Archives mensuelles : décembre 2018

Migrer d’une langue à l’autre ? Apprendre la langue du pays d’accueil à l’heure du numérique

Journée d’étude organisée par la Délégation générale à la langue française et aux langues de France au Musée national de l’histoire de l’immigration le 21 novembre 2018, avec le soutien de la Direction régionale des affaires culturelles d’Île-de-France – Modération Yvan Amar, journaliste à Radio France Internationale.

La sixième édition de cette Journée d’étude sur le thème Migrer d’une langue à l’autre ? s’est ouverte par les mots de bienvenue de la directrice générale du Palais de la Porte Dorée, Musée de l’Histoire de l’Immigration, Hélène Orain et ceux du nouveau Délégué général à la langue française et aux langues de France près le Ministère de la Culture, Paul de Sinety. Chaque année se redéfinissent les objectifs et les enjeux, chaque année tient ses promesses.

Son axe de réflexion et les expériences venant du terrain traitaient cette année des outils du numérique, en termes pédagogiques et présentaient les ressources, les formations et outils de l’apprentissage du français, en ligne. La définition des enjeux de l’apprentissage du français pour les migrants fut donnée dans un premier temps par Agnès Fontana, directrice de l’accueil, de l’accompagnement des étrangers et de la nationalité qui a présenté le Rapport d’Aurélien Taché député du Val d’Oise remis au Ministère de l’Intérieur en février dernier, « 72 propositions pour une politique ambitieuse d’intégration des étrangers arrivant en France » et sa mise en œuvre. Dans un second temps, Benjamin Stora, président du conseil d’orientation du musée national de l’Histoire de l’immigration, chargé d’une mission de coordination de l’action culturelle en faveur des migrants dans les établissements publics du ministère de la Culture a rappelé l’évolution des contextes entre la vague d’émigration du début du XXème où l’intégration se faisait par le travail, les années post-coloniales de 1960 à 1980 où la langue française était comme un tribut de guerre et aujourd’hui, l’effondrement des États et l’entrée de deux millions de personnes en Europe – y compris ceux issus de pays qui n’étaient pas dans l’histoire coloniale et ne procédaient pas de l’histoire culturelle européenne – ainsi que la crise de l’Union Européenne et la montée des nationalismes.

Les mécanismes d’intégration se font par la langue, le travail et le logement même si la question de la langue ne doit pas devenir un obstacle. En ce qui concerne la langue, Benjamin Stora reconnaît ceux qui, aux quatre coins de la France, donnent cours, issus notamment de réseaux bénévoles et propose que ce peuple invisible de formateurs soit porté à la connaissance de l’État et à la connaissance de tous, et qu’ils soient mis en réseau avec ce qui se passe dans le public, évitant que chacun ait ses réfugiés. Il parle aussi de l’aide à apporter aux artistes en exil pour faire vivre leur art et leur culture. C’est dans cet esprit que Visions d’exil, coproduit par le Palais de la Porte Dorée/Musée national de l’histoire de l’immigration, se déploie dans plusieurs lieux culturels dans et autour de Paris.

Plusieurs responsables politique ou représentants de structures ont ensuite partagé leur expérience comme Isabelle Devaux pour la Ville de Paris, François Pinel pour le Ministère de l’Intérieur, Pascale Gérard pour l’Agence nationale pour la formation professionnelle des adultes et Pierre Henry, de France Terre d’Asile. Les différents outils d’apprentissage du français en ligne ont été présentés par l’Alliance Française, le Centre international d’études pédagogiques, Radio France International, TV5 Monde, la Bibliothèque Publique d’Information et plusieurs autres associations, ainsi que le lancement du parcours de formation réalisé par Bibliothèques Sans Frontières que préside Patrick Weil, universitaire spécialiste des questions d’immigration et de citoyenneté.

De fructueux débats se sont engagés avec l’auditoire autour des innovations, des cartographies des lieux d’apprentissage, des méthodologies de l’apprentissage par le cinéma, les mooc, blog, guides de ressources, et autres, par tous les outils mis aujourd’hui à disposition des migrants. La façon dont la langue a été portée et instrumentalisée, dans les territoires ex-coloniaux où le français, contraint et forcé, était familier, ou bien dans les pays hors de la zone d’influence française ne se pose pas de la même manière. Dans tous les cas elle met en jeu l’Histoire, la Nation et l’État et se doit d’être à l’écoute de ceux qui, pour un temps, perdent leurs repères et cherchent à se poser, à s’ancrer sur de nouveaux territoires et à s’insérer.

Cette Journée d’étude est un des maillons de la chaîne civique qui en brisant la distance permet de s’inscrire dans la logique du plaisir d’apprendre à partir de la multiplicité d’expériences vers une multiplicité de migrants venant de tous horizons et qui ne sont pas reconnus comme citoyens, dans leurs pays respectifs.

Brigitte Rémer, le 30 décembre 2018

Migrer d’une langue à l’autre ? Journée d’étude au Palais de la Porte Dorée – Musée national de l’histoire de l’immigration, 293 avenue Daumesnil, 75012. Métro Porte Dorée – Tél. : 01 53 59 58 60 – http://www.dglf.culture.gouv.fr/ – editions@palais-portedorée.fr

Si loin si proche

© Renaud Vezin

Théâtre musical écrit, joué, chanté et mis en scène par Abdelwaheb Sefsaf, assisté de Marion Guerrero – Compagnie Nomade in France – Maison des Métallos/Focus récits de vie.

