Spectacle d’Anne-Cécile Vandalem, Das Fräulein (Kompanie), à l’Odéon-Théâtre de l’Europe / Ateliers Berthier.
Les images de son univers cinématographique s’encastrent dans le langage scénique et composent un processus particulier de création. On ne sait dans quelle profondeur sous-marine on se trouve, ni dans quel songe. 2025 dit le texte, dans les limbes du cercle polaire. Anne-Cécile Vandalem nous emmène, au fil du thriller qu’elle compose, dans le clair-obscur d’une histoire raccordée au combat climatique d’aujourd’hui.
Cinq personnages en quête de vérité embarquent clandestinement à bord du vaisseau fantôme, Crystal-Serenity qui, au soir de son inauguration, est entré en collision avec une plateforme pétrolière au milieu des glaces et se fait remorquer pour être transformé en hôtel de luxe. Ils ont été invités par lettre anonyme et y sont accueillis un à un, après paiement d’une somme attendue, par deux personnages des plus mystérieux : Ole Gamst Pedersen sorte de capitaine et donneur d’ordres qui bientôt s’éclipse, assisté de la trouble et troublante Sila Thuring. De l’écran à la salle de réception du navire, désuète, les personnages descendent, chacun à leur tour, guidés par Sila, et délimitent leur territoire personnel : le journaliste, Niels, venu faire un reportage ; Eleanor la jeune veuve dont l’époux était impliqué dans le consortium gestionnaire du navire ; une ancienne première ministre du Groenland, Ula et son conseiller, Bent, qui tentent de se faire discrets ; une activiste repentie, Lucia, bien singulière. Dans cet huis-clos hétéroclite, ils vont apprendre à se connaître en affrontant les peurs et retournements de situations, d’autant que le remorqueur qui devait assurer leur retour sur les côtes, les laisse en plan.
S’ensuit une série d’événements et de rebondissements dans ce navire hanté où chaque personnage se fait des frayeurs et disparaît en coulisses sous l’œil d’une caméra qui le filme, et rapporte sur écran les images. Toutes les énigmes n’ayant pas été élucidées, le spectateur va de sursaut en étonnement à travers un polar bien mené et sympathique dont les personnages cherchent à résoudre le suspens. Sur fond de région mythique aux aurores boréales et de roman photo-histoire d’amour avec le capitaine follement épris de la terroriste de l’Arctic Protection Front, Mariane Thuring morte, piégée dans sa cabine. Cette fable futuriste et anticipatrice se révèle pleine d’humour. La visite d’un ours blanc, celui qui peut-être, a dévoré le mari d’Eleanor, confirme.
Même si aujourd’hui le Groenland est le signe tangible du réchauffement climatique qui nous concerne tous, inquiète et scandalise, le côté terrifiant ou politique du spectacle tel qu’annoncé par Anne-Cécile Vandalem est assez dilué, mais ce n’est pas si grave, le spectacle tient la route. On prend plaisir à cette fable-livre d’images ; aux flonflons de l’orchestre recréant le climat d’un navire de croisière haut de gamme ; à Sila, dont on apprend à la fin qu’elle est la fille de Mariane Thuring et qui travestit sa présence trouble en chanteuse joliment moulée dans une robe rouge flashy ; à l’équipe d’acteurs qui s’empare de personnages loufoques et en relief.
Anne-Cécile Vandalem a créé sa compagnie en 2008, Das Fräulein (Kompanie), après une formation au Conservatoire Royal de Liège. Elle signe la conception, l’écriture et la réalisation de ses spectacles et travaille entre la vidéo, le son et le théâtre. Elle a présenté au Festival d’Avignon 2016 ainsi que dans différents théâtres européens, dont l’Odéon, son spectacle Tristesses, sur la montée du populisme en Europe. Sa réflexion s’inscrit dans les problématiques politiques de nos sociétés, avec une recherche poétique et plasticienne des plus personnelles.
Brigitte Rémer, le 4 février 2019
Avec : Frédéric Dailly, Artic Serenity Band (guitare) – Guy Dermul, Ole Gamst Pedersen – Eric Drabs, Artic Serenity Band (piano) – Véronique Dumont, Ula Tupilak – Philippe Grand’Henry, Bent Rosbach – Epona Guillaume, Sila Thuring – Zoé Kovacs, Lucia Ludvigsen – Gianni Manente, Artic Serenity Band (batterie) – Jean-Benoit Ugeux, Niels Andersen – Mélanie Zucconi, Eleanor Omerod. Scénographie Ruimtevaarders – collaboration à la dramaturgie Nils Haarmann, Sarah Seignobosc – composition musicale Pierre Kissling – lumière Enrico Bagnoli – son Antoine Bourgain – vidéo Federico d’Ambrosio – costumes Laurence Hermant – maquillages, coiffures, effets spéciaux Sophie Carlier – montage vidéo Yannick Leroy – cadre Leonor Malamatenios, Tom Gineyts – accessoirisation, emsembliage Fabienne Müller – directeur technique, régie générale Damien Arrii, Marc Defrise – régie vidéo Frédéric Nicaise – régie lumière Léonard Clarys – régie son Antoine Bourgain, Théo Jonval – régie plateau Clara Pinguet, Baptiste Wattier – production de tournée Marie Charrieau – direction de production Audrey Brooking.
Du 18 janvier au 10 février, Odéon-Théâtre de l’Europe, Ateliers Berthier 1 rue André Suarès, 75017 – 20h du mardi au samedi, 15h le dimanche. En tournée : 14 et 15 février, Comédie de Saint-Etienne – 4 et 5 avril FIND Festival Schaubühne (Allemagne).
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