Archives mensuelles : mars 2015

Médée, poème enragé

Photo© Alain Richard

Photo© Alain Richard

Texte et mise en scène de Jean-René Lemoine. Spectacle présenté par la MC93 hors les murs dans le cadre du programme Le Standard Idéal.

C’est un texte magnifique et osé, parfois très cru, si bien porté par l’auteur-acteur-récitant, seul en scène et incarnant Médée, qu’on en reste ébahi et glacé, par le mystère de la théâtralité. Médée-Matériau d’Heiner Muller revu par Anatoli Vassiliev a inspiré Jean-René Lemoine, qui en écrit sa version comme un opéra parlé, en trois mouvements et re-dessine le mythe, tout en le restituant. Sa force se résume en son titre : Médée, poème enragé. « Mes amies… » lance l’acteur au spectateur, dans le Prologue, le prenant à témoin.

Le premier mouvement, Genèse, brave les tabous de l’inceste entre Médée et son frère, Apsyrte, qu’elle exécute comme une mante religieuse quand le navire Argo pointe dans l’horizon, avec, à son bord, Jason tant attendu et sa Toison. L’oubli et la remémoration, rewind dans le texte, transcendent le quotidien dans un récit troublé, entre passé et présent. Et Médée brave son père, figure d’un commandeur sanguinaire qui « tue les étrangers abordant son pays », et oblige à la fuite du couple pour Iolcos, le pays de Jason : « Médée, je te prends pour épouse ».

On entre dans le second mouvement, Exil, avec les deux enfants nés de l’union, leur joie de vivre et leurs jeux d’eau contrastant avec les sombres pensées de Médée, princesse déjà délaissée : « Allez trouver Jason, dites-lui de revenir, je ne peux plus voir le soleil, dites-lui qu’il ne doit pas me laisser seule ». Le récit du meurtre à venir est calme et terrible, et les mots en demi brume introduisent le cauchemar : « Je vais me lever, me mettre nue, glisser dans la piscine, les serrer contre moi, sentir leur vie, je vais nager avec eux, les laisser arriver en premier à l’autre bout de la piscine et les regarder, triomphants, m’accueillir en vainqueurs. Je ferme les yeux, j’entends leurs cris d’oiseaux. Quand j’ouvrirai les yeux, ils auront disparu ».

La fuite reprend, l’errance, l’exil et la folie. « Nous avons erré de ville en ville. J’ai accouché dans des hôtels. Fait, défait, refait les valises. Allaité mes enfants sur le bord de la route. Contemplé cent couchers de soleil. Appris toutes les langues du monde. Mon visage est intact mais je n’ai plus d’âge. Des ombres glissent sur les yeux de Jason. Je connais sa fatigue. Moi je suis forte. Immortelle ». Arrivés à Corinthe, Créon les accueille dans le luxe de son immense villa, et tout se délite. Pour garder Jason, Médée accepte tout : viol, trahison, mensonge et même rupture, et jusqu’aux épousailles de Jason avec Creüse, fille de Créon.

Et la vengeance se met en place, froide et volcanique, transformant Médée en « infanticide amoureuse », en meurtrière accomplissant la terrible prédiction : « Pas un souffle. Je fais quelques longueurs. L’eau est douce et souple comme un lac. J’arrête de penser. Je suis bien ». La mort des enfants ne suffisant pas, Médée poursuit sa fuite en avant et officie dans un autre meurtre, de manière violente et cérémonielle, tendant un piège à la nouvelle épousée de Jason. Incantations de folie.

Le troisième mouvement, Retour, témoigne de la traversée de Médée, rentrant seule au pays où elle est désormais devenue étrangère : « Je retourne à l’inconscience, à l’état d’avant la vie »; sa mère s’est jetée du haut de la tour à la mort du fils, elle accompagne l’agonie du père. Sa folie, ses visions l’habitent jusque dans l’Epilogue : « J’ai continué ma route jusqu’à l’océan. J’ai aperçu Jason qui marchait au loin sur le rivage, avec nos deux enfants. Et j’ai pensé, ils sont ensemble, tout va bien, et ils se promènent sous la neige ».

Assisté pour la mise en scène de Zelda Soussan, Jean-René Lemoine restitue avec une infinie douceur la force poétique du texte, plongeant le spectateur dans l’incandescence du mythe. Seul face au micro et dans une grande intensité, il est le récit et sa sensibilité à vif prend le contre pied de la puissance d’un texte qu’il cisèle, du chuchotement au cri : « Qu’ai-je fait d’autre que d’aimer celui qui ne m’a pas aimée » ? Le créateur musical et sonore, Romain Kronenberg, dans l’ombre côté cour, rythme quelques moments tout aussi subtilement, portant l’acteur-actrice comme une reine déchue, torse drapé d’un satin magnifiquement fluide et ambigu (costumes de Bouchra Jarrar). L’écriture de lumières joue de contre-jours et renforce la magie (création de Dominique Bruguière), et deux pleins feux traversent comme des éclairs, lors des moments de transition, l’aire de jeu, rectangle recouvert d’un tapis noir cerclé d’un filet de sable (dispositif scénique, de Christophe Ouvrard).

Dramaturge, metteur en scène et acteur né en Haïti, formé au Conservatoire d’Art Dramatique de Paris et à l’école Mudra de Maurice Béjart à Bruxelles, Jean-René Lemoine se consacre à l’écriture dramatique à partir de 1985, et à la mise en scène : Iphigénie, Portrait d’un couple, Chimères, L’Ode à Scarlett O’Hara, Ecchymose, L’Odeur du noir, Le Voyage vers Grand-Rivière sont ses principales pièces, Erzuli Dahomey, déesse de l’amour, reçoit le prix de la SACD en 2009 (en dramaturgie de langue française) et entre au répertoire de la Comédie Française, en 2012.

Avec Médée poème enragé, il côtoie les hauts sommets, comme auteur, acteur et metteur en scène. Sa grande maîtrise et parfaite retenue, nous plongent dans le trouble et au cœur de la tragédie antique, de la blessure à la vengeance : « Jusqu’à la tombe, Jason, tu m’appartiens ». Ses Ellipses écrites dans le texte, induisent les blancs de la chronologie tout autant que les passages à vide et courts circuits, dans la psyché de l’étrange étrangère : « Je ne sais plus, j’ai oublié»… Et dans l’excès et le déchirement de ses passions, la mythique Médée, d’Euripide à Pasolini et de Sénèque à Christa Woolf, sous la plume sensible de Jean-René Lemoine, interroge encore l’aujourd’hui : « Médée poème enragé raconte ce que je suis et parle des ambiguïtés, celles d’être façonné par des terres différentes, celles de la masculinité et de la féminité ».

 brigitte rémer

Avec : Jean-René Lemoine et Romain Kronenberg – Collaboration artistique : Damien Manivel – Assistant lumières : François Menou – Assistante à la mise en scène : Zelda Soussan – Maquillage : Marielle Loubet. Le texte de Jean-René Lemoine est publié aux Editions Les Solitaires intempestifs.

Théâtre Gérard Philipe CDN de Saint-Denis, du 27 mars au 3 avril 2015 – Spectacle vu à la MC93 de Bobigny en mars 2014 lors de sa création. Cet article a été publié par Théâtre cultures.

 

Zawaya – Témoignages de la Révolution

Photo©Tamer Eissa

Photo©Tamer Eissa

Cinq récits portés par les acteurs d’El-Warsha Théâtre, du Caire, en langue arabe sous-titrée en français. Conception et réalisation de Hassan El-Geretly (Egypte), dans le cadre du programme D(r)ôles de Printemps.

