Archives mensuelles : avril 2015

La maison des chiens

© DR-Théâtre Dakh

© DR-Théâtre Dakh

Adaptation et mise en scène Vlad Troitskyi / Théâtre Dakh, en langue originale ukrainienne, traduction par casque – 10ème édition Le Standard Idéal / MC93 Bobigny.

L’installation du public se fait de manière bruyante et incertaine en montant l’escalier d’une structure d’acier, jusqu’à l’étage où il prend place dans le cercle des chaises. Dans la pénombre, le sol fait de grillage se dérobe et le spectateur fait corps avec la scénographie, surplombant l’aire de jeu qui le propulse dans un univers carcéral où lui aussi, est enfermé. En dessous, recroquevillés comme des oiseaux de nuit aux aguets, les prisonniers vaquent, dans leurs bleus de chauffe.

Nous sommes dans un lieu de non-droit, un camp de concentration poulailler où les prisonniers avancent voûtés, image en soi de soumission, ils ne peuvent tenir debout dans leur cachot bas de plafond. Des lampes tempête suspendues donnent une lumière blafarde ainsi que le faisceau de lampes de poche, pointé droit dans les yeux. Le spectateur est pris en otage et à témoin des violences endurées sous la baguette d’un capo chef plus animal qu’humain qui ne s’exprime que par aboiements et onomatopées, et qui charge son bouffon-maton de l’exécution des basses besognes. Toute ressemblance avec des personnes ayant existé…

Monde de seaux d’eau et de serpillères, de cuvettes et de promiscuité. Lieu de déshumanisation, de coups et de viols, de déchéance. Au centre, un mitard où l’un d’eux est bouclé, qui ne peut pas même s’allonger. Royaume de la peur où le tempo est donné par des coups assénés sur la structure d’acier qui ébranlent aussi le spectateur. Au troisième top et en quelques secondes on tend sa gamelle, on mange, on rend l’assiette, on se lave – visage et cerveau -. C’est l’enfer du goulag et d’une petite Sibérie où l’on se demande pourquoi et comment on survit, où les prisonniers n’ont d’autre choix que la soumission à cette autorité diabolique.

La scène est d’une extrême violence, sans distance, le spectateur voudrait demander grâce aussi. Monde de l’inquisition, du fascisme, de la manipulation, de l’anéantissement où les gestes deviennent réflexes, obsessions, récurrences. Jusqu’à ce que les matons montent à l’étage et, aux pieds des spectateurs, jettent des planches de bois pour emmurer les prisonniers.

Entracte, descente obligatoire des spectateurs. La seconde partie doit inverser les lieux, mais la question se pose de rester, pour supporter le même traitement. Finalement le spectateur prend la place des prisonniers et les acteurs montent au premier. Changement radical de ton avec cette partie, vocale et musicale, qui se situe à l’opposé de la précédente. Nous sommes au pays des morts, les acteurs – actrices – sont devenus des ombres hiératiques et de blanc vêtu. Contrebasse et violon en action soutiennent un magnifique travail de polyphonies, psalmodies et lectures de textes tirés d’Œdipe Roi – traduits par Ivan Franko – qui parlent de péché, de repentir et de rédemption. Nous sommes dans la tragédie grecque et le sacré, tout est parfaitement maitrisé.

La question se pose du lien entre les deux parties, cette violence extrême, suivie d’apaisement et de beauté, fait qu’on a du mal à croire en la seconde partie. Cela pose aussi la question des limites au théâtre, au même titre qu’un journaliste ou une chaine de télévision décident de ne pas diffuser d’images portant atteintes à l’intégrité de la personne. Jusqu’où illustrer la violence ?

Vlad Troitskyi est spécialiste de l’image mais aussi des effets, et des excès. Il avait présenté au Monfort il y a deux ans un Roi Lear tout aussi spectaculaire et tout aussi contrasté. Le metteur en scène a créé en 1994 le Centre Dakh pour les Arts contemporains de Kiev qui associe les traditions d’un théâtre réaliste et l’expérimentation vers un nouveau champ théâtral, puis en 2000 une école d’acteurs. A Kiev, il dispose d’une salle d’une soixantaine de places où il crée ses spectacles, à la recherche dit-il, de tolérance et d’ouverture. Le travail musical métissé qu’il conduit avec sa troupe, où se mêlent musiques traditionnelles ukrainiennes et musiques d’aujourd’hui est d’une grande sensibilité et se situe à l’opposé de la violence radicale qu’il inflige au public, quel paradoxe !

brigitte rémer

Adaptation et mise en scène Vlad Troitskyi – Scénographie Vlad Troitskyi et Dmytro Kostyumynskyi – Musique Vladyslav Troitskyi, Roman Iasynovskyi et Solomiia Melnyk – Avec Yevhen Bal’, Vasyl’ Bilous, Natalka Bida, Maksym Demskyi, Tatyana Havrylyuk, Roman Iasynovskyi, Ruslana Khazipova, Vira Klimkovetska, Solomiia Melnyk, Semen Mozgovyi, Andrii Palatnyi, Nikita Skomorokhov, Tetyana Vasylenko, Vyshnya, Zo.

Vu au Monfort Théâtre le 11 avril 2015, dans le cadre de la 10ème édition Le Standard Idéal / MC93 Bobigny – www.MC93.com

 

 

 

 

 

De l’énergie du danseur au geste du sculpteur

Doc. expo« Robert Renard est un peintre discret : on parle peu de lui, il se laisse volontiers oublier pour poursuivre un patient travail à l’opposé des modes du moment… Sa peinture et sa démarche sont placées sous le signe de l’énergie, une énergie qui se laisse capter dans le mouvement et qui se livre au creux de l’émotion… » dit Lucien Wasselin, critique d’art, évoquant le plasticien.

Robert Renard parle de son parcours et des chocs esthétiques qui l’ont conduits à devenir dessinateur, peintre et sculpteur : « Je décide à l’âge de 15 ans d’être peintre, bouleversé par les vitraux de Georges Rouault. Après quelques détours par le théâtre, j’entre aux Beaux-Arts de Paris comme élève libre, avant de devenir tailleur de pierre. Un métier que j’exerce pendant vingt ans. Au cours de cette période, comme Turner que j’admire, je me promène longuement dans les paysages avec ma boîte d’aquarelles.

En 1988, je fais une rencontre décisive. À Montpellier, le chorégraphe Dominique Bagouet m’invite à capter par des croquis le langage de la danse. C’est alors que la spontanéité de mon trait de pinceau aguerrie à capter les énergies de la nature rencontre celles du corps dansant. À l’encre de chine, je dessine le geste du danseur dans l’instant, créant ainsi un singulier langage graphique. Je côtoie par la suite de nombreux et remarquables chorégraphes contemporains à travers l’Europe, et dessine des milliers de pages de croquis qui constituent une véritable mémoire de la danse. Un mode de saisie dans l’urgence que je décline par ailleurs en peinture, dans le silence de l’atelier. À l’huile, l’acrylique, la résine, le pigment, le charbon, je cristallise au travers de centaines d’œuvres une relation au corps dansant que je ne cesse d’approfondir sur une diversité de supports sans cesse renouvelés… « Dessiner la danse, c’est faire de l’archéologie dans une matière qui n’appartient pas au passé mais qui m’apparaît comme le monde du futur. Le geste du danseur me parle d’une trace et d’un devenir. Le signe graphique, le produit de ma main animée par l’énergie n’est pas pensé, il est la manifestation de l’étincelle qui jaillit.»

… Après avoir longuement nourri ma peinture avec le langage de la danse, j’ai commencé en 2010 une nouvelle série intitulée Charbon, constituée de plus de quatre-vingts œuvres sur papier marouflé sur Dibon, se poursuit… Avec le plat d’une truelle de maçon, je matière tout d’abord mon support avec de la résine acrylique qui devient invisible au séchage. Dans un deuxième temps, le passage du charbon de bois agit sur elle comme un révélateur; d’une lutte entre le noir et le blanc émergent comme des empreintes fossiles, figures minérales, souvent humaines. Ces figures viennent à moi dans la pénombre…C’est au milieu des ténèbres, entre réminiscences et visions fantasmagoriques, que je recherche l’essence du geste… » Et Lucien Wasselin poursuit : « Robert Renard préfère le geste traditionnel tout en innovant. Il peint non seulement sur des toiles montées sur châssis, mais sur du drap, du tissu non tendu, il utilise non seulement des pigments traditionnels mais aussi des encres, de l’argile, du brou de noix, de la terre du Roussillon.»

Au cours de nombreuses résidences de création, son travail est exposé entre autres à Lille, Avignon, Munich, Berlin, Alexandrie, et Paris à trois reprises – dont au Grand Palais. Depuis 2006, il vit et travaille en Provence, dans une proximité retrouvée avec la nature où il sculpte la pierre, le bois, le métal et l’argile. Lucien Wasselin y ajoute « le bronze, le fer martelé et le cristal » et retient « le côté sauvage de la démarche, l’abandon des codes de la statuaire classique pour récupérer des bois flottés, des souches brutes, des troncs qu’il retravaille. »

Il présente les différentes étapes de son travail aux techniques multiformes, à la Chapelle du Grand Couvent de Cavaillon.

brigitte rémer

Exposition Robert Renard : croquis, peintures, sculptures – Chapelle du Grand Couvent, Grand-Rue, Cavaillon – jusqu’au 2 mai 2015 – site : www.robertrenard.com  – http://www.robertrenardcroquis.com – http://photobox.fr/1xD82D0B/creation/1195672415?cid=mservsharcre (livre).

Tadeusz Kantor, un artiste du XXIe siècle

©Caroline Rose

©Caroline Rose

Hommage rendu à Tadeusz Kantor le 13 avril 2015 à l’Odéon-Théâtre de l’Europe, pour le centenaire de sa naissance.

Peintre, homme de théâtre, théoricien et poète des plus singuliers venant de Pologne, Tadeusz Kantor a habité les galeries et les scènes de théâtre partout dans le monde, pendant une trentaine d’années. Son identité juive et polonaise fut la clé de son imaginaire et la matière vive d’une œuvre qu’il pétrissait longuement dans l’espace scénique en noir et blanc où il était omniprésent ; ou avec l’encre sur papier et la couleur sur toiles, déclinant sous toutes ses formes le sens des mots mémoire et mort : « La nuit lorsque je travaille, les inventions, les idées, arrivent brusquement, en même temps. Je ne sais qu’en faire… Je ne suis capable de renoncer à aucune d’entre elles au profit d’une autre »…

L’homme était un guerrier, toujours prêt à en découdre du côté de l’art, pour lui plus important que la vie. Kantor était né le 6 avril 1915 à Wielopole Skrzynskie, bourgade perdue des Basses-Carpathes et s’est éclipsé après une répétition de son dernier spectacle Aujourd’hui c’est mon anniversaire, le 8 décembre 1990. Il a traversé des pans de l’histoire des plus douloureux, son œuvre en est marquée.