L’action se passe dans les années 1970/80, une famille immigrée en France rêve d’un retour dans son pays, l’Algérie. L’ambivalence entre les deux pays crée des tensions intérieures mais aussi des rires dans ce récit croisé dit et chanté par Abdelwaheb Sefsaf. Le fils de la famille, Wahid, part se marier au bled, les parents et leurs dix enfants embarquent dans une estafette trop petite, le voyage est pénible et cocasse. Le miroir aux alouettes d’un possible retour les taraude, on les suit dans leur traversée de plus de trois mille kilomètres. Le constat, réaliste et désenchanteur, montre qu’ils ne sont plus vraiment d’Algérie mais n’ose se projeter en France et que l’appartenance et la nostalgie sont toujours au rendez-vous. Le réveil brutal face à la conscription mélange encore un peu plus les identités, un an en France ou deux en Algérie…

Le récit-concert auquel Abdelwaheb Sefsaf convie le spectateur s’inscrit entre théâtre et récital, entre Algérie et France, entre passé et futur, entre je t’aime et je te hais. L’auteur, huitième de la famille, raconte son enfance heureuse, et oscille entre légèreté et gravité, l’épique et le particulier dans le contexte banlieue des années soixante-dix qu’il a connu avec les langues, les modes, les musiques et les espérances de chacun.

La scénographie représente un crâne de métal s’ouvrant en deux et laissant passer les idées. Des écritures calligraphiques le recouvre, labyrinthes de la pensée et poème de Mahmoud Darwich, La Mort n° 18 : « L’oliveraie était verte, autrefois… Mon cœur était un oiseau bleu, autrefois… Je te donnerai tout, l’ombre et la lumière… L’oliveraie était toujours verte, était, mon amour. Cinquante victimes l’ont changée en bassin rouge au couchant… » et les tombes du début du spectacle se transforment en une collection de valises. Accompagné de deux musiciens magnifiques, Georges Baux aux claviers, guitare et chœur et Nestor Kéa, live-machine, guitare, theremin et choeur, le chanteur-acteur aux thèmes et mélodies lancinantes remplit l’espace avec fluidité et talent. Il donne le récit plein d’humour et de variations de son expérience et de sa vie, sur le sujet on ne peut plus grave et d’actualité, du racisme et de l’immigration.

En 2010 Abdelwaheb Sefsaf fonde la Cie Nomade In France avec pour mission un travail autour des écritures contemporaines et la rencontre entre théâtre et musique. Formé à l’École Nationale Supérieure d’Art Dramatique de Saint-Étienne, il avait d’abord fondé et dirigé la Compagnie Anonyme. En 1999 il s’était fait connaître sur la scène musicale en tant que leader du groupe Dezoriental qui avait reçu en 2004 le Coup de cœur de la chanson française de l’Académie Charles Cros. Parallèlement à la musique, Abdelwaheb Sefsaf mène sa carrière de metteur en scène et de comédien, il a entre autres travaillé avec Jacques Nichet, Claudia Stavisky et Claude Brozzoni. Sa rencontre avec Georges Baux, réalisateur, arrangeur et compositeur notamment pour Bernard Lavilliers, fut décisive dans le parcours qu’il mène entre théâtre et musique.

Derrière le rire, les larmes, sur la déclinaison du verbe partir, avec l’urgence de l’initiation vers ce qui fut longtemps un rêve qui aidait à tenir, ou une belle utopie.

Brigitte Rémer, le 27 décembre 2018

Avec Abdelwaheb Sefsaf, comédien et chanteur – Georges Baux, claviers, guitare et chœur – Nestor Kéa, live-machine, guitare, theremin et choeur – musique Aligator, Baux/Sefsaf/Kéa –  direction musicale Georges Baux – scénographie Souad Sefsaf – création lumière et vidéo Alexandre Juzdzewski – régie son Pierrick Arnaud – Le texte est publié aux éditions Lansman.

Du 18 au 23 décembre 2018, Maison des Métallos, 94 rue Jean-Pierre Timbaud, 75011. Paris – Métro : Couronnes – Tél. : 01 47 00 25 20 – Site : www.maisondesmetallos.paris – En tournée :   2 février 2019, Théâtre Municipal, Tarare (69) – 7 et 8 février 2019, Comédie de Saint-Etienne/Salle Albert Camus à Chambon-Feugerolles (42) – 8 au 10 mars 2019, Théâtre de Privas (07) – 5 avril 2019, Théâtre Sarah Bernhardt, Goussainville (95).

Sombre Rivière

© Jean-Louis Fernandez

Texte et mise en scène de Lazare, Compagnie Vita Nova, au Théâtre du Rond-Point.

C’est un spectacle joyeux même s’il parle de choses graves, dans une forme qui pourrait relever de la comédie musicale ou d’une sorte de revue, un spectacle tonique qui a pour levier l’énergie vitale de son créateur et de son équipe.

La trame parle de l’enfance abîmée à travers les yeux d’une petite fille de cinq ans attendant le retour du père parti manifester le 8 mai 1945, à Guelma, en Algérie. Les émeutes nationalistes et indépendantistes réprimées violemment par la France la priveront pour toujours de sa présence. Cette petite fille était la mère de Lazare, convoquée par son fils sur écran pour apporter sa part de mémoire. Une mère courage au sourire lumineux comme forme de résistance.

