Archives mensuelles : novembre 2025

Figures in Extinction (1.0 – 2.0 – 3.0)

Chorégraphie de Crystal Pite et Simon McBurney – Lumières Tom Visser – avec le Nederlands Dans Theater (NDT 1) – Chaillot-Théâtre National de la Danse, au Théâtre de la Ville – Sarah Bernhardt.

© Rahi Rezvani

Trois chorégraphies composent le programme, créées à trois moments différents, qui se répondent et se complètent les unes les autres autour du thème de la crise écologique, et de la menace de l’extinction massive des espèces : The list (2022), But then you come to the Humans (2024) et Requiem (2025).

Crystal Pite et Simon McBurney signent à quatre mains ce programme qu’ils inscrivent dans la pluridisciplinarité et l’engagement physique de la troupe du Nederlands Dans Theater. Cette dernière fait appel à des artistes internationaux de haut vol, pour des collaborations ouvrant sur des voix singulières, Crystal Pite et Simon McBurney en sont. Leur rencontre est de haute voltige et précision, le résultat est plein de finesse et de fulgurance.

© Rahi Rezvani

En trente-cinq ans de parcours chorégraphique, Crystal Pite a créé plus de soixante pièces pour les plus grandes compagnies dans le monde, elle est associée au Nederlands Dans Theater, à Sadler’s Wells de Londres et au Centre national des arts du Canada. Avec le Théâtre de la Ville elle a présenté Betroffenheit en 2017, Revisor en 2022 et Assembly Hall en 2024. Simon McBurney est un acteur, écrivain et metteur en scène de théâtre, cofondateur et directeur artistique de la compagnie théâtrale Complicité, basée à Londres qui s’est donnée pour priorité de lancer l’alerte sur l’urgence climatique et écologique.

Figures in Extinction se concentre sur les peurs et les espoirs, Crystal Pite et Simon McBurney brassent leurs idées avant de mettre en forme. La traduction donnée par le Nederlands Dans Theater est éblouissante de maîtrise et de subtilité, de beauté. On pénètre dans des cycles de vie et de destruction proches du rêve et du cauchemar. La première pièce, Figures in Extinction1.0 explore le monde animal, oiseaux, caribou, dinosaure et autres espèces et fait vivre des espèces disparues. Elle montre, dans un côté marionnettique, un danseur dont le prolongement des bras est une longue corne – c’est impressionnant.

La seconde partie, Figures in Extinction 2.0 nous introduit dans les recherches scientifiques du psychiatre, philosophe et neuroscientifique britannique Iain McGilchrist touchant au cerveau, qui a publié en 2009 « Le Maître et son émissaire : le cerveau divisé et la formation du monde occidental » et pose la question : comment en sommes-nous arrivés là ? Les chorégraphes travaillent sur la notion de raison-déraison et de conférence scientifique. Des chemins de lumière tracent le dessin du cerveau et de l’imaginaire. Cette partie montre entre autres un duo de toute beauté, inventif et surnaturel, comme une résurrection.

© Rahi Rezvani

La troisième partie, Figures in Extinction 3.0 parle de la fragilité de l’humanité et du rapport à la mort. Les danseurs racontent leur histoire, évoquent leur famille et leurs ancêtres, cette séquence ouvre sur plus d’intimité. On entre dans l’intemporalité et la chambre de la mort qui donne les étapes au scalpel de la putréfaction des corps. Le linceul devient oriflamme.  La confiance qui se construit entre les danseurs du Nederlands Dans Theater et les chorégraphes dessinent un chemin chorégraphique enthousiasmant et hors norme, dans la perfection du geste, entrainant pour le public un réel plaisir du regard.

Figures in Extinction compose un travail théâtral et chorégraphique de tout premier ordre, réinventant l’espace en des volumes des plus fascinants par le jeu sublime de rideaux, lumières et découpes qui servent le spectacle et créent un langage. La subtilité du son, les mouvements de groupe quand vingt-cinq danseurs développent le même mouvement ou le réalisent dans un style décalé ou en miroir relève, outre la perfection du geste accompli, d’un rapport à l’espace des plus subtils. Chapeau bas !