En 1942, dans Cracovie occupée, il rassemble des artistes et crée un théâtre clandestin, première étape d’une démarche, personnelle et collective : « Le milieu se composait de peintre. Âgés de 17 à 25 ans. Les uns avaient commencé à étudier la peinture avant la guerre, d’autres se sont retrouvés dans une école de peinture improvisée, tolérée par les Allemands, dans l’Ancien bâtiment de l’Académie. Tout le monde considérait que ce n’était pas à l’Académie qu’on apprenait à peindre. On choisissait ostensiblement d’être autodidacte. On se retrouvait, comme cela arrive d’habitude, par intuition. On avait en commun une aversion envers tout ce qui, dans l’art, était d’avant-guerre, un fort instinct de révolte et de négation. » Après la guerre, il continue à défier la liberté d’expression, aux semelles de plomb : « Au dernier Congrès j’ai refusé avec quelques autres artistes de prendre part à un art dicté. J’ai cessé d’exposer. C’est alors qu’a commencé le travail à la maison. »

La Fondation du Teatr Cricot 2, en 1955 – son nom étant l’anagramme de To Cyrk/ce cirque – confirme le travail mené avec le groupe : « Auprès de l’Union des artistes plasticiens de Cracovie s’est créée une troupe de théâtre qui se compose d’acteurs professionnels et non professionnels, de plasticiens, d’architectes et de musiciens »… (cf. Lettre au ministère de la Culture et des Arts). C’est « l’acte de métamorphose de l’acteur » qui l’intéresse et, dans la première partie de ses recherches, l’univers de S.I. Witkiewicz, – dit Witkacy – peintre lui aussi, romancier, dramaturge et pamphlétaire, auteur de la théorie esthétique de la Forme Pure qui a appartenu au premier groupe polonais avant-gardiste, Le Formisme.

Kantor se glisse très naturellement dans toutes les nuances de l’Art informel « deuxième courant qui, après le constructivisme des années 20, a influé de manière décisive sur l’art du XXème siècle » et celui de la performance : les emballages et « leurs possibilités métaphysiques », les happenings et cricotages avec leur ligne de partage et un happening panoramique de la mer ; le manifeste du Théâtre Zéro et sa notion d’effacement ; le Théâtre des événements qu’il développe dans La Poule d’Eau de Witkacy où acteurs et spectateurs se mêlent, spectacle présenté pour la première fois en France en 1971 au Festival mondial du théâtre de Nancy ; le Théâtre Impossible avec Les Mignons et les Guenons de Witkacy toujours, en 1973. Suivent d’autres travaux, plus personnels, entre autres La classe morte en 1975, Où sont les neiges d’antan en 1979, Wielopole Wielopole en 1980, Qu’ils crèvent, les artistes en 1985, Je ne reviendrai jamais en 1988, Ô douce nuit – les classes d’Avignon – en 1990.

On pourrait égrener les chemins de traverse et techniques non académiques qu’il a cherchés, son sens contestataire et subversif aigu, le rire dadaïste et l’ironie, son regard acerbe sur le monde, mais aussi ses thèmes : l’enfance, la classe, la mort omniprésente, la famille, la guerre et le cataclysme, son village de Pologne Wielopole, utilisant toutes les inventions possibles pour traduire visuellement ces mondes naufragés : machines infernales, portes truquées donnant sur le vide, chambre noire crachant des cartouches de kalachnikov, armoires improbables, fenêtres donnant sur des figures  singulières.

Parfaitement francophone, Tadeusz Kantor aimait venir en France, il y était un peu chez lui. Il a bousculé l’espace théâtral et semé l’inquiétude, dans le fond comme dans la forme. Son repaire à Cracovie, la Galerie Krzystofory où il travaillait, était le cœur de sa mémoire obsessionnelle, ma création, mon voyage. Le Théâtre de la mort et la référence à Gordon Craig, avec une évidente parenté entre ses mannequins et la théorie de la sur-marionnette portée par le metteur en scène et scénographe anglais, étaient la référence théâtrale.

La soirée d’hommage, ouverte par Luc Bondy directeur de l’Odéon-Théâtre de l’Europe, conduite par Jean-Pierre Thibaudat et préparée avec Michèle Kokosowski – anciennement directrice de l’Académie Expérimentale des Théâtres, qui avait organisé en 1989 en la présence de l’artiste, un symposium intitulé Kantor, l’artiste à la fin du XXe siècle -, la parole sensible de sa traductrice, Marie-Thérèse Vido-Rzewuska, ont précédé la lecture de textes joliment faite par Marcel Bozonnet, Ariel Garcia Valdès et Micha Lescot, en écho à la voix de Kantor sortie des archives sonores de l’Ina. Les extraits des classes d’Avignon, qu’il a données à la Chapelle des Pénitents Blancs en 1990 peu de temps avant sa disparition, et filmées par Laurent Champonnois – Ô douce nuit – ont été projetés, montrant les yeux vifs et malins du Maître et son ironie, ses mains en action comme des papillons, le rire qui s’affiche quand il va trop loin. Il capte, scrute, surveille, commente, explose : c’est Kantor.

La Classe morte, film réalisé par Nat Lilenstein en 1989 à partir du spectacle qu’il a monté, en 1975, mettant en scène les morts et leurs doubles en mannequins, frêles enfants revenant occuper les bancs de l’école, constituait la seconde partie de la soirée, avec la même force toujours et la même émotion. La publications de deux ouvrages – aux Solitaires intempestifs – accompagnait aussi la soirée : Ma Pauvre Chambre de l’Imagination-Kantor par lui-même, suivi du premier volume de ses Ecrits.

 « Une chose est certaine : l’acte de peindre, de dessiner est pour moi une nécessité tout comme l’est la vie. Mais dans cet acte dominent l’intuition, le subconscient, l’instinct, la force vitale, les forces infernales obscures, la passion, un certain désir de détruire, la sensation de la mort… Tout ce que contient un seul mot l’imagination est pour moi quasiment la réalité. Je rencontrais Ulysse – du temps de la guerre – dans la cage d’escalier… Parfois même j’avais l’impression que face à l’intensité de cette présence palpable la réalisation n’en serait qu’un faible reflet. Tout cela était du domaine du rêve. Lorsque j’ai commencé à l’écrire, tout était conscient ».

Ainsi vit Kantor et ses éternités, le tumulte de sa pensée hante nos mémoires.

 brigitte rémer

Tadeusz Kantor, un artiste du XXIème siècle – Odéon-Théâtre de l’Europe, en partenariat avec la Cricoteka/Centre de documentation de l’Art de Tadeusz Kantor, les Solitaires intempestifs, l’Institut Mémoires de l’édition contemporaine/IMEC, la Société Historique et Littéraire Polonaise/Bibliothèque polonaise de Paris, l’Institut polonais de Paris, France Culture.

Publication : Ma Pauvre Chambre de l’Imagination-Kantor par lui-même (février 2015) et Ecrits I – Du théâtre clandestin au Théâtre de la Mort (avril 2015) – Ecrits II. De Wielopole Wielopole à la dernière répétition est attendu en juillet 2015, édit. Les Solitaires intempestifs.

Les origines de Wielopole, Wielopole les origines, exposition à la Bibliothèque polonaise de Paris, jusqu’au 23 avril ; du 7 au 16 mai au Festival Passages de Metz ; du 27 mai au 6 juin, à la Filature de Mulhouse : du 4 au 25 juillet, à l’Hôtel La Mirande, dans le cadre du Festival d’Avignon.

Je suis le peuple

© prod.Hautlesmains

© prod.Hautlesmains

Film documentaire d’Anna Roussillon présenté dans le cadre du 10ème Panorama des cinémas du Maghreb et du Moyen-Orient

Ce film est né de la rencontre de la réalisatrice avec Farag – un Saïdi de la vallée de Louxor – sa famille et ses voisins, avant la révolution égyptienne de janvier 2011. Le tournage avait débuté pour témoigner de la vie rurale du sud de l’Egypte loin des circuits touristiques et du patrimoine, pour parler de la terre, de la philosophie et du mode de vie paysan. Il s’est ensuite modifié, au fil des événements politiques qui ont suivi la chute du Président Moubarak le 11 février, événements suivis et retranscrits, avec la distance, géographique et d’interprétation, voulue par Anna Roussillon.

Deux livres des jours se tissent en filigrane, et parfois s’entrechoquent : celui de la vie paysanne au rythme des cultures et de l’irrigation, du four à bois et du pain pétri par les femmes, à travers la famille de Farag devenue archétype ; celui de la vie politique en temps réel dans sa chronologie, d’espoirs en manifestations, de commentaires en évolution des consciences politiques, de suspension de la Constitution sur fond de morts et autant de blessés, à l’élaboration d’une nouvelle version. Le raccord entre ces deux mondes se fait par la télévision quand elle veut bien marcher, entre deux pannes d’électricité ou des images brouillées.

Sur la Place Tahrir du Caire, les mouvements anti-gouvernementaux et les graffitis d’expression libre font face au rythme paysan du Saïdi : l’âne et le maïs, la pénurie de bouteilles de gaz, l’absence d’essence et de gazole, la manette télé que les enfants s’arrachent. « Nasser, Sadate, Moubarak étaient bien des militaires… » L’écran déroule l’histoire politique du pays et la caméra tourne, de mars 2011 à l’été 2013. Au Caire, l’incandescence est à son comble et nombre de jeunes y laissent la vie : première élection dite libre, qui place le frère musulman Morsi sur le devant de la scène dans la liesse, puis quelque temps plus tard le déboute de ses fonctions, avec la même ardeur ; discours controversés des fondamentalistes et violences de tous bords, dans les rues ; procès Moubarak ; arrivée d’al-Sissi comme Président : « …Tout le monde va voter. Avant, le résultat était toujours le même, Moubarak tenait le pays d’une main de fer, maintenant le vent de la liberté a soufflé » dit Farag plein d’espérance, avant le constat : « Retour aux mêmes… » La télé donne le mode d’emploi des urnes, on se pomponne pour aller voter : « Dieu est beau et il aime la beauté ». Dépouillement, discours politique… « Dans les terres, le peuple veut le changement de régime. Dieu rétablira les choses ». Au printemps 2012, le coût de la vie a quasiment doublé, Farag fait l’acquisition d’une machine à concasser le blé et travaille beaucoup, « ça donne un peu d’argent tous les jours »…

La démarche de la réalisatrice, de type sociologique, la place des deux côtés de la caméra : au-delà de la conception du parcours filmique, elle est celle qui lance les questions, en empathie avec ses interlocuteurs – famille et voisins de Farag – et se trouve face à la caméra, créant un espace de dialogue avec eux, s’inscrivant dans leur environnement, étrangère et familière. On l’apostrophe comme on apostrophe sa voisine et on la raille, gentiment. Elle, les interroge sur la révolution et ses suites, eux qui semblent éloignés du champ politique ; elle observe leur façon de construire leur compréhension des événements, pour la restituer au spectateur. La discussion se fait en travaillant, car la terre n’attend pas, ce qui donne de belles images : l’immensité d’un champ, les rigoles de l’irrigation, les temps de pause et de repos, la cuisson du pain, le ciel immense.

