Archives mensuelles : avril 2025

Les Bijoux de pacotille

Texte et interprétation, Céline Milliat-Baumgartner – Mise en scène Pauline Bureau, La Part des Anges – au Théâtre de la Bastille.

© Pierre Grosbois

Le sourire et la grâce de Céline Milliat-Baumgartner nous accueillent sur scène, pourtant ils racontent un drame : ses parents ont disparu quand elle avait neuf ans, lors d’un accident de voiture. Elle en fait récit en 2015 dans un court roman et le crée en 2018 au Théâtre du Rond-Point. Pauline Bureau la guide et signe la mise en scène. Par ce moment incandescent qu’elle interprète sur scène, ses parents sont devenus poème.

Elle admirait sa mère, actrice et adorait son père qui lui montrait le dessin. Sa mère était « son modèle, son héroïne, son original » dit-elle. On remonte le cours de cette brève rencontre avec eux. L’introduction enregistrée parle d’un accident de voiture et d’un couple carbonisé, non identifié. Seul 2 bracelets noircis et une boucle d’oreille à fleurs pour être sûr que c’était bien elle et lui, rentrant d’une soirée amicale dans une voiture prêtée. On est le 19 juin 1985. Le baby-sitter chargé de garder les deux enfants, elle et son jeune frère, est encore là le matin sans savoir pourquoi, pour lui c’était un galop d’essai, une première soirée dans la fonction. Dans la matinée il reçoit du grand-père, neurochirurgien à Colmar, le terrible coup de fil. Les enfants n’assisteront pas à l’enterrement, ils iront chez leur tante, volonté de leur mère qui écrivait un testament chaque fois qu’elle allait prendre l’avion et le déchirait au retour.

© Pierre Grosbois

Un immense miroir incliné double de la scène, est suspendu, donnant l’idée fantomatique de sa mère et d’elle, sa réplique. C’est autour d’Elles que Céline Milliat-Baumgartner a pensé le spectacle, comme un exorcisme. Elle entre en scène, robe bleutée, légère, d’enfance, portant un gros carton quelle pose dans une scénographie-écrin (costumes et accessoires Alice Touvet, scénographie Emmanuelle Roy). Le jeu de la mémoire se met en place. De sa mère, elle connaît tout dit-elle et tout lui revient : le bruit de son pas, sa robe parme et les couleurs qu’elle aime, son odeur. Si elle avait été sa mère, elle aurait craqué pour son père. Les deux s’aimaient, se disputaient, vivaient. Revient le souvenir des vacances en Grèce, elle a sept ans. Elle ouvre sa malle au trésor, dans laquelle s’anime un petit film super 8, comme un théâtre d’ombres et trace de ces vacances presque dernières, un paradis perdu. La mer monte et envahit le sol, l’image se répète dans le miroir (vidéo Christophe Touche).

© Pierre Grosbois

Un jour d’exaspération, sa mère avait dit : « Mais comment tu feras quand je ne serai plus là ? » et encore, « surtout ne sois jamais actrice, c’est trop dur ! » La phrase frappe au carreau de l’enfance blessée, et la voici sur scène. Elle sort du carton ses chaussures de ballet classique en satin, ses pointes, et tranquillement les met, moment évocateur des cours de danse classique qu’elle a pris pendant dix ans, délicate berceuse de la boîte à musique où la figurine tourne. Les godasses du père avancent toutes seules, ce père parfois ailleurs. Elle est au milieu du plateau, l’absente au centre de son monde, et du théâtre.

 « Mes souvenirs sont sous terre » dit-elle, en construisant sa vie, mettant un bouclier entre elle et le monde. Quand elle change d’école, dans la cour de récré, les copines parlent entre elles de leurs mères : « pas trop sévère la tienne ? Et ton père ? » Le mot orpheline claque. Vent, ciel et nuages emplissent le sol comme si l’ange était monté au ciel rendre visite à sa mère, elle est sur pointes et se construit un autre monde. Restent les traces, un cheveu trouvé, une tasse bleue qui finit par se casser, un livre de théâtre, la bague de fiançailles, trop belle et voyante pour être portée. Elle s’asperge d’un nuage de parfum.

© Pierre Grosbois

Passent les années. Quinze ans après elle prend connaissance du procès-verbal de police tapé à la machine à écrire, du témoignage de l’ami qui avait prêté sa voiture, du constat de décès, d’une facture de réparation du poteau contre lequel la voiture s’était fracassée à l’entrée du tunnel de Saint-Germain en Laye, des trois bijoux, deux bracelets et une boucle d’oreille qui avaient permis l’identification. Elle y place de petites pointes d’humour et brûle le constat qui devient papillon devant nous, défiant le trou noir de l’abandon et ce funeste destin (magie Benoît Dattez).

Dans cette même dérision elle énumère le cahier des charges auquel elle échappe hors des obligations familiales : « Je n’ai pas… » la liste et longue, du repas du dimanche en principe obligatoire et qui n’existe pas, à l’accompagnement de leur vieillesse. Elle dresse aussi la liste de ses angoisses. « Je fais plein de petites choses bizarres pour rester en vie » se reconnaît-elle. Les images familiales envahissent le sol et se reflètent dans la glace dont le cadre s’éclaire avec le flux et le reflux de ses pensées.

Aujourd’hui, elle a dépassé l’âge de ses parents, c’est une ode à la vie qu’interprète Céline Milliat-Baumgartner « à notre unique vie » comme elle le dit à plusieurs reprises et elle réserve une surprise finale, dans une dernière espièglerie pleine de gravité. La mise en scène de Pauline Bureau a beaucoup de doigté pour garder la luminosité du récit et partager l’indicible, comme chaque geste artistique posé autour des Bijoux de pacotille (lumière Bruno Brinas, composition musicale et sonore Vincent Hulot). Certains moments se suspendent. Céline Milliat-Baumgartner est remarquable dans ce dévoilement partagé d’une tragédie qu’elle rend fluide malgré l’émotion et la gravité. Sa mère, actrice, en aurait été fière.

Brigitte Rémer, le 29 avril 2025

Texte et interprétation, Céline Milliat-Baumgartner – Mise en scène Pauline Bureau Scénographie Emmanuelle Roy – costumes et accessoires Alice Touvet – composition musicale et sonore Vincent Hulot – lumière Bruno Brinas – dramaturgie Benoîte Bureau – vidéo Christophe Touche – magie Benoît Dattez – travail chorégraphique Cécile Zanibelli – régie générale, son et vidéo Sébastien Villeroy – régie Lumière Pauline Falourd – administration Claire Dugot – développement et diffusion Christelle Longequeue – le texte est publié aux éditions Arléa et aux éditions Hatier, collection Classiques & Cie Collège – production La part des anges – coproduction Théâtre Paris-Villette, Le Merlan/ scène nationale de Marseille et Théâtre Romain Rolland/scène conventionnée de Villejuif.

Du 28 avril au 17 mai, au Théâtre de la Bastille – 76 Rue de la Roquette 75011 Paris – tél. : 01 43 57 42 14 – sites : www.theatre-bastille.com – www.part-des-anges.com

T’embrasser sur le miel

Texte, mise en scène, montage vidéo et scénographie Khalil Cherti – jeu Reem Ali et Omar Aljbaai – spectacle en arabe levantin surtitré en français – à La Colline/Théâtre National.

© Tuong-Vi Nguyen

On se trouve dans un appartement en coupe, s’étirant de cour à jardin ; intérieur rouge plutôt ordinaire, salon avec lampadaire et radio côté jardin, salle de bains avec baignoire côté cour. De l’extérieur parviennent des bruits de foule issus d’une manifestation, une forte rumeur monte. La bande-son nous place au coeur du sujet et l’extérieur pénètre l’intérieur.

On est en Syrie en mars 2011, au début de la guerre. Une femme, Siwam et un homme, Emad – sont-ils amis, amoureux ou autre ? – ont communiqué pendant dix ans en s’envoyant des vidéos dans lesquelles ils construisent une réelle complicité en se mettant en scène. Dans leurs appartements respectifs ils racontent leur quotidien sur un mode ludique, jouant de dérision par écran interposé. Siwam regarde Emad, qui la regarde, une façon de détourner la violence et de se dérober à la guerre.

À la lampe de poche compte tenu des coupures de courant, comme une grande diva en coulisses se préparant à entrer en scène, du fond de sa baignoire, Siwam se métamorphose en madame Météo, la pomme de douche pour micro. Elle envoie son bulletin à Emad et le temps qu’il fait, un symbole fort. Sale temps en vérité, malgré son grand sourire.

© Tuong-Vi Nguyen

Tous deux sont à la recherche de séquences extravagantes pour noyer leur désespoir, au milieu d’images de guerre et de chars qui énoncent le désastre au quotidien. Mahmoud dans sa chambre fait les pieds au mur et vit à l’envers, jusqu’au nœud de cravate qu’il fait à contresens. Un canon a percé sa cloison. Il surveille ses casseroles. Tous deux se savent en sursis, construisant leur semblant de vie par ces petits actes du quotidien magnifiquement bricolés sous nos yeux. Ils tissent une autre réalité, comme un acte de de survie et de résistance, à partir de ce qui leur passe par la tête. Ils s’inventent un monde et se jettent à corps perdus dans leur vie virtuelle et échanges vidéo avec l’énergie du footballeur défendant son terrain.

© Tuong-Vi Nguyen

Derrière l’œuvre de dévastation appliquée, ces deux anti-héros nous font traverser leur quotidien dans un espace-temps réaménagé et s’efforcent de transformer ces lieux de guerre et de mort en lieux de vie. Parfois le désarroi les rattrape. « J’arrête pas de mourir » dit l’un. « Un jour je fus fatigué de ne pas vivre… Si je pleure c’est pour la vie » dit l’autre dans les apartés de la réalité. Le spectacle est fait de contraste, quand il est à l’écran elle est sur scène et vice versa. Une musique hurlante nous mène dans l’école du fils de Siwam. Dans la cour les élèves sont endimanchés, des mannequins de tissus les représentent. Siwam danse avec la mort évoquant les millions de déplacés. Le ton change avec l’évocation des enfants morts, des explosions, des corps déchiquetés, un mur de portraits s’affiche, visages parfois restés sans nom pour l’éternité. La vie s’enfuit. Siwam s’étend au sol, et soudain le chaos, tout vole en éclat les immeubles s’effondrent. Des sauveteurs soulèvent les dalles, des lambeaux de casques sont dégagés. Sous les gravats des gens. Elle appelle Emad. Plus de nouvelles. L’inquiétude est au zénith.

