Archives mensuelles : mai 2015

La mort de Tintagiles

La pièce de Maurice Maeterlinck est précédée d’un Prologue, fragments de Pour un tombeau d’Anatole de Stéphane Mallarmé. Mise en scène Denis Podalydès, sociétaire de la Comédie Française. Conception musicale Christophe Coin et Garth Knox.  

© Pascal Gély                  © Pascal GELY

© Pascal Gély 

C’est un objet théâtral délicat en ses deux parties, un travail d’entrelacement de textes et de moments musicaux impressionnistes d’une grande beauté. La première partie, Pour un tombeau d’Anatole de Stéphane Mallarmé comme une petite musique de nuit, traduit l’immense chagrin du poète, mis en mots à la mort de son fils de huit ans, en 1879, texte qu’il laissa en suspens sur ce vers très court, retrouvé : Le petit tombé dans la vallée. Vertigineux et déchirant pour dire l’indicible, ces mots et ellipses se gravent en écriture blanche sur fond noir et sont partiellement énoncés – par Denis Podalydès – d’une voix de cristal bercée de subtiles cordes et de vocal.

En seconde partie, le conte du petit Tintagiles aborde aussi le thème de la séparation et du deuil et s’enchaîne logiquement au texte de Mallarmé. Au bord de l’abîme par la toute puissance d’une Reine-sorcière invisible qui a ordonné son retour sur l’île, et malgré la résistance de sa sœur Ygraine aidée de Bellengère, et d’Aglovale, un vieux serviteur, Tintagiles est arraché aux siens et passe de l’autre côté du mur des ténèbres. « Ta première nuit sera mauvaise, Tintagiles. La mer hurle déjà autour de nous ; et les arbres se plaignent. Il est tard. La lune est sur le point de se coucher derrière les peupliers qui étouffent le palais… Nous voici seuls, peut-être, bien qu’ici, il faille vivre sur ses gardes. Il semble qu’on y guette l’approche du plus petit bonheur » lui dit Ygraine, ouvrant la pièce et faisant face au destin.

Ecrit en 1894, La mort de Tintagiles est le troisième des petits drames pour marionnettes écrits par Maurice Maeterlink, dont les précédents s’intitulaient Intérieur et Alladine et Palomides. « Maeterlinck a été tenté de donner la vie à des formes, à des états de la pensée pure. Pelléas, Tintagiles, Mélisande sont comme les figures visibles de tels spécieux sentiments » écrivait Antonin Artaud, explicitant l’objet marionnette selon Maeterlink.

Auteur belge francophone, Maeterlink s’inscrit dans un univers symboliste entre rêve et fantastique. Son œuvre est immense et a inspiré les grands musiciens, citons l’Oiseau bleu, monté en 1908 par Constantin Stanislavski, et, pour mémoire, Pelléas et Mélisande dont Debussy composa un opéra. Malheur et destin y sont souvent exprimés en une saisissante économie de moyens. Dans La mort de Tintagiles – montée en 1997 par Claude Régy qui avait aussi mis en scène Intérieur, quelques années auparavant – Denis Podalydès opte pour une forme de théâtre musical : Christophe Coin joue du violoncelle et du baryton à cordes et Garth Knox de l’alto et de la viole tout en interprétant le rôle d’Aglovale. Ce dernier prend la place de Tintagiles, – marionnette manipulée à tour de rôle par les comédiens – au moment du cri qu’il fait jaillir du tréfonds, expression de l’angoisse de la mort et qui appelle celui d’Edvard Munch.

Une scénographie dépouillée, sorte de boîte noire posée sur le plateau servant l’acoustique, un grillage dans les cintres, point d’appui lumières donnant les découpes qui troublent la pénombre d’un univers d’étrangeté, une avant-scène dégagée où les musiciens parfois stationnent sont les éléments de l’écriture scénique.

Connu et apprécié comme acteur, au théâtre et au cinéma, Denis Podalydès a signé plusieurs mises en scène dont Cyrano de Bergerac d’Edmond Rostand, et Le Bourgeois Gentilhomme de Molière ; L’Homme qui se hait d’Emmanuel Bourdieu et Lucrèce Borgia, de Victor Hugo. Le travail qu’il présente ici, austère et méditatif autant que poétique, repose sur une subtile direction d’acteurs et sur une impulsion musicale, devenue langage théâtral en soi, en parfaite synergie avec le texte et le poème.

Brigitte Rémer

Avec : Christophe Coin, violoncelle et barytons à cordes – Adrien Gamba Gontard, Tintagiles – Garth Knox, Aglovale, alto, viole – Leslie Menu, Ygraine – Clara Noël, Bellangère – scénographie Olivier Brichet – lumières Stéphanie Noël – costumes Géraldine Ingremeau – maquillage et coiffure Gwendoline Quiniou – création sonore Bernard Vallery – marionnette Amélie Madeline – harpe éolienne Sylvain Ravasse – construction Alexandra Epée, Nicolas Gérard, Jean-Philippe Lamarque, Pascal Lefay.

Du 12 au 28 mai 2015. Théâtre des Bouffes du Nord. 37 bis Bd de la Chapelle. 75010. Métro : La Chapelle. – site : www.bouffesdunord.com – Reprise au Trident, scène nationale de Cherbourg/Octeville, du 5 au 7 novembre 2015.