Dans ce double espace du travail et de la conversation, le duo/duel sur la question de la démocratie entre Farag et la réalisatrice, qui mène à l’emportement de Farag, est plein d’humour. Sur la définition de la démocratie : « T’as pas la même que la mienne ! » dit-il et il se met à piquer, comme une abeille : « Et la démocratie, comment elle se porte chez vous ? »

Je suis le peuple prend le titre d’une chanson et parle de la révolution d’une manière décalée, la réalisatrice le souhaitait, comme elle l’a confirmé au cours du débat qui a suivi la projection : « Je ne voulais pas tourner l’actualité à chaud ». Elle qui a grandi au Caire, qui filme et qui questionne, a su créer la confiance et s’intercaler dans les débats du village avec pertinence, créant ce double mouvement du film, entre le temps rural qui se suspend et le chaos urbain du moment.

Depuis la fin du tournage, Farag a ouvert son moulin et changé de statut social, il travaille sur son implantation locale et son image dans le village. Et le pays essaie d’avancer.

brigitte rémer

10 ème Panorama des cinémas du Maghreb et du Moyen-Orient – Cinéma L’Ecran de Saint-Denis – Conception, réalisation : Anna Roussillon – Montage : Saskia Berthod et Chantal Piquet – Production déléguée : Hautlesmains productions et Narratio Films – Année 2014 – Durée : 1h51 – Langue : arabe – Sous-titrages français et anglais – Première projection à l’Institut français du Caire, le 2 mai 2015.

Je suis le peuple a obtenu le Prix du Meilleur Premier Film et celui du Meilleur Documentaire International, au Jihlava International Documentary Film Festival, ainsi que le Prix Entrevues de Belfort, pour la compétition internationale (2014).

Pitchet Klunchun and myself

©R.B.

©R.B.

Concept Jérôme Bel – de et par Jérôme Bel et Pitchet Klunchun – spectacle en langue anglaise traduction simultanée – work in progress

Deux chaises se font face, deux artistes se questionnent. Jérôme Bel attaque, ordinateur sur les genoux : identité, profession, justification. Pitchet Klunchun, danseur traditionnel thaïlandais, se prête au jeu et répond. Les deux hommes se sont rencontrés au cours d’une résidence que Jérôme Bel effectuait à Bangkok. Pitchet Klunchun s’est formé tout jeune à la danse de masque thaïlandaise traditionnelle, le khon, qu’il essaie de réhabiliter en l’ouvrant sur des formes plus contemporaines, sans en changer les fondements. Jérôme Bel est entré en danse contemporaine par Pina Bausch et Anne Teresa de Keersmaeker. Singulière et atypique, sa démarche est remarquée et les traces audiovisuelles de ses spectacles présentées dans les biennales d’art contemporain et les institutions muséales.

Entre ces deux univers, d’emblée l’écart culturel est grand. C’est sur ce différentiel que repose le concept du spectacle, qui en est encore au stade de l’esquisse. Cela ressemble à un talk-show, à une conférence-démonstration sur un air de compétition ludique, des vocabulaires chorégraphiques. Pour Jérôme Bel qui l’a conçu, c’est « une sorte de documentaire théâtral et chorégraphique sur notre situation réelle. »

Pitchet Klunchun détaille ainsi les différentes étapes d’apprentissage de la danse khon, et son alphabet : le frappé des pieds, la position du corps, l’important travail des mains, le déplacement latéral, le silence et la méditation. Le port de la tête est contraire à celui de la danse classique, port du masque oblige. Et ce masque définit le caractère. Le danseur thaïlandais est représenté par un singe et il en fait la démonstration par une série de mouvements saccadés, très codifiés et une savante mathématique du geste.

De la discussion engagée, la question du sens, du lien entre texte et geste, est posée. Ici, le narrateur est absent, il porte habituellement un texte de nature épique, basé sur le combat. La notion de violence telle que la présente Pitchet Klunchun n’a rien à voir avec la violence occidentale. Parfaitement maitrisée, on ne la décrypte pas. L’expression des doigts seulement l’indique par un claquement, signifiant « Tu n’es rien »… Quant à la représentation de la mort, elle est marquée par l’absence : l’acteur ne revient pas et le public comprend. Le temps de la représentation s’étirant sur une semaine au cours de laquelle le public va et vient, l’acte de la mort peut prendre son temps et le mouvement se décomposer à l’infini.

Puis Jérôme Bel demande à Pitchet Klunchun de lui apprendre quelques mouvements. Il pose ses chaussures et aborde le plateau, mais l’élève est gauche. Son collègue thaï raconte le corps comme une architecture : c’est un temple où l’énergie arrive de l’extérieur, et qui se récupère. Les doigts forment le toit, doigts qu’il faut torturer en exercices d’assouplissement La circulation d’énergie se fait par le cercle, et le danseur montre qu’en occident, nous ne récupérons pas l’énergie, mais que nous la jetons.

Les jeux ensuite s’inversent et c’est au tour de Pitchet Klunchun d’interroger Jérôme Bel : identité, profession, justification. « Mon vrai travail est de penser ce qui peut arriver ici. C’est mon point de départ. Peu importe si c’est danse, musique, image ou théâtre » dit-il. Et il parle de son itinéraire artistique et de sa quête de sens, par la lecture. La société du spectacle de Guy Debord fut une sorte de révélation, un déclencheur. Tous deux parlent du public, puis Bel se lance dans la danse sur une musique de David Bowie des plus fracassantes, qu’il veut partager. Mais c’est de technique que le danseur thaï veut entendre parler… Et Jérôme Bel tire vers une discussion plus philosophique et politique : la recherche d’égalité, l’argent, la communauté du théâtre expérimental et de la danse contemporaine – des artistes à la recherche de nouvelles formes ; des pouvoirs publics qui donnent un peu d’argent et un public qui accepte l’inconnu du spectacle quand il achète une place –

Pitchet Klunchun and myself, ce dialogue chorégraphique entre Jérôme Bel et Pitchet Klunchun, au-delà du ludique est une réflexion sur l’art et sur l’altérité. Il y est question de transmission, de partage des savoir-faire, de confrontation des points de vue, du sens de l’art, en acceptant l’aventure que représente l’autre, au départ si loin, au final si près.

 brigitte rémer

Traductrices : Clotilde Moynot et Denise Lucioni – Assistant : Maxime Kurver  – Régie lumières : David Pasquier – Régie son : Géraldine Dudouet – Régie plateau : David Gondal – Régie générale : Alexis Jimenez.

Vu au Théâtre de la Commune d’Aubervilliers, le 4 avril 2015 – 2, rue Edouard Poisson. Métro : Aubervilliers Pantin Quatre chemins – Site : www.lacommune-aubervilliers.fr Tél. : 01 48 33 16 16

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L’Une et l’Autre // Carnets de route

© Bahia Aidli

© Bahia Aidli

Photographies des ateliers dirigés par Sarah Moon et José Chidlovsky, présentées par l’Association 100 voix ! et la Galerie Fait & Cause

Créée il y a trois ans à l’initiative de l’association Aurore, 100 Voix ! a pour objet l’apprentissage du récit par l’image. L’association accueille des personnes en marge du tissu social, en situation d’exclusion et de précarité, et les accompagne dans un processus de reconstruction et de reconquête de leur identité. Dans ce cadre, et animé par des photographes professionnels, l’atelier des 100 Voix ! fait un bout de route avec elles, en photos et vidéos, et table sur la rencontre, l’échange et la transmission de l’une à l’autre.

C’est le résultat de travaux menés de 2012 à 2014, par des femmes de différents horizons et histoires, rassemblées autour de Sarah Moon et José Chidlovsky, qui est exposé, et publié. Les premières photos avaient fait l’objet d’une exposition présentée le 8 mars 2013, Journée de la femme. Deux ans plus tard à la même date, nouvel hommage aux femmes avec la parution des douze premiers numéros de la collection Carnets de Route, tirés à 500 exemplaires, et l’exposition de leurs auteures à la galerie Fait & Cause. L’édition de ces récits photographiques est superbe, chaque parcours a valeur de témoignage et se raconte en noir et blanc ou en couleurs, avec ou sans mots. La moitié des recettes est transmise à celle qui a réalisé le reportage, la moitié, remise à l’Association.

Des autoportraits, des légendes écrites à la main, des dates, des souvenirs et des bribes de vie ; des géographies, des états d’âme, des contre-jours ; des mots clés jetés sur le papier – chemin, bonheur ou vie –, des cris ; l’expression de goûts, d’intentions, de désirs, de projections ; des regards sur la vie, sur le quotidien, sombres ou plein d’espoir, des émotions, des pensées ; des anecdotes, du rouge et du noir, des traces, des pages élaborées d’autres plus spontanées. Toujours, des vécus singuliers, des mots sur un cahier. « Les chemins de ma vie avec ses succès et ses échecs, comme les échelons d’une échelle que je gravis sans cesse, d’où je chute parfois comme le jour dans la nuit… deux couleurs brodées par ma mère sur mon chemisier… » écrit Marie Rudnitska, l’une d’elles.