Brigitte Rémer, le 2 novembre 2025

© Rahi Rezvani

Avec les danseurs du NDT 1 : Alexander Andison, Demi Bawon, Anna Bekirova, Jon Bond, Conner Bormann, Viola Busi, Amela Campos, Emmitt Cawley, Conner Chew, Scott Fowler, Surimu Fukushi, Barry Gans, Ricardo Hartley III, Nicole Ishimaru, Chuck Jones, Paloma Lassère, Casper Mott, Genevieve O’Keeffe, Omani Ormskirk, Kele Roberson, Gabriele Rolle, Rebecca Speroni, Yukino Takaura, Luca Tessarini, Theophilus Veselý, Nicole Ward, Sophie Whittome, Rui-Ting Yu, Zenon Zubyk – Emily Molnar, directrice artistique du NDT.

Figures in Extinction (1.0), The list : composition originale Owen Belton – création sonore Benjamin Grant – scénographie Jay Gower Taylor – costumes Nancy Bryant – Mise en scène des marionnettes Toby Sedgwick. Figures in Extinction (2.0), But then you come to the Humans : création sonore Benjamin Grant – scénographie Michael Levine, assisté de Anna Yates – vidéo Arjen Klerkx – costumes Simon McBurney, en collaboration avec Yolanda Klompstra. Figures in Extinction (3.0), Requiem : création sonore Benjamin Grant assisté de Raffaella Pancucci – scénographie Michael Levine, assisté de Christophe Eynde et Peter Butler – costumes Nancy Bryant. Production Nederlands Dans Theater – Complicité. Responsable production Tim Bell. Commande Factory International, Manchester. Coproduction Schrit_tmacher Festival – Les Théâtres de la Ville de Luxembourg – Montpellier Danse. Coréalisation Théâtre de la Ville-Paris – Chaillot-Théâtre national de la Danse. Avec le soutien de Dance Reflections by Van Cleef & Arpels.

Du 22 au 30 Octobre 2025, à 20h. / Samedi à 14h et 20h, au Théâtre de la Ville – Sarah Bernhardt, 2 place du Châtelet – 75004. Paris – tél. : 01 42 74 22 77 – site : theatredeleville-paris.com

Les cantiques du corbeau

Scénographie, conception et mise en scène, Bartabas – assistante à la mise en scène, Emmanuelle Santini – Musiciens du groupe Pantcha Indra et musicien invité, Sunarso – nouvelle création du Théâtre équestre Zingaro, au Fort d’Aubervilliers.

© Sacha Goldberger

C’est un voyage sensoriel auquel nous convie Bartabas, accompagné des mots qu’il a semés en 2022 pendant la période du confinement, et des musiques rituelles du gamelan qui enlacent son récit. Un à un entrent les musiciens du groupe Pantcha Indra, portant un signe distinctif animal, accompagnés de Sunarso, musicien invité. Ensemble, ils jouent des percussions, gongs, et flûtes enveloppant la représentation de leurs rythmes balinais.

Bartabas renouvelle les formes de ses expressions – visuelle, textuelle et musicale. Il met sur le devant de la scène le texte par l’apparition-disparition de récitants vêtus de noir, surgissant d’on ne sait quel outre-tombe et portant les vingt-deux chants qui composent Les Cantiques du corbeau qu’il a écrits sous forme d’invocation chamanique.

© Sacha Goldberger

Tout est sobre, dense et cérémonial, les images surgissent sans qu’on les attende. Récitants, chevaux, musiciens, ouvrent sur autant de visions mentales, et viennent à la rencontre du spectateur. « Enfant déjà, j’étais attiré par la beauté furtive des créatures sauvages. J’ai vite compris que jamais je ne pourrai rivaliser avec elles… » Tout se reflète dans l’eau qui recouvre le cœur de la piste, se dédouble, se trouble et s’efface. Par ce récit sur les origines de l’humanité où le cheval lance ses éclairs en cavalcadant autour de la piste, ou la traverse à la rencontre d’autres espaces, Bartabas crée, par l’infini des reflets, une écriture de lumière et des visions hypnotiques.

Dans son propos sur la place de l’homme et de l’animal, la conteuse du haut de son immense trône ouvre la porte de mondes secrets et intérieurs : « La nuit, l’animal me regarde et je lis dans ses yeux de nobles histoires, des chants qui m’invitent au voyage… » La Belle et la Bête se rencontrent, éléments et animaux parlent. Un chant solo de toute beauté fuse, le jeu des proportions se construit, on entend l’écho du monde.