Pour Sombre Rivière, le déclencheur part de la barbarie des attentats et particulièrement de celui du Bataclan que Lazare lie à ces autres événements et autres dates relevant de la mémoire familiale et de la mémoire collective du pays dont sont originaires ses parents, l’Algérie. Fils de l’immigration algérienne et né en banlieue parisienne, Lazare sait mettre l’absurde et la violence en rythme et en chansons. Il est un rebelle qui trace sa route de solitude en s’immergeant dans le théâtre par l’écriture et la mise en scène. Le théâtre, il l’a rencontré par Jacques Miquel, fondateur du Théâtre du Fil et éducateur, récemment disparu, à qui il dédie le spectacle. Ce sont « les trous de l’histoire » qui intéressent Lazare, « ceux de la colonisation comme de l’Algérie indépendante. J’interroge la façon de vivre avec de tels trous quand on se retrouve coincé, sans racines, au pied des grands ensembles… Je ne défends pas l’idée d’un art sociologique mais je pose des questions qui me brûlent à vif… » dit-il. Son style s’apparente à ce qu’est l’art brut dans le champ des arts plastiques, le slam à la musique. A partir de la réalité, Sombre Rivière est comme un long poème.

Construit en deux parties – elle, sa mère et lui, Claude Régy, qu’il admire profondément – le spectacle est fait de fragments. Claude Régy dit de son écriture : « Lazare, c’est une écriture sauvage, un langage puissant, heurté, une blessure intérieure. Cette parole spécifique, comme inachevée, demande à être testée dans un espace, à être travaillée avec une équipe d’acteurs. » Il ne cesse de la tester depuis l’écriture de sa trilogie où se retrouve le même personnage, Libellule : Passé – je ne sais où, créé en 2009 ; Au pied du mur sans porte, créé en 2010 et repris quelques années plus tard au Festival d’Avignon ; Rabah Robert, monté en 2013. Lazare est aussi grand admirateur de Fernando Pessoa dans lequel il pourrait se reconnaître quand il disait : « Pour me créer, je me suis détruit ; je me suis tellement extériorisé au-dedans de moi-même, qu’à l’intérieur de moi-même je n’existe plus qu’extérieurement. » Lazare écrit ses textes comme des partitions, ses variations passent d’annonciation à dénonciation, de mezza voce à staccato mêlant le tragique du récit aux contes oniriques. Les voix sont puissantes, en chœur ou contre-choeur, en solo ou choralité.

Plusieurs lieux soutiennent depuis ses débuts la démarche de la Compagnie, Vita Nova, créée en 2007, entre autres – le Théâtre National de Bretagne, La Fonderie au Mans, la MC93 Bobigny, l’Échangeur de Bagnolet, le Studio-Théâtre de Vitry – Lazare est associé au Théâtre National de Strasbourg depuis 2015, Stanislas Nordey accompagne ses créations et l’avait invité, en 2001, à suivre la formation d’acteur de l’École du Théâtre National de Bretagne qu’il dirigeait.

Tout en s’emparant de l’Histoire, Lazare sait donner de la distance par l’humour et le grotesque parfois, par les personnages qu’il convoque comme Sarah Kane, par les vivants et les morts qu’il mêle, par le poète présent son double, par le chant et la musique. Il n’occulte rien de son Histoire du monde, celle qu’oublient souvent les livres et construit avec ses acteurs-chanteurs, la Rivière du temps et la poétique d’un rêve récurrent. « Cueille le jour parce que tu es le jour » pourrait lui dire Pessoa.

Brigitte Rémer, le 22 décembre 2018

Avec : Anne Baudoux, Laurie Bellanca, Ludmilla Dabo, Marion Faure, Julie Héga, Louis Jeffro, Olivier Leite, Mourad Musset, Veronika Soboljevski, Julien Villa. Collaboration artistique Anne Baudoux, Marion Faure – lumières Christian Dubet – scénographie Olivier Brichet en collaboration avec Daniel Jeanneteau – costumes Marie-Cécile Viault – son Jonathan Reig –  image Lazare, Nicos Argillet – montage vidéo Romain Tanguy –  prise de vue sur le plateau Audrey Gallet – directeur de choeur Samuel Boré – assistanat général Marion Faure – assistanat musical Laurie Bellanca – avec la participation filmée de Ouria et Olivier Martin-Salvan – Le spectacle a été créé le 14 mars 2017 au TNS, Strasbourg – Le texte est publié aux éditions Les Solitaires Intempestifs.

 Du 28 novembre au 28 décembre 2018, à 21h, dimanche à 15h – Théâtre du Rond-Point, 2 bis avenue Franklin D. Roosevelt, 75008 Paris – www.theatredurondpoint.fr – Tél. : 01 44 95 98 21

Concours de photographies

 

Concours SOPHOT

9ème édition

 

Le site SOPHOT.com

dédié à la photographie sociale et environnementale organisera une exposition avec les deux reportages lauréats  

Lieu d’exposition
Galerie FAIT & CAUSE

58 rue Quincampoix – 75004 Paris – France
du mardi 14 mai au samedi 13 juillet 2019

  

Conditions de participation

. Être inscrit sur le site, avoir mis à jour sa Fiche personnelle et y avoir enregistré le reportage présenté – Inscription gratuite.

. Le travail soumis par le photographe devra :

Porter sur un problème social ou environnemental – Avoir été achevé en 2017 ou 2018 – Chaque photographe présente un seul reportage.

 

Le dossier de candidature soumis à la sélection devra comporter :

– Une biographie sommaire du photographe.

– Un synopsis : intentions, sujet, problématique et partenaires éventuels. (1 page)

– 30 à 50 photographies au format papier A5 minimum, A4 ou plus (tirages de lecture, ou impressions laser de très bonne qualité.) Chaque photographie devra être numérotée et légendée.

 – Une clef ou un CD avec ces mêmes données. Textes et légendes (accompagnées des vignettes photos correspondantes) en format Word ; photos en format jpeg, 72dpi – 1920 pixels sur le plus grand côté.