Le projet Penthésilée

©Pascal Gély

©Pascal Gély

D’après Penthésilée de Heinrich Von Kleist. Traduction Julien Gracq. Mise en scène Catherine Boskowitz – Théâtre des Quartiers d’Ivry

Pièce du poète et dramaturge allemand Heinrich Von Kleist publiée en 1808, on dit de Penthésilée qu’elle est injouable, Goethe lui-même l’avait dit. Sa création à Weimar peu après publication ne fut d’ailleurs pas un grand succès. Trois ans plus tard, à trente-quatre ans, Kleist mettait fin à ses jours et entrainait dans son geste son amie, Henriette Vogel. Il venait d’achever le Prince de Hombourg. Son oeuvre s’étend sur une douzaine d’années et se compose d’articles, de nouvelles, d’écrits politiques et d’essais – dont le célèbre manifeste Pour le théâtre de marionnettes -. Pour le théâtre, il écrivit huit pièces de styles différents – comédies, tragédies et drames –.

Julien Gracq traducteur de Penthésilée, disait : « Tout n’est pas fait pour emporter l’adhésion dans cette pièce, assez dédaigneuse, il faut le dire, de la sympathie et ne s’en cachant pas ». Elle n’est pas très fréquemment montée. André Engel en avait présenté sa vision au Théâtre national de Strasbourg en1981, Julie Brochen la sienne au Théâtre de la Bastille en 1998, Éric Lacascade à la Comédie de Caen en 2005, Jean Liermier à la Comédie Française, en 2008. C’est aujourd’hui Catherine Boskowitz qui s’attaque au mythe des Amazones, ces guerrières imposant leurs lois et pratiquant la politique de la terre brûlée, la métaphore des insoumises est séduisante. Le spectacle s’intitule Le Projet Penthésilée, un work in progress ?

L’action se passe à Troie, sur le champ de bataille où Grecs et Troyens s’affrontent. Après sa victoire sur Ulysse et Diomède, Penthésilée Reine des Amazones est blessée par Achille, au cours d’un combat où leurs regards se croisent et s’illuminent. Achille reconnaît avoir été foudroyé d’amour, elle, succombe à son charme. Si les Amazones sont hors la loi, elles ont la leur propre : il ne leur est permis de choisir un époux qu’après l’avoir combattu et vaincu. Coincée entre l’ordre social et collectif et ses sentiments personnels, Penthésilée combat Achille mais ne décode pas ses signaux et réplique en le transperçant : « Ne reparait jamais devant moi » hurle-t-elle, dans une fureur extrême. Et elle ne se contente pas du coup donné, mais sauvagement le déchire et le dévore à demi comme une lionne, sous un flot d’imprécations et de pure folie. Le récit de Prothoé, sa fidèle amie n’épargne rien. Défaite lorsqu’elle réalise, Penthésilée se donne la mort. On est en plein dans la tragédie grecque et proche de la sanguinaire Médée.

Plus que le thème de l’amour fou et destructeur, Catherine Boskowitz, metteure en scène retient le thème de l’insoumission et de la prise de pouvoir par les femmes. « Astéride tu conduiras les troupes. Prothoé, sors de mon cœur. Avec toi j’irai jusque dans les enfers. Nous combattrons ensemble ». Ces Amazones qui « foutent la zone » nous font pénétrer dans un monde de légende. On est en même temps au pays des Pussy Riot ou chez les Femen, aux Etats-Unis d’Angela Davis du temps des Black Panthers ou avec la Bande à Baader. Achille a un petit air à la Jimmy Hendrix, chapeau lunettes de soleil et pause, accro à son téléphone mobile.

Quand le spectateur pénètre dans la salle, il est convié sur le champ de bataille c’est-à-dire la scène, une inscription en lettres d’or au-dessus de sa tête : La scène est un champ de bataille. Il est en déambulation et peut croiser une actrice ou un acteur, qui lui chuchote quelques bribes de textes. Sur les sièges sont tendues des bâches. Après ce prologue en équilibre instable, le spectateur prend place, on lui découvre les gradins. Achille a son espace propre, une plateforme posée à mi-salle où il fait ses ablutions. Les Amazones tracent, de la scène à la salle, et défient les frontières scène-salle et dehors-dedans, tout au long du spectacle. Sur le plateau, Ulysse, au bord d’une ville détruite, – maquette posée au milieu de la scène – introduit longuement le propos. Sur écran, à travers le viseur d’une mitraillette, le spectateur survole une zone de guerre, est-ce Damas, Alep ou Homs, Bagdad peut-être… Les références sont de toutes géographies et collent à l’actualité, guerre pour guerre.

Vidéaste et techniciens sont en action sur le plateau où des écrans mobiles apparaissent et disparaissent. Les bâches en plastique gris forment des reliefs et font office de terre de camouflage, de traine ou de linceul – l’installation et la scénographie sont de Jean-Christophe Lanquetin -. Tout au long de la pièce, le vidéaste  – Laurent Vergniaud qui assure aussi les lumières – transmet des images déstructurées de la guérilla politico-militaire qui se déroule sur le plateau : images de ruines, de silence et de mort.

 Les adresses au public qui s’intercalent dans le texte de Kleist – sur la sororité, la militance, l’écriture – et dont on ne connaît pas la source, surlignent ce sujet de l’émancipation des femmes et de leur liberté. « J’entends un écho qui traverse le temps entre Penthésilée et d’autres femmes surgies des luttes armées des années 70 ou des révolutions plus récentes qui ébranlent l’ordre mondial. Cet écho se nomme désobéissance » dit la metteure en scène qui a créé sa compagnie en 1985, sur la base du croisement des cultures.

La pièce est flamboyante et Penthésilée sans peur et sans reproche mène son combat, l’actrice ici défend sa partition. Mais les nombreuses digressions proches de la performance n’éclairent pas toujours cette flamboyance et perdent plutôt le spectateur qui, trop souvent, cherche sa route.