Plusieurs mois après la Révolution égyptienne de janvier 2011, la démarche d’El-Warsha Théâtre fut de partir à la recherche de témoins et de collecter leurs récits liés aux dix-huit jours de la révolte – 25 janvier au 11 février -. Un spectacle est né en 2012, qui n’a cessé d’évoluer, tant au niveau du langage basé sur la remémoration, que dans le passage à la scène par le filtre de l’acteur dont la partition est d’être narrateur autant que personnage.

Ces témoignages ont été ré-écrits par le poète Shadi Atef, synthèse d’un croisement d’histoires. Hassan El-Geretly, fondateur d’El-Warsha Théâtre en 1987, première compagnie indépendante d’Egypte, concepteur et réalisateur des spectacles de la troupe, en a gardé cinq et choisi d’intituler la performance Zawaya, qui signifie angles. Il s’agit d’angles de vue ou dans le langage de la photographie d’angles de prises de vue – pourquoi pas de prises de vie – une invitation à la réflexion, à partir de témoignages divergents qui ont mené à la chute de Moubarak, le 11 février 2011 et fait de nombreux morts parmi les jeunes manifestants.

La puissance du verbe et l’intensité de la présence des acteurs face au public, appellent une mise en scène dépouillée. Cinq chaises sont alignées dans la pénombre, à mi-plateau, une sixième chaise à l’avant est le lieu de parole, chacun des acteurs tour à tour y prend place dans la lumière montante, pour porter son récit : le supporter du groupe des Ultras pour le club de football le plus populaire d’Egypte, Al-Ahly Le Caire, qui sait s’opposer aux forces de l’ordre et défendre la manifestation « l’asphalte était notre tribune » ; les provocations d’un Baltagui – voyou qui tantôt penche du côté du pouvoir tantôt de l’autre en vrai-faux repenti  « la parole sage d’un repenti, celui qui parle trop et en fait peu » ; une représentante de l’ONG Human Rights Watch faisant l’inventaire des morts à Alexandrie, et qui dans la morgue où elle a fini par entrer, essaie de réconforter… « ne pas oublier » ; un soldat de l’armée égyptienne pour qui « le pays est une toile de jute qui crame au soleil depuis trente ans » et qui philosophe… « celui qui a vu est mieux que celui qui a entendu dire… » ; la mère d’un jeune tué lors des événements et qui fait figure de martyr, en attente d’un permis d’inhumer, la beauté du visage sur cette image offerte aux spectateurs : « depuis la mort d’Ahmed je me sens orpheline, j’ai laissé plein de choses comme il les avait laissées ».

Ces récits sont dépositaires de la mémoire collective et ont valeur de protestation et de résistance. Gramsci ne disait-il pas : « Une crise c’est quand le vieux monde se meurt, que le nouveau tarde à naître et que dans ce clair-obscur surgissent des monstres ». Pour détourner les monstres, El-Warsha s’engage, une façon d’affirmer citoyenneté et liberté. Les narrateurs-conteurs portent avec intensité leur rôle, apportant le trouble entre la réalité du récit et son incarnation. Les actrices – Arfa Abdelrasoul, Dahlia Al Gendy – et les acteurs – Hassan Abou Al Rous, Seif El Aswany, Ahmed Shoukry – passent de l’ombre à la lumière. La direction d’acteurs les mène vers ce trouble, même si l’un d’entre eux dit au cercle de spectateurs, comme le ferait un conteur : « Ne croyez pas tout ce que vous allez entendre, pas même ce que je vous raconte ». Pourtant, toute ressemblance avec des personnes ayant existé… ne serait pas ici fortuite.

Côté jardin, un chanteur accompagné de son oud – Yasser El Magrabi, compositeur – intervient entre chaque séquence, restituant les textes poétiques de Mohamed El Sayed, Shadi Atef et Wael Fathy qui permettent au spectateur de prendre un peu de distance avec l’âpre vérité des récits, et de reprendre souffle. Il rythme le spectacle : « La voix des arbres est enrouée. Le chant se languit des paroles. Clair de lune… »  « Je suis la terre, constante, posée et digne. Egypte est mon nom ». « Je suis la douleur et la joie. Humanité ».

La conception du spectacle ouvrant sur ces révélations et la transmission de l’indicible, est signée Hassan El-Geretly, chef de troupe d’El-Warsha Théâre qu’il a fondé il y a près d’une trentaine d’années, après un parcours plus personnel notamment en Grande Bretagne et en France. C’est un parcours sans faute que fait le metteur en scène et en idées, qui n’a de cesse de remettre sur le métier l’ouvrage. Sa démarche vise à faire émerger les problématiques égyptiennes contemporaines et à re-penser les formes théâtrales en puisant dans les expressions populaires : l’approche du patrimoine égyptien traditionnel est son terrain d’inspiration et d’expérimentation pour établir des passerelles entre la tradition et la réalité contemporaine du pays, en tenant compte de l’épaisseur de l’Histoire.

El-Warsha Théâtre travaille sur les fragments, explore les légendes, les contes, les formes musicales et chantées, l’art du bâton et travaille en moyenne Egypte, dans les villages. La succession d’événements politiques en accéléré et la perte des repères, obligent à retenir le temps pour marquer les mémoires. C’est ce que à quoi contribue El-Warsha Théâtre sous différentes formes reliées à l’actualité. Ainsi la troupe s’est emparée du thème de la guerre et des femmes – la parole des vaincues – et depuis la révolte de 2011, des témoignages qu’elle met en scène. Dans ce dialogue permanent entre passé et présent, Hassan El-Geretly parie sur l’avenir et donne priorité au développement par le théâtre et à la formation. Il travaille au corps à corps avec les acteurs et les confronte à toutes les techniques théâtrales, du butô aux masques, et de la narration épique à la marionnette, à partir d’un travail quotidien, presque une ascèse. Son activité créatrice constitue un véritable instrument de critique sociale.

Avec Zawaya, Hassan El-Geretly ne fait pas une relecture des événements et ne les représente pas. Il les interroge par le filtre de la création. En cela, il ne s’agit pas d’une forme de théâtre documentaire, au sens où Peter Weiss le définit – « un théâtre de tension qui veut abolir l’ordre du tragique » – car dans les cinq récits qui nous sont présentés, le tragique est bien là. Et Jean Duvignaud par son regard de sociologue, éclaire les notions de mémoire individuelle et mémoire collective : «Ainsi la conscience n’est jamais fermée sur elle-même. Nous sommes entraînés dans des directions multiples, comme si le souvenir était un point de repère qui nous permet de nous situer au milieu de la variation continue des cadres sociaux et de l’expérience collective historique. Cela explique peut-être pour quelle raison, dans les périodes de calme, le souvenir collectif a moins d’importance que dans les périodes de tension ou de crise, et là, parfois, il devient mythe ».

brigitte rémer

Vu au Tarmac, le 25 mars 2015 – Production El-Warsha Théâtre, avec le soutien de TAMASI Performing Art Network, SIDA Swedish International Development Cooperation Agency, Hakaya / Union Européenne.

Tournée : 21 mars, L’Apostrophe, Cergy-Pontoise – 23 mars, Théâtre Monty, Antwerpen/Anvers – 25 au 28 mars, Paris, le Tarmac, dans le cadre de (D)rôles de printemps – 30 mars, Bozar Théâtre/Palais des Beaux-Arts, Bruxelles.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Sacré Printemps !

 

Photo©Blandine Photo©Blandine Photo©Blandine Soulage

Photo©Blandine Soulage

Conception et chorégraphie d’Aicha M’Barek et Hafiz Dhaou (Tunisie), dans le cadre du programme D(r)ôles de Printemps.