– Le photographe indiquera s’il est d’ores et déjà prévu que son reportage fasse l’objet d’une exposition ou d’une publication en 2019.

Les dossiers sont à déposer ou à envoyer à :
Association Pour Que l’Esprit Vive


SOPHOT.com – 69 boulevard de Magenta, 75010 Paris, France,
jusqu’au vendredi 1er février
2019, dernier délai.

L’annonce de la sélection aura lieu dans la 2ème semaine du mois de mars 2019.

 

La disparition de Guy Rétoré, directeur du Théâtre de l’Est Parisien, défenseur d’un théâtre populaire dans le XXème arrondissement de Paris

© Archives Théâtre de l’Est Parisien

Situé au 17 de la rue Malte-Brun, le Théâtre de l’Est Parisien était depuis 1911 date de sa construction, un cinéma et un music-hall d’environ mille places, qui répondait au nom de Zénith. Le ministère des Affaires Culturelles que dirigeait André Malraux en fit l’acquisition en 1963 et en confia la direction à Guy Rétoré, alors directeur d’une compagnie théâtrale amateur, La Guilde, qu’il avait créée en 1951. Né à Ménilmontant et enfant du quartier, Rétoré avait découvert le théâtre avec la troupe de la SNCF, entreprise où l’avait fait entrer son père pendant la guerre, pour échapper au Service du travail obligatoire, puis il avait suivi des cours avant de créer sa compagnie, La Guilde.

A la tête du Théâtre de l’Est Parisien, sa mission fut de développer l’art théâtral et la culture dans l’est de Paris, excentré et sorte de désert culturel. En 1983 Jack Lang fit reconstruire la salle, devenue Théâtre national de la Colline, et en confia la direction à Jorge Lavelli. Guy Rétoré se vit alors déplacé au 159 avenue Gambetta, sa troupe redevint structure de production et de diffusion subventionnée par l’État sous l’égide de La Colline. Huit ans plus tard il sera sommé de quitter les lieux par Catherine Trautmann, Ministre de la Culture qui nomme à la direction du TEP, en 2001, Catherine Anne. Contraint et forcé de libérer la place, par la Ministre suivante, Catherine Tasca, en juin 2002, il finit par lâcher. “Un fauteuil pour deux” titrait L’Humanité le 9 avril 2001 au moment de la polémique.

A croire que ce lieu est prédestiné aux difficultés, car au départ de Catherine Anne en 2011, le Théâtre international de Langue Française créé par Gabriel Garran, quitte La Villette et prend place avenue Gambetta pour changer de nom et devenir Le Tarmac, avec tous les séismes du printemps dernier que l’on a suivi, qui visaient à déloger Valérie Baran et son équipe pour y installer Théâtre Ouvert. Le jeu des chaises musicales décidément est actif.

Pendant plus de quarante ans au pilote de la vie théâtrale du XXème arrondissement Guy Rétoré fit un véritable travail de démocratisation culturelle et développa un théâtre populaire et national dans le droit fil des grands de la décentralisation et du service public comme Romain Rolland, Maurice Pottecher, Firmin Gémier, Jean Dasté et Jean Vilar. La Guilde devient troupe permanente en 1960, et le lieu fut inauguré par Malraux comme Maison de la Culture ayant statut de Centre Dramatique National. Rétoré mit en place une politique de création des textes, contemporains et classiques, et lança de nombreuses actions de développement culturel notamment dans un dialogue avec les écoles. Jacques Duhamel, lui donne le label de Théâtre National, en 1972 et  statut d’établissement public. Outre les créations maison, Guy Rétoré y invitait les grands de la création dans un esprit d’ouverture, ainsi Dario Fo en 1980 y présenta son Histoire du tigre et autres histoires.

Rétoré fidélisa des acteurs engagés, comme lui, dans la mission de service public qui leur était assignée et mit en scène les grands auteurs d’une manière très ouverte, de Shakespeare à Brecht, de Musset à O’Casey en passant par Pagnol, de Roger Vaillant à Armand Gatti, de Claudel à Beckett. « Notre répertoire, c’est Molière, Shakespeare, Aristophane, Sophocle et le théâtre contemporain qui parle aux contemporains » disait-il lors d’une interview.

Ces dernières années il vivait en Sologne où il s’est éteint à l’âge de quatre-vingt-quatorze ans.

 Brigitte Rémer, le 26 décembre 2018

 

Kiss and Cry,

© Maarten Vanden Abeele

Sur une idée originale de Michèle Anne De Mey et Jaco Van Dormael, création en collaboration avec le collectif Kiss & Cry, à La Scala de Paris.

Créé en 2011 à Mons, en Belgique, Kiss and Cry remporte depuis sa création, un vif succès. C’est la première partie d’une trilogie dont les deux autres spectacles, présentés à La Scala s’intitulent Cold Blood et Amor. D’une impressionnante précision, la finesse du travail est à l’échelle du long générique énoncé ci-dessous. Inventive, poétique et légère, la caméra-personnage principal suit les tracés et micro déplacements des acteurs manipulateurs qui entourent la séquence présentée d’un bout du plateau à l’autre, avec la même délicatesse et le même soin que des parents penchés sur le berceau du nouveau-né.