Quand il réapparaît il parle de l’enfance, est-il au paradis ou de ce monde encore ? « Tu jouais la reine maudite » lui rappelle-il. Une guirlande de ballons, la mélodie des oiseaux. « Je ne crois plus au chant » chante-t-il. Il est en habit militaire et part au front, fusil en bandoulière. Elle, commente les photos des copains de classe. On manque de tissu pour enterrer les enfants. « Si on ne peut pas pleurer, qu’est-ce qu’il nous reste ? » Il pleure, ramasse des objets, un enfant. Il porte son enfant. Dans le feu il disparaît.

© Tuong-Vi Nguyen

La dernière partie se tourne vers le psychiatre, comment s’en remettre ? L’imagerie montre la boîte crânienne, les couleurs du cerveau, l’usure de l’âme. Emad raconte. « Je cours avec les deux enfants. Le petit ne veut pas voir, il enfonce sa tête dans mon cou. Il faut être un papillon pour sortir… » Des images d’Ukraine se superposent. On ne sait plus où l’on est si ce n’est dans la guerre et la destruction. Le spectacle a fait un saut immense du burlesque du début au désastre final.

Khalil Cherti est scénariste et réalisateur autodidacte franco-marocain. Il a d’abord fait un détour du côté du cinéma, a conçu et réalisé des films de sensibilisation sur des causes nationales, notamment. T’embrasser sur le miel, est d’abord un court-métrage, qu’il a tourné en 2021. L’écriture de la pièce et la scène sont venues dans un second temps, c’est la première mise en scène qu’il signe au théâtre. Le jeu est magnifiquement porté par Reem Ali, formée à l’Institut supérieur d’art dramatique de Damas. Elle a mené une carrière d’actrice pour le théâtre et le cinéma en Syrie avant d’être contrainte à l’exil, elle est aussi réalisatrice et diplômée en Art-thérapie de l’Université expérimentale Paris Cité. Elle rencontre Khalil Cherti en France et leur compagnonnage se met en place. Elle joue dans ses films. Omar Aljbaai est issu du même Institut supérieur d’art dramatique, à Damas, il avait fondé dans la capitale syrienne un atelier d’écriture dramatique, L’Atelier de la rue. Il est aussi metteur en scène, s’est arrêté à Beyrouth avant de se poser en France il y a quatre ans.

Le jeu des deux acteurs et le glissement progressif de l’extravagance dans la première partie du spectacle à la réalité de la guerre dans la seconde partie, l’équilibre entre le jeu réel sur scène et le passage à l’image, émaillé de références à certains films, artistes et poètes, donne toute son épaisseur au propos. Ainsi, Écoutez ! de Maïakovski : « Puisqu’on allume les étoiles, c’est qu’elles sont à quelqu’un nécessaires ? C’est qu’il est indispensable, que tous les soirs au-dessus des toits se mette à luire seule au moins une étoile ? »

Brigitte Rémer le 25 avril 2025

© Tuong-Vi Nguyen

Avec : Reem Ali, Omar Aljbaai – dramaturgie Reem Ali – scénographie et accessoires Khalil Cherti assisté de Matthieu Henriot – lumières Jean-Eudes Auboin – son Sylvère Caton – costumes Isabelle Flosi – assistanat à la mise en scène Ghina Daou, Émilie Ganito – fabrication des accessoires, costumes et décor /ateliers de La Colline – Voir aussi le court-métrage T’embrasser sur le miel de Khalil Cherti, production Qui Vive !, Les Tisserands Production, 2021, Prix Canal + au festival international Cinemed.

Spectacle vu le 5 avril 2025, à La Colline-Théâtre National, 15 rue Malte-Brun, 75020. Paris – métro : Gambetta – site : www.colline.fr – tél. : 01 44 62 52 52.

Helikopter et Licht

Chorégraphies Angelin Preljocaj –  Helikopter, musique Karlheinz Stockhausen, Helikopter-quartet’ interprétée par Le Quatuor Arditti – Licht, musique originale Laurent Garnier – au Théâtre de la Ville Sarah-Bernhardt.

© Yang Wang

La soirée se présente en deux parties qu’Angelin Preljocaj réussit à relier avec pertinence en construisant une dramaturgie basée sur le paradoxe et la contradiction. Helikopter, pièce créée en 2001 est une expérience sensorielle dans un fort volume sonore signée en 1996 du maître avant-gardiste Karlheinz Stockhausen, suivie de Licht dont la musique originale est de Laurent Garnier qui en serait un héritier, pièce nettement plus solaire, et dont la première mondiale a eu lieu ici même, au Théâtre de la Ville, le 10 avril dernier.

La transition se fait à partir d’une interview de Stockhausen (1928-2007) réalisée par le chorégraphe et filmée par Olivier Assayas, datant de 2007. Stockhausen et Preljocaj sont liés d’amitié. Le compositeur revient sur la mathématique de sa partition en ses différentes strates et couches, superposées et synchronisées, qui modifient le sens de la perception.

© Yang Wang

Créé en 2001 dans une rythmique radicale et une composition révolutionnaire, Helikopter met en espace six danseurs. Quatre hélicoptères fortissimo et un quatuor à cordes font chauffer les hélices. Des projections interactives au sol accompagnent les danseurs qui entrent un à un pour former le collectif, se rapprochent du sol sur lequel ils se plient et se déplient, tournent sur eux-mêmes (scénographie Holger Förterer, lumières Patrick Riou). Les bras dessinent des arabesques, les gestes sont d’une grande précision et maîtrise, recouvrant la mathématique musicale.

S’enchaîne ensuite la pièce Licht, nouvellement créée à partir de la musique de Laurent Garnier, DJ, compositeur et producteur de musique électronique. Six danseuses et six danseurs exécutent des portés derrière un voile de tulle. Éclairs et bruits de tonnerre, danses à contre-jour dans de superbes éclairages (lumières Éric Soyer), au départ, costumes aux couleurs vives, jaune, rouge, vert, bleu, violet (signés Eleonora Peronetti). On glisse ensuite dans un univers plus sophistiqué et fluide, plus lumineux, quand de derrière les trois écrans en forme de hublots posés au sol en arrière-plan, apparaissent les danseurs faussement dénudés, couverts de bijoux et parures, sur la musique du groupe Les Korgis. Ils nous mènent dans un paradis à la Fellini où tous se rencontrent et se quittent en un mouvement de groupe formant une vague déferlante, loin de l’enfer de Stockhausen.

© Yang Wang

Le plaisir de la danse est toujours présent chez Angelin Preljocaj, directeur du Ballet Preljocaj basé à Aix-en-Provence, et qui y avait présenté un sublime Requiem(s) il y a un an, en tournée ensuite à la Grande Halle de La Villette (cf. ubiquité-cultures.fr du 15 juin 2024). Les danseurs de la Compagnie sont éblouissants et les univers que propose le chorégraphe, diversifiés, ils apportent l’excellence et la virtuosité, la fluidité et l’intensité. Marqué par le ballet classique, Angelin Preljocaj s’est rapidement dirigé vers le ballet contemporain, a étudié auprès de Merce Cunningham et dansé avec les chorégraphes emblématiques de son époque, dont Dominique Bagouet, Viola Farber, Michel Kelemenis. Il sait surprendre le public par son travail multiforme, ses recherches formelles et collaborations avec d’autres artistes et disciplines. Au fil du temps il invente ses langages chorégraphiques dans une précision et perfection à couper le souffle. Ses créations sont présentées dans le monde entier et reprises au répertoire de nombreuses compagnies.

Brigitte Rémer, le 22 avril 2025

Avec : Liam Bourbon Simeonov, Clara Freschel, Mar Gomez Ballester, Paul-David Gonto, Lucas Hessel, Verity Jacobsen, Florette Jager, Beatrice La Fata, Yu-Hua Lin, Florine Pegat-Toquet, Valen Rivat-Fournier, Leonardo Santini – Direction technique Luc Corazza – régie générale et son Virgile Olivieri, Martin Lecarme – régie lumières Jean-Bas Nehr, Gaspard Juan – régie scène Juliette Corazza, Rémy Leblond – régie vidéo Fabrice Duhamel – responsable atelier costumes Tania Heidelberger – habilleuse Marie Pasteau.

© Yang Wang

Helikopter – Musique Karlheinz Stockhausen, Helikopter-quartet’ interprétée par Le Quatuor Arditti. Scénographie Holger Förterer – lumières Patrick Riou – costumes Sylvie Meyniel – Assistant, adjoint à la direction artistique Youri Aharon Van den Bosch – assistante répétitrice Cécile Médour – choréologue Dany Lévêque – Extraits issus de Stockhausen–Preljocaj/Dialogue, filmé par Olivier Assayas ©MK2TV 2007 – coproduction Théâtre de la Ville/Paris. Licht – musique originale Laurent Garnier – lumières Éric Soyer – costumes Eleonora Peronetti -– vidéo Nicolas Clauss – assistant répétiteur Paolo Franco – choréologue Dany Lévêque –  

Du 10 avril au 3 mai 2025, à 20h, samedi 12 avril et 3 mai, 15h et 20h – dimanche 19 avril, 15h – Théâtre de la Ville Sarah-Bernhardt, Place du Châtelet. 75001. Paris – tél. : 01 42 74 22 77 – site : www.theatredelaville-paris.com – En tournée : 13 au 17 mai 2025 au Pavillon Noir, Aix-en-Provence – 3 juin 2025 au Théâtre La Colonne, Miramas – 6 juin 2025 Théâtre Olympia/CDN de Tours, dans le cadre du festival Tours d’Horizons – 11 au 14 juin 2025 à La Criée/Théâtre national de Marseille – 24 au 26 juillet 2025 à l’Amphithéâtre Châteauvallon, Ollioules, dans le cadre du Festival d’été de Châteauvallon – 30 et 31 juillet  2025 au Théâtre de l’Archevêché, Aix-en-Provence.