Le plateau est envahi d’une trentaine de silhouettes réalisées d’après les portraits de Billal Berreni. Ce jeune artiste d’art urbain, français d’origine tunisienne au destin tragique, peignait en 2011 le long de l’avenue Bourguiba de Tunis, le portrait en pied et grandeur nature des martyrs de la révolution tunisienne. Vêtus à l’européenne ou portant des signes traditionnels, ils sont la société civile dans le mouvement de la vie et le combat pour les droits de l’Homme, et nous prennent à témoin. Leur effigie rappelle les portraits égyptiens du Fayoum.

C’est à partir de cette représentation du peuple tunisien que les chorégraphes, Aicha M’Barek et Hafiz Dhaou entourés de cinq danseurs, ont construit leur propos, à la mémoire de… pour parler, dire, se défendre et mettre en action l’expression de la liberté. Entre la trace et l’urgence, ils déclinent leur commentaire sur ce Printemps tunisien, partant de soli, qui évoluent jusqu’au collectif. Avant la danse, l’un et l’autre avaient appris le cinéma, ils en gardent la notion de plan et de rythme et celle d’un univers sonore très présent, qu’on retrouve dans Sacré Printemps !

Il y a une grande énergie dans ce spectacle où se martèlent les rythmes et se modèlent les atmosphères de vie et de quartiers, dans une tension de manifestations. Percussions, chant, oud, bruits de la ville, psalmodies de mort, rythment le spectacle, la chorégraphie travaille sur la notion d’Ensemble, superposant les temps. Des lumières vives accompagnent par moments ce monde en suspens et l’enchevêtrement des corps morts.

La notion de collectif est très présente et accompagne les solos et duos, les couples qui ne se touchent pas, les quadrilles, le travail en écho, la logique de chœur. Bientôt les mouvements de foule enflent, le bruit des manifestations enveloppe l’espace, ils se bouchent les oreilles. Lancement de chaussures comme un cri de rage. Soudainement les danseurs se figent et marquent le salut militaire. Aucun repos. Puis ils s’infiltrent dans la foule en carton, courent et se cherchent, tracent des diagonales, dansent à travers les silhouettes qui avancent et qui finissent par occuper tout l’espace.

Entre transe et précision de la danse, de ruptures en chaos, cette manière de fixer les événements par symboles et allusions, de l’emblématique au métaphorique, donne de la lisibilité à cette quête de liberté. A la recherche d’une écriture personnelle et de l’élaboration d’une partition commune, les chorégraphes travaillent les formes et les définissent dans le corps des danseurs, car, comme le dit Hafiz Dhaou, « un corps est une mémoire où tout est inscrit ».

Nés à Tunis, Aicha M’Barek et Hafiz Dhaou travaillent ensemble depuis une vingtaine d’années et sont artistes associés à la Maison de la Danse de Lyon. Leurs chorégraphies les plus récentes sont le fruit d’un temps de résidence au Théâtre Louis Aragon de Tremblay en France : Transit, présenté en 2013, s’inspirait de leur environnement du moment, dans la proximité de l’aéroport de Roissy – Toi et Moi créé en 2014 est une esquisse d’instants de Sacré Printemps ! Ils travaillent à quatre mains de manière interactive et Aicha M’Barek explique : « On sait très bien ce que l’on ne veut pas. On converge vers le même point mais on ne prend pas le même chemin. »

Ils sont artistes, questionnant leur temps et les événements « en tant qu’humains, en tant que citoyens et en tant qu’artistes ». Leur Sacré Printemps ! fait aussi référence à Stravinsky et son Sacre du Printemps qui au début du XXè marquait une rupture au plan chorégraphique et musical. Ils sont dans ce même état d’alerte, confrontant leur onde de choc à la recherche de sens et à la lecture de l’Histoire. Leur Printemps est sacré !

brigitte rémer

Avec les danseurs : Amala Dianor, Stéphanie Pignon, Johanna Mandonnet, Rolando Rocha, Mohamed Toukabri, Aicha M’Barek, Hafiz Dhaou – Silhouettes de Dominique Simon, d’après les portraits de Billal Berreni – Création musicale : Éric Aldéa et Ivan Chiossone et chant : Sonia Mbarek – Lumières : Xavier Lazarini – Costumes : Michel Amet

En tournée – 27 mars 2015 : Théâtre Le Merlan/scène nationale de Marseille – 25 avril 2015 : théâtre de Singel/Campus artistique international d’Anvers – 2 mai 2015 : Les Rencontres Chorégraphiques de Tunis – 19-21 mai 2015 : CDN de Haute-Normandie, Petit-Quevilly-Rouen-Mont-Saint-Aignan

(D)rôles de Printemps, au Tarmac, 159 avenue Gambetta. 75020, du 11 au 28 mars 2015. Tél. : 01 43 64 80 80 – Site : www.letarmac.fr

 

Alice, de Sawson Bou Khaled

Photo©Mohamed Fathala

Photo©Mohamed Fathala

Performance théâtrale mise en scène et interprétée par Sawson Bou Khaled (Liban), dans le cadre du programme D(r)ôles de Printemps.

Sawson Bou Khaled a le goût de la métamorphose et nous guide à travers les faces cachées de son paysage intérieur. Dans cette performance théâtrale proche d’une installation, elle devient son propre matériau et son univers visuel est aussi présent que les mots de ses réitérations.

Jeune artiste libanaise, elle travaille entre Beyrouth et Paris, habitée des univers de Büchner, Artaud, Genet ou Koltès. Elle crée son premier spectacle, Cryptobiose, en 2006 à Beyrouth, joue dans Archipel d’Issam Bou Khaled avec le collectif Shams au Tarmac de La Villette en 2008, puis présente une version fleuve d’Alice, dans un hôtel abandonné du Caire, 2013.

Perdue dans un grand lit où elle se relaxe, rondelles de concombre sur les yeux, l’actrice semble ici s’être retirée du temps et livre des bribes de phrases, en aveugle :  « c’est peut-être comme ça… » Puis elle s’anime, grignote le légume et convoque ses monstres. Elle monte en tension tout au long du spectacle, jusqu’à devenir elle-même monstre, entre hallucinations et désagrégation. Avec sa force tranquille, comme dans un conte qui tournerait au cauchemar, elle se révèle tantôt victime tantôt bourreau.

Soudain un cri déchire le théâtre et marque d’une pierre ses (mauvais) rêves : « Je tombe… ! » Sawson Bou Khaled construit un univers mental et visuel très personnel, se fondant totalement aux éléments de la scénographie. Du lit qui devient sculpture, elle tire des merveilles avec beaucoup de naturel. Sa collaboration avec le scénographe Hussein Baydoun, depuis plusieurs années, offre des niches de créativité et d’imprévus, avec images vidéo et jeux de lumière. Petit à petit, son univers se rétrécit jusqu’à l’enfermement, dans un lit devenu cage où elle s’installe comme en état foetal.

Sa rencontre avec un chat, Alice, son confident, envoie de la tendresse dans cette absolue solitude. « Alice, comment peut-on savoir qu’on n’est pas déjà mort ? » Elle évoque l’image de la mère et traverse le temps, de l’enfance à celui de la vieillesse, projeté, au bord de l’absence et de la mort. « Cette femme a l’âge de ses projections mentales, elle est sans âge » confie Sawson Bou Khaled.