Et que voit-on ? Une multiplicité d’univers en modèles très réduits de type nanos objets et nanos danses sous la loupe de l’objectif. Ils servent une histoire puzzle dans laquelle une vieille femme se souvient de son premier amour, croisé dans un train, non par son visage mais par ses mains, effleurées peut-être : c’est ici la main qui trace et les doigts comme acteurs principaux de la scène, chorégraphiés comme s’ils étaient des personnages. Des petits plateaux sur lesquels sont posés en maquettes minusculissimes des séquences dans une diversité de paysages – comme la mer, le train ou les ciels infinis – scénarios qui prennent vie sous nos yeux et croisent des mains ballerines, d’une grande souplesse et virtuosité, décalant totalement les mondes et les échelles.

La retranscription sur écran est éblouissante et crée des univers disparates, tous aussi surprenants les uns que les autres, tous réalisés avec autant de minutie dans cet entremêlement mains/objets. La complicité entre les neuf artistes de différentes disciplines – jeu, cinéma, danse, vidéo, arts plastiques, bricolage conceptuel – s’élabore avant le début du spectacle et se prolonge après. Ces neuf manipulateurs tels des techniciens imaginatifs présents sur le plateau, permettent de créer des mondes oniriques et un autre langage où le spectateur perd ses repères.

Kiss and Cry est un mot lié aux compétitions de patinage artistique, c’est le banc sur lequel après la compétition et dans l’attente de la notation du jury, les patineurs reprennent souffle, le regard fixé sur le panneau d’affichage avant sidération, positive ou négative. Il n’y a ici ni patineurs ni jury, mais un spectacle singulier qui place le public face à un film en train de se faire où une équipe en synergie construit des scénographies décalées. Tout se passe en direct sous les yeux des spectateurs. La bande son a la vue large, comme le spectacle, et passe de l’opéra à la chanson des Feuilles mortes. On se laisse dériver.

Kiss and Cry est une création collective née de l’inventivité de Michèle Anne De Mey, danseuse et chorégraphe que l’on connaît pour avoir dansé avec Anne Teresa De Keersmaeker dans les années 80 – notamment dans Fase, son duo emblématique – créatrice de la Compagnie Astragales et de celle de Jaco Van Dormael, réalisateur entre autres de Toto le héros qui obtint la Caméra d’or au Festival de Cannes en 1991, metteur en scène impliqué et proche aussi du théâtre pour enfants. C’est vrai qu’il y a de l’enfance, de l’impertinence et du jeu de colin-maillard dans Kiss and Cry, il y a aussi beaucoup de grâce, d’imaginaire et de poésie.

Ce travail commun et d’expérimentation entre le couple, à la ville comme à la scène, Michèle Anne De Mey-Jaco Van Dormael, s’est élargi depuis quelques années à l’univers du conteur et humoriste Thomas Gunzig. Initiée à la mort par un moment de coma, la chorégraphe se suspend entre le rêve et la conscience, aux côtés du réalisateur et de l’auteur. Ensemble, ils construisent un univers narratif singulier mi-merveilleux mi-fantastique, dans un entre-deux de résistance poétique. L’espace-temps théâtral s’en trouve bousculé, comme le spectateur par ces personnages-mains dansant dans des paysages miniatures plein de magie artisane. Du grand art de la narration, en mains, espaces et images.

Brigitte Rémer, le 15 décembre 2018

Création en collaboration avec le collectif Kiss & Cry : Grégory Grosjean, Thomas Gunzig, Julien Lambert, Sylvie Olivé, Nicolas Olivier – Avec : Michèle Anne De Mey, Frauke Marien, Jaco Van Dormael, Renaud Alcade, Harry Cleven, Grégory Grosjean, Gabriella Iacono, Charlotte Pauwels, Philippe Guilbert, Aurélie Leporcq, Juliette Van Dormael, Nicolas Olivier, Ivan Fox, Stefano Serra – chorégraphies et nanodanses Michèle Anne De Mey, Grégory Grosjean – mise en scène Jaco Van Dormael – texte Thomas Gunzig – narration française Jaco Van Dormael – scénario Thomas Gunzig, Jaco Van Dormael – lumières Nicolas Olivier – image Julien Lambert – assistante caméra Aurélie Leporcq – décor Sylvie Olivé – design sonore Dominique Warnier – son Boris Cekevda – manipulations et interprétation Bruno Olivier, Gabriella Iacono, Pierre Garnier – construction et accessoires Walter Gonzales assisté de Amalgame/Elisabeth Houtart, Michel Vinck – conception deuxième décor Anne Masset, Vanina Bogaert, Sophie Ferro – régie générale Nicolas Olivier – techniciens de création Gilles Brulard, Pierre Garnier, Bruno Olivier – directeur technique Thomas Dobruszkès – régie son Benjamin Dandoy –  tour manager Thomas Van Cottom, Lou Colpé –  relations publiques Marie Tirtiaux.

Du 4 au 31 décembre 2018, 21h, les dimanches à 15h, lundi 31 décembre à 19h30 – à La Scala/Paris, 13 Boulevard de Strasbourg, 75010. Métro : Strasbourg-Saint-Denis – site :  www.lascala-paris.com – Dans le cadre de la carte blanche à Michèle Anne De Mey et Jaco Van Dormael, à voir : Cold Blood, du 4 au 27 janvier 2019, suivi de Amor, du 29 janvier au 3 février 2019.

 

Pentti Sammallahti

©  Pentti Sammallahti – Helsinki, Finlande, 2002
Courtesy galerie Camera Obscura

Exposition à la Maison de la Photographie Robert Doisneau de Gentilly – En collaboration avec la Galerie Camera Obscura – En partenariat avec l’Institut Finlandais à Paris.

Ouverte en 1996, la Maison de la Photographie Robert Doisneau y fait depuis plus de vingt ans un travail remarquable. Elle s’intéresse particulièrement à la photographie humaniste et donne lecture du lien qui se tisse entre le photographe et son sujet.

