.

© Mostafa Abdelaty

À la fin du spectacle le mobile sonne, c’est un appel de Mudar Alhaggi qui se met à parler de tout et de rien, de tout sauf du spectacle, laissant les acteurs dans le vide. « As-tu une vision pour la fin ? » se demandent-ils l’un à l’autre. Omar Elerian, metteur en scène, auteur et dramaturge Italo-Palestinien, connaît bien l’univers de l’auteur dont il a récemment présenté la pièce The Return of Danton au Kammerspiele de Munich. Il travaille le fragment avec beaucoup de finesse, interroge l’exil, la responsabilité, la mémoire individuelle et collective, dans l’Histoire. Avec The Long Shadow of Alois Brunner Omar Elerian, mène le public à la crête de la réflexion sur l’Allemagne, la Syrie et sa guerre civile, le pouvoir, dans une ligne brisée et les entrelacements d’un discours fragmenté. Les acteurs, Wael Kadour et Mohammad Al-Rashi, magnifiques tous deux, jouent le trouble de la ligne dramaturgique floutée, entrant et sortant avec fluidité dans les différents rouages du kaléidoscope. De la narration à l’interprétation ils témoignent des déchirements et de la culpabilité, des paroxysmes et accalmies, et derrière l’Histoire, de la complexité de la création.

Brigitte Rémer, le 15 novembre 2025

© Mostafa Abdelaty

Spectacle présenté les 25 et 26 octobre 2025 dans le cadre du Festival D-Caf, au Centre Culturel Jésuite, Le Caire (Égypte), par le Collectif Ma’louba (France/Allemagne/Syrie). Texte, Mudar Alhaggi – mise en scène, Omar Elerian – acteurs, Wael Kadour et Mohammad Al-Rashi – scénographie Jonas Vogt – son et musique Vincent Commaret – conseiller pour la recherche en dramaturgie Éric Altorfer – traduction en anglais Hassan Abdulrazzak – producteur international Eckhard Thiemann.

D-CAF / Arab Arts Focus, un Festival de haute volée, au Caire – (2)

Le Festival D-CAF, Downtown Contemporary Arts Festival, a été fondé en 2012 par un passionné de théâtre, Ahmed El Attar, qui depuis des années encourage le développement du spectacle vivant indépendant dans son pays, l’Égypte, sous toutes ses formes. Il signe en 2025 sa 13ème édition, qui a commencé début octobre, au Caire et à Alexandrie. Nous présentons ci-dessous quelques-uns des spectacles vus, quelques-uns des moments.

Sada/Écho (Égypte)direction, jeu et écriture Ossama Helmy-Ozoz, à l’Institut Français d’Égypte/Mounira (1). C’est un collectionneur d’instants qui nous prend par la main et nous mène dans son univers des sons, sa passion. Ancien chanteur, il a étudié l’anthropologie, est devenu conteur et acteur. Il raconte, par les vinyles qu’il a soigneusement conservés au fil du temps et qu’il manipule lui-même sur scène pour les faire entendre, des pans de la richesse musicale égyptienne. Il a d’ailleurs constitué un fond, les archives Audioz, qui rassemble une collection hors pair de musiques – dont des enregistrements amateurs réalisés sur des appareils analogiques et des documents d’archives qu’il rend accessible aux artistes et aux chercheurs.

Sada (Écho)© Mostafa Abdelaty

Dans l’environnement sombre de la scène, laissant libre cours à la rêverie, Ossama Helmy-Ozoz s’affaire parmi des machines qu’on croirait mises au rebut et sur lesquelles il branche et débranche ses fiches comme il déplacerait les pions d’un jeu d’échec. Il parle avec sa mère, Safiyya, dont le nom signifie pure, signe de beauté intérieure. Il met un premier vinyle, Ahlan Safeyya du chanteur Mohamed Haman, suivi de Enta El Hob, toi mon amour, grand classique d’Oum Khaltoum, il chante avec. Il fait aussi entendre Ahmed Ossama, Fadi Iskandar, Fathiya Ahmad avec Ya Tara « Où est la lumière de mes yeux ? Où est-elle partie ? » et encore bien d’autres. Certains disques craquent, d’autres sont rayés, les lumières douces virent du violet au rose. Au-delà de la technique et des sons électroniques qu’il évoque, Ossama Helmy-Ozoz parle de colonialisme et de sionisme, puis des grandes figures qui tissent la vie politique et sociale d’Égypte comme Yasser Arafat né au Caire ou la mort de Gamal Abdel Nasser, le 29 septembre 1970, qu’il lie aux musiques. Et, dans la présence-absence de son oreillette, l’ingénieur du son fait entendre une vieille cassette audio, Az-Zumar récit coranique par Sheikh Mohammed Omran où l’on entend les bruits de la ville autour de la mosquée ; ou encore Lamma enta Nawy du célèbre Mohamed Abdelwahad répétant « Je continue à penser à toi et j’écoute ce qui te rappelle, Toi tu ne m’as pas oublié… » Ça grince sur le 78 tours. Et il met en vis-à-vis des photos en numérique et argentique pour comparer les sons, numérique ou analogique, déplie la chronologie musicale des années 70, et parle de mémoire et de conscience.

The Light Within © Mostafa Abdelaty

The Light Within (Égypte/Palestine) – chorégraphie de Shaymaa Shoukry, au Théâtre El-Falaki (2). La chorégraphe avait présenté des étapes de son travail, Fighting au 104, à Paris, où elle était en résidence en 2019, en partenariat avec l’Institut du monde arabe, ainsi que deux autres chorégraphies à l’IMA, Portray et Walking en partenariat avec Chaillot-Théâtre national de la Danse, le Centquatre-Paris, Le Tarmac/scène internationale francophone, le Centre national de la danse, l’Atelier de Paris et le Musée national de l’histoire de l’immigration. Deux ans plus tard elle avait à nouveau présenté Fighting, à la Briqueterie de Vitry-sur-Seine, dans le cadre d’un Focus sur la création artistique programmé par le théâtre Jean-Vilar de Vitry en co-réalisation avec l’Association Arab Arts Focus de Paris et Orient Productions au Caire, écho à la révolution citoyenne traversée dix ans plus tôt et à son impact – nous avions rendu compte du spectacle liant les arts martiaux, la danse et le mouvement dans notre article du 26 novembre 2021 (cf. archives Ubiquité-Cultures).

Shaymaa Shoukry est une artiste pluridisciplinaire au parcours ancré dans les arts visuels, et qui, mêle dans ses chorégraphies danse, performance, son, arts martiaux et création d’art vidéo. Dans The Light Within, trois danseuses en pantalons orange, bordeaux et brun jouent d’ombre et de lumière, leurs lampes de poche émettent des sémaphores et dessinent des calligraphies dans l’espace. Elles débutent avec lenteur et harmonie, comme un chœur, dans des mouvements lancinants et répétitifs jusqu’à l’obsession. Puis leurs gestes lents s’accélèrent accompagnés de jeux de lumière. Quand le plateau s’éclaire elles sont comme des vestales, imperturbables et concentrées dans une gestuelle au scalpel. Le travail des bras se complexifie, épaules, bras tendus vers la lumière, puis les mains se rejoignent et elles engagent les pas et les figures d’une danse traditionnelle. Les recherches de Shaymaa Shoukry s’orientent vers les origines de la danse et les racines du mouvement, sur le déplacement des ondes et la guérison énergétique et émotionnelle.

KMs of Resistance (Maroc) – direction Mehdi Dahkan pour deux performers, à The Warehouse (3). C’est un chorégraphe et interprète marocain qui travaille entre son pays et la France Il s’est passionné pour le hip-hop et les pratiques urbaines et a rejoint un groupe de breakdance 99flow à l’âge de douze ans. Il s’est ensuite formé à différents styles dont à la danse contemporaine, a fondé la Compagnie Jil Z en 2019, une plateforme pour la recherche et la création chorégraphiques et travaille sur l’espace urbain à partir des préoccupations sociales de la jeunesse au Maroc, en Afrique et dans le Monde Arabe. Ses performances obligent à la réflexion. KMs of Resistance est le troisième volet d’une série dont les deux premiers s’intitulent Subject To et Only 14. Deux immenses cercles jaunes tracés au sol se chevauchent. Un homme est au sol, animal, dans l’un d’eux comme sur son territoire.  Son visage est caché, il va puiser au plus profond de sa respiration qui donne le rythme. Il souffle et s’essouffle, jusqu’à la suffocation. Soufre, soufflance et souffrance, le propulsent dans une sorte d’idéalisation de l’espace où le monde tourne sur lui-même. Un second performer entre en piste, animal, de même et porteur d’un monde sombre.

KMs of Resistance © Mostafa Abdelaty

Le premier s’enroule autour de lui, ils s’unissent par le souffle et jusqu’aux limites, jusqu’au sifflement comme le râle des poumons d’un mineur. Face à face les têtes se mêlent. Puis les gestes se dessinent en miroir. Les performers rampent sur le ciment et changent de cercle, puisant dans leurs réserves d’oxygène comme des poissons, jusqu’à l’accélération, la transe. Quand ils se relèvent et qu’ils se tiennent l’un, petit, devant l’autre, plus grand et qu’ils s’appliquent à la même gestuelle, on dirait deux organes d’un même corps qu’ils font marcher mécaniquement jusqu’au bout de leur souffle. Parfois la voix filtre, gutturale, comme un cri – celui du peintre Edvard Munch – comme un désespoir ou un appel. Un temps de repos, posant la tête sur les genoux bienveillants du public, essayant de leur communiquer ce souffle qui rythme la vie. Puis l’un ébauche quelques figures de rap, se gonfle et se dégonfle comme un ballon d’hélium. Ni musique ni lumière que celle du jour qui filtre par les ouvertures. Ils sont en apnée, le public aussi.