On achève bien les chevaux

Adaptation, mise en scène et chorégraphie Bruno Bouché, Clément Hervieu-Léger, Daniel San Pedro – avec le Ballet de l’Opéra national du Rhin/Centre chorégraphique national et la Compagnie des Petits Champs – au Théâtre de la Ville Sarah-Bernhardt.

© Paul Lannes – Opéra national du Rhin

Le film de Sydney Pollack tourné en 1969 avec Jane Fonda dans le rôle de Gloria, appartient aux grands classiques. On connaît moins l’auteur de ce roman noir, On achève bien les chevaux/ They Shoot Horses, Don’t They ? Horace McCoy, qui le publie en 1935. Né dans le Tennessee, aux États-Unis, de parents pauvres, il commence à travailler à l’âge de douze ans comme vendeur de journaux et après avoir exercé de nombreux petits boulots, s’engage dans l’armée, en 1917, où il est observateur aérien pendant la Grande Guerre, ce qui lui vaut la Croix de Guerre en août 1918. De 1919 à 1930 il est journaliste sportif à Dallas, commence à écrire et publie ses premières nouvelles dans les magazines. La Grande Dépression de 1929 lui fait perdre son emploi. Il arrive à Hollywood en 1931 où il enchaîne quelques petits rôles avant d’écrire des scénarios – il en écrira une quarantaine au total, dont Gentleman Jim réalisé par Raoul Walsh en 1942 et Les Indomptables, par Nicholas Ray, en 1952.

© Paul Lannes – Opéra national du Rhin

Violent réquisitoire contre le rêve américain où règne le plus fort et triomphe l’argent, l’œuvre d’Horace McCoy dérange l’Amérique conquérante. La France dès le départ soutient son talent, on le compare à Steinbeck et Hemingway. Jean-Pierre Mocky signe en 1974, pour le cinéma, l’adaptation de son second roman, Un linceul n’a pas de poche (No Pockets in a Shroud).

On achève bien les chevaux nous mène au cœur de la misère où des jeunes gens s’engagent, pour quelques dollars leur dernier recours, à danser jusqu’à épuisement, et pour divertir un public en mal de sensations fortes. Condamnés à danser, paradoxe extrême, ils nourrissent en chemin l’espoir d’être repéré par des producteurs de cinéma, et de devenir une star de l’écran. À partir de ce roman et de cette tragédie de la vie dans laquelle la danse côtoie la mort, les trois metteurs en scène reconstruisent et déclinent l’argument, à la recherche d’un nouveau langage scénique, entourés de plus de trente danseurs, comédiens et musiciens issus de la Compagnie des Petits Champs et du Ballet de l’Opéra national du Rhin. Bruno Bouché est directeur artistique du CCN/Ballet de l’Opéra national du Rhin et ancien danseur de l’Opéra national de Paris ; Clément Hervieu-Léger est metteur en scène et sociétaire de la Comédie Française, il codirige avec Daniel San Pedro la Compagnie des Petits Champs ; de nationalité espagnole et formé au Conservatoire de Madrid, Daniel San Pedro fut associé à la Scène nationale de Châteauvallon ; il a signé de nombreuses mises en scène et enseigne le théâtre à l’École de Danse de l’Opéra national de Paris. Cherchant à mêler le théâtre et la danse, ces trois artistes s’emparent du roman de McCoy, qu’ils mettent en scène ensemble.

© Paul Lannes – Opéra national du Rhin

Le marathon de danse est une épreuve d’endurance très en vogue aux États-Unis dans les années 1920/30. Son règlement à l’usage des compétiteurs parle à lui seul et laisse présager le pire : 1. La compétition est ouverte à tous les couples amateurs ou professionnels. – 2. Le marathon n’a pas de terme fixé : il est susceptible de durer plusieurs semaines. – 3. Le couple vainqueur est le dernier debout après abandon ou disqualification des autres compétiteurs. – 4. Les compétiteurs doivent rester en mouvement 45 minutes par heure. – 5. Un genou au sol vaut disqualification. – 6. Des lits sont mis à disposition 11 minutes durant chaque pause horaire. – 7. Baquets à glaçons, sels et gifles sont autorisés pour le réveil. – 8. Les compétiteurs se conforment aux directives de l’animateur. – 9. Sponsors et pourboires lancés sur la piste par le public sont autorisés. – 10. Des collations sont distribuées gracieusement durant la compétition. – 11. L’organisateur décline toute responsabilité en cas de dommage physique ou mental.

© Paul Lannes – Opéra national du Rhin

La scénographie d’Aurélie Maestre et Bogna G. Jaroslawski nous transporte dans une sorte de gymnase que le directeur et ses assistants préparent, balaient, organisent pour le marathon. La plateforme pour les musiciens et les tests sono, les dossards, les chaises hautes semblable à celle des arbitres sur un court de tennis pour suivre les sportifs, tout est en place pour l’accueil des participants, amateurs et professionnels, qui arrivent seuls ou en couple, portant seulement un petit sac. Ils se préparent, passent leur short, mettent leurs chaussures, prêts à soigner leurs pieds quand il y aura une pause (costumes de Caroline de Vivaise), accrochent leurs dossards. Les couples se forment : 4/15, 30/16, 23/41 et tant d’autres… Certains cherchent leur cavalier/ère, c’est le cas de Gloria, qui vient de loin dans tous les sens du terme, et rencontre Robert. On distribue des sandwiches et de l’eau. « Ils ont tellement la dalle, ils vont finir par s’entretuer » dit l’un des arbitres en costume lie-de-vin, à l’allure de videur de boîte de nuit, tentant d’organiser l’ensemble.

Et débute la danse, dans le respect du règlement imposé aux marathons, avec ordres distribués : sans lâcher la main de sa partenaire, dans le sens du bal, avec figures acrobatiques, marche à reculons, port des cavalières… Entre deux figures une légère pause pour évacuer ceux qui se sentent mal ou qui n’ont pas respecté la consigne et qu’on élimine. L’une est enceinte, Gloria s’empoigne aves son cavalier qui ose la faire concourir. Soins, serviettes, chaussures usées, massages, eau et sandwich pour ceux qui ont encore la force de manger… Gloria est toujours prête à la critique et à la dénonciation de tant d’injustice. Comme un modèle, une leader, ou une empêcheuse de tourner en rond, elle se sent mal et voudrait arrêter.

Sifflet, reprise de la course et l’enfer recommence pour ces duos à l’unisson, les lumières d’Alban Sauvé décrivent le glauque de la situation. Le directeur fait sa pub en véritable sauveur, démagogue à souhait. Pour le Derby, du nom des courses de chevaux et pire que les jeux du cirque les arbitres dessinent un cercle au sol, l’accélération est mortifère. « C’est l’abattoir… » Deux lits de camp et une pharmacie s’improvisent au centre. Tout le monde se concurrence, il n’y aura qu’un couple gagnant qui empochera un peu d’argent, visiblement le plus résistant, l’ambiance est délétère.

© Paul Lannes – Opéra national du Rhin

Au milieu d’un épuisement quasi-total, quelques phrases fusent : « Si tu gagnes, tu fais quoi avec l’argent ? » ou des appels au secours « Aidez-moi ! » « Je préférerais être morte… » Le directeur fait un deal avec la femme enceinte et son cavalier : mariage conclu devant les caméras, pour un peu d’argent. On suit le cortège nuptial, mené par le directeur en costume blanc, pur maquereau. Les couples éliminés contestent, l’épuisement, les évanouissements se multiplient.

Arrive une dame patronnesse, présidente d’une association de moralité publique qui questionne en coulisses le directeur et mènera à l’arrêt brutal de la manifestation. Onze couples en lice à la fin du spectacle qui ont tourné pendant 63 jours, personne n’obtiendra l’argent promis et convoité. Gloria exprime son envie de mourir, Robert l’y aidera.

Dans cette chorégraphie qui réunit trente-deux danseurs, comédiens et musiciens, où la danse et le groupe sont le cœur même du sujet, le temps s’accélère. Chapeau bas aux interprètes, danseurs et acteurs qui ont relevé le défi – on ne peut guère tricher avec le scénario – ils tournent et dansent, au bord d’eux-mêmes même s’ils ne sont pas, comme dans le film, dans l’effondrement. Ils sont dans la représentation et le jeu, dans un certain épuisement il va de soi, sous le regard du spectateur-voyeur, comme celui qui assistait aux marathons de l’époque, pariant sur la misère et peut-être même, comme au tiercé, sur le futur couple gagnant.

La rencontre entre les danseurs du Ballet de l’Opéra du Rhin dirigé par Bruno Bouché, situé au carrefour de l’Europe et explorant des dramaturgies en prise avec le monde d’aujourd’hui, et les comédiens de la Compagnie des Petits Champs que dirigent Clément Hervieu-Léger et Daniel San Pedro, permet une synergie et symbiose entre texte, musique et danse, des plus réussies. Ensemble, ils activent la métaphore du théâtre du monde, la métaphore de la vie.

Brigitte Rémer, le 10 avril 2025

© Paul Lannes – Opéra national du Rhin

Musiciens :  M’hamed El Menjra, guitare et contrebasse – Noé Codjia, trompette – David Paycha, batterie – Maxime Georges, pano – Alice Pernão, chant – Rollo, Luca Besse – Rocky, Vincent Breton – Socks, Daniel San Pedro – James, Marin Delavaud – Ruby, Susy Buisson – Mario,          Alexandre Plesis – Jackie, Muriel Zusperreguy – Freddy, Louis Berthélémy – Rosemary, Ana Enriquez – Gloria, Clémence Boué – Robert, Josua Hoffalt – Mattie, Julia Weiss – Kid, Marwik Schmitt – Madame Highbi, Claude Agrafeil. Assistant à la mise en scène et dramaturgie Aurélien Hamard-Padis – scénographie Aurélie Maestre, Bogna G. Jaroslawski – costumes Caroline de Vivaise – lumières Alban Sauvé – son Nicolas Lespagnol-Rizzi – mise en répétition Claude Agrafeil, Adrien Boissonnet – coach vocal Ana Karina Rossi. Le spectacle a été créé le6 juillet 2023 à Châteauvallon scène nationale.