Brigitte Rémer

Avec : Nadège Prugnard Penthésilée – Lamine Diarra Achille – Marcel Mankita Ulysse – Simon Mauclair Diomède – Adèll Nodé Langlois Amazone clowne – Fatima Tchiombiano Amazone – Nanténé Traore Prothoé – Collaboration artistique et dramaturgie : Leyla Rabih – Assistante à la mise en scène : Estelle Lesage – Installation et scénographie : Jean-Christophe Lanquetin – Constructeur et plasticien : Yoris van Den Houte – Vidéo et lumières : Laurent Vergnaud – Costumes : Chantal Rousseau – Musique : Benoist Bouvot.

Du 4 au 31 mai 2015. Théâtre des Quartiers d’Ivry, au Théâtre d’Ivry Antoine Vitez, 1 rue Simon Dereure – métro : Mairie d’Ivry – www.theatre-quartiers-ivry.com

81 avenue Victor Hugo

 © Willy Vainqueur pour le Théâtre de la Commune

© Willy Vainqueur pour le Théâtre de la Commune

Pièce d’actualité n°3 – Ecriture : Olivier Coulon-Jablonka, Barbara Métais-Chastanier, Camille Plagnet – Mise en scène : Olivier Coulon-Jablonka – Avec : Adama Bamba, Moustapha Cissé, Ibrahim Diallo, Mamadou Diomandé, Inza Koné, Souleyman S., Méité Soualiho, Mohammed Zia.

Le principe de la Pièce d’actualité tel que le propose La Commune centre dramatique national Aubervilliers et sa directrice, Marie-José Malis, repose sur une commande que passe le théâtre à des artistes, leur posant la question : « La vie des gens d’ici, qu’est-ce qu’elle inspire à votre art » ? Son cahier des charges est précis : temps de répétition limité à vingt jours, obligation à travailler avec les associations, les particuliers, les institutions de la ville et du territoire en synergie avec le thème traité. Après Laurent Chétouane, artiste associé au CDN, répondant à la question : Le théâtre, pour vous c’est quoi ? suivi de Maguy Marin et sa Casa de España pour les Pièces d’actualité n° 1 et 2, c’est au tour d’Olivier Coulon-Jablonka de construire son sujet. Celui-ci s’empare d’un thème emblématique aujourd’hui, celui des sans-toits. Il s’appuie sur un collectif d’immigrés qui, après s’être fait expulser de plusieurs lieux d’Aubervilliers, a réquisitionné un endroit vide pour y loger, l’ancien Pôle Emploi au 81 avenue Victor Hugo.

Le spectacle s’ouvre sur une sorte de salle d’attente ou de foyer gris, sans personnalité. Un récitant s’avance à l’avant-scène et porte un magnifique texte extrait du Procès de Kafka, comme une offrande : « Devant la loi se dresse le gardien de la porte. Un homme de la campagne se présente et demande à entrer dans la loi. Mais le gardien dit que pour l’instant il ne peut pas lui accorder l’entrée… » Puis une ombre glisse derrière la porte vitrée éclairée, suivie d’autres ombres. Le groupe d’hommes de couleurs se dirige à la lampe de poche et stoppe, petit moment ludique où chacun se prend en photo, avant de se raconter, ou de raconter l’un des leurs. Les récits de vie vont s’enchaîner, morceaux de vie déchirés entre ici et là-bas où le tragique le dispute à l’absurde. Une vingtaine d’entretiens réalisés avec des habitants du 81 avenue Victor Hugo a présidé à la rédaction du texte. Les huit conteurs sur scène, venant des faubourgs d’Abidjan, Ouaga, Dhaka et d’ailleurs, s’inscrivent dans la lutte des sans-toits à Aubervilliers et sont ici les interprètes et parfois les auteurs.

Récits de voyage au terme d’invraisemblables périples, de mois et parfois d’années sur les routes et les mers. Certains font des pauses forcées dans des géographies qui n’ont rien de la ligne droite mais relèvent plutôt d’une ligne brisée. Métaphore du temps et d’espaces déréalisés, véritables no man’s land où l’on s’épuise, passant par Moscou, Casablanca, Tamanrasset ou Lampedusa entre Malte et Tunisie. Traités comme du bétail par des passeurs sans scrupules, sans dormir ni boire ni manger, certains ne résistent pas et s’effacent de la carte, dès le début. L’un d’eux resté trois ans en Libye comme brouetta, autrement dit porteur, a changé de camp. D’autres arrivent, exténués, après des jours et des nuits de traversée sur des rafiots délabrés et surchargés, avec vents et courants contraires. Souvent, l’horizon s’éloigne.

L’arrivée n’est ni joyeuse ni victorieuse, où que ce soit. Premier acte, déchirer son passeport, le faire disparaître éventuellement par la chasse d’eau, perdre son identité, oublier jusqu‘à son nom, se perdre… bien s’habiller pour ne pas se faire remarquer, éviter d’aller dans les endroits trop blancs pour ne pas se faire repérer comme black… et échapper aux vérifications d’identité. Apprendre l’extrême patience. « Arrivés épuisés il faut encore se raconter, expliquer dans les organismes d’accueil » comme l’Ofpra, – Office français de Protection des Réfugiés et Apatrides – ou la Cimade qui apportent une aide juridique pour les titres de séjour et la régularisation. « Expliquer, parfois sans pouvoir se faire comprendre. Sans traducteur, comment s’expliquer clairement ? La loi est très difficile à comprendre » disent-ils. Pour ce collectif du 81 avenue Victor Hugo comme pour tout collectif, la Préfecture ne traite pas en gros comme ils le souhaitaient pour ne laisser personne sur le carreau, elle atomise et raisonne à l’unité. L’obtention de papiers reste le parcours du combattant, chacun pour soi. Ils constatent que certains de leurs aînés ont passé leur vie à espérer ces papiers, que la vie s’est suspendue à cette utopie et que le temps pour eux s’est arrêté. « J’ai commencé à comprendre que c’était pas si simple ».