The Body Symphonic © Mostafa Abdelaty

The Body Symphonic (Liban) – direction Charlie Khalil Prince au Théâtre El-Falaki (4), propose un concert-performance, un face à face entre un danseur, chorégraphe et musicien libanais, Charlie Khalil Prince et un percussionniste allemand, Joss Turnbull. C’est une expérimentation autour du son et du corps comme lieu de résistance. Des machines posées au sol. Une voix chantée surgit quand le performer branche une prise. Il est mobile et se balade avec un micro dans les mains, au bout d’un fil. Il se place au centre de la scène et fait tourner le micro comme on tourne un lasso, accrochant au passage les bruits. Il accélère jusqu’au vacarme et décélère. Il gère le son au pied à partir d’une pédale et compose son univers musical. Quand il cesse, le son enregistré revient en écho. Il écoute, marque l’arrêt, et repart.

Le performer met son corps en mouvement, au sol, tourne sur lui-même sur fond d’un chant, comme une prière. Il maitrise ses gestes et son souffle à la manière d’un alpiniste. Un violon est couché au sol, il joue de l’archet et superpose les sons enregistrés aux sons du violon. Des figures corporelles accompagnent cet univers sonore qu’il construit et déstructure au gré d’une gestuelle très maitrisée. Des instruments dialoguent et dessinent des récurrences. La symphonie se développe en majesté. Apparaît un second musicien qui souligne la mélodie de ses percussions fines et délicates, amplifiées, le performer danse puis se saisit de l’archet comme d’une épée, des cris fusent. Un faisceau de lumière l’éclaire. Percussions et vocal accompagnent ses pas, il avance, recule, décompose les mouvements. Le volume sonore monte. Le performer se saisit d’une guitare et joue, ses sonorités ressemblent à celles du oud. Un tout petit haut-parleur bat la mesure et deux instruments se répondent. Le dialogue entre la musique live et les enregistrements se superposent. Le danseur finit sur un solo emporté dans un tourbillon de folie. La lumière baisse, il danse dans la nuit avant que tout s’arrête.

Pitch Session © Brigitte Rémer

Au-delà des quelques spectacles présentés ci-dessus, une multiplicité de propositions sont mises en place par D-Caf. Ainsi Electro Flamenco du groupe électro-acoustique Artomático (Espagne) ; Rooftop rituals performance sur les toits conçue par Ilja Geelen (Pays-Bas/Égypte) ; L’Addition, version anglaise d’une performance présentée au Festival d’Avignon 2023 par Tim Etchells et le duo de performeurs Bert et Nasi (Royaume-Uni/France) ; Invisible, un jeu collectif où l’absurde côtoie le fantaisiste (Suisse) ; Story of… de l’auteure et metteure en scène Laïla Soliman (Égypte) parlant de maternité et de la perte d’un enfant, ou encore Gaza O my Joy, un spectacle réalisé à partir des textes poétiques de Hend Jouda, mis en scène par Henri-Jules Julien (France/Maroc/Palestine) ; Stop calling Beirut du collectif Zoukak Theatre Company (Liban) ; les chorégraphies Hollow Embraces de Ramz Siam et Nowwar Salem (France/Palestine) ; et Just one title d’Islam Elarabi (Tchéquie/ Égypte/Allemagne). Par ailleurs dix-huit performances et cinq installations sont programmées dans le cadre d’Arts Focus & In Beetween, plateforme de création à travers le Monde Arabe, en partenariat avec le British Council.

Pitch Session © Brigitte Rémer

D-Caf ce sont aussi les sessions de pitch présentées chaque matin dans le magnifique Palais du XVIIIème siècle de Bayt El Sennari, un temps maison de campagne où Bonaparte et quelques-unes de ses troupes se sont posées, lors de la campagne d’Égypte. Située dans un quartier populaire, à deux pas de la mosquée Sayyeda Zeinab, elle est aujourd’hui Maison des Sciences, de la Culture et des Arts. De style ottoman, les façades portent encore leurs grandes baies à moucharabiehs, et ouvrent sur une cour à ciel ouvert, et dans sa cour arrière une scène est dressée pour le Festival. C’est là que les jeunes artistes présentent leurs projets, les programmateurs invités les rencontrent et peuvent dialoguer avec eux et imaginer des collaborations. Ces artistes travaillent souvent depuis deux ou trois ans sur leurs projets et cherchent des soutiens pour les faire aboutir. Le réseautage leur est très important pour trouver des financements. Une vraie dynamique existe autour de ces présentations. Pour n’en citer que quelques-unes : Bashar Markus pour la Palestine a présenté son projet Al Sirah al Hilaliyyah, poème oral épique bédouin datant du Xe siècle, épopée faisant le récit de la migration de la tribu Bani Hilal de la péninsule arabique à l’Afrique du Nord, au départ chantée dans tout le Moyen-Orient mais aujourd’hui uniquement présente en Égypte ; Pleine lune, une chorégraphie d’Islam El Arabi qui mêle danse et musique, danses urbaines et chaâbi, pour exprimer ses peurs, ses doutes, ses oppositions, sa rébellion ;  Salma my love, présenté par Ahmed El Attar, référence au film Hiroshima mon amour du réalisateur Alain Resnais dont la première aura lieu au Festival d’Avignon, et qui met en jeu comme souvent chez le metteur en scène les relations familiales. La violence est là, rentrée avant qu’elle ne s’exprime d’une manière décuplée ; The Book of Dead d’Ezzat Iamaïl et Sherin Hegazy, qui part de la barque solaire égyptienne dans son voyage vers l’au-delà et utilise différents matériaux, et qui peut se danser dans différents espaces, dont des musées ; Deadlif,  projet de Marina Barham, de Bethléem, pour les enfants et les jeunes, création visuelle en partenariat avec Bashar Markus ; The Golden Museum of Crisis, les étapes d’un travail en partenariat avec Berlin et Rennes, par un chorégraphe marocain, Youness Atbane travaillant entre plusieurs pays. L’équipe de Lieux Publics a présenté un projet franco-égyptien de théâtre urbain avec toute la complexité de sa réalisation en Égypte, dans l’espace public.

Dans la rue © Mostafa Abdelaty

La liste des projets chaque jour présentée est longue. Ces sessions de Pitch sont aussi l’âme de D-Caf, car elles permettent des rencontres professionnelles chaleureuses et l’échange des savoir-faire, d’un point de la planète à l’autre.

Brigitte Rémer, le 15 novembre 2025

 

Voir aussi notre article n° 3 sur The Long Shadow of Alois Brunner (France/Allemagne/Syrie), vu au Centre culture Jésuite, le 25 octobre 2025 – par le Collectif Ma’louba – Texte, Mudar Alhaggi – Mise en scène, Omar Elerian – Acteurs : Wael Kadour et Mohammad Al-Rashi – Scénographie Jonas Vogt – Son et Musique Vincent Commaret – Conseiller pour la recherche en dramaturgie Éric Altorfer – traduction en anglais Hassan Abdulrazzak, producteur international Eckhard Thiemann.

1.Sada/Écho, (Égypte), vu le 24 octobre 2025 à l’Institut Français d’Égypte/Mounira – direction, performance et écriture Ossama Helmy-Ozoz – scénographie Hatem Hassan – Lumières Mohamed Gaber-Bora – 2. The light within (Égypte/Palestine), vu le 24 octobre 2025 au Théâtre El-Falaki – chorégraphie de Shaymaa Shoukry, avec les danseuses : Besan Ja’ara, Hanin Tarek, Nidal HabuDan – Musique Ahmad Saleh, violon Shaymaa Shoukry, guitare basse Mahmoud Waly, vocal Marianne Ayousse – assistant à la chorégraphie Nowwar Salem – 3. KMs of Resistance (Maroc), vu le 25 octobre à The Warehousedirection Mehdi Dahkan – Performance Mehdi Dahkan, Mohamed Bouriri – création lumière Arthur Schindel – support dramaturgique Alice Ripoll – 4. The Body Symphonic (Liban), vu le 25 octobre au Théâtre El-Falaki – direction Charlie Khalil Prince – Performance et musique Charlie Khalil Prince et Joss Turnbull, avec des morceaux et enregistrements à partir des voix de Mouneer Saeed, Mustafa Saïd’s Into the Silent Zone et des extraits de Sextant par Stellar Banger – création lumière Joe Levasseur – dramaturgie Erin Hill.

D-CAF / Arab Arts Focus, un Festival de haute volée, au Caire – (1)

Le Festival D-CAF, Downtown Contemporary Arts Festival, a été fondé en 2012 par un passionné de théâtre, Ahmed El Attar, qui depuis des années encourage le développement du spectacle vivant indépendant dans son pays, l’Égypte, sous toutes ses formes. Il signe en 2025 sa 13ème édition qui a commencé début octobre, au Caire et à Alexandrie. Nous présentons dans ce premier article son parcours et ses créations, ainsi que le Festival ; un second article mettra en lumière plusieurs des spectacles programmés ; dans un troisième article nous nous arrêterons sur une pièce du Collectif Ma’louba (France/Allemagne/Syrie), The Long Shadow of Alois Brunner, dans un texte de Mudar Alhaggi interprété par Mohammad Al-Rashi et Wael Kadour, mis en scène par Omar Elerian.

Beit El-Sinnari – Ahmed El Attar © Mostafa Abdelaty

Auteur, acteur, metteur en scène et porteur de projets culturels et artistiques entre l’Égypte et de nombreux pays du monde tant au Moyen-Orient qu’en Europe, Ahmed El Attar écrit ses spectacles et les présente tout en montrant aux programmateurs du monde la jeune création théâtrale égyptienne et celle issue des pays du Moyen-Orient, à travers le Festival D-Caf. Une belle occasion pour le partage des savoir-faire. Dès 1993 il avait fondé au Caire la compagnie théâtrale indépendante The Temple, et présenté au fil des ans de nombreux spectacles. Pour n’en citer que quelques-uns ; en 1998 The Committee, première pièc dont il signe le texte ; en 2004 Mother I want to Be a Millionnaire ; en 2006, About Othello or who’s Afraid of William Shakespeare ; en 2007, Fuck Darwin or How I Learned to Love Socialism, une histoire où la famille s’insulte et se déchire sur fond d’un discours du Président Gamal Abdel Nasser sur la nationalisation du canal de Suez. Coréalisée avec le Théâtre national du Monténégro, la pièce avait permis à l’acteur Sayed Ragab, de recevoir le Prix d’Interprétation masculine au Festival de Théâtre Expérimental du Caire. En Égypte il faut, comme le dit Ahmed El Attar, « une bonne dose d’autodérision dans l’expression du désir de changement, et surtout, ne pas être pressé. » Dans ses pièces, il tend un miroir à la société et à la famille.