Jour de colère, chute, traversée, migration, nuit. L’ombre de l’enfance, le silence, la forêt des loups. Temps suspendu, nuit noire, la route en pluie, la mer, les cerfs-volants. « Je vois un homme qui ne voit rien, je vois du gris », dit une autre. Résistance, sentiment, constat, attente ; ma douleur  pour Bahia Aidli, une femme de solitude au foulard bleu, ou encore Le passage, qui conduit à la lisière d’une épaisse forêt. Il y a de l’enfance, quelque chose de fané, l’abandon. Elles utilisent le langage de la photographie pour soigner leurs blessures et parler de leur façon de vivre le monde. Comme le dit Sarah Moon :

« Il s’agit ici, que ce soit avec l’une ou l’autre, de la nécessité de récupérer une identité jusque là bafouée, de trouver un nouveau langage à travers l’image, un langage qui, en mêlant l’imaginaire et le réel, redessine à leur insu quelques facettes d’elles-mêmes longtemps oubliées. Les Carnets de route sont la concrétisation de cette tentative. Chacune d’entre elles, avec ses mots, son inconscient, son vécu, sa vision, son authenticité, nous dit jour après jour, pas à pas, quelque chose d’elle. La photographie est une petite voix, dit Eugène Smith. La leur force l’écoute. »

brigitte rémer

Les photographies et les Carnets de route sont de : Bahia Aidli Voilà – Lyliie Berry Monday to Monday – Aziza – Pénélope Bertrina Mon histoire en 7 jours – Caroline Chartrou – Florence Courtois – Rachida Essaydi – Magali Faucheux – Stéphanie Foucher – Kasia Grabowska Partout Personne et Je cherche à comprendre – Salha Hamrouni – Huguette Jeanmichel – Sylvana Jegoux – Jocelyne – Blandine Lesur Moi Blandine et Etats d’âme – Lydie- Nana N’Domatezo – Ioan Zlata – Bénédicte Ngobelle – Nelly Royer Chat alors – Marie Rudnitska Mon ombre et moi et Au jour la nuit – Nadège Soumaré – Gabie Trancéa.

Galerie Fait & Cause, 58 rue Quincampoix. 75004. Métro : Châtelet, Rambuteau – Exposition du 10 mars au 25 avril 2015. Dix Carnets de route (38 euros) – 5 euros l’unité. Tél. : 01 42 74 26 36 – Site : www.sophot.com

Hinkemann, de Ernst Toller

© Elisabeth Carecchio

© Elisabeth Carecchio

Traduction de l’allemand Huguette et René Radrizzani, mise en scène de Christine Letailleur, au Théâtre national de la Colline

Né dans l’ancienne Prusse – aujourd’hui la Pologne – dans une famille juive, Ernst Toller (1893-1939) se trouve au coeur de conflits territoriaux et politiques. Il s’engage comme volontaire dans l’armée, au début de la Première Guerre mondiale et combat pendant un an avant de s’effondrer physiquement, et moralement. Il quitte le front pour raison de santé et en revient profondément changé. Devenu fervent défenseur de la Paix, il s’engage auprès de l’extrême gauche marxiste révolutionnaire au sein de la Ligue spartakiste de Rosa Luxembourg, et défend les anarchistes.

Inculpé de haute trahison et condamné à mort, sa peine est commuée à cinq ans de prison, qu’il passe dans la forteresse de Niederschönenfeld. C’est là qu’il écrit Hinkemann, et ses pièces connaissent très vite un réel succès. Il quitte définitivement l’Allemagne en 1933 et s’exile aux Etats-Unis, pour dénoncer les crimes nazis, mais l’Histoire le rattrape : désespéré par le triomphe du nazisme, séparé de sa femme et sans argent, il se suicide en mai 1939, à New-York.

Contemporain d’Erwin Piscator pour qui le théâtre était un outil politique, la première pièce d’Ernst Toller, Transformation, était directement inspirée de ses expériences de guerre tandis que son journal, Une jeunesse en Allemagne, confirmait sa singularité. « Si l’on me demandait de quel côté je suis, je répondrais : une mère allemande m’a mis au monde, l’Allemagne m’a nourri, l’Europe m’a élevé, la terre est mon foyer, le monde ma patrie ».

Hinkemann porte en filigrane la biographie de l’auteur, même si elle fait œuvre de fiction. La fable parle de la tragédie d’un jeune soldat qui revient du front, abimé et détruit, touché dans sa dignité même car émasculé, et témoigne de la cruauté de cette guerre. Toujours amoureux de sa femme, Grete, qui l’est aussi de lui, il cherche à la reconquérir, à travailler et à se ré-insérer dans une vie normale. Il accepte un travail, repoussant et spectaculaire, dans une fête foraine, celui de tuer des rongeurs avec les dents et d’absorber un peu de leur sang, lui qui représente tout le contraire de la cruauté et n’aurait pas fait de mal à un chardonneret, comme le montre le début de la pièce, avec nostalgie et poésie. Mais Grete fait un pas de côté et prend pour amant l’ami d’Hinkemann, le grossier Paul Grosshahn dont elle tombe enceinte. Quand elle décide de faire marche arrière, celui-ci se venge et devient un provocateur qui balance. Hinkemann s’embrase et retourne la violence qu’il reçoit dans un constat très pessimiste sur le monde : « Les hommes sont comme ça. Et ils pourraient être autrement s’ils voulaient. Mais ils ne veulent pas. Ils lapident l’esprit, ils le tournent en dérision et ils souillent la vie, ils la crucifient toujours et toujours à nouveau… On dirait des navigateurs que le Maelström attire à lui et contraint à se fracasser les uns aux autres… »

Dans Hinkemann, l’individuel et le collectif se rejoignent, par l’interaction de la petite et de la grande Histoire sur fond de chômage, de syndicalisme et de luttes du prolétariat, sans compter la montée de l’antisémitisme. Cette tragédie sociale et politique traverse plusieurs courants de pensée, du matérialisme à l’anarchisme et questionne sur le bonheur, impossible. Toller quitte le langage naturaliste et puise dans l’expressionnisme tel que le définit René Radrizzani, co-traducteur de la pièce : « Ce théâtre ne veut plus, tel le naturalisme ou le cinéma, être un décalque de la vie extérieure, une tranche de vie vue du dehors ; mais – changement de perspective total – le lieu où un personnage central exprime, donc tire de son for intérieur, ses plaintes, ses conflits, sa résurrection spirituelle, sa conquête d’un sens, ses visions ».

Christine Letailleur s’empare de cet univers du tragique qui évoque celui de Büchner, ou celui de Von Horváth. Elle s’intéresse depuis longtemps aux auteurs allemands, et a monté deux pièces de Hans Henny Jahnn : Médée, en 2001 et Pasteur Ephraïm Magnus, en 2004, elle a aussi présenté en 2010 Le Château de Wetterstein de Frank Wedekind. Sa lecture met l’accent sur l’intime, par l’histoire du couple que forme Grete et Hinkemann. Pour interpréter Hinkemann, elle a choisi Stanislas Nordey avec qui elle a souvent travaillé – qui a lui-même mis en scène de nombreux auteurs, qui a codirigé le Théâtre Gérard Philipe de Saint-Denis, et qui a assuré la responsabilité pédagogique de l’école du Théâtre national de Bretagne – Le projet s’est même construit pour lui et avec lui. Il est magnifiquement habité, torturé et incandescent, la pièce repose pour partie sur ses épaules. La metteure en scène a aussi choisi Charline Grand qu’elle a déjà dirigée, dans le rôle de Grete. L’actrice a fait ses classes à l’école du TNB, elle a la force et la fragilité du rôle.

La scénographie se compose de panneaux de couleur sombre dans lesquels une grande fenêtre ressemblant à celle d’un bâtiment industriel permet de jouer avec le dedans – l’intérieur de la maison, de la taverne ou l’arrière de la fête foraine – et le dehors, la rue. Le dispositif conçu par Christine Letailleur et réalisé par Emmanuel Clolus est sobre et beau. Les lumières de Stéphane Colin sont pure réussite, elles servent l’intime et, par leur clair-obscur, la tragédie et la noirceur de ce pays des ombres qu’est l’Allemagne de ce temps-là, en déstructuration. Les séquences faussement gaies de la fête foraine ajoutent à la lourdeur ambiante, mais ne sont pas tout à fait abouties, de même que les scènes de l’apparition de la mère, de l’esquisse de la prostitution ou du groupe des syndicalistes.

Hinkemann est un spectacle puissant par le témoignage qu’il porte sur une époque perturbée et dévastatrice où s’affirme l’antisémitisme, et sur l’exploitation des classes populaires. Le texte d’Ernst Toller laisse des traces et invite à la réflexion. Et l’auteur, loin de ses utopies de jeunesse, pose : « Si nous croyons au pouvoir de la parole, et en tant qu’écrivains, nous y croyons, nous n’avons pas le droit de nous taire » en écho à la solitude de son personnage : « … Que savons-nous ?… Quelle est notre origine ?… notre destination ?… Chaque jour peut apporter le paradis, chaque nuit le déluge. » Et le début XXème était bien le déluge.

 brigitte rémer

avec : Michel Demierre, Christian Esnay, Manuel GarcieKilian, Jonathan Genet, Charline Grand, Stanislas Nordey, Richard Sammut.

Texte de Ernst Toller traduction de l’allemand Huguette et René Radrizzani – adaptation, mise en scène, conception scénographie Christine Letailleurscénographie Emmanuel Clolus assisté de Karl Emmanuel Le Bras – lumières Stéphane Colin – son Bertrand Lechat – assistant à la mise en scène Manuel GarcieKilianLe texte de la pièce est publié à L’avant-scène théâtre.

Théâtre national de la Colline, du 28 mars au 19 avril 2015, 15 rue Malte-Brun, 75020, métro : Gambetta. Tél. : 01 44 62 52 52. Site : www.colline.fr

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

C’est quoi ce travail ?

Image du film

Image du film

Film documentaire réalisé par Sébastien Jousse et Luc Joulé, à partir de la résidence du compositeur Nicolas Frize dans une unité de production du groupe PSA Peugeot Citroën, à Saint-Ouen.