Transformation et métamorphoses sont les mots clés qui traduisent l’univers lyrique et fantasmagorique de cette artiste de grand talent. L’œil – du destin – qui la poursuit prend sa source, dit-elle, dans les violences subies lors de manifestations, quand les forces de l’ordre avaient « visé tout droit l’œil gauche, puis le droit » laissant un jeune homme privé de lumière. La guerre n’est jamais loin dans le commentaire, ni les peurs et les désordres qui en résultent, son univers finement ciselé, est noir « c’est comme ça la mort, peut-être… »

Dans un monde d’images, Sawson Bou Khaled déjoue l’absurde et hypnotise, elle est son propre matériau d’expérimentation. « C’est moi, Sawsan ! Je ne joue pas un personnage, je me mets en scène dans des situations extrêmes où je risque de ne plus du tout ressembler à ce que je suis dans la vie hors scène », ainsi est son voyage.

brigitte rémer

Conception, mise en scène, interprétation : Sawsan Bou Khaled – scénographie et animation vidéo : Hussein Baydoun – création lumière : Sarmad Louis – régie lumière : Ahmed Hafez – musique composée par Mikhail Meerovitch pour le film Le Conte Des Contes, 1979 et adaptée pour Alice, par Maurice Louca.

D)rôles de Printemps, au Tarmac, 159 avenue Gambetta. 75020, du 11 au 28 mars 2015. Tél. : 01 43 64 80 80 – Site : www.letarmac.fr

 

 

 

On the importance of being an Arab

Photo©Graham Waite

Photo©Graham Waite

Spectacle mis en scène et interprété par Ahmed El Attar (Egypte), dans le cadre du programme D(r)ôles de Printemps.

C’est un spectacle construit en séquences à partir des conversations échangées par Ahmed El Attar, concepteur du spectacle, avec son père, des membres de sa famille, des amies, et à partir de documents officiels. Il nous plonge au cœur de son intimité et de sa réflexion à travers cet exercice qui ressemble à un work in progress. Au fil des reprises et de ses présentations, il y met des variations. « Le spectacle est une synthèse à la fois visuelle, sonore et dramaturgique, de la vie d’un Egyptien dans l’Egypte d’aujourd’hui, et cet Egyptien, c’est moi » dit-il.

L’acteur est juché sur un cube de béton – métaphore de la génération béton à laquelle il dit appartenir, vu du Caire – assis, spectateur de sa propre vie qu’il fait défiler, par bribes, par le fil d’une oreillette dont il garde secrètement le contenu et qu’il rejoue pour les spectateurs. Le jeu des langues passe par l’arabe sous-titré en français, affiché à l’avant du podium ou projeté sur un écran situé derrière lui. Il se drape parfois d’une lumière verte, donnant plus de distance encore et de théâtralité. On se croirait dans un studio de télévision. L’homme est grave et tendu, il lance son texte avec violence.

Plusieurs conversations avec le père laissent filtrer le désaccord, expression d’un conflit des générations, faisant défiler les thèmes de la vie : « Tout ce que tu m’a appris était faux ! » lance le fils. « Que tu es injuste ! » répond le père. Argent, pouvoir et politique, avant, pendant et après la Révolution ; vote de cinq millions de personnes pour Morsi, il y a trois ans ; un cœur de ville qui a changé autour de la Place Talaat Harb ; émigrer, partir où ? L’Histoire du pays est au seuil de sa porte et croise son récit de vie.

L’homme regarde le public de façon neutre et détachée et le prend à témoin, enfouissant ses affects. Il marque parfois des pauses. Quand il se lève, on le dirait au bord du vide, prêt à tomber de ce haut plateau. Un fond sonore, aussi violent que le texte lui-même, mais après tout, proche des décibels de la capitale égyptienne, remplit le petit Tarmac.

Ahmed El Attar est directeur d’un théâtre indépendant égyptien et dramaturge, le combat est permanent. Il est également le fondateur et directeur artistique du Temple Independent Theatre Company et d’Orient Productions, qui travaillent à développer la création artistique indépendante au Caire. « Je ne suis pas chroniqueur, mais j’aimerais que les gens amorcent une réflexion sur l’Autre, sur l’Arabe que je suis, sur les préjugés », justifie-t-il. Son spectacle est singulier, dans sa démarche comme dans sa forme, sa parole est libre et courageuse et Je n’est pas un autre.

brigitte rémer

Mise en scène et jeu : Ahmed El Attar/Compagnie théâtrale indépendante du Temple – musique et vidéo : Hassan Khan – décor : Hussein Baydoun – lumière : Charlie Astrom – assistante à la mise en scène : Nevine El Ibiary – ingénieur son : Hussein Sami – montage vidéo : Louli Seif – technicien lumière : Saber El Sayed – régisseur général : Ahmed Omar

(D)rôles de Printemps, au Tarmac, 159 avenue Gambetta. 75020, du 11 au 28 mars 2015. Tél. : 01 43 64 80 80 – Site : www.letarmac.fr

La collection Lise B, conception de Fabrice Dugied

Photo©Anne Nordmann

Photo©Anne Nordmann

La collection Lise B, Regards sur la danse contemporaine. Une installation performative des archives de la journaliste de danse, Lise Brunel.

 Quand Lise Brunel disparaît, en 2011, Fabrice Dugied son fils, chorégraphe, se retrouve héritier d’une vie de danse et d’une quantité extraordinaire de documents ayant appartenu à sa mère : articles, photographies, enregistrements, entretiens, carnets de notes etc. Avec deux chercheuses, Claude Sorin et Ninon Steinhausser, il se jette à corps perdu dans le tri et l’élaboration d’un concept d’exposition, faisant parler les archives. La forme finale devient une sorte de partition pour corps et archives qui témoigne de la singularité du regard de cette passionnée de danse et de l’effervescence de cet art au cours des années 1956 à 2000.

La première partie de cette Collection Lise B se déroule dans le hall de la Briqueterie où photos, articles, audios et vidéos permettent une première approche. On entend Lise de sa voix particulière de petite fille, interroger de grands chorégraphes dont Merce Cunningham, Alwin Nikolais, Marta Graham ou Karine Waehner. On suit ses déclarations telles des manifestes sur le statut du danseur et la complexité de la carrière. Elle donne son point de vue et émet des propositions pour le développement de la danse. Quelques danseurs traversent le hall, s’échauffent, discrètement, puis l’investissent avec les petits mots de Lise écrits sur des panneaux qui signe son engagement en danse : « La danse est toujours réduite en haut lieu à une part si petite de budget… »

La suite se passe sur le plateau où deux tables se font face, côté cour et côté jardin, point de rencontre des danseurs. Fabrice Dugied accueille le public et l’invite à « un voyage sur le monde, sur le temps, sur l’espoir. » Un dispositif, sorte de carrousel constitué de chaînes portant des séries de photos en noir et blanc, tombe des cintres. Un vocal très élaboré et des bribes d’enregistrements nous environnent, des séquences se succèdent : ronde de danseurs, signe de légèreté et de partage ; pantomime réalisée avec des affiches, petits clins d’oeil à la mémoire. Les noms des chorégraphes de renom s’égrènent : Pina Bausch, Rudolph Noureev, Trisha Brown, Susan Buirge ; les lieux de la danse et des festivals, s’affichent à travers un bouquet de tee-shirts : Arles l’été de la danse, Hivernales, Montpellier Danse, Festival de Prague, en Italie, au Canada.