En 2005, Ahmed El Attar crée les Studios Emad Eddin, sorte de couveuse pour jeunes artistes de la scène et propose des studios de répétitions, des plateformes de formation et d’accompagnement dans la conception et le montage de projets artistiques et dans la diffusion des spectacles. En 2007 il fonde sa propre société de production, Orient Productions. Avec son équipe il est comme le sémaphore de la vie théâtrale égyptienne et remplit le rôle d’observatoire culturel.

Beit El-Sinnari – Ahmed El Attar @ Brigitte Rémer

Parfaitement francophone, participant de la Formation Internationale Culture créée pour les opérateurs culturels étrangers par Jack Lang en 1991 et diplômé en Décision, Conception et Gestion de projets culturels de l’Université Sorbonne Nouvelle, Ahmed El Attar présente régulièrement ses spectacles en France. On a pu voir en 2015 au Festival d’Avignon The Last Supper en version originale surtitrée, sur le thème du père, figure-totem de la société égyptienne et métaphore du rapport au pouvoir ; et en 2018, Mama où il dessine la place centrale de la mère qui détient dit-il, la faculté de faire changer les choses mais se place inlassablement dans le mécanisme de la reproduction en termes d’éducation. Dans cette sorte de huis-clos, il montre l’immobilité d’une société où la violence est cachée. Ahmed El Attar a également participé au Festival d’Avignon 2025 dédié à la langue arabe en présentant en coréalisation et sous le regard de la chorégraphe Mathilde Monnier, Transmission impossible, une performance réalisée avec trente-deux jeunes artistes de différents pays. Il avait aussi présenté au Tarmac en 2017 son texte, Avant la révolution, spectacle repris quelques années plus tard à la MC93 Bobigny, où deux acteurs face-public dans l’immobilité parfaite d’une mise en scène minimaliste et glacée, parlent de la tension du quotidien et du sentiment d’oppression de la société égyptienne, dans la vingtaine d’années précédant la révolte de 2011. Cette année-là fut pour lui pivot, croyances et valeurs se sont effondrées. « En Égypte on vit dans un film à part, tous les dangers du monde y sont concentrés » constatait-t-il.

On the importance of being an Arab ©Mostafa Abdelaty

En 2015 Ahmed El Attar se met en scène et présente On the importance of being an Arab qu’il tourne depuis et qu’il a repris cette année pour D-Caf. Lors de sa création, il disait : « Je ne suis pas chroniqueur, mais j’aimerais que les gens amorcent une réflexion sur l’Autre, sur l’Arabe que je suis, sur les préjugés… Le spectacle est une synthèse à la fois visuelle, sonore et dramaturgique, de la vie d’un Égyptien dans l’Égypte d’aujourd’hui, et cet Égyptien, c’est moi » À chaque reprise il en réinvente les contours et séquences et adapte le spectacle au contexte du moment, comme un Work in Progress. Des conversations échangées avec son père, des membres de sa famille ou des amies – l’intimité comme point de départ, le spectacle glisse aujourd’hui sur un ton plus incisif dans les méandres du politique pour parler notamment du génocide des Palestiniens. « Aussi insondable que cela puisse paraître, les arts et la culture sont notre façon d’exprimer notre solidarité, de faire notre deuil, de survivre et de résister » écrit-il dans son mot d’introduction au Festival. « En tant que travailleurs culturels arabes, abandonner n’est pas une option, échouer n’est pas une option, laisser l’horreur effacer la lumière de nos vies n’est pas une option. La seule option qui nous reste est de résister. Il est de notre devoir collectif de nous tenir aux côtés de nos frères et sœurs de Palestine en toute solidarité et de faire entendre notre voix en leur nom. »

Beit El-Sinnari © Mostafa Abdelaty

Au fil des ans et avec la création du Festival D-Caf, Ahmed El Attar a remis mille fois sur le métier l’ouvrage. L’édition 2025 qui vient de s’achever est une édition puissante tant dans son ambition artistique que dans son aspect fédérateur, dans tous les sens du terme – entre les artistes, les troupes, les responsables d’institutions théâtrales et les porteurs de projets, entre les formes théâtrales et la pluridisciplinarité vues de différents points du monde.

Pendant trois semaines, les artistes venus de toutes les géographies et univers artistiques ont butiné dans le cœur de ville, au Caire et montré leurs travaux. La programmation a proposé des spectacles de théâtre et de danse, des performances et formes visuelles de tous formats et langages scéniques, des interventions y compris dans la rue. Elle a investi différents lieux, comme le Théâtre Rawabet qu’anime toute l’année Ahmed El-Attar et Orient Production et qu’ils font vivre – lieu emblématique situé dans le labyrinthe des ruelles historiques au cœur du Caire, ancien garage transformé d’abord, en 1998, en galerie dédiée à l’art contemporain, Townhouse, par William Wells, commissaire canadien d’expositions et l’artiste et auteur égyptien Yasser Gerab qui y avaient adjoint pour leurs activités The Factory et The Ware House, deux anciens entrepôts aujourd’hui au cœur du Festival. Grâce à un partenariat fort avec Al Ismaelia pour l’investissement immobilier, D-Caf redonne vie à ces lieux emblématiques. Au cœur de son projet, l’utilisation de ces espaces atypiques au centre-ville du Caire. D’autres lieux culturels actifs de la ville participent aussi de cette dynamique de diffusion des spectacles, comme le Théâtre El-Falaki de l’Université américaine, la scène du Centre culturel Jésuite et celle de l’Institut Français d’Égypte, à Mounira.

Avec l’Ambassadeur de France © Brigitte Rémer

Un Programme de coopération franco-égyptienne dans les arts de la scène indépendante a d’ailleurs été lancé par l’Ambassadeur de France en Égypte, S.E. Éric Chevallier en partenariat avec Orient Productions, Les Premières II renforçant le partenariat avec le Service de coopération et d’action culturelle au Caire face aux défis des jeunes artistes. Dix projets professionnels en théâtre, danse, ateliers techniques, ont été sélectionnés dans ce cadre et présentés au cours d’un moment intense et convivial mettant à l’honneur les artistes et compagnies dont le travail illustre la vitalité et la richesse des arts de la scène indépendante en Égypte. Les valeurs partagées telles qu’énoncées par l’Ambassadeur étant : la liberté d’expression, la diversité des expressions et l’ouverture au monde, autrement dit une culture libre, vivante et partagée.

La programmation de D-Caf/édition 2025 a montré des spectacles de toutes sensibilités et expérimentations que nous présentons, vu la multiplicité des propositions, dans deux autres  articles.

Brigitte Rémer, le 15 novembre 2025

Voir aussi nos articles 2 et 3 sur le Festival D-Caf / Downtown Contemporary Arts Festival , réalisé par Orient Production (direction Ahmed El-Attar) – Le Caire (Égypte).

Figures in Extinction (1.0 – 2.0 – 3.0)

Chorégraphie de Crystal Pite et Simon McBurney – Lumières Tom Visser – avec le Nederlands Dans Theater (NDT 1) – Chaillot-Théâtre National de la Danse, au Théâtre de la Ville – Sarah Bernhardt.

© Rahi Rezvani

Trois chorégraphies composent le programme, créées à trois moments différents, qui se répondent et se complètent les unes les autres autour du thème de la crise écologique, et de la menace de l’extinction massive des espèces : The list (2022), But then you come to the Humans (2024) et Requiem (2025).

Crystal Pite et Simon McBurney signent à quatre mains ce programme qu’ils inscrivent dans la pluridisciplinarité et l’engagement physique de la troupe du Nederlands Dans Theater. Cette dernière fait appel à des artistes internationaux de haut vol, pour des collaborations ouvrant sur des voix singulières, Crystal Pite et Simon McBurney en sont. Leur rencontre est de haute voltige et précision, le résultat est plein de finesse et de fulgurance.

© Rahi Rezvani

En trente-cinq ans de parcours chorégraphique, Crystal Pite a créé plus de soixante pièces pour les plus grandes compagnies dans le monde, elle est associée au Nederlands Dans Theater, à Sadler’s Wells de Londres et au Centre national des arts du Canada. Avec le Théâtre de la Ville elle a présenté Betroffenheit en 2017, Revisor en 2022 et Assembly Hall en 2024. Simon McBurney est un acteur, écrivain et metteur en scène de théâtre, cofondateur et directeur artistique de la compagnie théâtrale Complicité, basée à Londres qui s’est donnée pour priorité de lancer l’alerte sur l’urgence climatique et écologique.

Figures in Extinction se concentre sur les peurs et les espoirs, Crystal Pite et Simon McBurney brassent leurs idées avant de mettre en forme. La traduction donnée par le Nederlands Dans Theater est éblouissante de maîtrise et de subtilité, de beauté. On pénètre dans des cycles de vie et de destruction proches du rêve et du cauchemar. La première pièce, Figures in Extinction1.0 explore le monde animal, oiseaux, caribou, dinosaure et autres espèces et fait vivre des espèces disparues. Elle montre, dans un côté marionnettique, un danseur dont le prolongement des bras est une longue corne – c’est impressionnant.

La seconde partie, Figures in Extinction 2.0 nous introduit dans les recherches scientifiques du psychiatre, philosophe et neuroscientifique britannique Iain McGilchrist touchant au cerveau, qui a publié en 2009 « Le Maître et son émissaire : le cerveau divisé et la formation du monde occidental » et pose la question : comment en sommes-nous arrivés là ? Les chorégraphes travaillent sur la notion de raison-déraison et de conférence scientifique. Des chemins de lumière tracent le dessin du cerveau et de l’imaginaire. Cette partie montre entre autres un duo de toute beauté, inventif et surnaturel, comme une résurrection.

© Rahi Rezvani

La troisième partie, Figures in Extinction 3.0 parle de la fragilité de l’humanité et du rapport à la mort. Les danseurs racontent leur histoire, évoquent leur famille et leurs ancêtres, cette séquence ouvre sur plus d’intimité. On entre dans l’intemporalité et la chambre de la mort qui donne les étapes au scalpel de la putréfaction des corps. Le linceul devient oriflamme.  La confiance qui se construit entre les danseurs du Nederlands Dans Theater et les chorégraphes dessinent un chemin chorégraphique enthousiasmant et hors norme, dans la perfection du geste, entrainant pour le public un réel plaisir du regard.