Elle présente en ce moment l’œuvre de Pentti Sammallahti, né à Helsinki en 1950 et qui se passionne très tôt pour la photographie. Sa grand-mère, Hildur Larsson, d’origine suédoise, était photographe, et, dès quatorze ans, Sammallahti fait partie du Camera Club d’Helsinki, s’intéresse à la prise de vue, au développement et au tirage. C’est à vingt et un ans qu’il réalise sa première exposition et compose son premier livre. Le photographe finlandais a le génie du noir profond et de la touche blanche qui attire le regard, obtenue par la chimie, ou l’alchimie du photographe. Il est aussi dans la déclinaison des blancs et des gris qui se perdent en fondus-enchaînés entre nuages bas, neiges et glaces. Il faut s’approcher de la photo petit format pour en voir toutes les nuances, trouver l’oiseau au loin ou la mouche dans un coin. Il travaille beaucoup sur les oiseaux. Pentti Sammallahti se poste de longues heures à l’affût de celui qu’il guette ou qu’il décide d’inscrire dans son paysage, comme une confidence. Il y a toujours quelque chose qui vit dans ses photographies au milieu des ambiances hivernales, il pose des appâts pour attirer vers lui les animaux. Le photographe a traversé le monde, sa chambre noire sous le bras à la recherche de la magie de la luminosité.

En parallèle au travail de prise de vue qui peut durer d’une minute à dix jours, Pentti Sammallahti est un excellent tireur qui met tout son talent au service du temps d’exposition et des tirages argentiques qu’il peaufine dans sa cave-laboratoire. Il aime à faire monter l’image pour donner l’émotion des matières que sont la neige et les brumes. De ses photographies se dégage un fort sentiment de la nature, certaines ressemblent à des estampes japonaises. Sammallahti travaille sur des virages au bleu, du sépia, joue sur la distorsion de l’espace et le panoramique, et garde sa liberté en ne limitant pas le nombre de tirages. A côté de ces paysages de solitude, une série est présentée, hommes en uniforme, avec une unité de lieu et un rythme s’intégrant au paysage. La scénographie emboite le pas au mouvement de la photographie, la Maison Robert Doisneau la présente sous forme de portée musicale, une belle idée.

Pentti Sammallahti a reçu plusieurs fois, à partir de 1975, le Prix National Finlandais de la Photographie. Parallèlement à son travail de photographe il se passionne pour les livres et les techniques de reproduction de la photographie et a conçu une quarantaine de livres auto-publiés et classés en Opus. Ainsi, The Nordic Night, partie I Opus 2, Helsinki, 1982 ; The Japanese Portfolio Opus 15, Helsinki, 1990 ; Archipielago Opus 41, Helsinki, 2004 ; Ici au loin Actes Sud, 2012. « Si le début de la pensée c’est l’étonnement (et sans doute sa fin aussi) alors on sait gré à Pentti Sammallahti de nous le montrer en images, dans le regard perdu d’un chien, ou dans sa surprise devant un homme qui passe ou un oiseau qui s’envole » écrit Gérard Macé dans son article Une pensée en images. L’œuvre de Pentti Sammallahti est d’une grande puissance philosophique et poétique qui prête à la méditation et au nocturne. Et il faut longuement regarder l’oeuvre pour s’imbiber de sa clarté contrastée, du noir au blanc.

Brigitte Rémer, le 9 décembre 2018

Du 19 octobre au 13 janvier 2019, Maison de la Photographie Robert Doisneau, 1 rue de la Division du Général Leclerc 94250 Gentilly – www.maisondoisneau.agglo-valdebievre.fr – Tél. : 01 55 01 04 85 –  et Galerie Camera Obscura – représentant en France de Pentti Sammallahti – du 26 octobre au 29 décembre 2018 – Publication d’un nouvel ouvrage, Les Oiseaux, aux éditions Xavier Barral.

Une forêt en bois… Construire

© Matthieu Rousseau

Reprise au Festival AVIGNON OFF – Du 6 au 22 juillet 2019, à 9h45 – à La Caserne des Pompiers : 116, rue de la Carreterie 84000. Avignon – (Durée 40 ‘ – Relâches les 9 et 16 juillet). Dans le cadre de la programmation Grand-Est/Alsace, Champagne-Ardennes, Lorraine.

Conception, écriture et fabrication Fred Parison, mise en scène Estelle Charles, La Mâchoire 36.

C’est un spectacle pour un acteur-manipulateur, dédié au jeune public. Un spectacle sensible et créatif à partir d’un matériau, le bois. Un joli bric-à-brac artisan est en place sur le plateau, scrupuleusement organisé. Dans sa cabane, l’élégant bûcheron, Sylvestre, costume gris, chemise écossaise, chaussettes et casquette rouge, est à l’écoute, environné de chants d’oiseaux. Il fait pénétrer son petit public haut comme trois pommes de pin au cœur de son paradis forestier. La petite maison est poétiquement extravagante et pleine de surprises. Il fait froid. C’est le 6 janvier. Le coucou chante pour se réchauffer.

Une palissade en bois, pleine de malices, nous fait face, ainsi qu’une toile couverte des objets dessinés de son quotidien, et ses outils. Comme dans un livre d’images Sylvestre détache sa maisonnette et la place sur la table, en miniature, à l’échelle du public. Et quand il pose l’oreille sur cette table, il entend les oiseaux pépier. Il observe la forêt, grimpant sur une chaise à trois branches et non pas à quatre pieds. Autour de lui des automates comme ce bûcheron qui casse du bois à la hache, son autoportrait, et un oiseau posé au-dessus d’une cheminée. L’atmosphère est ludique et poétique. Sylvestre le malicieux construit des mots avec des lettres de l’alphabet : de branche à planche, de planche à manche, puis à hache et à deux h. les lettres dansent. Il dessine son univers, branche son casque déraisonnablement et donne à entendre à tous ce qu’il y écoute, met un disque, rondelle de bois de belle épaisseur sur sa platine, cueille un de ses dessins accrochés à la toile posée sur chevalet, se met à peindre… une forêt.