Vu le 5 avril 2025, au Théâtre de la Ville Sarah-Bernhardt, place du Châtelet. 75001. Paris – site : www.theatredelaville-paris.com – CCN/Ballet de l’Opéra national du Rhin, tél. : + 33 (0)6 08 37 70 46, email : sginter@onr.fr – Compagnie des Petits Champs, tél. : + 33 (0)6 60 10 67 87, email : compagniedespetitschamps@gmail.com

Coup fatal

Pièce musicale imaginée par les artistes Rodriguez Vangama, Alain Platel et Fabrizio Cassol – Direction artistique et mise en scène, Alain Platel – direction musicale Fabrizio Cassol – compositions musicales, Fabrizio Cassol et Rodriguez Vangama production de la Comédie de Genève, au Théâtre du Rond-Point, à Paris.

© Zoé Aubry

Coup fatal est un voyage sonore et visuel plein d’énergie où la musique mêle les styles, du baroque aux plus pures percussions. Fantaisie et extravagance sont au rendez-vous, avec, en prime la savoureuse séquence finale des rois de la sape.

La pièce fut créée au Burgtheater de Vienne au cours de l’année 2014. Dix ans plus tard, la Comédie de Genève rassemble les forces vives qui permettent de la recréer : Fabrizio Cassol et Rodriguez Vangama pour les compositions musicales, Fabrizio Cassol pour la direction musicale, Alain Platel pour la direction artistique et mise en scène. Autour d’eux d’éblouissants musiciens également danseurs, virtuoses et plein d’humour.

   

© Chris Van der Burght

On embarque donc pour Kin/Kinshasa en République Démocratique du Congo, d’où sont originaires l’ensemble des musiciens et danseurs – dont une femme – et on se laisse dériver sur le fleuve Congo qui la sépare de Brazza/Brazzaville, en République du Congo. On est emmené par le Capitaine au long cours et sa guitare à double manche, Rodriguez Vangama entouré d’une douzaine de musiciens – danseurs – chanteurs, portant costumes gris-bleu avec retour d’appliqués feuilles d’automne sur le col et la couture du pantalon, à la sanza/likembe, aux percussions, balafons, aux calebasses, guitares et bâtons de pluie. Chants et frappés des mains, dessus-dessous, sifflements et appels vocaux, il y a du burlesque et de la dérision dans leur façon de se présenter sur scène.

Le début du spectacle est enlevé, les danseurs jonglent avec des chaises de jardin qu’ils lancent et s’échangent dans une belle complicité et jeux de chat perché avec suspensions et déraison. L’ensemble est convivial, généreux et ludique. Derrière un rideau aux fils d’or autour duquel court une estrade, un homme en majesté, porté par le mouvement de ces fils d’or qui le voile et le dévoile, se révèle être un superbe contre-ténor (Coco Diaz). Ses interventions des œuvres de Bach, Gluck, Haendel, Monteverdi et Vivaldi se mêlent magnifiquement aux instruments africains, aux danses et à l’ensemble, elles sont l’un des fils conducteurs et dialoguent avec les instruments et chants traditionnels qui montent dans une belle harmonie, douceur et densité.

© Chris Van der Burght

Un autre fil conducteur est tendu par deux danseurs un peu bouffons, un peu guerriers, situés à l’avant-scène côté jardin, qui mènent la danse et rassemblent autour d’eux le groupe Ils descendent aussi dans la salle saluer spectatrices et spectateurs. Parfois deux groupes s’appellent, s’affrontent et se déchaînent, et entre roulades et pirouettes montent dans la transe. Il y a les ambianceurs, les mimes, les musiciens et chaque instrument à tour de rôle est roi et prend toute sa dimension. Entre solos, duos, mouvements d’ensemble et groupes d’instruments, le rythme de la pièce se construit à la manière d’un opéra.

Dans ce flux et ce reflux musical, chanté et dansé, le plateau à un moment commence à se vider jusqu’à la l’apparition derrière le rideau d’or d’un personnage, l’ancêtre, haut en couleurs, vert, jaune et rouge, suivi progressivement du cortège des danseurs-musiciens transformés en rois de la sape, tous plus inventifs les uns que les autres dans leurs costumes improvisés/élaborés : guirlandes de cravates, bottes vernies d’un rose flamboyant, jupes mal fagotées, chemises orange et nœuds pap, kilt, chemises jaune plein soleil et lunettes qui vont avec, costumes saumon ou lie-de-vin, parapluie rouge, chapeaux excentriques, chaussettes extravagantes, bretelles tombantes. On est chez les rois de la sape qui s’en donnent à cœur joie, prêts pour prendre un selfie général, avant de s’étendre sur le sol en un moment grave et suspendu.

© Chris Van der Burght

Le Capitaine au long cours et sa guitare à double manche, Rodriguez Vangama a mis son costume blanc d’apparat, pelisse en fourrure et casquette de gradé. On voyage sur son transatlantique où chacun des personnages invente son parcours. Certains s’inscrivent dans une poésie à la Beckett, d’autres escaladent la salle à la rencontre des spectateurs qu’ils entraînent dans leur courant positif. Le final est un chant de l’espoir qui monte et se diffuse entre tous, comme un spirituals venant de loin.

Coup fatal apporte toutes les couleurs de l’arc-en-ciel par la fusion entre les genres musicaux, le métissage des langages et une mêlée des cultures. Spontanéité et maîtrise, exubérance et émotions, effervescence et ironie traversent le théâtre où les spectateurs adhèrent et participent, dans leurs réponses aux ambianceurs. Tous les musiciens-danseurs sont à saluer, ils distribuent énergie et joie de vivre avec virtuosité.

Le spectacle est signé d’un trio d’artistes qui donne les impulsions et permet ces rencontres entre salle et scène dans un temps fort, musical et chorégraphique : Alain Platel, qu’on connaît pour l’originalité de ses pièces chorégraphiques avec Les Ballets C de la B., Rodriguez Vangama guitariste hors pair, arrangeur et producteur, qui mélange la musique congolaise avec des éléments de jazz et de rock, Fabrizio Cassol compositeur et saxophoniste du groupe Aka Moon depuis 20 ans, qui mêle les expressions issues de l’oralité et de l’écriture à la musique de chambre et aux œuvres symphoniques, s’associant régulièrement à des chorégraphes.

Coup fatal est un réel plaisir sonore et visuel, plein d’élégance et d’inventivité, qui enflamme et bouleverse.

Brigitte Rémer, le 8 avril 2025

© Chris Van der Burght

Avec – Contre-ténor : Coco Diaz – Vocal : Russell Kadima, Boule Mpanya, Fredy Massamba – Balafon : Deb’s Bukaka – Danseuse : Jolie Ngemi – Percussions : Cédrik Buya – Likembe : Bouton Kalanda, Silva Makengo, Erick Ngoya – Guitare : Brensley Manzodulua – Percussions et calebasse : Evry Madiamba – Guitare électrique, balafon : Rodriguez Vangama – Scénographie : Freddy Tsimba – Lumières : Carlo Bourguignon – Son : Guillaume Desmet – Costumes : Dorine Demuynck.

Assistanat à la direction artistique Romain Guyon et Éléonore Bonah – Régie Plateau Valérie Oberson – Régie lumière Etienne Morel – Régie son Guillaume Desmet, Benoit Saillet – Directrice de production Pauline Pierron – Responsable de production Pascale Reneau – Attachée de production Elena Andrey – Production (reprise 2024) Comédie de Genève – Diffusion OTTO Productions – Production à la création (2014) KVS, Les ballets C de la B
- Coproduction à la création (2014) Théâtre national de Chaillot (Paris), Holland Festival (Amsterdam), Festival d’Avignon, Theater im Pfalzbau (Ludwigshafen), Torinodanza, Opéra de Lille, Wiener Festwochen – Avec l’appui de la Ville de Bruxelles, de la Ville de Gand, Brussels Hoofdstedelijk Gewest, Vlaamse Gemeenschapscommissie, de la Province de la Flandre-Orientale, des autorités flamandes.

Après un passage en mars à la Biennale du Val-de-Marne (à Créteil et Villejuif), présentation du spectacle au Théâtre du Rond-Point à Paris du 28 mars au 5 avril 2025, 2 bis avenue Franklin D. Roosevelt – 75008 Paris – site : www.theatredurondpoint.fr – Prochaines étapes : du 5 au 7 juin 2025 Théâtre de Namur (Belgique).

Port-au-Prince et sa douce nuit

Texte Gaëlle Bien-Aimé – mise en scène Lucie Berelowitsch, création du Préau, avec Sonia Bonny et Lawrence Davis – vu au Théâtre 14 – reprise les 24 et 25 avril 2025, au Préau Centre Dramatique National de Normandie-Vire.

© Samuel Kirszenbaum

En Haïti aucune nuit n’est calme. Elle, Zily et lui, Ferah, dansent. Elle, et lui, s’appellent et se cherchent. Ils sont jeunes et vivent dans la ville-capitale, Port-au-Prince, en bouillonnement et émeutes permanentes. On voit la ville par la fenêtre, présence élégante et lourde, on l’entend par les tirs.