Figures in Extinction compose un travail théâtral et chorégraphique de tout premier ordre, réinventant l’espace en des volumes des plus fascinants par le jeu sublime de rideaux, lumières et découpes qui servent le spectacle et créent un langage. La subtilité du son, les mouvements de groupe quand vingt-cinq danseurs développent le même mouvement ou le réalisent dans un style décalé ou en miroir relève, outre la perfection du geste accompli, d’un rapport à l’espace des plus subtils. Chapeau bas !

Brigitte Rémer, le 2 novembre 2025

© Rahi Rezvani

Avec les danseurs du NDT 1 : Alexander Andison, Demi Bawon, Anna Bekirova, Jon Bond, Conner Bormann, Viola Busi, Amela Campos, Emmitt Cawley, Conner Chew, Scott Fowler, Surimu Fukushi, Barry Gans, Ricardo Hartley III, Nicole Ishimaru, Chuck Jones, Paloma Lassère, Casper Mott, Genevieve O’Keeffe, Omani Ormskirk, Kele Roberson, Gabriele Rolle, Rebecca Speroni, Yukino Takaura, Luca Tessarini, Theophilus Veselý, Nicole Ward, Sophie Whittome, Rui-Ting Yu, Zenon Zubyk – Emily Molnar, directrice artistique du NDT.

Figures in Extinction (1.0), The list : composition originale Owen Belton – création sonore Benjamin Grant – scénographie Jay Gower Taylor – costumes Nancy Bryant – Mise en scène des marionnettes Toby Sedgwick. Figures in Extinction (2.0), But then you come to the Humans : création sonore Benjamin Grant – scénographie Michael Levine, assisté de Anna Yates – vidéo Arjen Klerkx – costumes Simon McBurney, en collaboration avec Yolanda Klompstra. Figures in Extinction (3.0), Requiem : création sonore Benjamin Grant assisté de Raffaella Pancucci – scénographie Michael Levine, assisté de Christophe Eynde et Peter Butler – costumes Nancy Bryant. Production Nederlands Dans Theater – Complicité. Responsable production Tim Bell. Commande Factory International, Manchester. Coproduction Schrit_tmacher Festival – Les Théâtres de la Ville de Luxembourg – Montpellier Danse. Coréalisation Théâtre de la Ville-Paris – Chaillot-Théâtre national de la Danse. Avec le soutien de Dance Reflections by Van Cleef & Arpels.

Du 22 au 30 Octobre 2025, à 20h. / Samedi à 14h et 20h, au Théâtre de la Ville – Sarah Bernhardt, 2 place du Châtelet – 75004. Paris – tél. : 01 42 74 22 77 – site : theatredeleville-paris.com

Les cantiques du corbeau

Scénographie, conception et mise en scène, Bartabas – assistante à la mise en scène, Emmanuelle Santini – Musiciens du groupe Pantcha Indra et musicien invité, Sunarso – nouvelle création du Théâtre équestre Zingaro, au Fort d’Aubervilliers.

© Sacha Goldberger

C’est un voyage sensoriel auquel nous convie Bartabas, accompagné des mots qu’il a semés en 2022 pendant la période du confinement, et des musiques rituelles du gamelan qui enlacent son récit. Un à un entrent les musiciens du groupe Pantcha Indra, portant un signe distinctif animal, accompagnés de Sunarso, musicien invité. Ensemble, ils jouent des percussions, gongs, et flûtes enveloppant la représentation de leurs rythmes balinais.

Bartabas renouvelle les formes de ses expressions – visuelle, textuelle et musicale. Il met sur le devant de la scène le texte par l’apparition-disparition de récitants vêtus de noir, surgissant d’on ne sait quel outre-tombe et portant les vingt-deux chants qui composent Les Cantiques du corbeau qu’il a écrits sous forme d’invocation chamanique.

© Sacha Goldberger

Tout est sobre, dense et cérémonial, les images surgissent sans qu’on les attende. Récitants, chevaux, musiciens, ouvrent sur autant de visions mentales, et viennent à la rencontre du spectateur. « Enfant déjà, j’étais attiré par la beauté furtive des créatures sauvages. J’ai vite compris que jamais je ne pourrai rivaliser avec elles… » Tout se reflète dans l’eau qui recouvre le cœur de la piste, se dédouble, se trouble et s’efface. Par ce récit sur les origines de l’humanité où le cheval lance ses éclairs en cavalcadant autour de la piste, ou la traverse à la rencontre d’autres espaces, Bartabas crée, par l’infini des reflets, une écriture de lumière et des visions hypnotiques.

Dans son propos sur la place de l’homme et de l’animal, la conteuse du haut de son immense trône ouvre la porte de mondes secrets et intérieurs : « La nuit, l’animal me regarde et je lis dans ses yeux de nobles histoires, des chants qui m’invitent au voyage… » La Belle et la Bête se rencontrent, éléments et animaux parlent. Un chant solo de toute beauté fuse, le jeu des proportions se construit, on entend l’écho du monde.

Dans ces fragments scéniques qui relèvent d’une méditation poétique, les gestes sont esquissés, la Bête porte la Belle et la musique commente. Mystère, beauté furtive des créatures sauvages, bestiaire, flammes qui crépitent, tout est bleu nuit, tout est magie. « J’ai été banni de ma tribu… ! » dit le récitant. Passe une écuyère portant un squelette, passent les pénitents aux flambeaux sur fond de scie musicale, se place un récitant au centre de la piste, longue tunique noire, les pieds dans l’eau. Ce clair-obscur fait penser à Tarkovski, réalisateur entre autres de Stalker et du Sacrifice.

© Sacha Goldberger

Danse, transe et gestes d’offrande se succèdent, un chant solo féminin d’une grande expressivité, surgit. La femme aux flambeaux passe, le centaure et le bouc sont aux aguets, éclairés par une giclée d’étincelles et d’étoiles, les chevaux, bai clair, blanc ou grisé, apparaissent et disparaissent, en un tour de piste qui construit comme un songe. Une prêtresse aux appliqués d’or, des danseurs portant de lourds masques balinais et une danseuse balinaise la grâce incarnée, se succèdent, ses mains sont papillons, le chant du violon l’accompagne. « Je suis sorti de mon rêve à regret comme on quitte sa jeunesse » ponctue le récitant.

On capture une jeune femme qui tourne ses longs cheveux autour du cou jusqu’à l’étranglement. L’eau gicle, en accélération, et devient rouge sang. La mise à mort est archaïque et comme un rituel… « Le silence des bêtes nous rappelle à l’ordre du monde. » Les oies font une traversée, marquant leur appartenance au bestiaire Bartabas, artiste d’exception, en état permanent de recherche. Son vingt-deuxième chant, Dernier voyage, ferme le spectacle d’une nuit magnétique : « Au crépuscule, irradié de douceur, j’ai su bien mourir en prenant tout mon temps. » Et nous mourons avec lui, avant de renaître devant le feu, si chaleureux, crépitant à l’extérieur.

Brigitte Rémer, le 1er novembre 2025

© Sacha Goldberger

Scénographie, conception et mise en scène, Bartabas – Assistante à la mise en scène, Emmanuelle Santini – Artistes du théâtre Zingaro : Bartabas, Henri Carballido, Jean-Luc Debattice, Lola Eliakim, Alice James, Manolo Marty, Perrine Mechekour, Sarah Mordy, Julie Moulier, Florent Mousset, Paco Portero, Alice Seghier, Nessim Vidal – danse balinaise, Kadek Puspasari – Musiciens de Pantcha Indra : Thomas Garcia, Audran Le Guillou, Philippe Martins, François Marillier, Théo Mérigeau, Christophe Moure, Laetitia Schneider, Hsiao-Yun Tseng – Musicien invité, Sunarso – Feu, Lara Castiglioni – Chevaux : Famine, Guerre, Misère, Maestro, Tsar, Bruant Chouca, Hypolaïs et Ibis – Régie générale, Charlotte Matabon – lumière, Clothilde Hoffmann – son, Laurent Compignie en alternance avec Eliott Allwright – Techniciens plateau : Ouali Lahlouh, Pierre Léonard Guétal en alternance avec Julie-Sarah Ligonnière – Responsable des écuries, Ludovic Sarret – Soins aux chevaux, Ophélie Girardet et Caroline Viala – Création costumes, Chouchane Abello Tcherpachian – Atelier costumes, Montcalm Abicene – Cheffe d’atelier costumes, Anne Véziat – Couturier, Jean Doucet – Auxiliaire couture, Noémie Leblan – Auxiliaire accessoires, Méline Abello – Habilleuses, Isabelle Guillaume et Isia Seghier – Masques des musiciens, Pamela is dead – Masque de bouc, squelette et tigre, Cécile Kretschmar – Le texte, Les cantiques du corbeau a été édité aux éditions Gallimard dans la Collection Blanche en 2022, et en Folio en septembre 2025.

Du 15 octobre 2025 au 31 décembre 2025, Les mercredis, jeudis, vendredis, samedis à 19h30 et les dimanches à 17h30 – Théâtre équestre Zingaro, 176 Avenue Jean Jaurès – 93300 Aubervilliers, métro : Fort d’Aubervilliers – tél. : 01 48 39 54 17 – site : www.zingaro.fr

Une assemblée de femmes – diptyque

D’après Aristophane, Théâtre National Palestinien El-Hakawati, au Théâtre du Soleil, Cartoucherie de Vincennes. Spectacle et film en langue arabe surtitré en français, film de Laurent Rojol et Roxane Borgna.