Sylvestre, véritable homme-orchestre, continue pieds nus et en bras de chemise, souliers bien alignés, chaussettes militairement pliées. Il se glisse sous une tente astucieusement dépliée, plantée au cœur de la forêt projetée sur sa toile, comme si on y était. Pieds et tête dépassent, car la toile n’est pas à l’échelle, créant le sourire. Puis se déclenche un orage avec pluie diluvienne rendue par la bande son, et s’agitent les émotions. Sylvestre se met à peindre, d’abord le cadre, puis la forêt, à gros traits-belles couleurs puis tire devant lui un wagonnet de quatre électrophones aux 45 tours vinyle, écoute et dialogue avec sa forêt « la forêt, la forêt, la forêt… » « Découvrir la cabane en bois au milieu » des bribes de texte d’un conte déstructuré qui se fait entendre. L’homme porte sa cabane en bois comme un masque, apparait avec une guitare qu’il pose et éclaire d’une bougie, peint avec un bâton le long de la palissade, une fenêtre puis une porte, met la clenche sur la porte, puis ouvre la porte, et se cache. Il réapparaît mi-ours mi-oiseau, poilu grandeur nature, en manipulateur. En haut de la cheminée, l’oiseau tourne sur lui-même et danse.

« Une forêt en bois… construire » montre un univers éphémère et un pays des merveilles. La poétique naît du décalage dans l’échelle des objets, dans le calme et l’étonnement, dans la distorsion du sens par la traduction personnelle des choses du quotidien, réinterprétées. Sylvestre/Fred Parison a les mains magiques d’un talentueux inventeur qui suspend le temps et le réinvente à son image, comme est magique sa présence devant les enfants à l’écoute. Issu du domaine des Arts plastiques il travaille avec Estelle Charles, qui elle vient du théâtre, ensemble ils ont créé leur Compagnie, La Mâchoire 36. Ils construisent à quatre mains et entourés d’autres artistes, des bricolages plastiques où les petites mécaniques, le mouvement et la manipulation, participent de l’élaboration d’un langage théâtral très poétique.

Brigitte Rémer, le 27 novembre 2018

Conception, écriture et fabrication Fred Parison – mise en scène Estelle Charles – jeu et manipulation Fred Parison –  lumière, régie Phil Colin – Spectacle tout public à partir de 4 ans.

Du 21 au 25 novembre 2018 au Théâtre Dunois, 7 rue Louise Weiss, Paris. Métro : Chevaleret ou Bibliothèque François Mitterrand. Tél. : 01 45 84 72 00. www.theatredunois.org – En tournée : du 8 au 10 janvier 2019, Théâtre des Sablons, Neuilly sur Seine – du 15 au 18 janvier 2019, Théâtre de La Méridienne, Lunéville – les 5 et 6 mars 2019, La Passerelle, Rixheim – www.lamachoire36.com – Reprise /Festival AVIGNON OFF 2019.

Sensacje / Sensations

© Axel Saxe

Œuvres de Grazyna Bacewicz, Frédéric Chopin, Elżbieta Sikora, Piotr Ilyitch Tchaïkovski, interprétées par l’Orchestre Pasdeloup sous la direction de Marzena Diakun – Salle Gaveau. En partenariat avec l’Institut Polonais de Paris.

À l’occasion du centenaire du recouvrement de l’indépendance de l’État Polonais, l’Orchestre Pasdeloup met à l’honneur le pays. Le 11 novembre 1918 en effet, la Pologne, divisée entre trois puissances voisines depuis plus d’un siècle, retrouvait, avec le retour du Maréchal Józef Piłsudski à Varsovie, sa souveraineté. C’est la même année que les femmes obtenaient le droit de vote. Pour ce concert, intitulé Sensacje/Sensations, les femmes sont à l’honneur.

Marzena Diakun tout d’abord, jeune et brillante cheffe d’orchestre née à Koszalin, est à la baguette et dirige l’Orchestre, déclinant les œuvres les plus contemporaines jusqu’au répertoire classique. Deux grandes compositrices ensuite sont à l’affiche : Elżbieta Sikora, avec des extraits de ses Miniatures, musique instrumentale d’ensemble et Grażyna Bacewicz avec son Concerto pour violon n°5. Deux compositeurs du XIXème siècle, liés à la Pologne, complètent le programme : Frédéric Chopin en son Nocturne n° 20 dans une orchestration pour violoncelle solo et orchestre à cordes d’Antonin Rey, et Piotr Ilyitch Tchaïkovski dont la Symphonie n° 3 en ré majeur opus 29 s’intitule Polonaise.