En France, le réveil est douloureux et la réalité ne se découvre qu’à l’arrivée, disent-ils : « J’ai vraiment eu un grand choc. C’est comme si on te disait qu’on n’avait pas besoin de toi, mais on ne te le dit pas ». L’éclatement des familles est cruel. « C‘est mon fils qui me donne la force de continuer. Je l’ai laissé à Abidjan, il avait trois ans ». Et pourtant ils le savent et le disent : « dès que le moral baisse, c’est fini ». Alors, derrière la cruauté du quotidien, l’espoir de « croiser de bonnes personnes, de gagner la chance » doit rester présent. L’un d’entre eux montre du doigt l’Etat français et rappelle l’Histoire. Le Discours sur le colonialisme qu’Aimé Césaire écrivait en 1955, revient en mémoire.

Trois sur un banc. Temps en suspension. Une petite chanson, pas si innocente : « Alouette, gentille alouette, je te plumerai… »  un chant du pays, pour la nostalgie. L’exploitation du travail au black : « Je t’appelle quand je veux, je te paye 5 euros de l’heure ; et combien de fois on ne m’a pas payé… » L’agent de sécurité et son chien valsent d’un lieu à l’autre et l’homme se sent vulnérable quand il quitte l’uniforme par peur d’être repéré, traqué, agressé. On s’accroche à quoi ? « Au futur et au présent. Le passé est passé ». Alors, mieux vaut être sans mémoire. Et pourtant… « Il y a longtemps que je n’ai pas vu ma propre mère, mes frères et mes sœurs. J’avais une fiancée… ! C’est le destin, c’est comme ça, mais ça va aboutir à quelque chose. » A la question : « et maintenant, qu’aimeriez-vous ? » chacun répond à sa manière : « Voir mes rêves se réaliser. Etudier. Voyager. Travailler » jusqu’au chœur final : « Ouvrez les frontières, laissez-nous passer ».

L’histoire inlassablement se répète. Georges Pérec et Robert Bobet en avaient laissé traces dans leurs Récits d’Ellis Island, publiés en 1979, histoires d’errance et d’espoir de la toute fin XIXe début du XXe siècle, qui avaient mené près de seize millions d’émigrants en provenance d’Europe aux Etats-Unis, passant par Ellis Island. L’île des larmes, premier chapitre : « Les émigrants qui devaient passer par Ellis étaient ceux qui voyageaient en troisième classe, c’est-à-dire dans l’entrepont, en fait à fond de cale, au-dessous de la ligne de flottaison, dans de grands dortoirs non seulement sans fenêtres mais pratiquement sans aération et sans lumières où deux mille passagers s’entassaient ». Et pendant la traversée, comme à l’arrivée, toute une batterie de questions : « Comment vous appelez-vous ? D’où venez-vous ? Pourquoi venez-vous ? Quel âge avez-vous ? Combien d’argent avez-vous ? Qui a payé votre traversée ? Avez-vous signé un contrat pour venir travailler ici ? etc.. etc.. »

A quoi sert le théâtre ? Car de théâtre il s’agit bien : à briser l’indifférence même si l’actualité tourne en boucle et justement, banalise, à sortir de l’anonymat quelques instants, à tendre un miroir au spectateur, à parler de l’âpreté de l’exil et de solitude, à évoquer la quête d’hospitalité telle qu’approchée par le philosophe Jacques Derrida – « L’étranger est d’abord étranger à la langue du droit dans laquelle est formulé le devoir d’hospitalité, le droit d’asile, ses limites, ses normes, sa police, etc. Il doit demander l’hospitalité dans une langue qui par définition n’est pas la sienne »Il y a une dimension politique dans la démarche, une forme de théâtre documentaire dans ces parcours d’exil et de migration. Que signifie être exilé, déplacé, vivre entre deux mondes ? Le grand intellectuel américain d’origine palestinienne Edward W. Saïd exilé lui-même, n’a cessé de s’interroger sur ce choc des civilisations : « J’ai défendu l’idée que l’exil peut engendrer de la rancœur et du regret, mais aussi affûter le regard sur le monde. Ce qui a été laissé derrière soi peut inspirer de la mélancolie, mais aussi une nouvelle approche. Puisque par définition, exil et mémoire sont des notions conjointes, c’est ce dont on se souvient et la manière dont on s’en souvient qui déterminent le regard porté sur le futur ». La démarche de ces conteurs de quelques soirs est courageuse, droit dans les yeux ils se racontent. Ils sont rémunérés au chapeau.

brigitte rémer

81 avenue Victor Hugo, Pièce d’actualité n°3du 5 au 17 Mai 2015 – La Commune CDN Aubervilliers, 2 rue Edouard Poisson. Tél. : 01 48 33 16 16. Le spectacle sera repris du 6 au 15 octobre 2015.

Du Nô à Mata Hari, 2000 ans de Théâtre en Asie

Marionnette Bunraku - © B. Rémer

Marionnette Bunraku – © B. Rémer

Le musée national des arts asiatiques-Guimet propose une riche exposition célébrant le théâtre à travers les siècles, les différentes régions d’Asie et les formes scéniques qui leur sont liées – qu’elles soient jouées, dansées, mimées ou animées –.