Une Assemblée de femmes avait été présentée par le Théâtre National Palestinien El-Hakawati à l’Institut de Monde Arabe, en octobre 2023 dans un autre format. Nous avions présenté ce travail par un article dans Ubiquité-Cultures, le 27 octobre 2023. *

L’adaptation de la pièce d’Aristophane est reprise sur le grand plateau du Théâtre du Soleil par le Théâtre National Palestinien El-Hakawati, invité d’Ariane Mnouchkine, qui le dirige. « Ce projet qui ne parle pas de la guerre mais de quelque chose de beaucoup plus grand, de beaucoup plus universel, rien de moins que de la moitié de l’humanité. Ce projet parle de la lutte parmi les luttes, celle des femmes. Celle de la moitié de l’humanité » dit-elle. La pièce s’inscrit aujourd’hui dans un diptyque et s’accompagne d’un film documentaire dont certaines séquences font partie intégrante de la représentation théâtrale, nous le présentons dans cet article.

© Laurent Rojol

L’ensemble de la soirée est un hommage à la femme palestinienne, à la femme en général, dans la fierté d’être Femme. Les mères parlent de leurs filles et parlent à leurs filles. « Vous êtes fortes et vous êtes uniques. » Même si le cœur n’est pas toujours à la fête, on les voit conviviales et solidaires, elles ont décidé de prendre la parole : « J’ai ma propre voix pour dire qui je suis » posent-elles parlant de leur société dans laquelle « l’homme a le pouvoir et où il n’y a pas d’égalité. » Leurs conditions de vie changent vu de la ville ou de la campagne, car partout dans le pays, la femme est sous contrôle, politiquement et religieusement. À la campagne, elle semble pourtant mieux armée, plus solide.

Le film parle du programme Adwar, un organisme d’aide internationale, qui accompagne les femmes au plan économique et social dans leur émancipation, et qui a mis en place un comité de protection. Les femmes palestiniennes mettent l’accent sur l’éducation de leurs enfants, elles savent qu’ils sont l’avenir. « Ma fille m’a fait avancer dans la vie » dit l’une. À l’hôpital de Naplouse une jeune fille brûlée à 65° a passé trois mois à l’isolement et va partir se faire soigner aux États-Unis. Sa mère l’accompagne et dit : « J’ai découvert que j’étais une femme forte. »

Dans le camp de Ein as-Sulṭān, la solidarité entre femmes existe et les enfants chantent. Des réseaux de solidarité se mettent en place. « Où réside la force des femmes ? » se demande-t-on et l’une répond : « les femmes réfléchissent, y compris celles qui n’ont pas étudié. On aime cuisiner, danser, on a besoin de parler et d’écouter l’autre… » Comme tout un chacun elles aiment la vie. Pourtant, elles ont subi de nombreux traumatismes, n’ayant pas au départ acquis la capacité de dire non, de s’opposer. L’une anime des ateliers sur le thème de la discrimination, une autre sur celui de l’occupation. La démolition de leurs maisons les hante et les images montrent par contraste une terre de toute beauté, rouge et chaleureuse. « Comme on respecte la terre, la femme doit être respectée » dit le film.

© Laurent Rojol

Le Théâtre Ashtar implanté à Ramallah participe aux ateliers et aide à la formulation de leurs combats pour exister. Au cours d’une représentation à Naplouse, le doyen s’est autorisé à arrêter la représentation mais l’actrice, imperturbable, a poursuivi son texte et la représentation, défendant la liberté d’expression propre au théâtre, ici comme ailleurs. Et le film se demande « pourquoi l’homme est-il roi ? » Le processus lancé par les femmes semble quasiment irréversible : « Mon choix, c’est mon droit… » disent-elles, même si leur statut reste fragile : la femme est très seule dans la société palestinienne, sans droit à l’avortement, soumise au tabou de la virginité – à Hébron des parents ont été jusqu’à tuer leur fille dont l’attitude leur avait déplu, en un geste d’autorité et de désespérance. Plus tard, c’est elle toujours qui est exposée au harcèlement sexuel et parfois au féminicide. Dans tous les cas les humiliations sont fréquentes.

© Alice Sidoli – Théâtre National Palestinien, à l’IMA

Spécialiste des méthodes du Théâtre Forum, le théâtre Ashtar travaille aussi avec les hommes pour les amener à réfléchir sur leur attitude, à se poser la question de l’égalité et des droits humains. Elle, s’est mariée à seize ans, lui est chrétien, elle bédouine. Une autre s’est mariée à vingt ans. Lui, contrôle… « C’est une société du faire semblant en ce qui concerne les femmes » constatent les réalisateurs dans leurs échanges avec les femmes.

Dans une autre séquence la haine s’exprime autrement, et l’on regarde, consternés, ces oliviers volés et arrachés par la colonisation israélienne : « Mon arrière-grand-père avait tout planté, c’est mon pays. » Alors comment guérir et apprendre à se supporter mutuellement quand tant de tourmentes traversent la société ? C’est ce que pose le film de Laurent Rojol et Roxane Borgna, tourné en 2021/2022 à Bethléem, Naplouse, Jérusalem, Hébron, Ramallah, à travers les multiples interviews rapportés et qui prolongent le propos qu’Aristophane avait lancé dans son Assemblée des femmes.

La comédie grecque satirique dont s’est emparé le Théâtre National Palestinien El-Hakawati mettant en miroir la vie des Athéniennes au IVème siècle avant J.C. et celle des Palestiniennes d’aujourd’hui permet d’ouvrir le débat sur le statut de la femme en général, a-fortiori de la femme en temps de guerre et du respect qui lui est dû dans sa recherche d’émancipation, loin des réflexes du patriarcat et des considérations religieuses. Une belle leçon de vie !

Brigitte Rémer, le 28 octobre 2025

Avec : Ameena Adileh, Iman Aoun, Mays Assi, Firas Farrah, Nidal Jubeh, Amer Khalil, Shaden Saleem, Yasmin Shalaldeh – un spectacle de Roxane Borgna, Jean-Claude Fall, Laurent Rojol.

Les 11 et 12, 18 et 19 octobre 2025 – les samedis 11 et 18 octobre, spectacle à 15h suivi du film à 16h30, et à 19h30, suivi du film à 21h – les dimanches 12 et 19 octobre, spectacle à 13h30 suivi du film à 15h00 – Théâtre du Soleil, Cartoucherie de Vincennes, 75012. Paris – métro : Château de Vincennes – site : www.theatre-du-soleil.fr – tél. : 01 43 74 24 08.

*Article du 27 octobre 2023, sur Une assemblée de femmes, présenté par le Théâtre National Palestinien à l’Institut du Monde Arabe :  https://www.xn--ubiquit-cultures-hqb.fr/une-assemblee-de-femmes-et-me-and-my-soul/

Thikra : Night of Remembering

Chorégraphie Akram Khan – conception visuelle, costumes et scénographie Manal AlDowayan – concept narratif Manal AlDowayan et Akram Khan – création au Théâtre de la Ville Sarah-Bernhardt.

@ Camilla Greenwell

Thikra/La Nuit de la souvenance, que proposent Akram Khan pour la chorégraphie et Manal AlDowayan pour la conception visuelle, est une cérémonie rituelle qui parcourt le mythe de l’humanité, fait référence au souvenir et relie le passé au présent.

Une communauté de femmes se réunit pour honorer sa doyenne disparue et s’apprête à nommer celle qui va lui succéder. Celle-ci sera mise à l’épreuve. Une grande prêtresse descend de son Olympe, hiératique et somptueusement vêtue de couleur pourpre, pour faire revenir l’esprit de la disparue. C’est sous les traits d’une élégante jeune femme – qu’interprète Ching-Ying Chien qu’elle réapparaît, tandis qu’Azusa Seyama Prioville – issue du Tanztheater de Wuppertal – assure le rôle de la jeune aspirante, en alternance avec Jin Young Won.

La narration appelle le spirituel et se construit en dialogue avec le chœur des femmes, plus tard avec un chœur d’hommes, sortes de prêtres vêtus de splendides tuniques lie-de vin qui dégage une grande énergie. Plusieurs séquences marquent cette histoire mythique qui repose sur la transmission. Thikra appelle la mémoire.

@ Camilla Greenwell

Le spectacle est d’une grande beauté visuelle, par la précision du geste et par les costumes toutes couleurs – signés de Manal AlDowayan, plasticienne saoudite qui en réalise aussi la scénographie. Elle a travaillé avec les artisans de sa région – la région d’Al-Ula, en Arabie Saoudite et réalisé les costumes avec les tisserands de la communauté, jusqu’au moindre détail des drapés, broderies, ceintures etc. Il y a un grand raffinement et un art du détail dans les costumes qui mettent en valeur les corps et épouse la chorégraphie. Manal AlDowayan a fait découvrir sa région à Akram Khan, une région traversée par différentes cultures et habitée par les Nabatéens, proches des Araméens. Il lui a été donné d’assister à certains rituels réservés aux femmes et gardés secrets, comme la danse des cheveux où les longues chevelures des femmes voltigent dans l’énergie de mouvements répétitifs des têtes, qui font des rotations avec intensité, et qu’il montre sur la scène.

Thikra s’est nourri de la coutume locale où la déclamation des poètes, hommes et femmes s’intègre dans un environnement naturel lié aux sites culturels millénaires. Le spectacle a été présenté en extérieur, dans le désert rocheux de la région, avant de l’être en intérieur au festival Montpellier Danse 2025. La ré-interprétation du paysage dans la scénographie donne la perception de l’environnement, la création lumières (signée Zeynep Kepekli) la met en valeur. La musique construit un travail savant entre instruments traditionnels – dont de superbes percussions et séquences vocales, un peu trop avalées par une composition moderne insistante, perdant la richesse et la subtilité des instruments traditionnels et donnant à l’ensemble une légère teinte bollywoodienne, (son Gareth Fry).

@ Camilla Greenwell

Présentées depuis plus d’une vingtaine d’années au Théâtre de la Ville, les chorégraphies d’Akram Khan s’inscrivent dans la veine du Kathak et du Bharata Natyam. Danseurs et danseuses, viennent de différents pays d’Asie, d’Europe et d’Australie et maitrisent magnifiquement ces alphabets de la danse. Le travail du chorégraphe, qui contribue au développement de la danse au Royaume-Uni et à son rayonnement international, rencontre ici avec bonheur le geste artistique de Manal AlDowayan qui vit et travaille entre Londres et Dhahran, et qui a représenté l’Arabie saoudite à la 60e Biennale de Venise

Des mouvements d’ensemble, somptueux, au féminin comme au masculin alternent avec les séquences narratives, dans un bel équilibre et une parfaite maîtrise, mêlant danse occidentale et tradition indienne du Bharata Natyam. Après avoir accompli sa mission et par cette cérémonie, facilité le passage de témoins entre les générations, la grande prêtresse remonte dans son Olympe.