Au-delà des images d’archives sur écran, d’autres images captées par une caméra, sur scène, portent à la connaissance des spectateurs la richesse de documents posés au sol. « La danse est un ensemble de l’individuel, chaque danseur est un individu » dit Lise Brunel. Des séries de mots s’affichent : « mot à… en forme de… » comme éphémère, plaisir, performance, espace. Entre jeu de l’absurde et travestissement, le défilé des accessoires avec changements à vue de costumes inventifs apporte sa note loufoque et d’accumulation d’objets. La réflexion de la journaliste sur la critique en danse prolonge aussi le débat et invite au respect : « Il faudrait réinventer la critique ; comment raconter le geste sans enfermer le lecteur dans sa propre vision ? »

« Danser avec esprit, bouger l’espace, dire le silence, dire l’action, bouger l’espace…» On l’entend dictant à distance un article sur Trisha Brown à sa secrétaire, qui sur le plateau, le tape sur une vieille Remington. On entend les aspects techniques de sa critique : « Tête, genou, hanche. La tête soudain se jette de côté, le buste se plie en avant, avec vigueur… » La danse comme processus, la passionne : travail sur les courbes, cercle de derviches, mouvements délicats qui construisent la spirale, jeux de dés repris à la caméra, énumération des partitions. Moment de tendresse quand Patrice Dugied installe la danseuse aux cheveux gris sur une chaise, et qu’il tient le rôle du fils, lui, plein d’attention, elle, nageant dans l’océan. Images de rue, mémoires de bal, partout l’énergie et une force de vie.

La maison aux photos, ce dispositif qui monte et qui descend au centre du plateau, sorte de répertoire des danseurs et chorégraphes qu’elle a côtoyés, devient à la fin la maison des danseurs où se rejouent des rondes enfantines. Au final, les spectateurs sont invités à poursuivre le voyage, sur le plateau, à travers ces images. Et sur écran, signé Bob Wilson : «  Le ralentissement du temps abaisse la fréquence du cerveau et permet de trouver le temps de penser. »

Journaliste d’exception dans le monde de la danse, Lise Brunel fut une grande dame, modeste et écoutée. Elle défendait les jeunes chorégraphes. Le milieu de la danse a fait corps en répondant présent à l’invitation de son fils, Fabrice Dugied, chorégraphe qui a construit en son hommage ce parcours de corps, de voix et de sens, pour mémoire.

 brigitte rémer

Conception, direction et chorégraphie : Fabrice Dugied/ Compagnie les Zonards célestes – Recherche et commissariat d’exposition : Claude Sorin et Ninon Steunhausser – Musiques originales : Meredith Monk – Chorégraphie en complicité avec les danseurs : Brigitte Asselineau, Ashley Chen, Mié Coquempot, Camille Ollagnier, Edwige Wood.

Spectacle programmé lors de la 18ème édition de la Biennale de danse du Val-de-Marne dirigée par Daniel Favier. Programmation du 5 mars au 3 avril dans 25 lieux du Département – (cf. programme complet : www.alabriqueterie.com et tél. : 01 48 58 24 29)

Nabil Boutros – Expositions Le Caire-Paris

Photo ©Nabil Boutros

Photo©Nabil Boutros

Artiste visuel franco-égyptien, Nabil Boutros vit entre Le Caire et Paris. Depuis les années 90 il utilise le medium photographique et réalise des scénographies. Montré dans des manifestations internationales, des institutions culturelles et des galeries privées, son travail est principalement tourné vers l’Égypte et le Moyen-Orient, et il a mené de nombreux ateliers sur l’image en Égypte, en Jordanie, au Yémen ainsi que dans différents pays africains.

Il présente actuellement au Caire à l’Espace Karim Francis, en partenariat avec l’Institut Français d’Egypte, Recent Works, traces des travaux qu’il a réalisés au cours des cinq dernières années et notamment : la série Égyptiens ou l’habit fait le moine dans laquelle il se grime et se déguise en plusieurs types d’Égyptiens ; Un voyage de printemps qui ressemblerait à des souvenirs rapportés d’un voyage – aux images encadrées par des formules convenues, dans une calligraphie arabe classique – qui démontre que la réalité sur le terrain n’a vraiment rien d’un printemps ; La condition ovine qui met en exergue ce que l’Histoire et l’actualité ne cessent de démontrer, à savoir les comportements irrationnels des foules, métaphore ici du troupeau ; la série Au-delà / Beyond où l’artiste présente des images réalisées à partir de ses archives photographiques d’Égypte devant lesquelles il place une grille de mots arabes en écriture kufique orthogonale. Ces mots antagonistes entre promesses et menaces, – Ici-bas/Au-delà – Le Licite/L’illicite – Les cieux/La Terre etc… forment des grilles, labyrinthes ou moucharabiehs et entravent la vue des images.

Quelques-uns des travaux de cette série sont aussi exposés en ce moment à Paris en compagnie des photographies de deux autres artistes, Amy Friend et Marie Hudelot, sous le titre Identité, à la Galerie Rivière/Faiveley.

brigitte rémer

Le Caire : Espace Karim Francis, Contemporary Art Gallery, 1 El sherifein St – Downtown – Le Caire, Egypte, jusqu’au 22 mars 2015 – (www.karimfrancis.com) et Paris : Galerie Rivière-Faiveley, 70 rue ND de Nazareth, 75003, jusqu’au 29 mars 2015 – (www.galerierivierefaiveley.com)

Pouilles, conception d’Amedeo Fago

Photo © Pascal Victor

Photo © Pascal Victor

Tarente, dans les Pouilles, ce port de la mer Ionienne situé à l’extrême sud de l’Italie, entre Méditerranée et Adriatique, fait partie de la mythologie familiale du jeune Amedeo qui l’a fréquenté depuis l’âge de treize ans, quand son père pour la première fois l’y a amené. Il se souvient des voitures à cheval et du bruit des sabots sur les pavés mais avec l’industrialisation massive, peine aujourd’hui à le reconnaître. Son père lui avait fait aimer la ville, depuis sa mort il n’y est plus revenu.

Le spectacle est un récit de vie qu’Amedeo Fago écrit sur scène, assis à son bureau dans un coin du plateau, côté cour. L’homme est silencieux et interroge sa généalogie, essayant de mettre des noms sur des visages qu’il n’a jamais connus. Tarente 2011 le remplit de nostalgie, face à la maison le long du front de mer, aux cris des mouettes, au caveau familial dernière demeure du père, laissé à l’abandon depuis vingt-cinq ans.

Les photos projetées sur un écran en fond de scène remontent le temps et nous font entrer dans son panthéon. Avec lui nous feuilletons l’album des ancêtres, dans un compte à rebours partant du début XIXème quand l’Italie était royaume, gouverné par la dynastie de la Maison de Savoie et jusqu’à Mussolini, le fasciste. L’Histoire s’inscrit en filigrane tout en restant à distance, c’est de famille dont il s’agit : « C’était le cinquième enfant de mon arrière grand-père Nicola et il était né en 1841. Les trois lettres que j’avais trouvées se trouvaient dans un petit cartable de cuir écrites sur papier à entête de la Chambre des Députés du Royaume d’Italie… Angelo, le sixième des fils né en 1844, deviendra, quant à lui, mon grand-père…»

Au fil de la narration, l’auteur-acteur-metteur en scène fait une incursion de l’autre côté du plateau où se trouvent quelques mannequins qu’il habille des vêtements sortis d’une armoire ou qu’il plie avec soin, les empilant dans la malle en osier posée devant lui. Comme le linge, les souvenirs se rangent. Et la grande Histoire croise l’histoire familiale, la mémoire politique se teinte de mémoire sociale, dans ce travail d’identification et de recherche des racines. Habité des fantasmes du passé, Amedeo Fago ré-écrit son histoire et se raconte, passant par le filtre du récit enregistré, – c’est son parti pris de mise en scène – ce qui donne parfois l’impression, avec image et son, de suivre Arte à la télé.