Ce théâtre céleste, comme le nomme Jean-Claude Carrière qui signe la préface du catalogue, mêle le monde des dieux et des démons avec celui des mortels. Aurélie Samuel, responsable des collections Textiles au Musée, en assure le commissariat. A l’origine, les théâtres d’Asie étaient issus du religieux et les représentations se déroulaient dans les temples, avant de s’affranchir de leur sens rituel et de devenir spectacles à part entière. Tout y est code et symbole, chaque personnage est un archétype qu’on identifie immédiatement par un geste, une couleur, une broderie, un accessoire, un masque ou un maquillage et l’objet est réalisé comme une œuvre d’art, par des mains orfèvres : marionnettes, ombres, kimonos, parures et masques.

La première partie de l’exposition présente Le théâtre épique et son origine, les épopées indiennes. Le Mahabaratha, long poème dont l’écriture a débuté au IVe siècle avant J.C. relate la guerre entre les Kaurava et les Pandava, deux familles ennemies. Texte monté par Peter Brook en 1985, devenu spectacle emblématique de sa compagnie, le metteur en scène définissait le masque comme « un portrait de l’âme, une enveloppe extérieure reflétant à la perfection et avec sensibilité la vie intérieure ». Le Ramayana, second texte épique de référence rédigé vers le IIe siècle avant J.C. conte les aventures de Rama avatar du dieu Vishnu et de son épouse Sita : « La vie s’écoulant sans retour comme un fleuve, chacun doit s’employer à être heureux ; les êtres, dit-on, ont accès au bonheur » énonce Rama. D’imposants costumes et des masques expressifs, des gouaches sur papier et des toiles peintes illustrant le divin et les scènes de bataille – dont celle, exemplaire, du Barattage de la mer de lait – placent le visiteur au coeur du sujet.

Le voyage se poursuit dans l’Etat du Kerala au sud-ouest de l’Inde, berceau des formes dansées et théâtrales les plus anciennes avec le Kutiyattam et le Krishnanattam aux maquillages et costumes sophistiqués, aux coiffes taillées dans le bois ; avec le Kathakali et son langage des gestes – les mudras et la mobilité extrême des yeux – qui met en avant des costumes chargés aux textiles superposés, chatoyants et parsemés de miroirs.

Le théâtre épique traduit dans les langues vernaculaires des pays s’étant développé dans toute l’Asie du Sud-Est et métissé avec les formes locales, le visiteur emprunte les routes de Thaïlande, du Cambodge et d’Indonésie : Le Khon de Thaïlande, théâtre de plein air joué à la cour où seuls les acteurs interprétant les animaux et les démons portent des masques, contrairement aux personnages humains ou divins ; le Khol du Cambodge, sorte de pantomime accompagnée par un orchestre de cour ; le Wayang d’Indonésie et ses différentes déclinaisons à Bali et Java. Masques de bois peint et doré ou avec polychromies, papiers peints, coiffes de danseurs, vêtements de coton teint et estampé de feuilles d’or, figurines de bronze sont ici présentés, dans toute la richesse des régions et de ces théâtres de l’ailleurs.

Autre forme majeure de l’art dramatique en Asie, chambre d’écho des grandes épopées venant de l’Inde, le Théâtre d’ombres que chaque pays s’approprie en développant ses techniques propres. « Le théâtre d‘ombres parvint en Europe au XVIIème siècle, grâce aux informations fournies par des jésuites séjournant en Chine, d’où le nom d’ombres chinoises » raconte Sylvie Pimpaneau, responsable de la collection Kwok on de la Fondation Oriente et co-commissaire de l’exposition, mais son origine reste incertaine et soumise à différentes thèses contradictoires : « Il est en effet très probable, bien qu’impossible à prouver, que le théâtre d’ombres ait une origine indienne et qu’il se soit diffusé en Asie du Sud-Est avec l’hindouisme et en Chine avec le bouddhisme. » Venant de Chine, du Cambodge, de l’Inde, de Thaïlande ou d’Indonésie, ces savantes figurines d’ombre sont exposées dans une pièce aux parois translucides joliment scénographiée par Loretta Gaïtis, architecte scénographe : cuirs découpés, peaux de buffles, d’ânes, de chèvres ou de daims ajourées, peintes ou non, dorées ou en couleurs, articulées ou non. Le Wayang Kulit d’Indonésie classé patrimoine mondial immatériel de l’Unesco et les marionnettes du Wayang Golek d’Indonésie, en bois peint et doré vêtues de coton imprimé y sont présentées, de même que les figurines d’ombres chinoises du XIXe siècle, venant de Chine. Le maître d’ombres, derrière un écran jadis éclairé par une lampe à huile, est doté de pouvoirs surnaturels. « Les Chinois ont coutume de dire : Au théâtre d’ombres, les chevaux peuvent caracoler sur les nuages, signifiant par là que c’est un genre de théâtre où tout est possible » rapporte Sylvie Pimpaneau.