Homme engagé et d’engagement, observateur et acteur du monde du travail depuis de nombreuses années, travailleur de l’ombre dans les prisons, artiste passionné par le temps et le rapport au temps, Nicolas Frize, compositeur et anthropologue sonore comme il aime à se reconnaître, a pendant deux ans, fait de l’usine PSA Peugeot Citroën de Saint-Ouen son quartier général, pour y chercher les sons qui allaient composer la matière musicale de sa prochaine création. Il y rencontre bon nombre d’ouvriers, observe leur travail – ils sont ici six-cents, issus de trente communautés, divisés en quatre équipes car l’usine ne s’arrête jamais – et fait des entretiens avec quatre-vingts d’entre eux : « On parle de l’intime des choses, de l’indicible, en empathie avec eux. On rentre dans l’activité, dans la personne, on parle du rapport de l’homme à l’activité, du rapport au corps de l’activité. Ce sont des gens qui existent et qui résistent ». Leur parole deviendra matière en fusion d’un scénario à imaginer et ils seront protagonistes et acteurs du concert final qu’ils donneront ensemble et que Nicolas Frize intitulera Intimité. La personne, sa sensibilité, son intelligence, ce qu’elle fait et ce qu’elle met en jeu dans son travail, forment la trame des paroles collectées et servent le texte qu’il écrit et qui se déploie ensuite musicalement. Dans ce processus créatif, les ouvriers sont donc les pièces maitresses.

La caméra de Sébastien Jousse et Luc Joulé se pose à son tour dans l’usine et scrute. Elle décrit, rend compte, dialogue et témoigne des avancées du compositeur qui, comme tout ouvrier, porte casque et lunettes, gilet fluo de signalisation et chaussures protectrices pour déambuler dans les zones balisées. C’est une belle usine, immensément haute comme une cathédrale, qui a pour langage et points de repères des couleurs flashy : bleu, jaune, rouge et vert. Elle est chargée de signalétiques , affiches et symboles, – outil 2, accès formellement interdit, porte qualité garantie, accès interdit aux personnes non autorisées – et de consignes de sécurité : « contrôler, mettre le couvercle, lever, prendre la pile »… On est environné de lumières qui clignotent, du rouge au vert, donnant les temps de l’action, et les étincelles du métal éclairent les visages protégés. Le rideau transparent s’ouvre et se ferme, les longerons sont mis en caisse, les empilages de casiers jaunes montent, la caméra usine avec les ouvriers qui actionnent les manettes comme des conducteurs de train.

Certaines machines ont l’impudeur d’être élégantes et ressemblent à des échassiers, tandis que le ballet des bras articulés se poursuit inlassablement. Le bruit est envahissant, les bouchons d’oreilles ne sont pas un luxe. « J’aime voir la pièce comme si j’étais dans la matière », dit l’un d’entre eux. « A un moment je suis perdu, j’ai besoin d’entendre le bruit qu’on fait ». A la question : « Qu’est-ce que le travail » ? la réponse est forte : « Une reconnaissance de sa personne, voir qu’on vaut quelque chose, c’est le ciment de l’être humain. » Une femme ouvrière parle de la vitesse de production, son cahier des charges : « 934 pièces le matin et 1156 pièces l’après-midi, il faut que ce soit bien fait, on n’a pas le droit de faire de l’avance… Etre dans le rouge, je n’aime pas. Parfois, mes mains travaillent toutes seules, je ne pense à rien ». Un homme est caché derrière une énorme presse qui se lève. L’outilleur apporte une solution au problème technique et parle des restructurations : « Les usines de Melun, Asnières, Aulnay se sont regroupées, les ouvriers avaient tous une histoire » et parlant de la qualité du travail, il dit : « Pas de standard, chacun apporte une petite touche personnelle » mais regrette de ne pouvoir être plus créatif dans ce qu’il fait : « Ici on ne crée pas, on a des plans. A Aulnay, on sortait 350 000 voitures, on avait conscience de ce qu’on faisait, ici, tout est statique, rangé, plié, noté, tout est à portée de mains ; notre périmètre est réduit, il faut s’adapter, même si chacun a sa manière de prendre une pièce, chacun a sa technique, on est presque comme un robot ».

De séquences en observations, les réalisateurs poursuivent la captation du dialogue et des images avec les travailleurs : « Chacun a son rituel avant de commencer » dit l’une, « Pour entrer dans le rythme du travail, il faut se calmer, vider sa tête avant », dit l’autre, « pas la peine d’apporter ses problèmes ». Tous soulignent l’importance des collègues et de l’ambiance. L’équipe du film traverse l’atelier où le responsable planifie le travail. Il dit se situer entre les ouvriers et la direction, essayant de garder la justesse d’analyse. Les ouvriers de nuit évoquent leur travail et les rapports qui se tissent entre eux : « La nuit, on est unis, on est davantage les uns avec les autres, on se transmet des savoir-faire ».

Derrière ces paroles et ces images, la caméra suit Nicolas Frize et ses longues perches qui enregistrent sifflements, grincements et grondements, régularité du bruit des machines. Il fait vibrer des pièces détachées comme les lames d’un métallophone et en sort des sons aigus ; il partage l’écoute avec le travailleur qui est près de lui : « Je m’abandonne au présent et cherche à entrer dans le réel. Je cherche des matières, j’entends des paysages sonores, j’entends de la musique » dit-il, « le travail est en moi, il se confond avec moi, je ne peux rien en dire, il est dans tout ce que je pense. C’est le lieu où coudre du sens ».

Vient le moment où l’on voit le compositeur armé de son crayon noir et de sa gomme, dans un silence où seul le bruit des points et des traits qu’il trace existe, contrastant avec le bruit de l’usine. Puis sa calligraphie à l’encre inscrit la mélodie : « La partition est une succession de codes, mais ce qui y est invisible, c’est la part de soi. On construit un édifice, on crée un équilibre ». Des plans à la dérobée conduisent aux répétitions où chanteurs et instrumentistes se retrouvent sous la baguette du chef d’orchestre et de la chef de chœur. Mesure à trois temps, demandée. Invitation à faire de cette partition quelque chose de partagé, d’imprévisible. « Il y a de l’incarnation, il faut mettre du corps dedans ». Travail avec six solistes professionnels en parallèle, un autre monde. Une ouvrière lit son texte et le travaille comme une actrice, Nicolas Frize l’épaule et lui demande d’insister sur certains mots qu’elle surligne avec lui, de ré-inventer le texte… « Le temps s’inspire… » Recherche du « beau geste ». Répétition d’un texte en écho entre deux ouvriers :l’un donne le texte, l’autre reprend, en chuchotant.

Les images finales conduisent au fond de l’usine où a été dressé un espace de jeu de grande amplitude où seront accueillis autant de spectateurs qu’il y aura d’artistes, jour exceptionnel où l’usine s’arrêtera, pour un moment. L’entrée du public est émouvante et la qualité d’écoute impressionnante. Récitatif, chant, musiques. « S’asseoir, ne pas s’asseoir… Tenir la rampe… Nous avons partagé la vie… » Il n’y a plus de bleus de travail il n’y a qu’un auditoire attentif et curieux qui partage ce pan de vie avec d’autres hommes et d’autres femmes, comme eux.

brigitte rémer

La création musicale de Nicolas Frize intitulée Il y a un chemin, ou Intimité, a été présentée sous forme de concert public, comme un parcours dans plusieurs lieux de la ville de Saint-Ouen, début 2014.

C’est quoi ce travail ? a été sélectionné pour la compétition française du festival « Cinéma du Réel » 2015 et présenté dans ce cadre (www.cinemadureel.org). Une projection a eu lieu le 29 mars à l’Espace 1789 de St Ouen, dédiée aux personnels de l’usine PSA Peugeot Citroën où a été tourné le film et en leur présence. Informations : www.shellac-altern.orgVu au Cinéma Trois Luxembourg, le 27 mars.

Festival d’Avignon 2015

affiche_fa_2015La 69ème édition du Festival d’Avignon se tiendra du 4 au 25 juillet 2015, Olivier Py son directeur et artiste, vient de l’annoncer, il en fait connaître les grandes lignes. Engagé politiquement et poétiquement, il a choisi pour axe l’altérité, thème qu’il développe dans son discours d’introduction intitulé Je suis l’autre. Nous en donnons ci-dessous des extraits :

« Il aura fallu la tragédie du mois de janvier pour que la classe politique convienne que la culture et l’éducation sont l’espoir de la France. Qu’en reste-t-il ? La culture sera-t-elle demain cette éducation citoyenne de l’adulte qui changerait réellement le lien social ? L’éducation deviendra-t-elle enfin le réel souci de la nation, la volonté de créer des êtres pourvus de sens critique et capables de s’inventer un destin ? Et les citoyens, passée la prise de conscience, oseront-ils parier sur la culture plutôt que sur l’ignorance, sur le partage plutôt que sur le repli, sur l’avenir plutôt que sur l’immobilité ? Ce réveil douloureux de la France ouvre-t-il le temps où la culture ne sera plus un ornement touristique ou un luxe superfétatoire mais un lien transcendant les classes, une richesse à faire fructifier et le destin même de la Politique ? Le mot de culture s’est élargi d’un coup aux définitions fondamentales de la république, de la laïcité, de la citoyenneté et de la fraternité. Qu’en restera-t-il quand, dans quelques mois, les fausses évidences économiques nous auront fait perdre le goût du possible ? Artistes, spectateurs, citoyens, notre tâche est grande car il ne s’agit plus seulement de préserver une part de culture dans la rapacité des temps marchands, mais de faire entrer la culture dans un projet de société qui n’existera pas sans elle…

… Avignon ouvre son champ utopique à la manière d’une question incessante : avons-nous renoncé à un monde meilleur ? La force d’Avignon, toujours reconduite par son public, c’est de poser cette question non pas seulement en termes intellectuels, mais dans ce moment d’expérience partagée que sont les trois semaines du Festival. Qu’est-ce qu’un festival réussi ? Peut-être celui qui prend acte d’un changement du monde et arrive par la force des artistes et des applaudissements à accueillir ce changement avec un plaisir paradoxal…

… Avignon, c’est trois semaines de grand et beau bruit, non pas de celui qui empêcherait d’entendre le chant du monde mais de ce bourdonnement des foules désirantes, de ce tohu-bohu des fêtes, de ce tintamarre des espérances. On peut parfois être épuisé de ce bruit et se rafraîchir à l’ombre d’un silence plein de bruissante intériorité, il y a, au sens propre comme figuré, assez de jardins dans cette ville-festival… »

En termes de programmation, Shakespeare sera à l’honneur avec Le Roi Lear présenté par Olivier Py, donnant le coup d’envoi du Festival (Cour d’Honneur, 4 au 13 juillet), tandis que dans le même temps, Thomas Ostermayer directeur de la mythique Schaubühne de Berlin donnera sa vision de Richard III, (Opéra Grand Avignon, 6 au 18 juillet). Un peu plus tard, c’est le metteur en scène portugais Tiago Rodrigues qui présentera à travers Antoine et Cléopâtre sa réflexion sur l’auteur  élisabéthain (Théâtre Benoît XII, 12 au 18 juillet).