Dans le huis-clos de la chambre – un espace avec une moquette, un lit, du sable, une bougie, dans une scénographie réalisée par les Ateliers du Préau sur les conseils d’Hélène Jourdan – se joue le présent, le désir et l’amour, s’esquisse l’avenir, en pointillés. Pour elle, partir. Pour lui, un arrachement impossible à la ville et à son travail à l’hôpital. « Je suis au fond de ton gouffre à moi. » Lui, ne s’imagine pas sans la ville, elle, ne s’imagine pas sans lui. « Quand tu vas mal je vacille » se disent-ils réciproquement. Ils se rassurent et se réchauffent : « On a su contourner les obstacles… » Ils se revoient traverser les rues de Port-au-Prince, « prendre la rue Nicolas, tronçon entre la vie et la mort », remonter l’avenue Jean-Paul II… »

Port-au-Prince et sa douce nuit est une ode à la ville, crépusculaire – dans les lumières de François Fauvel – une ode à la vie. Ferah se perche sur le lit, les percussions l’accompagnent. Il revoit leur rencontre. Dans la rue où il déambule et dérive, il la regarde comme une évidence : « Entre rue Dufort et mon cœur il y avait toi, Poétesse en cavale. Ton regard, prose illégale… J’ai demandé aux esprits où t’attendre… »

Une berceuse créole apporte sa couleur, sa douceur, dans cette ville où personne ne dort. « Tu ne me dis jamais rien » lui reproche-t-elle. « Tu prends toute la place, tu siphonnes mon énergie » lui répond-il. « J’ai peur, je ne veux pas partir sans toi. » Et sur la question de l’enfant qui pourrait être désiré et naître, « qu’y aurait-il à lui offrir, le désespoir ? » Sur scène, l’intimité côtoie la violence sourde. Un travail sur le son plein de finesse appelle les bruits de la ville (musique Guillaume Bachelé).

La petite musique de nuit et d’incertitude s’interrompt au bruit des tirs. « Je ferme la fenêtre… » Ferah célèbre un rituel aux divinités, dessinant au sol avec la farine de manioc la figure d’un totem haïtien en guise d’adieu. Assise au sol, Zily chante. « Je vais garder un doux souvenir… » Lui, reste dans l’ombre, devant la lueur d’une bougie. Au loin la ville.

Le texte de Gaëlle Bien-Aimé est un cri qui déchire la ville en même temps qu’un chant, sa langue est poétique et musicale. L’auteure a reçu le Prix RFI pour le Théâtre, en 2022. Port-au-Prince et sa douce nuit est le premier acte d’un diptyque dont elle présente actuellement le second chapitre, Aimer en stéréo, où une Haïtienne en exil écoute chaque jour la radio jusqu’à ce qu’un fait divers surgisse et brouille les cartes.

© Samuel Kirszenbaum

Dans Port-au-Prince et sa douce nuit, l’auteure creuse jusqu’au fond des sentiments et des possibles à travers la géographie de l’amour parallèlement à la topographie de la ville. Elle décrit l’aimantation sensuelle et amoureuse – le positif, autant que le désarroi et la peur du vide et de l’absence – son négatif. Elle place l’intime au cœur de la ville blessée, une ville qui se ronge et se détruit, à petit et grand feu.

Sonia Bonny est Zily, Lawrence Davis, Ferah, ils forment un superbe duo, musical et sans artifice, imprégnés d’une grande force et justesse, donnant toute la puissance au texte. Lucie Berelowitsch, directrice du Préau, Centre Dramatique National de Normandie-Vire depuis six ans, les dirige et met en scène la pièce avec précision et clarté. Elle a programmé un Temps fort Haïtien les 22, 24 et 25 avril, autour de Gaëlle Bien-Aimé, auteure mais aussi actrice – qui interprétera Aimer en stéréo. Deux représentations de Port-au-Prince et sa douce nuit seront données ; des projections, une exposition et des débats s’inscrivent au programme.

Ce dialogue engagé entre Gaëlle Bien-Aimé et Lucie Berelowitsch prend différentes formes, ainsi celle d’un échange culturel, artistique et professionnel entre Le Préau et l’école de théâtre ACTE fondée par l’auteure et Amos César. « Pour les comédiens et pour moi, Port-au-Prince et sa douce nuit est une rencontre très forte. C’est devenu une évidence de finaliser cette création, qui prend tout son sens au vu des derniers événements à Haïti », écrivait Lucie Berelowitsch en septembre 2023.

Comme elle le fait avec les Dakh Daughters, fabuleuses actrices et musiciennes ukrainiennes qu’elle accueille depuis les années de guerre dans leur pays, la directrice du Préau aime à créer des synergies et dans une veine poétique, invente des langages artistiques à partir des réalités sociales et politiques d’artistes d’autres pays et d’autres régions du monde.

Brigitte Rémer, le 6 avril 2025

Avec Sonia Bonny, comédienne permanente au Préau et Lawrence Davis – lumières François Fauvel – musique Guillaume Bachelé – scénographie Ateliers du Préau sur les conseils d’Hélène Jourdan – production Le préau CDN de Vire Normandie – coproductions Les Francophonies de Limoges, des écritures à la scène et le CDN de Normandie-Rouen – avec la participation artistique du Jeune Théâtre National et le soutien de la Cité Internationale de la Langue Française.

Vu au Théâtre 14 à Paris, en mars 2025 – Reprise du spectacle au Préau-CDN de Normandie-Vire les 24 et 25 avril à 19h, dans le cadre du Temps fort Haïtien organisé du 21 au 25 avril 2025 – tél. : 02 31 66 16 00 – site :www.lepreaucdn.fr

Les Messagères

D’après Antigone de Sophocle – mise en scène Jean Bellorini, avec l’Afghan Girls Theater Group – spectacle en dari surtitré en français, au Théâtre des Bouffes du Nord.

© Christophe Raynaud De Lage

« Il faudra une mémoire pour que nous oubliions et pardonnions quand adviendra la paix entre nous et entre la gazelle et le loup. Il faudra une mémoire pour qu’à la fin nous choisissions Sophocle qui brisera le cercle… » écrivait le poète palestinien Mahmoud Darwish.

De Sophocle il est question dans le spectacle présenté par l’Afghan Girls Theater Group, composé de neuf jeunes comédiennes et d’un metteur en scène qui ont quitté le pays quand les talibans ont repris le pouvoir, en juillet 2021. Les Messagères sont une adaptation de l’Antigone de Sophocle, mise en scène par Jean Bellorini, qui les accueille au Théâtre National Populaire qu’il dirige, en partenariat avec Joris Mathieu, directeur du Théâtre Nouvelle Génération/CDN de Lyon.

© Christophe Raynaud De Lage

La scénographie se compose d’un grand plan d’eau qui occupe tout le plateau et donne une élégance à l’ensemble par les réverbérations et reflets. Les actrices s’y déplacent, les pieds dans l’eau, avec grâce et simplicité, portant le texte avec ferveur. Une lune immense est suspendue, comme un œil qui protège ou au contraire est aux aguets. D’emblée règne une vitalité impressionnante dans cette aire de jeu qui parle du refus d’obéir, exprimé frontalement par Antigone jusqu’à son emmurement et qui, de toute évidence se superpose à la place de la femme dans la société afghane, rayée, effacée, spoliée.

Le geste du metteur en scène inscrit le mouvement au cœur du spectacle, l’ensemble est chorégraphié et l’eau frissonne sur les murs et le plafond du théâtre. En introduction, les actrices tournoient dans l’eau avec insouciance et font groupe, sur le texte très poétique de Martine Delerm, Antigone peut-être. Une narratrice à l’avant-scène portant une robe noire et un collier d’argent parle des petites filles aux fenêtres, même si « depuis longtemps les fenêtres n’ont plus de vitres. » Une liste de prénoms féminins est égrenée. « Sait-on-jamais quand un regard s’éteint » poursuit-elle.

Puis les rôles se dessinent, Antigone et sa sœur Ismène portent des robes blanches et s’allongent dans l’eau au clair de lune pour parler de désobéissance et de généalogie négative – elles sont filles d’Œdipe et de Jocaste sa mère, engendrées de cette union. Le chœur se forme dans des variations de couleurs chaudes et chacune y a sa place, entrant et sortant de son rôle pour rejoindre le groupe, dans cette tension entre soi et les autres. Antigone dit que sa mort sera belle. « Moi j’ai choisi la mort, toi, la vie » confirme-t-elle à sa sœur. Entre Créon, jeune comédienne portant manteau d’or et couronne, il édicte ses lois jusqu’à ce qu’une messagère apporte la nouvelle de la transgression majeure : Polynice, frère d’Antigone – mort au cours d’un affrontement avec Étéocle, l’autre frère, remettant en jeu la gouvernance de Thèbes – interdit de sépulture, a été enterré. La coupable est nommée. La lune descendue sur Thèbes, ne scintillera plus, jusqu’à s’éteindre.

© Christophe Raynaud De Lage

Le sacrifice se met en marche, entre des citoyens silencieux et un chœur plein de sagesse, représentant des Thébains, essayant de faire fléchir Créon chez qui le doute finit par s’installer. La Cité lui fait face, toutes les actrices sont alignées face au public avec détermination, comme des guerrières. Une pluie fine tombe sur la scène au rythme d’un chant afghan. « Si tu perds le bonheur, tout ce que tu as n’est que fumée… Le désastre appelle le désastre… ». Derrière une rampe de feu qu’il allume, pourtant Créon ne lâche pas prise. Même Hémon, son fils, promis à Antigone et qui demande à son père raison et sagesse, n’est pas entendu. « Tu parles mais tu n’écoutes pas » lui dit-il. Créon s’obstine, malgré les prédictions de Tirésias, de honte et de malheur qui s’abattront sur lui, il ne fléchit pas. La fin sera tragique avec la mort d’Antigone entrainant celle d’Hémon qui se transperce d’un coup d’épée, leur tombeau pour chambre nuptiale. Eurydice, épouse de Créon, apprenant la mort de son fils se poignarde. Le roi de Thèbes en perd la raison.