Cette première partie d’exposition montre aussi comment les auteurs et dessinateurs de bande dessinée, ou encore le cinéma indien, s’inspirent des anciennes épopées et relient tradition et modernité ; comment dans les rues, sur les foires et les marchés, les autels portatifs et appareils de projection ambulants – sorte de lanternes magiques – faisaient défiler leurs illustrations comme un livre d’images ; comment, plus tard au Japon, au début du XXe siècle, le Kamishibai dans les mains du conteur-acteur-vendeur de bonbons à vélo qui dépliait un petit castelet en bois sur un meuble à tiroirs, naîtront les mangas. « Après avoir vendu ses friandises le conteur racontait des histoires aux enfants accompagnées de séries d’images – à l’origine peintes, puis imprimées – qu’il fait défiler. »

Le visiteur poursuit ensuite son voyage en Chine et au Japon, dans cet Extrême-Orient où Le théâtre dramatique s’est développé. De Chine, l’exposition présente les premières figurines de terre cuite datant des Han, deux siècles avant J.C. statuettes funéraires retrouvées dans les tombes des dignitaires et souverains qui représentaient des danseurs, acrobates, jongleurs et lutteurs en action ; des marionnettes à fil d’origine religieuse, forme d’expression théâtrale la plus ancienne que chaque province adapte à son environnement ; des têtes de marionnettes à tige datant du XIXe, sculptées dans le bois ; des marionnettes à tige – comme le Serpent Bleu, et des marionnettes à baguettes – issues de la pièce Les généraux de la famille Yang – ; des masques et des coiffes de cérémonie ; des personnages et des scènes de théâtre représentés sur des bols en porcelaine, des parures et costumes aux broderies d’or, œuvres d’art d’un grand raffinement.

C’est ensuite l’Opéra chinois appelé localement théâtre métropolitain et connu dans le monde sous le nom d’Opéra de Pékin qui est présenté. Il se développe au XIXe siècle et mêle théâtre, danse, musique, mime, acrobatie et jonglerie. L’épouse de Mao, Jian Qing, l’interdit pendant la Révolution culturelle et fit détruire la majorité des décors et des costumes. Un grand acteur de l’Opéra de Pékin, Shi Pei Pu (1938-2009) désobéit et sauva de la destruction une collection de costumes. Coiffes, robes et parures, sont montrées ici de manière inédite, entre autre un costume d’armure, une robe de cérémonie de fonctionnaire, la robe d’un étudiant lettré à motifs de chrysanthèmes et de papillons en soie et fils d’or, une robe de cour de général à motif de dragons et une coiffe de cérémonie à plumes de faisan vénéré, une robe de cour à motifs de dragons, une coiffe réservée aux lettrés, grands aristocrates et premier ministre. Du grand art.

Après la Chine, le visiteur traverse le Japon et ses formes théâtrales singulières que sont le Nô, le Bunraku et le Kabuki – issues de formes plus anciennes mêlées aux techniques locales. Là encore la richesse du patrimoine est mise en exergue par une exposition d’estampes, de statuaire de bois polychrome, de kimonos, de masques de Nô et de marionnettes du Bunraku, autant de costumes et accessoires qui se sont sophistiqués au fil du temps. « Empreintes de spiritualité, ces formes s’enracinent dans le culte indigène shintoïste et plus anciennement chamaniste : fêtes populaires et antiques rituels, transes ou danses, célébrés dans les campagnes afin de s’attirer la bienveillance des divinités pour les récoltes et la protection des communautés » écrit Hélène Capodano-Cordonnier, administratrice du musée des Arts Asiatiques à Nice. D’abord joué en plein air dans les palais et les temples, le Nô, aux somptueux kimonos et aux masques de bois laqué ou polychromé comme des sculptures s’affirme au XIVe siècle, grâce à l’auteur, acteur et compositeur Zeami, premier dramaturge japonais, rédacteur de traités fondamentaux sur les arts du spectacle.

Apparait ensuite au XVIIe siècle le Kabuki, créé par la comédienne Izumo no Okuni, art théâtral des plus importants au Japon, composé de chant (ka), danse (bu) et jeux de scène (ki) interprété uniquement par des femmes pendant une trentaine d’années puis confisqué par un décret interdisant la scène aux femmes et donc récupéré par les hommes qui en ont gardé le monopole ; un vaste répertoire et des costumes très codifiés le caractérisent. Les marionnettes du Bunraku au mécanisme complexe sont également présentées dans leurs élégants costumes, leur fonctionnement et manipulation repris sur estampes. Takeshi Kitano dans son film Dolls dont certaines séquences passent en boucle, montrait le Bunraku.

Point d’orgue de l’exposition, une salle dédiée aux kimonos paysages d’Itchiku Kubota, (1917-2003) artiste textile formé à la technique de la teinture dès 14 ans, qui découvre un nouveau procédé. Il réalise des kimonos pour le théâtre nô, véritables œuvres d’art rendant hommage à la nature, particulièrement au Mont Fuji emblème culturel et spirituel du pays. Pour fermer cette exposition intitulée Du Nô à Mata Hari, 2000 ans de Théâtre en Asie, le visiteur est invité à monter à la rotonde de la Bibliothèque où Margaretha Zelle, alias Lady MacLeod a dansé en 1905, invitée par Emile Guimet qui avait transformé le lieu en une sorte de temple hindou, où elle avait subjugué son auditoire. C’est là qu’est née la légende de Mata Hari, là que ce nom fut donné à cette danseuse et aventurière accusée d’espionnage au profit de l’Allemagne et qui sera fusillée en 1917.

D’une grande richesse, les théâtres d’Asie captivent, peut-être parce que, comme le dit Jean-Claude Carrière : « Du tazieh iranien au bunraku japonais, aller au théâtre c’est avant tout pénétrer dans un autre monde. » L’exposition en est la chambre d’écho.

brigitte rémer

Commissariat général : Sophie Makariou, présidente du Musée National des Arts Asiatiques-Guimet – Commissariat : Aurélie Samuel, responsable des collections Textiles au Musée – Kévin Kennel, assistant au commissaire – Sylvie Pimpaneau, conservateur, collection Kwok-on, Fondation Oriente – Scénographie : Loretta Gaïtis.