Dans le dernier tableau et descendant du cadre, se détache le père. Nous entrons en théâtre, « espace intemporel » selon l’auteur . Un acteur, jeune, s’avance dans le rôle du père à la rencontre d’un fils aux cheveux gris, inversant les générations : « Qui es-tu ? » dit le jeune – «Je suis ton fils » dit l’ancien qui remet à son père le livre de la transmission. Un symbole du temps s’affiche, – une grande horloge – qui, pour quelques instants, devient le personnage principal de la scène.

On referme l’album de ce récit familial, archétype d’une région les Pouilles, et d’une Nation l’Italie, repassant son Histoire et sa géographie du pays, comme un lointain souvenir.

 brigitte rémer

Texte, conception et mise en scène : Amedeo Fago – Jeu : Amedeo Fago et Giulio Pampiglione – Traduction : Patrick Sommier – Costumes : Lia Francesca Morandini – Musique : Franco Piersanti – Effets spéciaux : Davide Ippolito et Luca Di Cecca – Montage vidéo : Daniele Carlevaro – Régie vidéo : Nicola Spagna et Valerio Cappelluti – Assistanat à la mise en scène Alberto Battocchi.

Présenté du 4 au 13 mars au Théâtre Gérard Philipe CDN de Saint-Denis par la MC93, dans le cadre du Festival Le Standard Idéal. (Programme détaillé : www.MC93.com – tél. : 01 41 60 72 72)

Article à télécharger : Pouilles, conception d’Amedeo Fago

Le sel de la terre, de Wim Wenders et Juliano Salgado

affiche

affiche

C’est un film où se croisent les regards de Wim Wenders et Juliano Ribeiro Salgado sur le parcours du grand photographe brésilien Sebastião Salgado. Les fils du récit tissé à la première personne nous plongent dans sa quête artistique et dans l’Histoire avec un grand « H », celle de l’humanité et de ses tragédies. Il rapporte des images des différents espaces géographiques qu’il traverse, ravagés par la famine et la guerre et qui ont valeur de témoignage. Face à cette mémoire collective s’inscrit son histoire de vie et les contours de la mémoire individuelle sous le regard de son fils, Juliano. « La photo dessine le monde avec des lumières et des ombres » pose-t-il, en introduction.

Avec quelques extraits de film, les premières images entrainent le spectateur au cœur de la Serra Pelada, gigantesque mine d’or en cours d’exploitation. Plus de cinquante mille personnes y travaillent comme dans une fourmilière, de façon très organisée et totalement folle dans l’espoir de trouver quelques précieuses pépites qui leur donneront un passeport pour l’indépendance.

A l’opposé de ces solitudes juxtaposées, en action, c’est l’image en suspend d’un touareg aveugle qui interpelle Sebastião Salgado et induit un peu plus tard son choix de photographier, avec un appareil acheté par son épouse Lélia, qu’il s’approprie. « Le sel de la terre, c’est l’homme », dit-il, et il fabrique son regard à travers l’immensité des paysages dont il se nourrit, dans l’enfance, autour de la ferme où il grandit avec ses sept sœurs, dans la région de Minas Gerais, point d’ancrage de la famille. « Ici je rêvais beaucoup… Ici j’ai une idée de la planète ».

Il s’exile avec Lélia en 1969 pour fuir la dictature au Brésil, part à Londres, puis en France où il s’installe avec sa famille. Il parcourt le monde et réalise des reportages aux quatre coins de la planète. Il se rend en Papouasie occidentale en 1971, d’où il rapporte des images de danse et de chants guerriers, de femmes en majesté, puis au Niger en 1973. Otras Americas, son premier grand projet mené de 1977 à 1984, lui permet de frôler son continent dont il a une forte nostalgie. Il y côtoie les Guajacas, au Mexique, une communauté de musiciens où chacun pratique un instrument, observe les croyances en Equateur à plus de 3400 mètres d’altitude. Sa définition du portrait parle de don et de contre don : « Les yeux racontent beaucoup… Un portrait, c’est la personne en fait qui t’offre la photo ». Plus tard, en région Arctique, il montre à Juliano la difficulté de la prise de vue, sans action ni arrière plan, sur fond d’ours blancs et de rendez-vous avec les morses.

De retour au Brésil à la fin des années 70 avec sa famille, il prend de plein fouet les changements du pays et a besoin de solitude. Il décide d’explorer le Nordeste qu’il ne connaît pas et découvre le fléau de la sècheresse, les paysans sans terre, une mortalité infantile qui fait des ravages. Sa région de Minas aussi s’est desséchée, elle a perdu sa forêt. Il peine à reconnaître la ferme paternelle entourée de déserts.

De 1984 à 1986, il témoigne de la famine au Sahel et de l’extrême détresse, du choléra qui décime, de la fuite des coptes vers le nord de l’Ethiopie, de l’exode vers le Soudan sous couleur de Médecins sans Frontières, de l’arrivée en terre fertile, près du Nil bleu. « On s’habitue à la mort » dit-il, face à d’immenses camps de réfugiés, plongés dans le froid et la mort. Le bout de la détresse est atteint en 1985, année de sécheresse intense, au Mali, « la peau ressemble à une écorce » et les tempêtes de sable se succèdent. Suivent en 1991, les champs de pétrole et cinq cents puits en feu au Koweit à deux pas de l’Irak, puis l’Afrique à nouveau en 1994, avec l’exil des Rwandais, les kilomètres de morts le long des routes, le génocide. « L’homme est un animal féroce, d’une violence extrême ». Et la même année, en Yougoslavie, il découvre la même violence. Trois ans plus tard au Congo, même destruction même errance pour des milliers de personnes cachés des mois dans la forêt. Plus de deux cent dix mille manqueront à l’appel, « Il n’y a pas de salut pour l’espèce humaine »

Après avoir engrangé tant de violence, Sebastião Salgado remet en cause son travail et se pose les questions fondamentales de la condition humaine, il a besoin de se ressourcer. Il commence à replanter, avec Lélia, quelques hectares d’arbres autour de la ferme familiale où il est retourné. Petit à petit émerge l’idée de retrouver les forêts de l’enfance, de recréer un éco système, et de 2004 à 2013 se développe le projet Génésis, véritable hommage à la planète, avec la création de l’Instituto Terra. « C’est l’histoire de ma vie, je laisse la forêt » conclut-il.

Derrière la dimension biographique et la manière dont Sebastião Salgado est possédé par son sujet, se joue le sort du monde. Son engagement passe par le témoignage, en noir et blanc, la photo est somptueuse et parle d’anéantissement, là est le paradoxe. L’espace critique n’est pas présent, tel n’est pas le propos du film qui pose les repères d’une vie d’artiste dans sa chronologie, mais qui n’interroge pas l’image sur les limites de ce qu’on peut montrer, ni les positionnements philosophiques et politiques du photographe. On en sort avec un fardeau en même temps qu’avec émotion et humanité.

 brigitte rémer

Film documentaire franco-italo-brésilien réalisé par Juliano Ribeiro Salgado et Wim Wenders, sorti le 15 octobre 2014, (1h49). Unifrance Films et Decia Films. Distribution en France, Le Pacte. Le film a obtenu plusieurs récompenses dont le Prix spécial Un certain regard au dernier Festival de Cannes.

Le cinéma, une affaire d’État 1945-1970

Ouvrage publié sous la direction de Dimitri Vezyroglou

cinema affaire dEtat_NLe Comité d’Histoire du ministère de la Culture et de la Communication, en partenariat avec l’Université Paris I avait réuni en 2013, au cours de journées d’études, des chercheurs en histoire du cinéma, historiens, économistes et personnalités engagées dans les politiques publiques du cinéma. L’idée était de débattre sur ce qui fonde intrinsèquement le cinéma, cette tension entre l’art cinématographique et son inscription dans le champ des industries culturelles.