@ Camilla Greenwell

À travers Thikra/La Nuit de la souvenance, Akram Khan et Manal AlDowayan montrent avec talent le pouvoir des femmes et développent une écriture du sacré qui s’inscrit comme un harmonieux contrepoint dans le monde d’aujourd’hui.

Brigitte Rémer le 25 octobre 2025

Avec : Pallavi Anand, Ching-Ying Chien, Kavya Ganesh, Nikita Goile, Samantha Hines, Jyotsna Jagannathan, Mythili Prakash, Azusa Seyama Prioville, Divya Ravi, Aishwarya Raut, Mei Fei Soo, Harshini Sukumaran, Shreema Upadhyaya, Jin Young Won, Kimberly Yap, Hsin-Hsuan Yu. Composition musicale et environnements sonores Aditya Prakash – son Gareth Fry – créations lumières Zeynep Kepekli – assistant à la création Mavin Khoo – dramaturgie Blue Pieta –
répétitions Angela Towler et Chris Tudor.

Du 22 au 30 octobre 2025, à 20h, samedi 14h et 20h -Théâtre de la Ville-Sarah-Bernhardt, 2 place du Châtelet – 75004. Paris – tél. : 01 42 74 22 77 – site : www.theatredelaville-paris.com

Vous n’aurez pas ma haine

Récit d’Antoine Leiris, interprétation Mickaël Winum, création musicale et sonore en live, Moone – spectacle présenté par L’Avant-Scène productions dans une mise en scène d’Olivier Desbordes,  au Théâtre Actuel La Bruyère.

Écrire, dit-il… deux jours après l’attentat du Bataclan où sa bien-aimée, Luna-Hélène Muyal, sa femme et mère de leur petit Melvil âgé de dix-sept mois, a été emportée par un concert de mitraillettes. Ni clémence ni miséricorde ce soir-là, juste la lueur froide et cruelle de ceux qui frappent à l’aveugle.

Hélène aimait les concerts, la musique, celle qu’elle était venue entendre vendredi 13 novembre 2015, celle qui l’avait portée dans la vie, celle de l’amour. Journaliste, Antoine a posté son message, Vous n’aurez pas ma haine, trois jours plus tard, sur face book. Écrire, dit-il… Il a repris ce même titre pour la publication de son premier livre, et pour le film documentaire qu’il a tourné peu après. C’est le texte intégral qui est aujourd’hui porté à la scène, dans toute la palette des émotions – stupeur, pudeur, incompréhension, amour – que l’acteur Mickaël Winum transmet, accompagné de la musique douce de Moone qu’on ne voit pas, juste signalée par un discret faisceau de lumière côté jardin, dans une niche qui pourrait être le tombeau d’Hélène.

Le texte nous ramène dix ans en arrière. Rewind !  Au cœur d’un événement certes collectif mais tellement personnel quand on est frappé de plein fouet. Ce soir-là Antoine est à la maison et garde son fils. Elle, joyeuse, est au concert avec un de leurs amis. Premier coup de fil, il reçoit l’information sur le Stade de France où il est question d’attentat. Antoine aimerait que sa femme rentre et soit en sécurité. Il l’écrit. Second coup de fil, il est informé par un ami de la réplique d’attentat, au Bataclan. Il vérifie fébrilement le lieu du concert, puis se suspend, veille sur l’enfant, ouvre et ferme la télévision essayant de faire taire les mots de ce récit de nuit. L’attente est terrifiante. Troisième coup de fil, l’ami qui était avec Hélène appelle. Lui est blessé mais vivant, pour elle, il ne sait pas. L’étendue du désastre sur place est indescriptible.

Antoine court à la recherche d’Hélène, d’hôpitaux en hôpitaux dès l’arrivée de la mère et de la sœur de son épouse, à la maison. Puis très vite il sait. L’absence s’installe tant pour l’enfant qui a sa perception des événements et réclame sa maman, que pour lui, à la maison où tout parle d’elle. Un silence sidéral s’étend, les fous rires se font rares, les objets restés à leur place laissent penser qu’elle va rentrer d’un moment à l’autre, le manteau, l’odeur des vêtements, les chemins dans la maison, tout est en place. Antoine Leiris nous mène dans ce mouvement désaccordé entre le passé, sa rencontre avec elle, leur joie de vivre, l’arrivée de leur fils et leur vie à trois, le passé qui défile, le présent dans sa terrible absence.

Dès le lundi Melvil est à la crèche, la vie doit s’appliquer à continuer, l’enfant est « le chef des horloges. » Pour Antoine tout devient blessure, la bienveillance et la compassion de tous, difficile à supporter, comme le banal comment ça va ? Le texte nous mène de la crèche à l’Institut médico-légal, redouté, suivi de la cérémonie des obsèques, redoutables, et sans leur fils, trop petit pour être présent. Il aurait voulu être seul pour lui parler, encore, et s’étendre auprès d’elle. Il trouve un bien court moment en tête à tête, pour cet adieu, personnel et anachronique.

L’homme qui écrit cette lettre d’une grande puissance le 16 novembre 2015, Vous n’aurez pas ma haine, et qui aime les mots, est devenu silence. Son récit est un hymne à Hélène, sa femme, à l’amour qu’il lui portait, sans emphase ni pathos, dans la simplicité de leur maison secrète. Soudain, le théâtre se rallume, pleins feux sur le public. L’acteur est en bordure du plateau et s’adresse en direct aux agresseurs, prenant le public à témoin. « Vendredi soir vous avez volé la vie d’un être d’exception, l’amour de ma vie, la mère de mon fils, mais vous n’aurez pas ma haine. Je ne sais pas qui vous êtes et je ne veux pas le savoir, vous êtes des âmes mortes… » Il donne à sa tristesse et son chagrin les mots de la géographie, violent séisme magnitude 9 et au-delà, lui, à l’épicentre. En vis-à-vis, il dit la lettre que l’enfant adresse à la douceur perdue, « Tu me manques maman ! »

Le lendemain des funérailles le père emmène leur fils au cimetière Montmartre, sur la tombe d’Hélène, comme il en avait fait la promesse, tous deux y déposent une photo. Au son d’une boîte à musique l’enfant piétine les fleurs, comme s’il dansait pour elle. La lune, Luna-Hélène, est couchée là mais ils sont trois. Et ils font serment, secrètement, de rester trois.

Accompagné d’Olivier Desbordes pour la mise en théâtre de ce récit de vie, Vous n’aurez pas ma haine, l’acteur, Mickaël Winum dessine ce parcours du deuil et de l’indicible avec la même justesse et intensité que les mots posés sur le papier par Antoine Leiris. Les lumières dessinent avec subtilité les espaces de vie et de mort qui désormais se chevauchent (création lumière Simon Lericq). L’homme est devenu ombre, son double sur le mur. La musique – petite musique de nuit – donne sa couleur et les reliefs d’un paysage inhospitalier dans lequel il faut marcher longtemps et se perdre pour trouver des directions, des raisons, le goût d’une nouvelle vie que se promet de tisser Antoine, avec et pour Melvil. « Nous marcherons » dit Antoine Leiris à son fils dans son ode à la vie toute de résilience, et ce long chemin qu’ils entreprennent ensemble, à trois, pour l’éternité.

Brigitte Rémer, le 8 octobre 2025

Récit d’Antoine Leiris, interprétation Mickaël Winum et la musicienne en live Moone – mise en scène Olivier Desbordes – création musicale et sonore, Moone – création lumière Simon Lericq -assistant à la mise en scène Jérémy de Teyssier – L’Avant-Scène productions – Le texte est publié aux éditions Fayard (2016).

Du 29 septembre au 30 décembre 2025, les lundis et mardis à 21h. au Théâtre Actuel de La Bruyère, 5 rue La Bruyère. 75009. Paris métro : Pigalle, Saint-Georges – tél. : 01 48 74 76 99 – site : wwwww.theatrelabruyere.com

Affaires familiales

Conception, écriture et mise en scène Émilie Rousset, dans le cadre du Festival d’Automne 2025, au Théâtre de la Bastille

© Martin Argyroglo

Théâtre documentaire sur le droit de la famille, ou théâtre-journal, les acteurs font fonction d’enquêteurs interrogeant des justiciables et des avocats. Ils rapportent des témoignages sur les blessures de la société dans le domaine des Affaires familiales. Les sujets sont ardents, sensibles, intimes, vastes et vibrants. Des fragments d’images se superposent à la réalité, en écho à l’acteur, et s’inscrivent sur un petit et un grand écran situés côté cour et côté jardin, selon la position des gradins des spectateurs placés face à face (conception du dispositif scénographique Nadia Lauro). La caméra se pose sur les mains, les yeux, la bouche qui rappelle la loi, un mouvement esquissé, des bribes de souffrance, d’analyse et de réflexion, (dispositif son et vidéo, Romain Vuillet).

Neuf chapitres composent le spectacle qui met en jeu le juge aux affaires familiale pour arbitrer les dysfonctionnements en termes de droit de la famille. Les chapitres se succèdent et s’affichent : L’amour et la loi – Les limbes – La petite Madonne – Les petits cailloux – L’empilement des décisions – L’association – La Generalitat de Catalunya – Napoléon à la cour européenne. Le chapitre C’est génial ferme le spectacle, c’est en effet génial que les femmes puissent disposer de leur corps, mais le combat n’est pas fini, confirme le texte.

© Nadia Lauro

Pour espérer gagner un procès il faut une conjugaison de facteurs : « un bon justiciable, une bonne cause, un bon avocat et un bon juge » autant dire des oiseaux rares sur ces sujets de vulnérabilité. La restitution de l’enquête, qui s’est déroulée dans plusieurs pays d’Europe se fait en langue originale, italien et portugais, avec une traduction consécutive qui en donne la synthèse. La loi est différente et différemment interprétée d’un pays à l’autre, ajoute Émilie Rousset.