De nombreux artistes de France et d’ailleurs, connus ou pas, présenteront leurs travaux. Côté France c’est Valère Novarina qui donnera le coup d’envoi pour les auteurs contemporains, avec Le Vivier des noms (Cloître des Carmes, 5 au 12 juillet) ; Samuel Achache présentera Fugue ; Philippe Berling Meursaults de Kamel Daoud ; Marguerite Bordat et Pierre Meunier On pourrait apercevoir le bout du tunnel ; Jonathan Châtel Andreas, d’après Le Chemin de Damas, de Strindberg ; Nathalie Garraud Soudain la nuit ; Fabrice Lambert Jamais assez ; Olivier Martin-Salvan sera sur les routes avec Ubu sur la butte ; Benjamin Porée présentera La Trilogie du revoir, de Botho Strauss. Seront aussi présents Robin Renucci et l’Orchestre régional Avignon Provence pour Homériade de Dimitri Dimitriadis ; L’Orchestre des jeunes de la Méditerranée qui jouera Gustav Malher et Anna Sokolova ; deux grandes dames de théâtre et de cinéma Isabelle Huppert lisant des textes du Marquis de Sade (Cour d’Honneur, 9 juillet) et Fanny Ardant jouant la Cassandre de Christa Wolf avec un Ensemble de musiciens, dans une mise en scène d’Hervé Loichemol (Opéra Grand Avignon, 22 juillet). Eric Reinhardt et Feu ! Chatterton présenteront avec France Culture L’Amour et les Forêts, d’Eric Reinhardt, au Musée Calvet ; La lecture au quotidien sous forme de feuilleton de La République de Platon traduite par Alain Badiou sous la conduite de Valérie Dréville, Didier Galas et Grégoire Ingold sera programmée au Jardin Ceccano.

Venant d’ailleurs, ils présenteront : d’Argentine, Quand je rentrerai à la maison je serai un autre de Mariano Pensoti, Dynamo de Claudio Tolcachir, et Le Syndrome de Sergio Boris dans un partenariat argentino-français ; d’Egypte, The last super d’Ahmed el Attar ; d’Espagne, Vers la joie, en partenariat avec Avignon et sous la houlette d’Olivier Py ; d’Estonie Ma femme a fait une scène et a effacé toutes nos photos de vacances  de la Compagnie NO99 ; d’Israël, Winter family, avec No word/FPLL ; du Liban, Barbara-Fairouz, spectacle musical de Dorsaf Hamdani et Daniel Mille. De Pologne, Krzystian Lupa bien connu en France pour y avoir présenté des spectacles qui ont fait date, donnera sa vision de la pièce de Thomas Bernhardt, Des arbres à abattre (la Fabrica, 4 au 8 juillet). Il avait déjà fréquenté l’auteur en présentant une adaptation de son roman, Perturbation, au Théâtre national de la Colline, en 2013 ; de Russie, Kirill Serebrennikov venu pour la première fois à Paris en 2014 avec Hamlet au Théâtre des Gémeaux de Sceaux, ainsi qu’avec Metamorphosis et Le Songe d’une nuit d’été au Théâtre national de Chaillot, revient avec le Studio 7, brillante promotion de l’Ecole d’art de Moscou fondée par Stanislavski, pour présenter Les Idiots d’après Lars von Trier.

Le jeune public ne sera pas laissé pour compte, trois spectacles lui sont entre autres, dédiés  : Riquet de Laurent Bretome, Notallwhowanderarelost de Benjamin Verdoncq venant d’Anvers, et Dark Circus de Stereoptik. La danse non plus avec, à l’affiche, Angelin Preljocaj et son Retour à Berratam de Laurent Mavignier (Cour d’Honneur, 17 au 25 juillet) ; avec des danseurs et chorégraphes de France et d’ailleurs : Gaëlle Bourges et A mon seul désir ; Fatou Cissé du Sénégal, avec Le Bal du cercle ; Fabrice Lambert et Jamais assez ; Eszter Salamon de Berlin, avec Monument O hanté par la guerre 1913-2013 ; Hofesh Shechter de Londres, avec Barbarians ; Emmanuelle Vo-Dinh et Tombouctou déjà-vu. Enfin une grande exposition sur Patrice Chéreau disparu à l’automne 2013 sera présentée à La collection Lambert, musée d’art contemporain d’Avignon : Patrice Chéreau un musée imaginaire et le jeune plasticien Guillaume Bresson dont l’un des axes de travail est la violence urbaine, présentera son travail à l’église des Célestins.

Un programme chargé, pensif et festif, des propositions multiples pour une édition légèrement écourtée en fonction du contexte budgétaire serré, belle invitation à partage.

 brigitte rémer

Festival d’Avignon, Cloître Saint-Louis, 20 Rue du Portail Boquier, 84000 Avignon –  Tél. : 04 90 27 66 50 – www.festival-avignon.com

 

 

 

Le cirque de mOts

©Emmanuel Pierrot

©Emmanuel Pierrot

Suivi de La Visite de la ménagerie en présence du dompteur. Conception, réalisation, manipulation et jeu, Pierre Fourny, directeur de la Compagnie Alis.

Il est un Monsieur Loyal grand style, précis comme une grammaire imaginaire et fait glisser les mots comme des si bémol sur son papier Vergé extra blanc qu’il coupe et retourne avec dextérité. Comme des tours de passe-passe, il tronçonne, efface, souligne et jette en l’air contresens et extravagances, ambigrammes et palindromes. A son jeu de bonneteau le spectateur perdant gagne en fantaisie et en intelligence, et ne peut qu’admirer sa façon d’apprivoiser les mots.

Performer typographe, Pierre Fourny prend patiemment les chemins buissonniers depuis une trentaine d’années à la recherche de nouveaux langages, du mot à l’image. Avec Le Cirque de mots son idée fixe n’est pas le tour du monde à la Cosinus mais bien le détour des mots et la magie du verbe, et il invente un langage à sa manière. « Je me suis mis à couper les mots écrits en deux, horizontalement, parce qu’à y regarder de plus près, il s’avère qu’il y a des mots qui contiennent la moitié d’autres mots. Aujourd’hui, les outils dont je dispose me permettent même de découvrir des mots entiers à l’intérieur d’autres mots… » Il travaille magnifiquement la langue et regarde la transparence des mots, les sépare, les superpose et les recolle entre eux, détournant leur sens initial pour conduire vers d’autres idées, concepts et images. C’est un magicien qui donne dans un talentueux bricolage conceptuel, au sens où les philosophes l’entendent.

Machine à repasser le temps (repasser, au sens physique du terme), refus du retour du temps par un jeu de panneaux, numéro des puces, jeux des mots-jeux des yeux : infime différence, intime – réalité, fiction, action – réalité, beauté – écran, écart ; strip-tease de mots : sardine, otarie, baleine, ouistiti, girafe ; saut de la mort avec femme pliante et fée, de brune à blonde ; décomposition du galop de Muybridge en lumière noire et métamorphoses d’un lièvre en cheval ; trucages en tous genres.

Son jeu avec le fil d’octet fait le lien avec une seconde partie intitulée La Visite de la ménagerie en présence du dompteur où il s’auto interviewe, dévoile quelques secrets dans sa manière de couper les mots en deux, puis dialogue avec le public. Cette démonstration conférence des plus sérieuses dans la recherche de sens et la manipulation informatique, va jusqu’à la présentation du logiciel spécialement fabriqué pour ses non-mots : cirque 2.0. et une nouvelle application interactive de Poésie à 2 mi-mots, sa marque de fabrique. Pierre Fourny travaille avec un laboratoire en recherche d’application de l’Université de Compiègne et un développer professionnel Guillaume Jacquemin. Christophe Cagnolari, chef de gare du langage soundpainting a récemment rejoint son vaste chantier du cirque des mOts et tous deux les regardent passer. Pour Fourny, « le petit écran est une scène, on peut le travailler comme au plateau » et il évoque la question de la gestuelle et du corps dans le rapport aux écrans. Alors, nouveau codage de l’alphabet pour les psychanalystes, autres méthodes pour l’apprentissage de la lecture et le traitement de la dyslexie, approche différente pour les malentendants qui n’ont pas la sensation du son ? Plus scientifique mais tout aussi pince sans rire, la seconde partie n’est jamais sèche et si le mot est plus spectaculaire, jamais il ne perd sa saveur.

De l’écrit au sens, Pierre Fourny interroge la gravité de la poésie, et son manège des mots leur fréquence d’utilisation. Signe, image, son et sens sont dans son filet à papillons, et dans ses ludiques figures de style pas de sens interdit.

brigitte rémer

Compagnie Alis : Pierre Fourny – collaboration artistique : Christophe Cagnolari, Robert Landard, Olivier Saccomano – construction : Albert Morelle.

Vu le 26 mars 2015, au Théâtre du Rond-Point – Programme Trousses de secours/Rattraper la langue. Prochaines représentations : le 16 mai à 21h, à l’Arsenal-Abbaye Saint-Jean des Vignes, Soissons, dans le cadre de la Nuit des Musées. Gratuit /réservation au 03 23 93 30 50 – Le 12 septembre, à Mercin et Vaux (02), dans le cadre du Festival 1001 facettes.

Et aussi, jusqu’au 31 mai : Les Ombres d’Alis, exposition de Pierre Fourny à l’Arsenal-Abbaye Saint-Jean des Vignes de Soissons, du lundi au vendredi : 9h-12h/14h-18h, samedi et dimanche jusqu’à 19h – Informations : www.alis-fr.com

 

 

Boesman et Lena

©Antonia Bozzi

©Antonia Bozzi

Texte Athol Fugard. Adaptation et mise en scène Philippe Adrien.

C’est une pièce sur l’apartheid et la pauvreté qui en découle, écrite par Athol Fugard, homme de théâtre sud-africain blanc, figure active de l’opposition dans son pays, dans les années 60.