© Christophe Raynaud De Lage

Le texte final est écrit par Atifa Azizpor interprétant Ismène, il est enregistré. « Les Antigone(s) ont été tuées, les Ismène(s) toujours vivantes sont en souffrance, elles espèrent revoir la liberté. Leurs paroles seront-elles entendues ? » Les actrices ont une belle présence, et jouent avec cet élément, l’eau, au début avec légèreté, ensuite avec gravité et sont porteuses des voix de tous les personnages qu’elles esquissent avec force et subtilité, transmettant tout ce qui est intransigeance et souffrance, en même temps qu’humanité.

Jean Bellorini, metteur en scène, est l’homme des expériences et du théâtre de création. Ses horizons sont larges et ouverts, son travail précis. Le choix d’Antigone dans cette version afghane transmet force et émotion, tant dans son contenu que dans son esthétique. Ses clairs-obscurs et les éléments qu’il met en mouvement sont chargés de sens et de toute beauté. « Les Messagères sont ces citoyennes afghanes qui veulent dire en Occident leur amour pour leur pays et en être les ambassadrices fortes et résilientes. Ce sont ces jeunes femmes du XXIe siècle qui résistent, se construisent et inventent leur destin, malgré tout » dit-il. Toutes sont à féliciter, chaleureusement.

                                                                                              Brigitte Rémer, le 7 avril 2025

© Christophe Raynaud De Lage

Du 4 avril 2025 au 13 avril 2025 au Théâtre des Bouffes du Nord – Du mardi au samedi à 20h, matinées les dimanches à 15h – 37 bis Bd de La Chapelle. 75010. Paris – métro : La Chapelle –  site www.bouffesdunord.com – tél. : 01 46 07 34 50.

Avec l’Afghan Girls Theater Group : Hussnia Ahmadi (le garde, chœur d’Antigone) – Freshta Akbari (Antigone, chœur d’Antigone) – Atifa Azizpor (Ismène, chœur d’Antigone) – Sediqa Hussaini (le coryphée, le messager, chœur d’Antigone) – Shakila Ibrahimi (Hémon, le coryphée, chœur d’Antigone) – Shegofa Ibrahimi (chœur d’Antigone) – Marzia Jafari (Tirésias, chœur d’Antigone) – Tahera Jafari (Eurydice, chœur d’Antigone) – Sohila Sakhizada (Créon).

© Christophe Raynaud De Lage

Collaboration artistique Hélène Patarot, Mina Rahnamaei, Naim Karimi – création lumière Jean Bellorini – création sonore Sébastien Trouvé – adaptation Mina Rahnamaei – traduction des surtitres Mina Rahnamaei et Florence Guinard – direction technique Karim Smaïli – construction des décors et confection des costumes Les ateliers du TNP – textes additionnels : le texte qui ouvre le spectacle est issu de l’album de Martine Delerm, Antigone peut-être, paru aux éditions Cipango. Le texte final est écrit par Atifa Azizpor, comédienne de l’Afghan Girls Theater Group – Le spectacle a été créé en juin 2023 au TNP de Villeurbanne.

  معاً  / Ensemble

Le Festival d’Avignon se tiendra du 5 au 26 juillet 2025 sous une bannière qui, au-delà des trois clés qui le symbolisent, inscrira en arabe sur les murs des théâtres et trottoirs de la ville le mot Ensemble choisi par le directeur et son équipe, et qui se traduit littéralement par Avec. Depuis trois ans, chaque année, le Festival choisit une langue qu’elle promeut. Après l’anglais et l’espagnol, cette 79ème édition met la langue arabe sur le devant de la scène.

© 79è édition du Festival d’Avignon

« Je suis toi dans les mots / أنا أنت بالكلمات » cette phrase empruntée au poète palestinien Mahmoud Darwich, disparu il y a plus de vingt-cinq ans et référence majeure des Pays Arabes, inspire Tiago Rodrigues qui programme sa troisième édition et pourrait l’inscrire en lettres d’or ou de néon sur les frontons, comme il l’a dit aux journalistes rassemblés – belle initiative – à l’Institut du Monde Arabe.

C’est le Président de l’IMA, Jack Lang, « fanatique pluri-linguiste de toutes les langues » qui ouvre la séance, magnifiquement, avec des mots chaleureux et pleins de sens, en présence du Dr. Ali Bin Tamim, directeur du Centre de langue arabe d’Abu Dhabi. Il parle de cette cinquième langue la plus pratiquée dans le monde, une langue très ancienne, poétique et musicale, d’une grande richesse et qui construit une galaxie de mots à partir d’une unique racine. Et il prend pour exemple le mot amour décliné en une multiplicité de nuances selon les situations, à partir de sa racine, hob / حب

Il parle également de l’emprunt de la langue française à la langue arabe, des chiffres arabes qu’on utilise, des Mille et Une Nuits qu’Antoine Galand, orientaliste et professeur de langue arabe au Collège de France, traduisit pour la première fois en occident et qu’il compléta par des récits qui lui avaient été racontés et publia au début du XVIIIème. La présidente du Festival et ex-ministre de la Culture, Françoise Nyssen intervient ensuite. Elle a une longue histoire avec la langue arabe – via Farouk Mardam-Bey qui dirige la collection Sinbad d’Actes-Sud – éditions qu’elle a co-fondées avec son père. Né à Damas, il vit en France depuis 1965, et fut conseiller culturel à l’Institut du monde arabe.

Apparaît ensuite Tiago Rodrigues, directeur du Festival, qui met en exergue ce choix de la langue arabe pour cette édition, s’inscrivant comme un geste de liberté, de découverte, de plaisir de l’art, de respect de l’Autre et de partage de la pensée, et qui se réalisera grâce aux sept cents salariés engagés dans l’aventure. 20 lieux, 15 communes autour d’Avignon, 44 projets artistiques dont les deux-tiers produits ou co-produits par le Festival et la moitié créés en France, 300 événements, 121 000 places à vendre, des actions de formation et transmission et l’accueil de nombreux jeunes de 13 à 19 ans, des partenariats exemplaires et une diversité artistique pour une parenthèse enchantée.

Tiago Rodrigues © Festival d’Avignon

La liste est longue qui permet de mettre l’eau à la bouche pour ces instants de partage dans tous les lieux du Festival, dedans et dehors, autour de manifestations finement pensées et qui, à coup sûr, seront tout aussi finement conduites et réalisées autour de spectacles, lectures, concerts, expositions, tables rondes et débats, itinérances, rencontres festives… Tiago Rodrigues présente ensuite les spectacles et manifestations, appuyés par quelques mots de chaque créateur, sur écran. Il n’oubliera pas, au final, ce qu’il appelle avec justesse le slam des remerciements à tous les partenaires.

Le lancement du Festival dans la Cour d’Honneur se fera avec Nôt de Marlène Monteiro Freitas, artiste d’origine cap verdienne, dite artiste complice de l’édition et figure majeure de la scène chorégraphique internationale ; la clôture se fera avec le concert Soma de l’artiste portugais João Barbosa autrement appelé Branko. En avant-première, le 4 juillet à 19h, la chorégraphe marocaine Bouchra Ouizguen investira le parvis du Palais des Papes avec des amateurs du territoire, pour une performance participative, They always come back, célébrant la diversité.

Cour d’Honneur © Festival d’Avignon

Suit une grande liste de propositions, toutes plus séduisantes les unes que les autres, à commencer par La Voix des femmes, en partenariat avec Le Printemps de Bourges, autour de la figure de la légendaire chanteuse égyptienne Oum Khalthoum, appelée l’Astre d’Orient, ou Quatrième Pyramide, dans la Cour du Palais des Papes le 14 juillet. L’auteur-compositeur libanais Zeid Hamdan en assure la direction musicale pour marquer les cinquante ans de sa disparition. Et le lendemain, une célébration poétique de la langue arabe, Nour/Lumière, est programmée au cours d’une soirée réalisée en partenariat avec l’Institut du Monde Arabe. La richesse de cette langue, savante et poétique, prendra de nombreuses formes, de l’antéislamique au raï, des maqâm originels au rap, de la musique soufie à l’arabo-andalou. Suivront de nombreux spectacles comme Yes Dady ! de l’auteur et metteur en scène palestinien Bashar Murkus dont on avait vu Hash en 2021 (cf. notre article du 26 novembre 2021) et qui avait présenté Milk au Festival d’Avignon 2022 programmé par Olivier Py, alors directeur ; il est accompagné de Khulood Basel pour la dramaturgie et la production. Chapitre quatre de Waël Kadour, auteur et metteur en scène syrien sera présenté dans le cadre de la manifestation Vive le sujet ! Tentatives, réalisée en partenariat avec la SACD. Des chorégraphes comme Ali Chahrour (Liban), Radouan Mriziga (Maroc-Belgique), Selma et Sofiane Ouissi (Tunisie), Mohamed Toubakri (Tunisie-Belgique) présenteront leurs dernières pièces.

De nombreux artistes venant de partout dans le monde complètent la programmation diversifiée et ambitieuse du Festival, dont le retour de Thomas Ostermeier et la Schabühne de Berlin avec Le Canard sauvage d’Henrik Ibsen ; la danoise Mette Ingvartsen, dans une nouvelle chorégraphie, Delirious Night ; les performers portugais Jonas et Lander ; Mami de Mario Banushi, spectacle albano-grec. Une soirée particulière autour de Brel réinventé par Anne Teresa de Keersmaeker et Solal Mariotte est proposée dans la Carrière de Boulbon. De Suisse, Christoph Marthaler présentera Le Sommet et Milo Rau en nomade, tournera sur les terres avignonnaises avec La Lettre. La chanteuse capverdienne Mayra Andrade tentera de ré-enchanter le monde.

© 79è édition du Festival d’Avignon

Beaucoup d’artistes français ou vivant en France sont aussi au générique du Festival dont François Tanguy du Théâtre du Radeau en ses deux derniers spectacles, Item et Par autan ; Tamara Al-Saadi, Jeanne Candel, Frédéric Fisbach, Clara Hédouin, Joris Lacoste, Gwenaël Morin, Émilie Rousset. Israël Galvan en duo avec Mohamed El Khatib, deux chemins artistiques a priori éloignés créeront Israël et Mohamed (Espagne-France). Tiago Rodrigues (Portugal-France) présentera un texte qu’il a écrit et mettra en scène, La Distance.