Le spectre des sujets abordés autour du droit familial est large et le spectacle en traverse une bonne partie : l’inégalité de la loi face à la gestation pour autrui et à la procréation médicalement assistée, ainsi qu’à l’adoption dans les couples homosexuels ; l’homophobie ; la violence dans les couples – mariés ou non et la solitude des femmes quand ils explosent ; le divorce pour faute quand la femme se retire des relations sexuelles et le code napoléonien qui l’enjoint à garder communauté de vie ; les conflits en termes de garde des enfants nés de parents de nationalités différentes, quand ils se séparent. Des exemples précis sont donnés en termes de séparation et de conflits de loyauté pour les enfants dont le récit est souvent différent de celui des parents, et qui aiment leurs deux parents ; l’indicible de l’inceste, les visites médiatisées et le lien qu’on oblige parfois à garder.

© Nadia Lauro

Créé lors de la dernière édition du Festival d’Avignon, en juillet 2025, le spectacle Affaires familiales rapporte la langue du droit, écrite et orale et ouvre sur une série de réflexions sur la justice, les avocat(e)s qui accompagnent les familles, la militance et/ou le métier, la victime et/ou le bourreau, le lien mère/enfant.

Émilie Rousset travaille l’écriture de montage et décale dans sa mise en scène le document collecté et les paroles portées par les acteurs. Elle avait déjà eu maille à partir avec la justice, sur scène s’entend, en présentant notamment Reconstitution : Le Procès de Bobigny sur le choix d’une jeune femme de seize ans, d’avorter après avoir été violée, jeune femme défendue par Gisèle Halimi. Elle explore l’archive et l’enquête documentaire et se glisse dans les grands débats de société en s’ancrant dans le réel. Elle est, depuis un an, directrice du Centre Dramatique National d’Orléans où elle poursuit ses recherches théâtrales et croise l’émotion l’histoire et la réflexion.

Brigitte Rémer, le 30 septembre 2025

© Nadia Lauro

Avec : Saadia Bentaïeb, Antonia Buresi, Teresa Coutinho, Ruggero Franceschini, Emmanuelle Lafon, Núria Lloansi, Manuel Vallade et pour la dernière représentation au Théâtre de la Bastille Aymen Bouchou remplacera Saadia Bentaieb – conception du dispositif scénographique Nadia Lauro – musique Carla Pallone – collaboration à l’écriture Sarah Maeght – création lumière Manon Lauriol – cheffes opératrices Alexandra de Saint Blanquat et Joséphine Drouin Viallard – cadreur additionnel Italie Tommy – cadreuse additionnelle Espagne Maud Sophie – montage Carole Borne, avec le renfort de Gabrielle Stemmer – assistante à la mise en scène Elina Martinez – dispositif son et vidéo Romain Vuillet – costumes Andrea Matweber – régie plateau et régie générale Jérémie Sananes –

Le texte de la pièce est écrit à partir d’entretiens réalisés avec des avocates, justiciables, responsables associatifs et parlementaires, notamment Fabíola Cardoso, Davide Chiappa, Anne Lassalle, Caroline Mécary, Lilia Mhissen, Isabel Moreira, Pauline Rongier, Hansu Yalaz, Marco Zabai, Neus Aragonès, Alice Bouissou, Véronique Chauveau, Michele Giarratano, Agnès Guimet, Montse Martí, Diodio Metro, Joana Mortaga, Luca Paladini, Morghân Peltier, Jennifer Tervil, Agathe Wehbé, les équipes du Parloir Père-Enfants ARS95, des associations Adepape95-Repairs!95, Protéger l’enfant, de la Oficina de comunicació de la Policia de la Generalitat – Mossos d’Esquadra.

Du 19 septembre au 3 octobre 2025, à 19h30, les samedis à 17h, relâche le mercredi 24 septembre et les dimanches, au Théâtre de la Bastille, 76 rue de la Roquette, 75011 Paris – métro Bastille – tél : 01 43 57 42 14 – www.theatre-bastille.com – En tournée : 7 et 8 octobre 2025, Lieu Unique, Scène nationale de Nantes – 3 au 12 décembre 2025, Centre Dramatique National Orléans – 11 et 12 février 2026, Communs, Nouvelle scène nationale de Points Cergy-Pontoise (Val d’Oise), 12 et 13 mars 2026, Le Volcan, Scène nationale, Le Havre – 18 au 20 mars 2026, Scène nationale de l’Essonne, Agora-Desnos / Evry-Courcouronnes (France)

Marius

Création théâtrale de Joël Pommerat librement inspirée de la pièce de Marcel Pagnol, en collaboration avec Caroline Guiela Nguyen et Jean Ruimi – Compagnie Louis Brouillard, au Théâtre du Rond-Point.

César © Agathe Pommerat

On entre de plain-pied dans la boulangerie-salon de thé de César. Marius son fils le seconde, il est derrière le comptoir, sans trop d’entrain, plutôt dilettante. Fanny lui rend visite, comme elle le fait très souvent, désertant le salon de coiffure d’en face où elle travaille avec sa mère. Il n’est pas très bavard, Marius.

On suit les allers et venues des consommateurs qui s’installent aux tables et on plonge dans la vie du quartier marseillais où se trouve la boutique. Il y a le voisin, vendeur d’oiseaux-qui-viennent-de-loin, taciturne, dos au comptoir, et qui quand on le provoque, énonce la longue liste poétique de ses oiseaux exotiques, dont il est fier. « J’aime pas les voyages, trente ans que j’suis pas parti ! » dit-il. Il y a Panisse, vieil ami de César, qui sort juste du tribunal après divorce. Entrepreneur grande gueule, il se vante auprès de son ami de ne rien avoir laissé à son ex-femme, et lui annonce être amoureux, sans donner le nom de l’objet aimé. Il y a celui qui a un bon plan pour que Marius puisse quitter la boulangerie où il s’ennuie profondément, comme son apathie le montre. Il y a le douanier, nouvellement arrivé dans le quartier. Les parties de carte tournent au vinaigre quand quelqu’un triche.

Marius © Agathe Pommerat

César, veuf, plein du bon sens de père de famille, mais aigre-doux et directif, toujours sur le dos de Marius et fier de lui offrir un avenir, le forme pour lui succéder au magasin : « Fais-ci ! Fais ça ! T’as pas fait-ci ! T’as pas fait ça ! T’as un boulot ! Tu fais une tête ! » César n’est pas un méchant, sa leçon de bonne conduite pour une « présence commerciale » efficace dans la boutique, est drôle. Mais Marius rêve en secret d’une autre vie et voudrait embarquer sur l’un des bateaux qui sont à quai pour prendre le large vers de lointains pays. Face à lui, Fanny, bien vivante et amoureuse de lui depuis toujours, aimerait un geste et le met en garde contre Panisse, le divorcé, de plus de trente ans son aîné, qui lui tourne autour. Elle espère une réaction, un aveu. Sans l’avouer, Marius aussi a toujours aimé Fanny.

Panisse en effet vient déclarer sa flamme à la jeune femme, devant Marius qui le dégage avec violence. L’ami de César exprime son grand mépris de la boulangerie et jette son venin. Fanny pousse Marius dans ses retranchements pour se déclarer, les deux tourtereaux officialisent leur relation, même si, sur scène, Marius n’a rien d’un amoureux transi. Il partage pourtant avec elle l’ennui profond qui le ronge et lui raconte son désir de l’ailleurs. L’éminence grise qui de temps en temps lui fait une proposition d’embarquement, a cette fois, un plan sûr. Marius embarquera secrètement, il en informe Fanny qui a bien compris qu’il ne serait jamais heureux tant qu’il n’aura pas réalisé son grand rêve de mer. À la fin de ce premier volet de la Trilogie marseillaise, Fanny éclate en sanglot sur les genoux de César qui appelle désespérément Marius, quand la sirène du port lance son cri strident de départ.

Fanny © Agathe Pommerat

Premier volet de la Trilogie marseillaise de Marcel Pagnol (1895-1974), écrivain – élu à l’Académie Française en 1946 – dramaturge, cinéaste et producteur, sa pièce, Marius, est jouée pour la première fois en mars 1929 au théâtre de Paris. Il l’adapte pour le cinéma et Alexanderr Korda, réalisateur britannique proche de lui tourne le film en 1931, avec Raimu dans le rôle de César, Pierre Fresnay-Marius, Orane Demazis-Fanny. Le second volet, Fanny est présenté au théâtre avec Orane Demazis et Harry Baur, réalisé au cinéma par Marc Allégret, avec Raimu, Fresnay et Orane Demazis. César, le troisième volet, est écrit directement pour le cinéma et tourné par Pagnol lui-même avec les mêmes trois grands acteurs.

Depuis l’année 1990 où Joël Pommerat a créé la compagnie Louis Brouillard, les textes, langages scéniques et esthétiques qu’il propose sont multiformes et le fruit d’une pensée et d’un travail d’excellence au plateau. On le connaît entre autres pour Ça ira, sur la Révolution Française (2015), Contes et légendes, fiction documentaire et La Réunification des deux Corées, variations sur l’amour (2019).

Panisse © Agathe Pommerat

Il a travaillé depuis 2014 en région Provence-Alpes-Côte-d’Azur, à Arles, appelé par la Scène nationale de Cavaillon pour rencontrer un fada de théâtre alors incarcéré, Jean Ruimi (qui, dans Marius, interprète magnifiquement César, le père). Avec lui il a mis en place des ateliers à la Maison Centrale d’Arles, jusqu’en 2022. De ce travail est né un premier spectacle, Désordre d’un futur passé, puis plus tard Marius, texte-pur produit local, puisqu’on est à Marseille, replacé dans le contexte d’aujourd’hui et dans des parcours de vie. Au point de départ les acteurs n’avaient pas de formation, Joël Pommerat les a écoutés, initiés et a inventé avec eux les codes du plateau.

La scénographie est joliment réaliste, boulangerie-salon de thé, grand frigo côté jardin, tables et chaises de bistrot, petit sapin de Noël dans un coin derrière le comptoir côté cour, pour donner un air de fête (scénographie et lumière Éric Soyer). La frontière entre le dedans et le dehors marquée par la porte du fond et l’entrée de côté, espaces de la famille et de la vie du quartier avec voisins et amis, une vie semblable à celle d’un village où ça tchatche et ça laisse filer le temps au gré des parties de cartes et de la vie comme elle va.