La publication des actes, Le cinéma : une affaire d’État 1945-1970, en est le prolongement. Présenté au cours d’une table ronde animée par l’historien Jean Lebrun il y a un an, en présence de Frédérique Bredin, présidente du Centre national du cinéma et de l’image animée, et de Maryvonne de Saint Pulgent, présidente du Comité d’histoire, l’ouvrage replace dans son contexte les premiers pas d’une politique dite de qualité, pour le cinéma français : ses systèmes d’aide à la production et la création ; le mouvement des ciné-clubs et le développement de l’art et essai ; la question de la conservation et de la diffusion du patrimoine cinématographique. Il propose aussi certains éclairages sur la question de la censure et sur l’attitude de certains groupes vis-à-vis du cinéma – l’institution militaire, les catholiques, ou le parti communiste – illustrant sa place dans la société française à cette époque, et l’enjeu politique qu’il représente.

L’étude couvre une période de vingt-cinq ans et se compose de quatre parties : Mise en place d’une politique du cinéma – Quantité et qualité : le système d’aide à la production et l’économie du cinéma – Feux croisés : le cinéma entre culture et politique – Production et diffusion d’une culture cinématographique. Elle met particulièrement l’accent sur le moment charnière où le Centre national du Cinéma, sous tutelle du ministère de l’Industrie depuis sa création, en 1946, est transféré au ministère des Affaires culturelles, créé par le Général de Gaulle pour André Malraux, en 1959.

 Avant, le contrôle et la censure, le corporatisme et le poids des syndicats primaient, et la profession était divisée, car producteurs et exploitants avaient des intérêts divergents. A partir de 1959, le modèle du cinéma français bascule, avec toute sa complexité. Le Centre national du cinéma en devient le pilier et le bouclier, par l’instauration notamment de l’avance sur recettes, qui se substitue à l’avance sur scénario, distribuée de manière automatique et remboursée par son producteur si le film réussissait. Il cherchera à s’adapter, au fil des évolutions de la société et des mutations de la filière, notamment lors du passage aux chaines et au petit écran, puis lors du développement de la vidéo, en plus ou moins bonne harmonie avec l’administration de la Culture.

 Le projet de Malraux, de coupler les collections de la cinémathèque française aux maisons de la Culture, et le réseau des ciné-clubs aux antennes de la Cinémathèque française après exploitation, avait crispé les exploitants locaux même s’il aidait certaines salles, nées avant la seconde guerre mondiale, à programmer des films de qualité – ce fut le cas du Studio 28, du Vieux Colombier ou encore des Ursulines -.

 La crise du cinéma est endémique, et il lui faut s’adapter, c’est ce que montre l’ouvrage, pour ce qui est des années 1945 à 1970. La création de l’UGC, fondé en 1946, suite à la nationalisation des biens allemands saisis à la Libération, et sa privatisation en 1970 dans le droit fil de l’alliance entre Gaumont et Pathé au sein d’un Groupement d’intérêt économique, l’arrivée de la télévision en 1957, et le vieillissement des salles populaires, ont entrainé une chute spectaculaire de la fréquentation, passant de 450 millions d’entrées à 200 millions. L’apparition des multiplexes en 1967, la création de Canal + en 1984, ont eu les mêmes répercussions. Aujourd’hui, c’est en écho au tout numérique et à ses enjeux, qu’il doit s’adapter.

 La télévision et le cinéma se sont ensuite beaucoup fréquentés, dans des interactions complexes. La création de la taxe audiovisuelle, le pré-achat des films par la télévision, le rachat des studios de cinéma, la privatisation de la télévision, l’influence de la pénétration du cinéma américain et ses fluctuations, l’émergence des distributeurs nouvel intermédiaire entre producteurs et diffuseurs qui contribuent à la diversité de l’offre, ont marqué la structuration du paysage cinématographique.

 Le cinéma : une affaire d’État. 1945-1970, passionnant ouvrage historique réalisé sous la direction de Dimitri Vezyroglou, maître de conférences en histoire du cinéma à l’Université Paris I Panthéon Sorbonne et membre de l’équipe Histoire culturelle et sociale de l’art, rassemble les contributions de Laurent Creton, Sébastien Denis, Pauline Gallinari, Frédéric Gimello-Mesplomb, Frédéric Hervé, Pascal Legrand, Mélisande Leventopoulos, Stéphanie-Emmanuelle Louis, Gaël Péton, Aurélie Pinto, Léo Souillés- Debats, Guillume Vernet. Une analyse des données économiques du cinéma français et de la transformation des rapports entre les acteurs publics et professionnels figure à la fin de l’ouvrage, ainsi que d’intéressantes annexes, comme autant de traces du passé.

Lieu de nombreux conflits et d’antagonismes, le cinéma associe la valeur talent en même temps que la valeur argent, mais au fil de son développement, la même question finalement demeure : qu’est-ce qui crée, pour le spectateur, la valeur d’un film, le choix que l’on fait, sa singularité, la proximité, ou encore la pulsion, c’est-à-dire l’acte d’aller au cinéma.

brigitte rémer

Edition La documentation Française et Comité d’histoire du ministère de la Culture et de la Communication – www.ladocumentationfrancaise.fr   (18 euros)

Renseignements : comitehistoire@culture.gouv.fr  

Saisir, texte d’Henri Michaux, mise en scène de Sarah Oppenheim

© Alain Richard

© Alain Richard

C’est le troisième spectacle de la metteure en scène Sarah Oppenheim, coproduit et présenté par la MC93, hors les murs cette année pour raison de travaux, après Le Paysan de Paris d’Aragon en 2013 et La Voix dans le débarras d’après le récit de Raymond Federman, en 2014.

Saisir, d’Henri Michaux, publié en 1979, n’est pas des plus simple à porter à la scène, le langage y est abstrait, poétique, impressionniste, comme des traits jetés sur une page. Pendant une cinquantaine d’années à partir de 1922, le poète a créé un langage spécifique composé de mots et de signes. Son message est codé. Ses poésies, comme L’Espace du dedans, Lointain intérieur ou La vie dans les plis ; ses récits d’initiation, comme Misérable miracle ou Connaissance par les gouffres ; les traces de ses voyages avec Ecuador publié dès 1929 et Un Barbare en Asie, quatre ans plus tard ; et enfin Par des traits, dernier ouvrage publié de son vivant en 1984, sont la synthèse de sa démarche graphique et de sa quête littéraire, atypiques. Michaux conjugue la pratique du dessin et celle de l’écriture, se situe aux frontières et teste les limites – par les drogues et l’approche de la psychiatrie – s’intéresse à la calligraphie et pratique le crayon, l’encre, la gouache, l’aquarelle et la gravure. C’est de cet univers dont se saisit Sarah Oppenheim, qui le traduit magistralement.