Du 15 avril au 31 août 2015, au Musée National des Arts Asiatiques Guimet. Le catalogue est coédité avec les éditions Artlys, sous la direction d’Aurélie Samuel. Préface de Jean-Claude Carrière. Films et spectacles à l’auditorium du Musée, programme sur le site : www.guimet.fr. Cette exposition est rendue possible grâce à des prêts importants accordés par la Fondation Oriente de Lisbonne, la collection Kubota de Kawaguchiko, le musée du Quai Branly et des collectionneurs privés. Elle bénéficie du soutien de la Fondation Franco-Japonaise Sasakawa.

 

 

Musique et Théâtre

Logo CIRRASUne Journée d’étude organisée par le CIRRAS – Centre International de Réflexion et de Recherche sur les Arts du Spectacle – se tiendra le Lundi 18 mai, à la Cartoucherie de Vincennes.

Cette journée se déroulera au Théâtre du Soleil avec, comme invité d’honneur, Jean-Jacques Lemêtre musicien emblématique de presque toutes les musiques des spectacles montés par Ariane Mnouchkine depuis 1979. A Jean-Michel Damian qui lui demandait, lors de l’émission Les Imaginaires : « Comment composez-vous votre musique ? » Jean-Jacques Lemêtre répondait, comme une boutade : « J’arrive le premier jour à neuf heures le matin ».

Au Théâtre du Soleil et sur la scène contemporaine occidentale s’inventent des relations de  dialogue entre la musique et le théâtre. Cette journée interrogera les pratiques scéniques du Théâtre du Soleil et de certaine formes occidentales, mais également asiatiques et caribéennes, autant de scènes contemporaines qui mettent en jeu théâtre et musique, dans leur complémentarité ou leur affrontement dynamique. Ces interactions seront envisagées sous l’angle du travail spécifique au musicien, au chorégraphe, au metteur en scène et à l’acteur-interprète, selon le programme suivant :

La musique de Jean-Jacques Lemêtre au Théâtre du Soleil – Entretiens de Jean-Marc Quillet, directeur-adjoint du Conservatoire à Rayonnement Régional d’Amiens, avec Jean-Jacques Lemêtre.

Les danses des Atrides et la musique de Jean-Jacques Lemêtre – Entretiens de Nadejda Loujine, chorégraphe, spécialiste de danses traditionnelles et de danses de caractère, avec Jean-Jacques Lemêtre.

Mettre en scène le texte musical du théâtre grec, intervention de Philippe Brunet, professeur à l’Université de Rouen, directeur de la compagnie Démodocos.

Récital : théâtre, danse et musique en grec ancien, par Philippe Brunet et Fantine Cavé-Radet, chanteuse et chorégraphe.

Antiquité en musique : Gounod, Massenet, Saint-Saëns, intervention de Vincent Giroud, professeur de littérature comparée et de littérature anglaise à l’université de Franche-Comté.

Kunju et Kunqu sont dans un bateau, Musique de scène, musique pour la scène, musique en scène, musique hors-scène, intervention de François Picard, professeur d’ethnomusicologie à l’université Paris-Sorbonne, musicien, directeur artistique.

Himmēļa : l’orchestre du Yakșagāna, intervention d’Anitha Savithri Herr, chargée de cours à l’Université d’Evry Val d’Essonne, pour l’enseignement de l’ethnomusicologie et de l’ethnoscénologie

Le rituel vaudou haïtien, ressourcement de l’art dramatique et quête d’un théâtre engagé   Entretien de Nancy Delhalle, professeur d’histoire et d’analyse du théâtre à l’Université de Liège, avec Pietro Varrasso, metteur en scène et pédagogue à l’École Supérieure d’Acteurs du Conservatoire de Liège.

Journée d’étude, le 18 mai 2015, de 10h à 17h. Foyer du Théâtre du Soleil, Cartoucherie de Vincennes, Route Champ de manœuvre. 75012 – Métro : Château de Vincennes, puis autobus 112 – Contact : 06 13 59 37 80 – Site CIRRAS (en construction) : www.cirras-net.org

Les enfants des cyclones

Logo_SoupirailPremier roman de l’auteur haïtien Ronald C. Paul publié en France, aux éditions Le Soupirail.

Cette jeune maison d’édition créée en février 2014 et dédiée à la littérature française et étrangère, vient de publier un premier roman, Les enfants des cyclones, dont l’écriture est prometteuse. Il a été décerné à son auteur, Ronald c. Paul, le 3e Prix ADELF-AMOPA – Association des écrivains de langue française – de la première oeuvre littéraire francophone, le 24 mars 2015, à l’Organisation Intergouvernementale de la Francophonie (OIF).

Jacques Chevrier, président et Marie-Neige Berthet, secrétaire générale, dans leur discours de remise du Prix, ont fait l’éloge de l’ouvrage : « Le grand mérite du livre est d’évoquer la violence quotidienne avec colère et pudeur. Les émeutes, les tontons macoutes, les trafics (…) toutes les déambulations misérables sont énoncées sans pathos ».

L’écrivain haïtien, Gary Victor, résume le roman en quatrième de couverture, son ambiance, ses drames : « Dans le balancier des cyclones caraïbes, Ronald c. Paul raconte, avec un sens impressionnant des détails, la vie de deux jeunes enfants en Haïti dans un moment bien particulier de notre histoire où tous les rêves d’une génération vont faire naufrage, comme emportés par les eaux des grandes intempéries. La force de ce récit c’est d’avoir mis en parallèle deux vies, celles de Willio et de Willia, un frère et une sœur que rien n’aurait dû séparer et, qui, dans leur véhément désir de se rencontrer, malgré les aléas de la vie, sont mus par l’appel profond du sang, peut-être capable de mettre à la raison les lois de la physique. L’écriture de Ronald c. Paul nous restitue à la fois la singularité d’une ville chaotique, Port-au-Prince, et l’agitation démentielle des personnages possédés par les démons de la survie. Voici un très beau roman qui démontre encore une fois la vitalité de la littérature haïtienne ».