Fugard met en mots la misère d’un couple Hottentots chassé de la ville blanche et à bout de force, elle Lena, lui Boesman, tous deux à la dérive au milieu d’un désert de boue dans les faubourgs poubelles du Cap, où la dignité n’a pas droit de cité : « Où aller ? Quoi faire ? » Il reste à Lena (Nathalie Vairac) un peu de force de vie, pour se débattre et s’agripper à l’espoir d’un changement auquel elle croit encore, ou d’une rencontre rêvée. Boesman (Christian Julien) «  son Boss », lui maintient la tête sous l’eau, et ils se déstructurent ensemble au fil des tensions qui les animent. Qu’y a-t-il à partager dans un tel contexte si ce n’est souffrance et malheur, colère et rancoeur ? La pièce montre le quotidien laborieux du couple déchiré au milieu de nulle part, et les scènes de la misère où ils cherchent à survivre dans une cabane improvisée, brinquebalante et sans espoir : « Leur toit préféré ? Le ciel… »

Un troisième personnage entre en bout de course dans l’arène, plus démuni encore que les deux autres, un vieux Cafre nommé Outa (Tadié Tuéné) d’une caste délaissée dans sa négritude absolue, et qui parle une autre langue. Lena essaie de s’accrocher à lui, précipitant le drame, jusqu’à la mort : « J’ai besoin de lui … Parler à quelqu’un…» dit-elle. Comme le chien auquel il lançait des pierres, Boesman l’exécute. Lena trouve alors la force de s’enfuir, faisant éclater un sentiment de légèreté momentanée et dignité retrouvée, par cette liberté volée.

La ségrégation raciale aiguë décrétée en Afrique du Sud en 1948 et les émeutes de Soweto des années 60 ont laissé des milliers de morts sur le carreau et valu à Nelson Mandela, leader de l’African National Congres (ANC) un emprisonnement dit à vie. Athol Fugard s’est exprimé dans trois textes emblématiques qu’il a co-écrits en 1972 avec deux auteurs de sa troupe, John Kani et Winston Ntshona : Sizwe Banzi est mort, pièce que Peter Brook a montée en 2006 ; Inculpation pour violation de la loi sur l’immoralité et L’Île. Boesman et Lena fut montée en 1985 par Roger Blin, avec Toto Bissainthe, grande actrice haïtienne.

Philippe Adrien en propose ici sa version, transposant l’univers réaliste des années 60 en quelque chose de décalé et de vieilli qu’on regarde un peu comme un chromo. Lena dans sa vibrante partition donne une épaisseur au personnage et une belle dynamique, elle s’acharne à vivre. Dans les brumes de l’alcool, Boesman est sombre, et le couple tout aussi de guingois que la cabane et que leur position dans cette société cloisonnée. « Et maintenant, elle est où ta liberté » ?

 « Un petit coup de pouce et nous voilà sans travail. Un petit coup de pouce et nous voilà en prison. Un petit coup de pouce et nous voilà en morceaux. Tu veux que je te dise pourquoi ? C’est parce qu’on est les détritus des Blancs. Ils les jettent, mais nous on les ramasse. On les porte ; on dort dedans. On les mange. Maintenant on est devenus des détritus. C’est des gens, leurs détritus », crie Lena, dans son désespoir. La violence du texte porte loin la référence de ce que fut hier l’Afrique du Sud et qui, nulle part, n’est jamais loin.

brigitte rémer

Adaptation et mise en scène : Philippe Adrien – Avec : Nathalie Vairac, Christian Julien, Tadié Tuéné – Scénographie et costumes Erwan Creff – Lumières Gilles David – Régie générale Olivier Marsin et Roger Olivier.

Théâtre de la Tempête, du 13 mars au 15 avril 2015. Cartoucherie de Vincennes. 12 rue du Champ de Manœuvre. 75012. Métro : Château de Vincennes puis navette du Théâtre – Spectacle créé au festival de théâtre des Abymes en Guadeloupe. Texte français d’Isabelle Famchon publié aux éditions de l’Opale.

Les politiques culturelles doivent-elles être multiculturelles?

6 bis - Visuel-cycle-Pol.du-multiculturalisme-fev-avril-2015_illustration-16-9Conférence proposée par la Commission nationale française pour l’Unesco, en partenariat avec l’Association pour les activités autour de l’Histoire à Sciences Po/APAHS, dans le cadre du programme Politiques du multiculturalismele débat français, le 15 avril 2015, à 19h00.

Elle réunira Angéline Escafré-Dublet, maître de conférences à l’Université de Lyon Lumière 2, Laurent Martin, professeur à Paris 3 et David Fajolles, secrétaire général de la Commission nationale française pour l’Unesco.

Quand le ministère de la culture se crée, en 1959, le mot d’ordre est la démocratisation de la culture : les grandes œuvres artistiques dont la France a hérité ou dont elle encourage la création doivent être accessibles à tous. Dans sa démarche volontaire, Malraux, premier ministre de la Culture, a contribué à dessiner les contours d’une certaine forme de culture officielle et à affirmer sa prééminence symbolique sur les autres modes de rapport à la culture.

A l’échelle internationale, à l’Unesco en particulier, l’universalisme hérité de l’après-guerre faisait place à une approche différentialiste dans les années 1970. L’heure était au respect et à la valorisation des cultures particulières, dont la fin des empires et l’émergence de nations indépendantes avaient rendu manifeste la diversité. De manière concomitante, ailleurs qu’en France, les spécificités culturelles locales ou ethniques devenant un véritable casus belli, les politiques culturelles ont été investies d’une mission de pacification : programmes d’enseignement de langues locales, soutien aux manifestations dites traditionnelles et autres démarches de ce type apparurent essentielles. L’émergence de la notion de patrimoine immatériel de l’humanité a renforcé ces dynamiques, dans les années 1990.

Les autorités françaises ont elles-mêmes pris acte de la diversité culturelle de la France et de l’effervescence artistique qui en résultait. Cette reconnaissance s’imposa à la faveur des évolutions à l’échelle internationale, de la pression du monde associatif et des positions du ministre de la culture de l’époque, Jack Lang. Depuis lors, une tension demeure quant à leur traitement. Après la démocratisation de la culture, la démocratie culturelle – c’est-à-dire la reconnaissance de l’égale valeur de toutes les expressions culturelles – était à l’ordre du jour, mais, d’une part, elle s’est toujours davantage attachée à la diversité des contenus, des pratiques, des formes de la culture qu’à celle de ses publics ou de ses acteurs et, d’autre part, l’idéal universaliste continuait d’exercer son influence. C’est là un trait qui caractérise notre pays par rapport à bien d’autres. Il soulève la question de la direction à prendre en matière de politiques culturelles, d’autant plus à une époque où la démocratie culturelle est fragilisée par un appel croissant à la protection d’une identité française.

Lieu de la Conférence : Commission nationale française pour l’Unesco – 57, boulevard des Invalides – Paris 7ème – Métro : Duroc – Inscription obligatoire : APAHS.fr

 

Politiques culturelles de la France des années soixante à nos jours

ImprimerRencontre-débat, le 13 avril 2015 à 19h, dans le cadre des Lundis de l’INA, organisé par le Comité d’Histoire du ministère de la Culture et de la Communication et l’INAthèque.

En présence de Maryvonne de Saint Pulgent, présidente du Comité d’Histoire et d’Agnès Saal, PDG de l’Ina. Y participeront : Bernard Faivre d’Arcier, ancien directeur du théâtre et des spectacles, ancien directeur du Festival d’Avignon, Guillaume Bourjeois, secrétaire général du Comité d’Histoire, Laurent Martin, professeur à l’Université Paris 3 et Jean-Claude Pompougnac, correspondant du Comité d’Histoire.

 L’histoire de la politique culturelle française depuis la fondation du ministère des Affaires culturelles par André Malraux en 1959 est faite d’images et de symboles, elle souvent personnifiée à travers la figure de ses ministres. Référence devenue mondiale, l’ambition première et avant-gardiste a-t-elle su relever son propre défi ? À partir de quatre séquences d’images d’archives issues des collections de l’Ina, spécialistes et témoins retraceront cette histoire en donnant à voir que le questionnement initial est resté bien souvent d’une grande actualité.

Lieu de la rencontre : Bibliothèque nationale de France, site Tolbiac – Petit Auditorium – Quai François Mauriac, 75013 Paris – Réservation obligatoire : inatheque@ina.fr

 

 

 

 

La recherche dans les écoles supérieures d’art

4 bis - Culture-et-Recherche-130-couverture_mediumCulture et Recherche n° 130, hiver 2014-2015, publication du Département de la Recherche du Ministère de la Culture et de la Communication.

En quelques années, la recherche s’est constituée comme un champ spécifique dans les écoles supérieures d’art. Elle en est aujourd’hui l’un des axes les plus vivants, les plus productifs, mais aussi les plus questionnés et les plus éminemment stratégiques. Pour faire apparaître ce paysage de la recherche, multiple, diversifié, en cours de structuration, la parole est donnée ici à ses acteurs : praticiens, artistes, historiens de l’art, philosophes, sociologues, le plus souvent professeurs dans ces écoles, chercheurs en art ou dans d’autres disciplines…

Ainsi sont réunis des points de vue parfois convergents, parfois contradictoires, mais toujours productifs, et qui peuvent servir de socle de réflexion à un moment où la Direction générale de la création artistique du ministère de la Culture et de la Communication se dote d’une « mission recherche. »

L’artiste Fabrice Hyber a été invité à prendre en charge la dimension visuelle du numéro. Il y incarne à sa manière la singularité d’une recherche en création, irréductible au seul régime de l’écrit.

Dossier coordonné par Isabelle Manci, avec la collaboration de Jacques Bayle, Christine Colin, Chantal Creste, Jérôme Dupin, Guy Tortosa et Bruno Tackels.

Ministère de la Culture et de la Communication, Département de la recherche, de l’enseignement supérieur et de la technologie, 182, rue Saint-Honoré, 75033 Paris Cedex – Information : culture-et-recherche@culture.gouv.fr

Les droits culturels

Maison des Sciences de l’Homme d’Aquitaine – Les droits culturels une remise en question des politiques publiques de la culture ? Journées d’étude, les 9 et 10 avril, à Bordeaux

« Les droits culturels désignent les droits, libertés et responsabilités pour une personne, seule ou en commun, avec et pour autrui, de choisir et d’exprimer son identité ; cela implique les capacités d’accéder aux références culturelles, comme à autant de ressources qui sont nécessaires à son processus d’identification». Patrice Meyer-Bisch – 2008

A l’heure où la culture tend à disparaître des priorités des collectivités, où montent les communautarismes, les replis identitaires et les extrémismes, et où certains pointent l’échec de la démocratisation culturelle, la notion de droits culturels peut-elle permettre une redéfinition des politiques publiques dans le domaine de la culture?