Le concert débute avec la création française de deux des six Miniatures d’Elżbieta Sikora, n° 1 et n°4, commande de la Radio Polonaise en 2013. Pianiste de formation et ingénieur du son, la compositrice fut l’élève de Pierre Schaeffer et François Bayle avec qui elle s’est initiée à la musique électroacoustique, à travers le GRM et l’IRCAM, comme elle l’a fait ensuite au CCRMA (Center for Computer Research for Music and Acoustics) de l’Université de Stanford (États-Unis). Elle a suivi des études de composition au Conservatoire de Varsovie auprès de Tadeusz Baird et Zbigniew Rudzinski et composé plus de cinquante œuvres, dont Guernica, hommage à Pablo Picasso (1975), La tête d’Orphée II (1982), L’arrache-cœur (1992), Flashback (1996). Sa palette est variée, elle a à son actif trois opéras, trois ballets, des oeuvres symphoniques, des concertos, de la musique de chambre, des musiques électroacoustiques et mixtes. Plusieurs prix lui ont été décernés comme le Prix Magistère à Bourges, le Prix Nouveau Talent Musique SACD, le Prix du Printemps SACEM, et elle a reçu une mention spéciale de l’Académie du Disque Lyrique. Son opéra, Marie Curie, rencontre actuellement un succès international. Commande pour la commémoration du Centenaire de l’attribution du Prix Nobel de chimie à Marie Skłodowska-Curie, l’œuvre fut créée à l’Unesco en 2012 avant d’être reprise à l’Opéra baltique de Gdańsk puis dans de nombreux pays. Elzbieta Sikora est directrice artistique du Festival Musica Electronica Nova de Wroclaw, en Pologne. Son cycle, Miniatures, dont elle présente ici deux courtes pièces est d’une forte expressivité tout en gardant pour points d’appuis les principes formels de la composition. Elzbieta Sikora manie à la fois la narration et maîtrise l’orchestration, ses pièces sont d’un profond lyrisme. La suite des Miniatures sera donnée lors des prochains concerts de l’Orchestre Pasdeloup.

Seconde compositrice présentée par l’Orchestre, Grażyna Bacewicz avec son Concerto pour violon n°5, brillamment interprété par Geneviève Laurenceau. D’une famille de musiciens lituaniens, la compositrice apprend le violon et le piano auprès de son père et donne son premier concert à l’âge de sept ans. Elle perfectionne ses deux instruments au Conservatoire de Varsovie et approfondit leur apprentissage tout en faisant des études de philosophie. Elle apprend la composition avec Kazimierz Sikorski en Pologne, puis auprès de Nadia Boulanger, à Paris. Elle devient soliste principale au Wielka Orkiestra Symfoniczna Polskiego Radio/Orchestre Symphonique de la Radio Polonaise, sous la conduite de Grzegorz Fitelberg et commence à composer de manière clandestine pendant la guerre. Elle enseigne au Conservatoire de Łódź, avant de se dédier à la composition jusqu’à sa mort, en 1969. Elle laisse plus de deux cents œuvres, écrit de nombreuses partitions pour cordes en général, dont sept quatuors et la Symphonie, et pour le violon en particulier sept concerti, cinq sonates avec piano, trois sonates en solo, et sept concertos pour violon. Composé en 1954, le Concerto pour violon n°5 a été joué l’année suivante par l’Orchestre Philharmonique de Varsovie dirigé par Witold Rowicki, avec en soliste Wanda Wiłkomirska, Grażyna Bacewicz victime d’un grave accident n’ayant pu l’interpréter elle-même. C’est ici Geneviève Laurenceau qui joue avec virtuosité ses trois mouvements : Deciso, Andante et Vivace. Brillante représentante du violon français qu’elle apprend dès l’âge de trois ans, elle transmet avec fulgurance la rythmique de l’œuvre tant dans ses harmonies vives et dissonantes que dans sa douceur inquiète, et accompagne le chant introspectif de l’Andante en mettant en relief sa force et sa fragilité. L’instrument se déploie sous ses doigts d’une grande habileté qui passent de la structure néo-classique de l’oeuvre aux formes musicales populaires et colorées privilégiées par la compositrice.

Le Nocturne n° 20 en do dièse mineur de Chopin dans une orchestration commandée par l’Orchestre Pasdeloup et une interprétation du violoncelliste Éric Villeminey est la troisième œuvre de ce concert. Pas de Pologne sans Chopin qui composa une vingtaine de nocturnes à différents moments de sa vie. Il a vingt ans quand il compose celui-ci, en1830 et s’apprête à quitter la Pologne pour Vienne puis Paris. Ce Nocturne ne sera publié qu’après sa mort, en 1870. L’interprétation proposée par Éric Villeminey, violoncelle solo de l’Orchestre Pasdeloup depuis une vingtaine d’années, est magistrale. Elle restitue avec profondeur la mélancolie de la mélodie et les déclinaisons de la composition des plus nostalgiques et romantiques.

La quatrième œuvre interprétée par l’Orchestre est la Symphonie n° 3 en ré majeur opus 29 de Piotr Ilyitch Tchaïkovski, dite Polonaise. Écrite en 1875, elle a pour particularité d’être construite non pas en quatre mouvements comme habituellement, mais en cinq : Introduzione e Allegro, Alta tedesca, Andante elegiaco, Scherzo, Finale. L’Orchestre déploie ici avec une grande puissance un langage orchestral universel et traduit avec passion les reliefs rythmés et dansés donnés par le compositeur à son œuvre.

Par ce concert, percutant et enthousiaste, qui célèbre la Pologne, concert porté notamment par des femmes musiciennes, l’éblouissante cheffe d’orchestre, Marzena Diakun, encourage et contient l’Orchestre Pasdeloup avec une grande maîtrise et émouvante sensibilité, musiciens que nous félicitons tous.

Brigitte Rémer, le 25 novembre 2018

Samedi 17 novembre 2018, Salle Gaveau – Orchestre Pasdeloup, 1 boulevard Saint-Denis 75003. Tél. : 01.42.78.10.00 –  Site : www.concertspasdeloup.fr