L’acteur-récitant, Yann Colette, debout dans un halo de lumière côté cour, porte le texte légèrement amplifié par un micro. « Homme mystère homme et la rage… » Enumérations. Côté jardin, Benjamin Havas façonne au violoncelle des lignes courbes et mélodiques, qui interpénètrent les mots. On s’habitue au noir quand une forme féminine à peine perceptible se révèle et s’imprime, sortant des limbes. Elle entre progressivement dans le dessin, point rouge interrogeant l’œuvre d’art jusqu’à devenir elle-même l’oeuvre, et prend possession de l’espace. Fany Mary se glisse dans ce jeu du dedans dehors, manipulant une corde blanche tombée du ciel, qui contraste avec la boîte noire de l’espace scénique (création lumières de Benjamin Crouigneau) et décline son alphabet. A certains moments, le texte se suspend. « Qu’est-ce que je fais ici ? J’appelle. Je ne sais qui j’appelle. Quelqu’un d’un autre monde… » Une ligne brisée s’écrit en bleu sur le tulle noir séparant le plateau de la salle, sorte de réplique de la corde posée au sol. Le dessin envahit l’écran, sur un travail graphique de Louise Dumas, très réussi. « Est-ce moi tous ces visages ? » Puis comme un retour en petite enfance, l’actrice personnage fait bruisser des poches plastique, avant de s’auto-mutiler de pansements qu’elle colle avec obsession sur son visage. « Je n’ai rien à faire, je n’ai qu’à défaire. J’aime défaire… »  Elle froisse ensuite le tulle de l’avant-scène qui tombe et dévoile un plateau recouvert d’une fine surface d’eau à peine visible, avec laquelle elle va jouer (scénographie et costumes d’Aurélie Thomas). « Enfant, mon regard traversait les gens sans s’arrêter… » S’affiche alors un visage meurtri qui nous dévore, bouche déformée comme une toile de Bacon, visage rayé comme une prison.

Une autre ligne blanche traverse le plateau le coupant en deux de cour à jardin : l’actrice se glisse dans ce fragile lien, comme dans une camisole de folie et se suspend dans la diagonale, en une crucifixion. « Echapper à ses semblables, désobéir à la forme, comme si, enfant, je me l’étais juré ». Reflets d’eaux, illusions, enroulements sur elle-même, elle est le maître de cérémonie servant l’univers des mots et des traits de Michaux. Et sur l’écran noir en fond de scène, une première balafre blanche, jetée comme un i sans point qui se transforme en v, en y, puis en x, enfin en signe. Métamorphoses du trait en homme, soleil, mante religieuse, fantôme, et, jusqu’au cauchemar, en une pluie d’images où hannetons et pieuvres se répandent.

Dans le tableau final, sur huit panneaux de métal suspendus, signes et traits apparaissent et se reflètent dans l’eau. L’actrice matériau se fond dans un dessin prolongeant ses gestes comme des ressassements, création d’un monde déréglé et bruyant, ponctué par la basse continue du violoncelle, telle un bourdon. On est dans le processus créatif, dans le débordement et la folie créatrice. « Un jour, bientôt peut-être, j’arracherai l’ancre qui tient mon navire loin des mers ». Au centre du plateau glisse un minuscule bateau de papier rouge qui, telle une luciole devient point lumineux ou feu de détresse. Il s’échoue dans un cercle de lumière, bientôt enseveli sous une pluie de sable blanc tombant des cintres. La ligne virtuelle entre le récitant et le contrebassiste s’efface.

Spectacle installation, le croisement des langages artistiques est ici très réussi et Sarah Oppenheim en est maître le maître d’œuvre : « Nous cherchons dans nos spectacles à suivre non pas le résultat du texte en tant que produit fini, mais son mouvement d’écriture, révélant son sens au fur et à mesure de ses avancées et ratures, traces et effacements ». Michaux s’inscrit magnifiquement dans cette expérimentation.

 Brigitte Rémer

 Spectacle coréalisé et présenté du 16 au 22 févier 2015, au Colombier de Bagnolet, coproduit par Le Bal Rebondissant et la MC 93, théâtre de tous les ailleurs, dans le cadre de la programmation hors les murs de la MC93 maison de la culture de la Seine-Saint-Denis.

Les Nuits El Warsha et Zawaya-témoignages de la Révolution

El Warsha Théâtre, du Caire, présente en  tournée deux spectacles en langue arabe, sous titrés en français : Les Nuits El Warsha, du 1er au 20 mars et Zawaya-témoignages de la Révolution, du 21 au 28 mars. Conception et réalisation, Hassan El-Geretly.

©brigitte rémer

©brigitte rémer

Après son passage en France lors du dernier Festival d’Avignon, El Warsha Théâtre – L’Atelier – revient en France avec deux spectacles, Les Nuits El  Warsha et Zawaya-témoignages de la Révolution.

Son chef de troupe, Hassan El-Geretly, francophone et francophile, a créé en 1987 avec détermination cette première troupe indépendante d’Egypte. Il développe depuis, les problématiques égyptiennes contemporaines en repensant les formes théâtrales, et puise dans les expressions populaires. Excellent pédagogue, il est présent sur tous les fronts, toujours aux aguets, sillonne le pays et œuvre dans un esprit de conscientisation des jeunes et de démocratisation culturelle.

* Le premier spectacle présenté en tournée avec treize comédiens, conteurs, chanteurs et musiciens, Les Nuits El Warsha, s’inscrit dans la tradition du cabaret urbain, forme satirique et frondeuse qui avait émergé après l’indépendance du pays, en 1923. Dans cet entre-deux guerres, la liberté de parole avait entraîné une grande frénésie pour le théâtre chanté, l’opérette, le music-hall, le cabaret politique, en même temps que commençait à se développer le cinéma, dans toute sa légèreté.

Les Nuits El Warsha, sont une sorte de laboratoire expérimental toujours en mouvement où la troupe lance ses petites formes – contes populaires, sketchs, théâtre d’ombres, marionnettes à gaine, music hall, danse du bâton, et musiques populaires – qu’elle reconfigure en permanence et fait évoluer dans le contexte d’aujourd’hui.

. 2, 3 et 4 mars, le grand T (mardi 3 mars, la représentation sera suivie d’un débat, et précédée, à 18h30, d’un grand entretien avec Hassan El-Geretly). www.legrandt.fr

. 5 mars, Bonlieu, scène nationale, Annecy – www.bonlieu-annecy.com

. 6 au 10 mars, Théâtre Saint-Gervais, Genève – www.saintgervais.ch

. 12 et 13 mars, Théâtre l’Espal, Le Mans – www.theatre-espal.net

. 14 mars, Théâtre de la Halle aux grains, scène nationale, Blois – www.halleauxgrains.com

. 17, 18 mars, Théâtre-Maison de la Culture, Bourges – www.mcbourges.com

. 20 mars, L’Apostrophe, Cergy Pontoise – www.lapostrophe.net

*  Le second spectacle, Zawaya-témoignages de la Révolution, au ton plus grave, témoigne des événements de 2011 à l’heure de la révolte et de la révolution, Place Tahrir. La troupe a travaillé à chaud sur la mémoire immédiate, collectant les récits liés aux événements. Zawaya signifie angles, en quelque sorte angles de vue.

C’est une invitation à la réflexion, à partir de témoignages divergents qui mettent en scène les dix-huit jours ayant conduit à la chute de Moubarak, le 11 février 2011 : le récit d’un officier de l’armée, la mère d’un jeune martyr tué lors des événements, les provocations d’un Baltagui, – un voyou, qui est tantôt du côté du pouvoir, tantôt de l’autre côté -, le récit d’un groupe d’ultras d’un club de football, une représentante d’une ONG en visite à la morgue.

Collectés puis mis en forme par l’écrivain Shadi Atef, ces témoignages, complétés des poèmes de Mohamed El Sayed, Shadi Atef et Wael Fath, sont dépositaires de la mémoire collective et ont valeur de protestation. Portés par quatre comédiens et un musicien, ils sont devenus spectacle et interrogent le tragique.

. 21 mars, L’Apostrophe, Cergy-Pontoise, www.lapostrophe.net

. 23 mars, Théâtre Monty, Antwerpen/Anvers, www.monty.be

. 25 au 28 mars, Paris, le Tarmac, dans le cadre de (D)rôles de printemps, www.letarmac.fr

. 30 mars, Bozar Théâtre/Palais des Beaux-Arts, Bruxelles, www.bozar.be

brigitte rémer