Né à Port-au-Prince en 1957, Ronald c. Paul est d’abord un passionné de lecture et s’exerce à l’écriture depuis toujours. À partir du début des années 90, il se consacre au développement du livre et de la lecture en Haïti. Parallèlement, son intérêt pour la peinture et le cinéma l’amène à concevoir et à réaliser le film Zenglen rèv atis pent nan Nò yo, musée d’art virtuel de la peinture contemporaine du Nord du pays, ainsi que l’histoire iconographique des hauts et des bas d’Haïti. Occasionnellement, il publie aussi des articles sur des sujets divers, dans des journaux et revues. Après plusieurs séjours à l’étranger, notamment à Bruxelles, Paris et Barcelone, il s’installe définitivement en Haïti où il poursuit son travail d’écriture.

Les enfants des cyclones a été présenté pour différents Prix dont Les Ethiophiles, le Prix Senghor, le Prix des Cinq continents, et le Prix du Premier roman à Laval. Pour son éditrice, Emmanuelle Moysan : « C’est un verbe qui claque, une langue qui ondule, emporte tout sur son passage, l’oralité, la créolité, la noirceur, la poésie, le merveilleux dans une multitude de détails pour peindre une terre, un peuple, et insuffler une narration vivante, un rythme haletant des dialogues, et le pouls, le doux chant d’un conte qui réinvente l’Histoire ». Emmanuelle Moysan est un coureur de fond qui peut être fière de cette première année de vie des éditions Le Soupirail qu’elle a créées à mains nues, avec passion, et forte de son expérience et de sa connaissance de la littérature et du milieu éditorial. Chez elle, l’objet-livre est en soi raffiné, comme le concept.

« Le Soupirail : œil-esprit dérobé et offert, rencontre entre souffle, lumière et regard. Il est mouvance, vision, entre intérieur et extérieur. Il met en valeur l’écart qu’offre l’écriture littéraire contemporaine face au monde. Cette respiration… » Ainsi définit-elle sa maison.

 brigitte rémer

Editions Le Soupirail. Littérature française et étrangère. Contact : editionslesoupirail@gmail.com – Site : www. editionslesoupirail.com

Les Frontières : appel à communications

Sans titreLe Cercle des Chercheurs sur le Moyen-Orient – CCMO – lance un Appel à communications. Après la Journée d’étude sur Les Villes organisée en octobre dernier et qui a attiré un large public, le CCMO prépare un colloque sur Les Frontières, qui se tiendra fin septembre à l’Hôtel de Ville de Paris.

L’actualité du Moyen-Orient soulève de façon récurrente des problèmes et enjeux inhérents aux questions de frontières. Souverainetés, pouvoirs, gouvernance, migrations, mouvements jihadistes, conflits, autant de concepts et de thèmes que le fait frontalier concerne.

Afin d’ouvrir le débat sur l’impact des frontières autant que leurs usages à divers niveaux de l’espace social, le CCMO proposer d’aborder cette problématique frontière à travers les axes suivants :

Frontières et conflit : ce premier axe concerne prioritairement les conflits ayant pour enjeu ou localisation des régions frontalières. Guérillas, armées ou mouvements identitaires, tous posent la question des usages politiques et militaires de l’espace frontalier dans toutes ses acceptions.

Frontières et ressources : cet axe ouvre sur les questions, conflits et organisations des ressources stratégiques que sont l’eau, le pétrole ou le gaz. Les espaces concernés englobent aussi bien les zones terrestres que maritimes, où l’enjeu de la captation économique sert des intérêts aussi variés que les acteurs qui s’y livrent concurrence.

Frontières et pouvoirs : il s’agit ici d’analyser les politiques frontalières des Etats, tant au plan des dispositifs sécuritaires à la frontière, leur évolution et les discours qui les accompagnent que d’observer les effets de toute catégorisation sur les mouvements sur les populations migrantes. A la jonction de ces deux volets, les dispositifs inhérents à la frontière pixellisée – ou frontière-réseau – semblent un angle d’observation fécond depuis l’accroissement des dispositifs technologiques de contrôle existant tant en amont qu’en aval de la ligne frontalière.

Acteurs et biens aux frontières : cet axe d’étude concerne prioritairement les expériences du passage de la frontière par diverses catégories d’acteurs, de migrants et de biens. Cet angle d’observation interroge les statuts, les effets de seuil autant que les conditions permettant ou freinant la circulation à la frontière. Il pourrait de ce fait inclure également les pratiques clandestines et ce depuis une pluralité de point de vue.

Frontières et identités : ce dernier axe a pour principal enjeu de cerner les différentes modalités de l’usage de l’espace frontalier, sa réappropriation, son réinvestissement par différentes catégories d’acteurs. Qu’il s’agisse de groupes marginalisés, d’acteurs politiques ou de praticiens des arts plastiques, tous ont en commun de transformer le sens de la frontière, d’en faire un borderscape.

Les propositions de communications sont à adresser avant le 6 juin 2015 à : christelle.capelle.ccmo@gmail.com une page maximum -. Informations complémentaires sur le site du CCMO – https://cerclechercheursmoyenorient.wordpress.com/