La réflexion récente autour des droits culturels propose une nouvelle définition de la culture, en dépassant la rupture entre culture savante et culture populaire et en l’envisageant plutôt comme un continuum englobant une diversité de références et de ressources qui sont autant d’expressions de notre humanité. L’approche par les droits culturels replace les personnes au centre des politiques culturelles qui ne doivent plus s’envisager dans une logique descendante d’accès à la culture mais comme la reconnaissance de toutes les références culturelles. Il s’agit de réaffirmer des principes de liberté et de dignité humaines dans les politiques publiques au service de l’émancipation sociale des personnes et de la réinvention d’un agir en commun.

Des responsables culturels, des élus, des créateurs, des philosophes, conscients des limites de leurs actions tentent aujourd’hui d’autres expériences. Ils en débattront au cours des journées d’études ouvertes à tous ceux qui se sentent concernés par la question, acteurs culturels, artistes, responsables politiques, étudiants, enseignants, éducateurs, chercheurs, bénévoles, militants…

Ces journées se tiendront à la Maison des Sciences de l’Homme Aquitaine – Campus Université Bordeaux Montaigne, Pessac – les 9 et 10 avril 2015. Inscription préalable en ligne sur le site : msha.fr – Contact : droits-culturels@msha.fr

 

 

 

 

Projets innovants en faveur de la jeunesse

Le ministre de la Ville, de la Jeunesse et des Sports et le commissaire général à l’Investissement, lance un appel à projets : Projets innovants en faveur de la jeunesse.

Différents territoires se dotent aujourd’hui de politique jeunesse mais la mise en œuvre de politiques jeunesse globales et transversales reste complexe à réaliser. Le programme national Projets innovants en faveur de la jeunesse est destiné à faire levier, et a vocation à accompagner la réalisation de projets à forte valeur ajoutée collective et économique pour les jeunes de 13 à 30 ans.

Décloisonner les actions publiques sectorielles est une nécessité pour un accompagnement plus efficace, plus efficient de tous les jeunes dans leur parcours d’autonomie, leur insertion sociale et professionnelle. L’objectif vise à lutter efficacement contre les inégalités sociales et territoriales et à amorcer de nouveaux projets par des partenariats innovants à grande échelle, entre acteurs publics et privés.

Les projets financés à travers cet appel à projets s’inscriront au sein d’un territoire identifié, favoriseront l’émergence et la structuration de politiques de jeunesse intégrées, et aborderont de façon globale et cohérente les problématiques d’éducation, de culture, de sport, de santé, de citoyenneté, de mobilité, d’engagement, de formation et d’accès des jeunes à l’emploi.

L’opérateur responsable de sa mise en œuvre est l’Agence nationale pour la Rénovation urbaine – ANRU -. Trois sessions de sélection sont prévues, les dates limites de dépôt des dossiers étant les 15 mai et 15 septembre 2015, le 15 janvier 2016.

Le cahier des charges est téléchargeable sur le site : www.anru.fr. Le dossier est à adresser par télécopie à : jeunesse@anru.fr.

 

« La participation », avenir des musées de société ?

La 12ème édition des Rencontres Professionnelles de la Fédération des Ecomusées et des Musées de Société – EFMS – se tiendra du 8 au 10 avril, à Marseille, sur le thème La participation, avenir des musées de société ?

1 bis - éco-muséesOuvertes à l’ensemble des professionnels de la culture, aux bénévoles, élus, chercheurs et étudiants, ces journées se veulent un moment privilégié d’échange et de débat.

Ces journées aborderont le thème en proposant une synthèse historique sur l’apparition et le développement des actions dans les musées. Au travers d’exemples issus des musées membres du réseau et de musées de l’étranger travaillant y compris hors du champ disciplinaire, le débat portera sur la participation, telle qu’elle se pratique aujourd’hui.

La question clé tournera autour de la problématique suivante : La participation peut-elle constituer une méthodologie d’action pertinente et originale, et une voie d’avenir pour les musées de société ? Où en est-on, sachant que l’ensemble des musées s’est emparé des principes de l’éco-muséologie, à l’exclusion de la participation ?

Les rencontres auront lieu au Mucem les 8 et 9 avril 2015 et au Musée d’histoire de Marseille, le10 avril. Programme et fiche d’inscription à télécharger : www.fems.asso.fr

Contact : Fédération des écomusées et des musées de société, 2, avenue Arthur Gaulard 25000 Besançon. Tél. : 03 88 55 63 27 – contact@fems.asso.fr

Toujours la tempête, texte Peter Handke

© Michel Corbou

© Michel Corbou

Mise en scène Alain Françon, texte français Olivier Le Lay. « Laisser ressurgir les voix inouïes d’une famille, et à travers elles le destin d’une minorité et d’une langue, le slovène, qui est son trésor menacé. Est-ce dans le monde des morts, croise-t-on des fantômes » ?

C’est une pièce fleuve de trois heures et demi, qui évoque, à compter des années 30, l’histoire d’un territoire enclavé au sud de l’Autriche, la Carinthie, dont la langue est le slovène. Une région maltraitée par l’Histoire et encerclée par les guerres où l’auteur, Peter Handke, est né.

Un plateau en plan incliné recouvert de reliefs minéraux couleur terre brûlée, sorte de no man’s land très réussi, représente un paysage de steppe et de lande, à perte de vue (décor de Jacques Gabel). Le narrateur-l’auteur (Laurent Stocker) personnage principal appelé Moi, erre à la recherche de ses racines et des non-dits de ses origines, et fait revivre la ferme familiale où il rencontre ses grands parents maternels, ses oncles et ses tantes, sa mère avec laquelle il règle ses comptes. Fantasme ou réalité ?

Une galerie de portraits se dessine et la présentation d’une famille qui essaie de s’aimer mais se divise, au moins politiquement. Chacun a ses lubies, ses fantasmes, ses rythmes, ses joies et ses peines, vus à travers le filtre du narrateur. Assis sur un tabouret, celui-ci se tient hors-jeu et à distance, spectateur de la famille et de sa propre vie, il joue entre le dedans et le dehors. A la recherche de son identité et de ses ancêtres, ce double de Handke reprend le chemin de l’enfance pour questionner sa mère, en des rôles désormais inversés.

La vie rythmée par la nature – avec ses vergers et ses pommiers, dont l’un est peint sur le chambranle de la porte – donne l’image d’un lieu idyllique où se mélangent les temps, les absents et les présents, où s’organisent les résistances, avec l’affirmation de la langue slovène qui peu à peu s’efface. Douleur et nostalgie sont au rendez-vous quand il faut affronter la guerre et que la famille éclate.

Un Grand-Père rude, et fou d’attachement pour sa terre (Wladimir Yordanoff) : « Pas de je dans notre maison… il y a nous… Pas de place pour une tragédie chez nous » ; une Grand-Mère comme du bon pain, tête de pont entre les générations et qui met du liant quand les engrenages grincent (Nada Strancar) ; La tante, Ursula-Snezena, (Dominique Valadié) pasionaria ténébreuse, neigeuse partisane comme elle se désigne, qui n’a pas trouvé sa place dans le clan familial ; l’oncle amoureux de son verger Gregor-Jonathan (Gilles Privat) qui devient résistant et se pose la question du sens de l’engagement, face aux allemands « Se terrer pour ne pas partir… Ce que nous sommes, nous ne le sommes pas, ne nous obligez pas à être allemand »; Valentin, sa violence face au landau, celui qui perd la vie pour son pays (Stanislas Stanic) et Benjamin louvoyant entre tous (Pierre-Félix Gravière) ; la Mère (Dominique Reymond) dans un douloureux face à face avec son fils, à la recherche du père et de la vérité.

Peter Handke donne un chant épique et triste où l’obsession de la langue et du territoire est profonde et s’inscrit dans la chronologie de l’Histoire d’une minorité oubliée où l’on est dépossédé de son identité, contraint de germaniser jusqu’à son propre nom. Toujours la tempête est un peu son histoire, l’un de ses personnages interroge : « Notre Histoire a-t-elle déterminée notre nature » ?

Handke tient une place particulière dans le paysage littéraire en raison de son implication dans la géographie yougoslave, complexe, et ses prises de position parfois jugées ambiguës. Il s’est retiré de longues années pour écrire Toujours la tempête. C’est un auteur bien connu en France par ses romans et ses nouvelles dont L’Angoisse du gardien de but au moment du penalty et La Femme gauchère ; par ses scénarios dont celui des Ailes du désir écrit avec Wim Wenders, et par son théâtre joué depuis les années 70 – Outrage au public, La Chevauchée sur le lac de Constance, Les Gens déraisonnables sont en voie de disparition, Par les villages -. Il est monté par les grands metteurs en scène comme Claude Régy, Luc Bondy ou Peter Van den Eede et bien d‘autres. Alain Françon aujourd’hui donne une belle lecture du récit, qui d’intime devient collectif, dans une facture sobre et forte, passant de la narration aux dialogues. « Et pourtant le coeur, le centre de mon écriture est le récit, la longue narration, exhaustive, oscillante, sinueuse, et de nouveau laconique : c’est moi cela. C’est moi, c’est moi tout entier » disait Handke dans Espaces intermédiaires.

Les acteurs sont habités et la direction d’acteurs exemplaire, chacun donnant sa perception des événements familiaux et historiques avec sa personnalité propre, tout en construisant la pertinence de la tribu, cette famille slovène telle que Handke la décrit : « L’Histoire a dévoré ma vie… Notre vie… la désespérance », dit Moi, fermant le spectacle. L’interprétation de Laurent Stocker – de la Comédie-Française – par sa présence discrète et troublante servant de révélateur aux événements, apporte la distance poétique et de l’imaginaire.

 brigitte rémer

Mise en scène : Alain Françon – assistant à la mise en scène : Nicolas Doutey – décor : Jacques Gabel – lumières : Joël Hourbeigt – costumes : Sarah Leterrier – musique : Marie-Jeanne Séréro – musiciens : Floriane Bonanni, Philip James Glenister, Renaud Guieu, Benjamin Mc Connell, Julien Podolak, Thierry Serra – son : Léonard Françon – collaboration dramaturgique : Sophie Semin – chorégraphie : Caroline Marcadé – Toujours la tempête est publié aux éditions Le Bruit du temps.

Vu aux Ateliers Berthier-Odéon Théâtre de l’Europe (4 mars-2 avril 2015) Tournée – La Comédie de Saint-Etienne-CDN, du 8 au 10 avril 2015 – Maison de la Culture d’Amiens, les 15 et 16 avril 2015 – Théâtre de Nice, centre dramatique national, du 22 au 26 avril 2015 – La Comédie de Clermont-Ferrand, scène nationale, les 5 et 6 mai 2015 – MC2 Grenoble, du 22 au 26 septembre 2015.