Telles sont les grandes lignes de l’édition qui se prépare. Comme le dit avec passion le Directeur du Festival d’Avignon, soyons Ensemble pour chercher les nouvelles formes d’un monde en crise, autour de la danse, la musique et le chant, le théâtre et les écritures, les arts visuels, autour de la langue arabe poétiquement portée, haut et fort. « Mais je poursuivrais le cours du chant, même si plus rares sont mes roses » écrivait Mahmoud Darwich.

Brigitte Rémer, le 5 avril 2025

La conférence de presse s’est tenue le 4 avril à Avignon et le 5 avril à l’Institut du Monde Arabe. Le Festival d’Avignon se déroulera du 5 au 26 juillet 2025. La billetterie électronique a ouvert ce matin, 5 avril à 11h sur www. festival-avignon.com et fnacspectacles.com –

À partir du 21 juin : par téléphone, de 10h à 19h (33(0) 4 90 14 14 14) – au guichet, du mardi au samedi, de 10h à 14h et de 16h à 19h, 20 rue du Portail Boquier, Avignon.

La Conférence des oiseaux

D’après La Conférence des oiseaux/Manteq al-tayr, de Farîd al-Dîn Attâr – mise en scène Petr Forman – scénario Ivan Arsenjev, Petr Forman, Jean Claude Carrière – compagnie Frères Forman, une programmation du théâtre Les Gémeaux de Sceaux hors les murs, en partenariat avec L’Azimut/Pôle national Cirque, dans le cadre du Festival Marto.

© Irena Vodáková

Ils volent avant même que le spectateur n’ait pris place dans l’immense chapiteau et montrent le chemin. Un narrateur engage l’histoire. Un vendeur d’oiseau passe avec sa cage. On entre dans l’univers mystique du XIIème siècle époque importante du soufisme, avec le poète persan Farîd al-Dîn Attâr qui a vécu de 1142 à 1220 et signé La Conférence des oiseaux.

Le livre est publié dans une adaptation d’Henri Gougaud avec de magnifiques illustrations émanant entre autres de la BNF et du musée national des arts asiatiques Guimet, « pour que l’hirondelle prenne son envol de plus en plus haut. » Avec la huppe et une trentaine de ses compagnons nous partons à la recherche de Simorgh, l’oiseau roi de la perfection, porteur de paix. Le spectacle est basé sur la ré-écriture d’Ivan Arsenjev et Petr Forman, avec le conseil littéraire de Nora Sequardtová pour Farîd al-Dîn Attâr, à partir du scénario que Jean Claude Carrière avait écrit pour Peter Brook. Le metteur en scène en avait présenté sa lecture au Festival d’Avignon en 1979, dans une mise en scène basée sur l’idée du conte, dans une grande simplicité artisanale.

© Irena Vodáková

Dans le regard de Petr Forman, le chemin initiatique fait figure de cérémonie secrète, tout y est image et son, déplacement et chorégraphie. Une scénographie de type moucharabieh (signée Josef Lepša et Petr Forman) ferme un vaste espace incurvé qui pourrait rappeler la mosquée ou le marché traditionnel chez les marchands d’encens et de plantes médicinales, métier d’apothicaire qu’avait exercé Attar. Déplacés, ces panneaux mobiles agrandissent l’espace. Au plafond des toiles s’entrecroisent comme sous une tente bédouine, formant une sculpture vivante qui peu après le début du spectacle se retire avec élégance, découvrant dans un vaste espace, un écran incurvé à 180 degrés. Au sol, des tapis d’Orient renforcent une ambiance intime et feutrée, dans ce chapiteau surdimensionné. Tout autour et dissimulé derrière l’écran de fil une plateforme permet les entrées et sorties des acteurs et autres envolées d’oiseaux. Les projections de forêt tropicale et jeux de lumières cernent le parcours, de même qu’une bande-son qui transmet des musiques hétérogènes, des bruits de la nature en continu, battements d’ailes, cris, bruissements et pépiements (musique Simon Thierrée). Un paon fait la roue, plein d’orgueil, les oiseaux se chicanent. « Vous ne savez pas faire autre chose que vous battre ? » interpelle le chef de la bande, « Eh ! Toi ! Moineau ! – Eh ! Toi ! La chouette ! Le Rossignol ! »

© Irena Vodáková

« Ce fut au royaume de Chine, un soir vers l’heure de minuit. Il envahit soudain le ciel. Nul ne l’avait encore vu. De son corps tomba une plume. » Les plumes de Simorgh, une à une, montrent le chemin aux oiseaux partis à sa recherche pour trouver la paix. Ils prennent leur envol en collectif et dans la synchronisation, leur murmuration est une splendide démonstration chorégraphiée. Les acteurs sont masqués, gantés, vêtus de collants et justaucorps aux mille couleurs fermés d’une ceinture noire, la queue en éventail (costumes et masques : Josef Lepša, Lenka Polášková, Michaela Mayrová, Vjačeslav Zubhov). Leur vol s’inscrit au-dessus de la forêt dans ce jeu du dedans-dehors renforcé par des miroirs qui donnent l’illusion dans la démultiplication. Simorgh lui-même a créé un miroir dans lequel il se reflète et irradie. Les acteurs-danseurs-circassiens glissent dans l’air en un mouvement d’ensemble digne de la plus belle passée d’oiseaux prêts à la migration.

© Irena Vodáková

Le récit se poursuit, les plis de rochers charbonnés s’incrustent sur écran. Une cascade de lasers leur coupe la route. On vole avec eux vers Simorgh. La fatigue aidant leur inquiétude grandit. La nuit tombe et le noir s’abat laissant place au doute. « Nous cherchons le soleil. Nous avons perdu nos plumes. » La huppe se lamente : « Je suis seule… N’y a-t-il personne qui cherche la Voie ? » La nature se déchaine : orage, pluie, tonnerre. Les oiseaux survolent les montagnes sacrées, les volcans et traversent le désert blanc. Une toile au sol a la couleur du sable fin jusqu’à ce qu’une tempête le fasse voler.

Tout à coup un masque monumental aux yeux de lumière les effraie et nous regarde fixement. En hauteur, sur des plans inclinés, les oiseaux patinent comme s’ils n’atteindraient jamais le sommet. « Ce que vous cherchez ? La vérité elle-même et non son parfum… Repartez d’où vous venez ! » Une voix grave (celle de Denis Lavant) accompagne les images, puissantes, qui nous font traverser les sept vallées que les oiseaux doivent franchir : la vallée de la quête où l’on doit jeter tout ce qu’on a de trop et qui oblige au dénuement ; la vallée de l’amour où les amants jouent leur vie sur ce chemin brûlant ; celle de la connaissance où de nombreuses portes mènent au labyrinthe ; la vallée du détachement où ce labyrinthe n’est plus qu’un vague souvenir ; dans la vallée de l’unité on est seul dans un monde souterrain où le corps et l’espace ne font qu’un ; dans la vallée de l’effroi se perdent les références et la notion du temps, il y fait noir ; dans la vallée de la dissolution on frôle le vide absolu et le rien tout en ressentant une sensation proche de l’éveil. Les oiseaux finirent par rencontrer Simorgh, pour comprendre qu’en fait ils le portaient en eux. « L’ombre se confondit avec le soleil et ce fut tout. »

Le spectacle se ferme quand les acteurs déposent leurs plumes et apparats, apparaissant en collant noir. Une dernière histoire prend le dessus, la parabole des papillons qui se rassemblent pour ne faire qu’un avec la flamme. « Si tu ne contemples que toi, comment peux-tu voir ton ami ? Au travail, amis ! La paix soit à jamais sur vous ! »

© Irena Vodáková

Depuis vingt-cinq ans Matěj et Petr Forman, fils du grand réalisateur Miloš Forman travaillent en Tchéquie et sillonnent les routes sous la signature de la compagnie Frères Forman. Ils ont été formés à l’art de la marionnette et utilisent tous les styles et objets du théâtre forain, cabanes de bois et petits chapiteaux à la clé. L’animation visuelle est ici au cœur du sujet et prend une grande place notamment dans la seconde partie du spectacle avec le franchissement des vallées. Les acteurs, venant de Tchéquie, Slovaquie, France, Italie et États-Unis, apportent de la magie au conte initiatique dans leurs vibrantes gestuelles, individuelles et collectives.

Les Frères Forman avaient présenté en 2007 Obludarium, un spectacle sur les monstres de cirque joué sous chapiteau et en 2017, dans une cabane en bois, Deadtown, un cabaret western, entre le théâtre et le cinéma muet. Leur passage en France se fait rare, leur langage théâtral est atypique. D’une beauté singulière, La Conférence des oiseaux a quelque chose d’hypnotique. « Comment parler de ces mystères ? Il me faudrait, pour les connaître, avoir franchi le seuil des morts. Je suis vivant, j’ignore donc… »

Brigitte Rémer, le 31 mars 2025

Avec : Ivan Arsenjev, Maureen Bator, François Brice, Petr Forman, Rob Hayden, Milan Herich, Petr Horký, Miroslav Kochánek, Tereza Krejčová, Philippe Leforestier, David Pražák, Daniel Raček, Manuel Ronda, Zuzana Sýkorová, Veronika Švábová, Petr Vinecký, Marek Zelinka. Création plastique Josef Lepša – scénographie Josef Lepša et Petr Forman – musique Simon Thierrée – costumes et masques : Josef Lepša, Lenka Polášková, Michaela Mayrová, Vjačeslav Zubhov – conseiller littéraire sur Attar : Nora Sequardtová – voix : François Brice, Laya Khanjani, Denis Lavant – remerciements : Antoine de la Morinerie – production Forman Brothers Theatre, coproduction Théâtre-Sénart, Scène nationale, Les Gémeaux/Scène nationale de Sceaux, L’Azimut-Antony/Châtenay-Malabry, Pôle national cirque en Île-de-France – avec l’équipe technique des Gémeaux.