On pourrait citer tous les acteurs aux accents marseillais qui font vivre les personnages comme si on y était : Damien Baudry, Élise Douyère, Michel Galera, Ange Melenyk, Olivier Molino en alternance avec Redwane Rajel, Jean Ruimi, Bernard Traversa, Ludovic Velon. Ils donnent vie aux ragots et aux espérances, aux attirances et aux détestations, au quartier et aux commerces – des oiseaux à la coiffure, du business à la police des douanes, de la boulangerie au salon de thé – ils donnent vie aux rêves. Le départ de Marius, qui balance entre deux options de vie, fait face au chagrin de Fanny et au désarroi de César, pétri de ses bonnes intentions. C’est une invitation à la vie, sous le soleil, malgré tout.

Brigitte Rémer, le 27 septembre 2025

© Agathe Pommerat

Avec : Damien Baudry, Élise Douyère, Michel Galera, Ange Melenyk, Olivier Molino en alternance avec Redwane Rajel, Jean Ruimi, Bernard Traversa, Ludovic Velon – scénographie et lumière Éric Soyer – assistanat à la mise en scène Lucia Trotta et Guillaume Lambert – direction technique Emmanuel Abate – direction technique adjointe Thaïs Morel – costumes Isabelle Deffin – création sonore Philippe Perrin et François Leymarie Renfort – assistant David Charier – régie son Fany Schweitzer – régie lumière Julien Chatenet et Jean-Pierre Michel Régie plateau Ludovic Velon – construction décors Thomas Ramon – Artom Accessoires Frédérique Bertrand
Avec l’accompagnement de Jérôme Guimon (Association Ensuite)

Du jeudi 18 au dimanche 28 septembre 2025, du mardi au vendredi à 20h30, samedi à19h30, dimanche à 15h (relâche le lundi 22 septembre) – Théâtre du Rond-Point, 2bis avenue Franklin D. Roosevelt. 75008 Paris – métro : Rond-Point des Champs Élysées – tél. : 01 44 95 98 21 – site : www.theatredurondpoint.fr

En tournée : les 22 et 23 octobre, Théâtre du Passage, Neuchâtel (Suisse) – du 25 au 28 novembre : Théâtre de Cornouaille, scène nationale de Quimper (29) – du 2 au 4 décembre,Le Grand R, scène nationale de La Roche-sur-Yon (85) – du 9 au 11 décembre, La Passerelle, scène nationale de Saint-Brieuc (22) – du 6 au 23 janvier, TNB, Théâtre National de Bretagne (35) – les 29 et 30 janvier, Le Canal, Théâtre du Pays de Redon (35) – du 5 au 7 février, L’empreinte, scène nationale Brive-Tulle, Brive-la-Gaillarde (19) – du 31 mars au 2 avril ; Anthéa, Théâtre d’Antibes (06) – les 28 et 29 avril, Théâtre du Beauvaisis, Beauvais (60) – les 5 et 6 mai, Les Quinconces, scène nationale du Mans (72) – du 27 mai au 6 juin, Les Célestins, Théâtre de Lyon (69)

Et jamais nous ne serons séparés

Texte Jon Fosse, traduction Terje Sinding  – mise en scène et scénographie Daniel Jeanneteau et Mammar Benranou – au T2G Théâtre de Gennevilliers/Centre dramatique national.

@ Jean-Louis Fernandez

L’absence est un de ses grands sujets, comme l’amour déchu, le ressassement, la déchirure, et la folie pas loin. Il y a chez Jon Fosse une densité similaire à celle de l’univers du réalisateur Ingmar Bergman. Le passé et le présent se heurtent et la mémoire hésite. Chaque petit mot, chaque petit geste – car rien n’y est spectaculaire – offre sa blessure, son abime.

Claude Régy, metteur en scène des ténèbres, comme l’est Soulages pour la peinture, a souvent traduit Jon Fosse sur la scène, et rendu plus mystérieuse et plus dure la chute. Il a monté en 1999, Quelqu’un va venir, au Théâtre Nanterre-Amandiers ; en 2001, Melancholia et en 2003 Variations sur la mort, au Théâtre national de la Colline. Nous avions rendu compte du spectacle Vent fort, mis en scène par Gabriel Dufay à la Maison des Arts de Créteil (cf. notre article du 18 mars 2025). L’œuvre théâtrale de l’auteur norvégien est minimale, radicale, et comme un pur diamant. Elle n’offre ni fioriture, ni échappatoire. Prix Nobel de littérature en 2023, Jon Fosse nous perd dans la forêt profonde d’un style répétitif où il oblige, inlassablement, à rebrousser chemin.

@ Jean-Louis Fernandez

Sur scène, une femme (Dominique Reymond) dans l’expression de sa détresse, tourne en rond et sur elle-même de la fenêtre au canapé, du canapé à la fenêtre. « Pourquoi as-tu été si long ? » demande-t-elle de sa voix grave. Dans une élégante robe orange (costumes Olga Karpinsky), la femme est fougueuse, fébrile, véhémente, se calme et repart, comme un ressac.  « Je sais qu’il va venir » se rassure-t-elle.  Au fond du canapé elle chante comme une berceuse, serrant son coussin dans les bras comme un enfant, se dirige vers le buffet, sort un verre et une bouteille mais ne se sert pas. Elle range le verre et la bouteille, efface au fur et à mesure les actions qu’elle lance, les fait et les défait, comme si tout était devenu vain. Une bande son, lointaine, à peine perceptible, laisse entendre la cymbalisation de la cigale. La vie, la mort, l’amour, l’abandon, la solitude, le temps, sont dans la pièce. L’homme n’y est pas. La simplicité de la scénographie (Daniel Jeanneteau et Mammar Benranou, construction décor Théo Jouffroy, ateliers du Théâtre de Gennevilliers) sert le propos dépouillé de Jon Fosse et fait place aux arabesques du texte.

Quand la porte s’entrebâille laissant filtrer un faisceau de lumière et qu’il paraît dans son peignoir gris clair (Yann Boudaud), l’homme semble glisser du fond de la pièce comme s’il sortait de la chambre et s’installe dans le canapé. « Je suis si fatigué » dit-il. Il semble ne pas être là, son regard est au loin, pourtant elle l’enlace, pourtant ils s’étendent. « Je t’ai tellement attendu, maintenant tu es là… » Il repart, aussi fantasmatique qu’il est arrivé. Ne reste que le reproche : « c’est pas possible de s’en aller comme ça ! »

@ Jean-Louis Fernandez

Est-on dans l’inconscient de la femme, dans ses souvenirs, ses désirs, sa marée basse ? « Il a disparu, comme dans la mort ! » crie-t-elle, riant et pleurant. Et elle se reprend, poursuivant son offensive de séduction, « je suis belle, je suis grande, je suis superbe », répété à l’infini comme pour s’en persuader, ou s’excuser. « Je suis bien, j’ai mes objets » se raisonne-t-elle, continuant à lui parler. « Tu as faim, je vais aller chercher le dîner » les mots du quotidien…

Un long silence, le rideau est tombé. La table est mise sur guéridon, deux couverts et une bonne bouteille, une musique, répétitive, nous parvient (Olivier Pasquet). Elle est à la fenêtre, « il ne viendra pas » ressasse-t-elle. « Tu es là ? … Mais réponds-moi » demande-t-elle dans son désert.

@ Jean-Louis Fernandez

Jusqu’à ce que l’homme arrive par le côté jardin, suivi d’une jeune femme lui ressemblant étrangement (Solène Arbel). Est-ce elle, quelques années auparavant, est-ce son double  ? Elle enlace l’homme tous deux s’installent à table. « J’ai eu si peur de ne plus te revoir » dit la femme 1 ne voyant pas la femme 2, fantomatique elle aussi. On est au summum de l’abstraction et de l’inexprimé.

Dans ces chassés-croisés énigmatiques où les sensibilités sont à fleur de peau et les mirages-dérapages à chaque mot, on traverse l’absurde à la Ionesco, entre une phrase esquissée qui sitôt se déconstruit, des mots du quotidien adressés qui s’évaporent et se cognent dans le vide, allant de l’enfantillage à la gravité, de l’abstraction à la métaphysique, de l’ellipse à l’hyperbole. La tension est infinie, à la folie. On est dans une forme d’art conceptuel, un vide existentiel à partir de situations de la vraie vie, dans la rupture et l’absence, dans l’infini de la souffrance. La partition textuelle se traduit en lignes brisées et tremblées jusqu’à laisser la page blanche.

Magnifiquement portée par trois acteurs évanescents dont l’hypnotique Dominique Reymond, Et jamais nous ne serons séparés, l’une des premières pièces de Jon Fosse écrite et montée en 1994, mêle les perceptions, les visions et les obsessions d’un couple qui se démultiplie et flotte dans son étrangeté. Daniel Jeanneteau et Mammar Benranou qui co-signent la mise en scène, nous conduisent avec habileté dans le flouté de la vie où réel et imaginaire se superposent et s’effacent l’un l’autre, entre silence, souffrance et extravagance.

Brigitte Rémer, le 23 septembre 2024

@ Jean-Louis Fernandez

Avec : Solène Arbel, Yann Boudaud, Dominique Reymond – lumière Juliette Besançon – musique Olivier Pasquet – costumes Olga Karpinsky – construction décor Théo Jouffroy, ateliers du Théâtre de Gennevilliers – assistanat à la mise en scène, stagiaire Juliette Carnat – remerciements à Marianne Ségol-Samoy – La pièce de Jon Fosse est publiée et représentée par L’Arche, dans une traduction de Terje Sinding – éditeur & agence théâtrale. www.arche-editeur.com

Du 19 septembre au 13 octobre 2025, au T2G Théâtre de Gennevilliers/Centre dramatique national, 41, avenue des Grésillons. 92230. Gennevilliers – métro ligne 13, station Gabriel Péri, sortie 1 – site : www.theatredegennevilliers.fr –  tél. : +(33)1 41 32 26 26