Dans ces fragments scéniques qui relèvent d’une méditation poétique, les gestes sont esquissés, la Bête porte la Belle et la musique commente. Mystère, beauté furtive des créatures sauvages, bestiaire, flammes qui crépitent, tout est bleu nuit, tout est magie. « J’ai été banni de ma tribu… ! » dit le récitant. Passe une écuyère portant un squelette, passent les pénitents aux flambeaux sur fond de scie musicale, se place un récitant au centre de la piste, longue tunique noire, les pieds dans l’eau. Ce clair-obscur fait penser à Tarkovski, réalisateur entre autres de Stalker et du Sacrifice.

© Sacha Goldberger

Danse, transe et gestes d’offrande se succèdent, un chant solo féminin d’une grande expressivité, surgit. La femme aux flambeaux passe, le centaure et le bouc sont aux aguets, éclairés par une giclée d’étincelles et d’étoiles, les chevaux, bai clair, blanc ou grisé, apparaissent et disparaissent, en un tour de piste qui construit comme un songe. Une prêtresse aux appliqués d’or, des danseurs portant de lourds masques balinais et une danseuse balinaise la grâce incarnée, se succèdent, ses mains sont papillons, le chant du violon l’accompagne. « Je suis sorti de mon rêve à regret comme on quitte sa jeunesse » ponctue le récitant.

On capture une jeune femme qui tourne ses longs cheveux autour du cou jusqu’à l’étranglement. L’eau gicle, en accélération, et devient rouge sang. La mise à mort est archaïque et comme un rituel… « Le silence des bêtes nous rappelle à l’ordre du monde. » Les oies font une traversée, marquant leur appartenance au bestiaire Bartabas, artiste d’exception, en état permanent de recherche. Son vingt-deuxième chant, Dernier voyage, ferme le spectacle d’une nuit magnétique : « Au crépuscule, irradié de douceur, j’ai su bien mourir en prenant tout mon temps. » Et nous mourons avec lui, avant de renaître devant le feu, si chaleureux, crépitant à l’extérieur.

Brigitte Rémer, le 1er novembre 2025

© Sacha Goldberger

Scénographie, conception et mise en scène, Bartabas – Assistante à la mise en scène, Emmanuelle Santini – Artistes du théâtre Zingaro : Bartabas, Henri Carballido, Jean-Luc Debattice, Lola Eliakim, Alice James, Manolo Marty, Perrine Mechekour, Sarah Mordy, Julie Moulier, Florent Mousset, Paco Portero, Alice Seghier, Nessim Vidal – danse balinaise, Kadek Puspasari – Musiciens de Pantcha Indra : Thomas Garcia, Audran Le Guillou, Philippe Martins, François Marillier, Théo Mérigeau, Christophe Moure, Laetitia Schneider, Hsiao-Yun Tseng – Musicien invité, Sunarso – Feu, Lara Castiglioni – Chevaux : Famine, Guerre, Misère, Maestro, Tsar, Bruant Chouca, Hypolaïs et Ibis – Régie générale, Charlotte Matabon – lumière, Clothilde Hoffmann – son, Laurent Compignie en alternance avec Eliott Allwright – Techniciens plateau : Ouali Lahlouh, Pierre Léonard Guétal en alternance avec Julie-Sarah Ligonnière – Responsable des écuries, Ludovic Sarret – Soins aux chevaux, Ophélie Girardet et Caroline Viala – Création costumes, Chouchane Abello Tcherpachian – Atelier costumes, Montcalm Abicene – Cheffe d’atelier costumes, Anne Véziat – Couturier, Jean Doucet – Auxiliaire couture, Noémie Leblan – Auxiliaire accessoires, Méline Abello – Habilleuses, Isabelle Guillaume et Isia Seghier – Masques des musiciens, Pamela is dead – Masque de bouc, squelette et tigre, Cécile Kretschmar – Le texte, Les cantiques du corbeau a été édité aux éditions Gallimard dans la Collection Blanche en 2022, et en Folio en septembre 2025.

Du 15 octobre 2025 au 31 décembre 2025, Les mercredis, jeudis, vendredis, samedis à 19h30 et les dimanches à 17h30 – Théâtre équestre Zingaro, 176 Avenue Jean Jaurès – 93300 Aubervilliers, métro : Fort d’Aubervilliers – tél. : 01 48 39 54 17 – site : www.zingaro.fr