Espace Cirque d’Antony/Azimut1 rue Georges Suant, Antony,, tél. : 01 41 87 20 84  s/c Les Gémeaux, Scène Nationale – tél. : 01 46 61 36 67 – site : www.lesgemeaux.com

Pelléas et Mélisande

© Benoîte Fanton – Opéra national de Paris (1)

Drame lyrique de Claude Debussy sur un poème de Maurice Maeterlinck – direction musicale Antonello Manacorda – mise en scène Wajdi Mouawad – orchestre et chœurs de l’Opéra national de Paris, chef des chœurs Alessandro Di Stefano – à l’Opéra Bastille.

Claude Debussy a passé dix ans de sa vie à rechercher le monde sonore et poétique adapté à la pièce de Maeterlinck dont la première représentation eut lieu en 1893. Ce drame lyrique en cinq actes et douze tableaux signé du compositeur en 1902 ouvre sur une écriture musicale singulière et personnelle en rupture avec la forme classique, sa modernité marque l’époque.  Robert Wilson en a présenté une vision qui a fait date, au Festival de Salzbourg en 1997. Peter Sellars a mis en scène en 2005 Tristan et Isolde de Richard Wagner, très proche dans l’inspiration poétique et qui avait été créée en 1865. Bill Viola artiste vidéaste en réalisait la scénographie visuelle.

© Benoîte Fanton – Opéra national de Paris (2)

L’image se prête au lyrisme et à l’obscurité de l’œuvre, à la visualisation de la nature – eau, forêt, mer, grotte – symbole des sentiments intérieurs et de la métaphysique des personnages. Wajdi Mouawad qui aujourd’hui signe la mise en scène de Pelléas et Mélisande avec dans le rôle-titre la soprano Sabine Devieilhe et le baryton Huw Montague Rendall, sous la direction musicale d’Antonello Manacorda, crée cet environnement écologique et romantique, assisté de Stéphanie Jasmin créatrice d’images. La scénographie d’Emmanuel Clolus joue des déclivités du terrain, avec des lieux d’eau et de nature à l’avant-scène ainsi que des trappes d’où apparaissent certains personnages, et sur les hauteurs le palais du vieil Arkel. Un rideau fait de fils ou de fines cordes pouvant faire référence à la chevelure de Mélisande dans laquelle s’enroule Pelléas plus tard dans l’histoire, sert de structure-écran aux images.

L’histoire débute dans une forêt touffue et mystérieuse. Un sanglier percé d’une flèche dans le dos disparaît de l’horizon du chasseur. Golaud, interprété par le baryton-basse Gordon Bintner, cherche sa prise. Soudain l’homme fait face à une jeune femme perdue au fond de cette épaisse forêt. Craintive, transie de froid et de peur, elle dit avoir laissé tomber sa couronne au fond de l’eau. Une nappe d’eau permet le reflet et intensifie le mystère. D’emblée elle semble surgir d’un autre monde, on ne saura rien d’elle. Golaud tente de la séduire vantant son rang de prince en tant que petit-fils du vieux roi Arkel d’Allemonde : « Vous êtes belle… Quel mal vous a-t-on fait ? » demande-t-il. Il lui glisse son manteau sur les épaules et la convainc de le suivre pour se mettre à l’abri. Elle est blonde comme les blés, son nom est Mélisande, il la porte sur l’épaule comme un gibier, tous deux disparaissent. Un homme traverse la scène du côté cour au côté jardin un couteau à la main, il semble menaçant, prémonition ou cauchemar ? Des carcasses d’animaux morts s’entassent sur scène autour du cheval accidenté de Golaud, tombé des cintres, images de désolation.

© Benoîte Fanton – Opéra national de Paris (3)

On apprend plus tard que Golaud, veuf, a épousé Mélisande hors du château paternel et qu’il souhaite retourner près d’Arkel, son père, (Jean Teitgen). Il demande l’aide de Pelléas son demi-frère pour lui faire part de sa nouvelle situation. L’atmosphère est orageuse, Pelléas se trouve avec Geneviève, sa mère et celle de Golaud, (Sophie Koch). Quand Pelléas croise le regard de Mélisande ils se reconnaissent immédiatement, comme unis dans l’invisible. « Par ce regard et sans le savoir, ils se condamnent à la mort » dit le metteur en scène.

Pelléas conduit Mélisande dans le jardin du château jusqu’à la fontaine où l’eau si claire guérit les aveugles. Ils s’amusent comme des enfants, elle, joue avec son anneau qui tombe dans l’eau. Le soir, Mélisande soigne Golaud son époux après sa chute de cheval, il remarque immédiatement le doigt de Mélisande sans alliance. Furieux, il lui ordonne de la retrouver et de se faire assister de Pelléas. Tous deux se rendent dans la grotte mais quand le clair de lune laisse apparaître quelques mendiants endormis, ils s’en retournent, effrayés.

© Benoîte Fanton – Opéra national de Paris (4)

Mélisande chante à la fenêtre de sa chambre, sa chevelure tombe jusqu’à terre et enveloppe Pelléas. Golaud approche et entraîne Pelléas dans les souterrains du château le sommant d’éviter Mélisande. Une scène terrible suit, montrant la jalousie de Golaud qui cherche à obtenir du petit Yniold, son fils d’un premier mariage, des informations sur Pelléas et Mélisande. L’enfant obéit avec une grande naïveté « oui, Petit Père » répond-il. Golaud le rudoie et le hisse sur ses épaules pour voir si Pelléas est présent dans la chambre. « Mon oncle est avec Petite Mère » confirme-t-il avec sa fraîcheur enfantine rendant Golaud encore plus agressif. Le vieil Arkel essaie de dérider Mélisande et tente de ramener son fils à la raison.

Chassé du château par son demi-frère, Pelléas fait ses adieux à Mélisande lors d’une dernière rencontre le soir, près de la fontaine du parc où ils confirment leur amour mutuel. « Je vais fuir en criant de joie et de douleur comme un aveugle qui fuirait l’incendie de sa maison… » lui dit-il. Surgit Golaud plein de rage qui tue Pelléas et blesse Mélisande tentant de s’enfuir. Le petit Yniold en est témoin. Arkel et un médecin veillent sur Mélisande alitée et qui se retire de la vie tandis que Golaud tente toujours d’en apprendre davantage sur les liens de son épouse avec Pelléas. Mélisande meurt sans livrer son secret. « Ses yeux sont pleins de larmes. Maintenant c’est son âme qui pleure… » dit Arkel.

Comme un conte de fée à l’envers l’univers de Maeterlinck est sombre, ici réinterprété à la scène par Wajdi Mouawad et musicalement par la brillante direction d’Antonello Manacorda qui a travaillé dans de nombreux opéras du monde dont à Paris pour La Flûte enchantée en 2022 et Don Giovanni en 2023, et par le travail du chef de chœur, Alessandro Di Stefano. Ils livrent un Pelléas et Mélisande assez hypnotique où les voix interpénètrent l’univers scénique : le baryton-basse Gordon Bintner dans le rôle de Golaud fait régner la loi du plus fort et le désir de possession, avec talent, Sophie Koch est la mère, sa tessiture mezzo-soprano appelle l’austérité et la résignation de même que la basse Jean Teitgen interprétant le roi Arkel avec style. La soprano Sabine Devieilhe et le baryton Huw Montague Rendall, héros éponymes de l’œuvre appartiennent au monde des songes et transmettent dans leur chant l’innocence et la fragilité de leurs destins.

© Benoîte Fanton / Opéra national de Paris (5)

Auteur et metteur en scène Wajdi Mouawad avait monté Œdipe, l’unique opéra du compositeur roumain Georges Enesco à l’Opéra de Paris en 2021. Il s’est longuement penché, dans ses mises en scène, sur le théâtre grec, son écriture en est imprégnée. Né au Liban où il a vécu jusqu’à l’âge de dix ans, il connaît la tragédie. À travers Pelléas et Mélisande il démonte avec finesse les mécanismes du mensonge et du désenchantement et montre sans ostentation la violence du pouvoir et la volonté de possession. Son style oscille entre symbolisme et réalisme, lumière et ombre, férocité et poésie-harmonie. « Viens dans la lumière. Nous ne pouvons pas voir combien nous sommes heureux. Viens, viens ; il nous reste si peu de temps…» dit Pelléas à Mélisande.

Brigitte Rémer, le 25 mars 2025

Avec : Pelléas, Huw Montague Rendall – Golaud, Gordon Bintner – Arkel, Jean Teitgen – Yniold, Vadim Majou de la Débuterie, soliste de la Maîtrise de Radio France – un médecin, un berger, Amin Ahangaran, artiste de la troupe lyrique de l’Opéra national de Paris – Mélisande, Sabine Devieilhe – Geneviève, Sophie Koch.   Décors, Emmanuel Clolus – costumes, Emmanuelle Thomas – maquillage et coiffures, Cécile Kretschmar – lumières, Éric Champoux – vidéo, Stéphanie Jasmin – dramaturgie, Charlotte Farcet – En langue française, surtitrage en français et en anglais – Opéra national de Paris, en coproduction avec Abou Dhabi Festival, et avec le soutien du Cercle Berlioz/ les mécènes de l’Art Lyrique.

Visuels 1 et 4 :  Pelléas (Huw Montague Rendall) et Mélisande (Sabine Devieilhe) – visuels 2 et 5 : Golaud (Gordon Bintner) et Mélisande (Sabine Devieilhe) – visuel 3 : Geneviève (Sophie Koch) et Arkel (Jean Teitgen). Copyright Benoîte Fanton / Opéra national de Paris.

Pelléas et Mélisande a été présenté du 28 février au 27 mars 2025 pour 9 représentations, les vendredi 28 février, Mardi 4 mars à 19h30, dimanche 9 mars à 14h30, mercredi 12 mars, samedi 15 mars, mardi 18 mars, jeudi 20 mars, mardi 25 mars, jeudi 27 mars, à 19h30, à l’Opéra Bastille, 75012. Paris. Vu le 12 mars 2025.